La vie d’Amber était devenue triste et morose depuis quelques mois. Elle avait un peu tout gardé pour elle, même si ce n’était pas la meilleure façon d’agir. Alors qu’elle se rapprochait à peine de son grand-frère, le meurtre de leur père les avait soudainement éloignés. La sorcière commençait à se dire que leur relation ne pourrait jamais redevenir stable, comme lorsqu’ils étaient enfants. Ils étaient condamnés à vivre avec la mort de leur père sur la conscience, encore plus pour Tobias. La jeune femme n’osait presque plus lui adresser la parole, parce qu’elle ressentait sa culpabilité à l’autre bout du manoir et qu’elle savait que tout était de sa faute. Si elle n’avait pas provoqué Thorfinn, ce jour-là, si elle ne l’avait pas étranglé, il n’aurait jamais contre-attaqué à coup de Doloris. Son frère avait simplement voulu la protéger et avait brisé la nuque de leur père contre la bibliothèque. Il n’avait jamais voulu le tuer et s’était retrouvé à faire des choses abominables avec Lexi pour cacher le cadavre.

Si l’un d’eux tombait, ils tomberaient tous. Il était hors de question que quelque chose de ce genre arrive, alors Amber avait tout gardé en elle. Elle n’avait parlé de ce meurtre à personne et n’enclenchait jamais le sujet de conversation. Elle ne savait même pas comment réagir quand on lui présentait des condoléances qu’elle ne méritait pas. La seule personne avec qui elle pouvait se libérer s’était soudainement éloignée. Tobias et elle s’étaient évités avec le plus grand soin, tout l’été. La jeune étudiante était restée allongée dans son lit la plupart du temps, à pleurer, fixer le plafond, écouter de la musique qui ne la mettait absolument pas de meilleure humeur. Elle avait perdu son énergie, sa joie de vivre et n’avait aucune idée de comment la récupérer.

Les cours avaient repris et elle avait aboyé sur la moitié des élèves qui était venue faire leurs curieux. Elle avait perdu une bonne partie de ses amis et s’était retrouvée plus seule que jamais. La cérémonie d’adieux avait eu lieu la semaine dernière et rien n’avait changé. Elle avait même l’impression que l’attention était encore plus braquée sur elle et elle détestait cette sensation. Amber était une assez bonne comédienne, mais pas en ce qu’il s’agissait de cacher un meurtre. Comment pouvait-elle être triste pour quelqu’un qui était mort par sa faute ? Comment pouvait-elle se remettre d’un événement dont la vérité n’éclaterait jamais ? Elle était coupable et méritait d’aller à Azkaban, mais si elle se déclarait coupable, son frère et sa meilleure amie tomberait avec elle.

Tous ces sentiments contradictoires se mélangeaient en elle, depuis bientôt quatre mois. Ce week-end, elle était rentrée au manoir familial, en espérant trouver un peu de rédemption. Enfermée dans sa chambre, personne ne viendrait la déranger. Amber était persuadée que cette soirée serait comme celles de ces derniers mois, mais elle se trompait.

Il n’y avait personne dans le manoir. Sa mère était partie en Australie, rencontrer la famille Towsen. Elle avait des affaires à régler avec eux, mais sa fille n’avait pas été mise dans la confidence. Elle ne l’était jamais de toute manière… Quoi qu’il en soit, ce soir-là, elle était allongée dans son lit et ne parvenait pas à lire l’ouvrage qu’elle avait dans les mains. Depuis dix minutes, Amber relisait la même ligne et espérait l’intégrer dans son esprit, mais ce n’était pas le cas. Le tourment la regagna et elle releva son regard en direction du miroir de sa chambre qu’elle avait brisé en début d’année. Sept ans de malheur, comme disaient les moldus. Peut-être avaient-ils raison sur ce point-là ?

Un frisson parcourut l’échine de la sorcière, qui se remémora la raison de cet accident. Elle se souvint avoir tué un moldu en début d’année et n’avoir rien ressenti. Absolument rien. Comme pour Thorfinn, elle n’avait ressenti aucun chagrin. Son inconscient sembla lui faire comprendre qu’elle perdait peu à peu son humanité et que son pire cauchemar était en train de se produire. Elle devait la chose que son père avait toujours voulu pour elle : une femme sans émotions qui travaillerait pour l’Augurey, un jour ou l’autre. Est-ce que son destin la rattrapait au galop sans qu’elle ne puisse rien y faire ? Etait-elle condamnée à blesser son entourage et à finir sa vie seule, sans personne ?

