Le bureau d'Alexandre Korovine se situait au premier étage, juste au dessus de la salle des ventes. Le sorcier l'avait voulu d'inspiration haussmannienne, rappel évident à ses origines. Pour schématiser, il s'agissait d'une vaste pièce avec une belle hauteur de plafond, de grandes fenêtres, des murs blancs ornés de moulures et un parquet somptueux. La décoration revenait à une composition habile d'ancien et de moderne.
Plusieurs vitrines mettaient néanmoins l'accent l'intérêt du sorcier pour les artefacts magiques rares. On pouvait y admirer toute une cohorte d'objets fascinants et dont l'usage ne se laissait guère deviner au premier coup d'œil. Les murs, enfin, croulaient sous les toiles de grands maîtres, hommage remarquable au dix-neuvième siècle dont on savait amateur Alexandre.
Ce bureau résumait, en somme, assez bien l'homme.

Alexandre Korovine s'y trouvait d'ailleurs en ce moment même en train de prendre le thé en compagnie de l'un de ses plus vieux compagnons de route, un gobelin nommé Llewellyn. Ce dernier était installé sur un fauteuil bergère en velours bleu, le regard dissout dans le vague. En dépit de la rudesse de ses traits et d'une expression naturellement sévère, le gobelin paraissait triste. Il n'avait pas touché à sa tasse de thé.
Alexandre était assit juste à côté de lui. De temps en temps, ils s'échangeaient quelques mots en gobelbabil, puis le silence revenait et le sorcier prenait une gorgée de thé. Après un moment, ils finirent néanmoins par s'entendre sur quelque chose. Le gobelin remit à son ami un morceau de parchemin, que ce dernier plia en quatre après l'avoir brièvement parcouru du regard. Il se leva ensuite et quitta la pièce.

Loin de l'agitation habituelle, le chemin de Traverse voyait passer les visiteurs au compte goutte depuis quelque temps. A la météo défavorable s'ajoutait la situation politique instable et la crainte des attaques. Les visiteurs se faisaient discrets, ce qui n'était jamais bon pour les affaires (même si cela impactait moins la clientèle haut de gamme d'Alexandre, qui n'était pas du genre à déambuler pour le plaisir de toute façon). L'homme d'affaire s'attendait à voir revenir du monde dès que l'annonce de la mort du célèbre Harry Potter se serait un peu tassée (si tant est qu'un autre événement tragique ne vienne pas tout bouleverser à nouveau). La nécessité et l'habituation étaient deux forces favorables au commerce.
Comme à l'habitude, l'héritier des Korovine portait une tenue élégante et à la mode parisienne. Il n'avait d'ailleurs guère fallu de temps pour que tout le voisinage s'amuse à le renommer "frenchie". La manière dont il affichait ses origines était d'une évidence ostentatoire presque naïve.
Ainsi, à la chemise de soie écru ouverte sur la poitrine s'ajoutait un foulard noué avec distinction près du cou. Un pantalon de laine ample bleu marine achevait de structurer sa silhouette. C'était sans omettre ses éternels bijoux, cette fois-ci un ensemble en perles roses de lambi discret et raffiné et la chevalière des Korovine (portée au petit doigt).
Avant de s'engager sous le crachin londonien, Alexandre ajusta sur ses épaules une courte cape brodée. L'atmosphère s'assombrissait déjà, pourtant il ne devait pas être plus de cinq heures de l'après-midi. L'homme fit quelques pas dans la rue, rapide. Son regard passa distraitement sur l'enseigne du Purple Vial, un magasin de potions tenu par une propriétaire réputée talentueuse. Il entra sans plus de cérémonie, tandis que sa main fouillait dans sa poche, à la recherche du parchemin plié en quatre.

Depuis son arrivée à Londres, Alexandre ne s'était jamais donné la peine d'entrer personnellement au Purple Vial. Quand il avait besoin de quelque chose, il envoyait son elfe de maison, Aubry. Cela dit, les circonstances exigeaient qu'il s'y rende en personne, cette fois-ci.
S'il connaissait la propriétaire, ce n'était que de vue et de ce que l'on en disait. Giulia Abbot avait sa petite réputation, une façon d'être parfois dissonante, une réticence à la proximité (célibataire sans enfant à trente ans passé) qui faisait jaser. Elle avait le sang pur, mais le sorcier ne se rappelait pas l'avoir jamais croisée (ou alors c'était il y a longtemps, noyée parmi les convives d'un événement mondain quelconque).
Il ne savait plus, mais ce n'était, pour ainsi dire, pas le sujet. Ses talents incontestés en matière de potion, en revanche, voilà qui l'intéressait. Alexandre avait besoin de quelque chose qui ne se trouvait pas sur les étagères des revendeurs bas de gamme.

La clochette de la porte annonça son arrivée. Le sorcier balaya la pièce du regard et, n'apercevant pas la propriétaire, déduisit qu'elle devait se trouver dans son laboratoire. Alexandre prit sur lui de patienter quelques instants avant de se manifester.
Très vite, il se mit à observer plus attentivement la boutique, son atmosphère, sa décoration, sans oublier la cohorte de flacon mis à disposition de la clientèle. Tout ceci lui parut assez conforme au style classique des échoppes de sorciers britanniques, avec une abondance de bois à l'aspect ancien, des centaines de flacons multicolores (et de formes variées) en rang d'oignon sur les étagères, un côté daté pittoresque. Il y avait de l'ordre, un sens indiscutable de l'organisation dans toute cette abondance (une chose qu'il appréciait généralement).
Après ce court moment d'observation, Alexandre avança jusqu'au comptoir et l'effleura du bout des doigts. Sa main libre triturait machinalement son parchemin plié en quatre, au fond de sa poche. Il ne s'en était même pas rendu compte.