Ses yeux émeraude se déposèrent ensuite sur le petit tableau familial qui trônait sur son bureau. Ils étaient tous si jeunes, si innocents. Ses yeux s’humidifièrent et elle fut incapable de retenir un sanglot. Une larme, puis deux. Puis elle libéra égoïstement tous les tourments qu’elle avait en elle. Sa vie était vraiment devenue une merde sans nom. En l’espace d’un an, Amber s’était perdue et ne savait plus qui elle était et ce qu’elle voulait devenir.

Amber ne parvenait plus à contenir son flot de larmes, comme si son corps était resté tendu bien trop longtemps. Elle était à bout. Elle ne parvenait à faire semblant d’aller bien alors qu’elle était ravagée de l’intérieur. Elle n’avait aucune idée de comment se retrouver, comment savoir qui elle était et ce qu’elle voulait devenir. La Amber qu’elle adorait était restée coincée en 2019 et elle voulait la retrouver. Son insouciance lui manquait. Elle avait l’impression d’avoir commencé à s’ouvrir au monde, mais les prédateurs extérieurs l’avaient obligée à se refermer brusquement si elle ne voulait pas souffrir. Tout avait commencé avec ce gars du Blood Circle… Si seulement elle ne l’avait pas tué… Elle était persuadée que rien de tout cela ne se serait produit. La sorcière ne serait jamais retournée à une autre offensive. Elle n’aurait pas eu besoin de se poser mille et une questions, mais surtout, elle n’aurait jamais impliqué son frère dans le meurtre de leur père. Si elle ne doutait pas constamment d’elle-même, elle aurait agi seule et Tobias ne serait pas, lui aussi, détruit de l’intérieur.

Elle avait été faible et elle s’en voulait. Thorfinn lui avait tant de fois lancé des sortilèges impardonnables. William lui avait permis de devenir plus forte lors de l’utilisation d’un Impérium et son père ne l’avait pas supporté. Il n’avait pas aimé perdre le contrôle de sa fille. Pourtant, si elle avait été plus maligne, elle aurait accentué ses entraînements avec William et aurait pu tenir tête lors d’un second sortilège, le Doloris. Elle n’y était pas parvenue et se souvenait encore des hurlements déchirants qui étaient sortis de ses lèvres. Les scientifiques disaient que la mémoire kinesthésique était de courte durée et qu’on finissait par oublier la sensation d’un baiser, du froid, d’une caresse… quelques secondes plus tard. Pourtant, plusieurs mois étaient passés et elle se souvenait encore du traumatisme subi par son corps.

Laissant des perles salées rouler le long de ses joues, pour venir s’écraser contre son matelas, elle ramena ses jambes contre sa poitrine. Les sensations de ronces qui s’enfonçaient dans sa chair étaient encore présentes. Ses doigts glissèrent le long de ses jambes et elle se fit davantage souffrir en se rappelant de la douleur ressentie à la fin de ce mois de juin. Pourquoi son corps refusait d’oublier cette douleur ?

Amber plongea sa tête entre ses jambes et poussa un râle. Quel sens prenait donc sa vie ? Elle était perdue et ne profitait même pas de sa dernière année de scolarité. Elle était même en train de la foirer en beauté. Elle n’avait aucune envie de redoubler et n’avait pas non plus envie de rester seule jusqu’à être diplômée. Malgré tout, elle ne parvenait plus à s’ouvrir au reste du monde. Amber était convaincue qu’un simple échange avec elle ne conduirait à rien de bon. Elle blessait tout ceux qui l’entouraient, alors elle préférait rester seule. Était-ce une bonne idée ? Elle en doutait…

Quelqu’un toqua à sa porte et interrompit le cours de ses pensées. Il ne pouvait s’agir que de son frère. Margaret lui avait dit au revoir, avant de filer à une soirée avec quelques amis. Elle commençait à reprendre du poil de la bête et à profiter de la vie. Sa mère le méritait après des années de soumission et de souffrance… Tant qu’elle ne lui ramenait pas un beau-père taré, Amber n’allait pas se plaindre.

— Ne rentre pas, je me change.

Tobias n’écouta même pas ce qu’elle racontait et rentra dans sa chambre. Son coeur rata un battement et elle se précipita pour sécher ses larmes. C’était presque instinctif. Thorfinn lui avait toujours appris à cacher ses émotions et elle ne parvenait même pas à s’ouvrir à son frère. Elle voulait constamment montrer qu’elle était une dure à cuire, qui ne souffrait pas, alors que son inconscient était en bordel. Quelle drôle d’idée…

— Je vois ça.

« Je suis là » avait-il dit. Comme si ce n’était pas évident… Il était venu dans sa chambre sans son autorisation et lui avait privé de son moment de relâchement. Elle ne pouvait pas se montrer faible devant lui. Il ne comprendrait rien. Elle en était persuadée. Tobias était même capable de lui reprocher le décès de leur père et elle n’avait pas envie d’entendre de tels propos. Amber ne savait plus quoi penser de lui. Il avait été si distant ces derniers mois… Alors, elle s’était forgée une immense carapace pour ne pas lui montrer ses faiblesses. Elle ne voulait pas recevoir une critique en plein visage et se briser en mille morceaux. Mieux valait lui tenir tête s’il était venu avec cette intention… Après tout, il ne lui avait pratiquement plus parlé depuis ce fameux soir.

— Tu voulais quelque chose ? répliqua-t-elle en attrapant un livre, comme pour lui faire croire qu’elle faisait autre chose et qu’elle n’était pas en train de pleurer.

Quoi ? L’apparence était importante dans certaines situations.

La relation entre Tobias et Amber était devenue si étrange, ces derniers mois. En vérité, elle l’avait toujours été. La sorcière avait passé sa vie entière à détester son frère. Sa famille avait eu une telle influence sur elle qu’elle lui avait mis toute la source de ses malheurs sur le dos. Après tout, elle avait cessé de compter le nombre de dîners où son père faisait l’éloge des exploits de Tobias et rajoutait un « si seulement sa sœur pouvait être un peu plus comme lui ». Parfois, Thorfinn faisait ce type de commentaires en privé, mais il ne se gênait pas pour les partager aussi aux mangemorts qui mangeaient chez eux. Amber avait de la chance d’avoir autant confiance en elle aujourd’hui. Elle ne pouvait pas dire que son père l’avait aidé à construire son estime d’elle-même. Il l’avait plutôt fracassé, mais elle avait fini par en faire une force, une carapace indestructible qui donnait l’impression au monde entier qu’elle ne se souciait de rien.

Ce qui était pourtant faux. Elle en avait toujours voulu à Tobias de ne pas la défendre, alors qu’il avait été si présent pour elle avant ses onze ans… Il était toujours aux petits soins avec elle lorsqu’elle tombait de la balançoire et s’ouvrait le genou. Ou même quand elle boudait parce qu’elle avait partie une énième partie de bavboules ou d’échecs. Il lui avait permis de devenir plus intelligente, plus déterminée et plus courageuse.

Puis il avait commencé sa formation de mangemort. Rien n’avait plus été comme avant et elle avait fini par le détester, par oublier tous les bons moments qu’ils avaient passés ensemble. Évidemment, elle ne se doutait pas de ce que son père lui faisait subir, le sortilège d’oubliette… Il avait vraiment été un père abominable. Elle espérait qu’il était en train de brûler en enfer. Il ne méritait pas la rédemption après tout le mal qu’il avait fait subir à son entourage, à ses enfants… Thorfinn avait été un monstre !

Amber ne ressentait aucune peine quant à sa mort. Elle s’en voulait simplement d’avoir fait endurer tout ça à son frère. Ce n’était plus elle qui devait le détester à présent. La tendance s’était inversée. Tobias l’avait ignorée pendant de longs mois et avait discuté qu’avec ses amis. La sorcière avait, quant à elle, tourné le dos à tout ceux qui lui faisaient du bien, tout ceux qui avaient toujours été là pour elle : Raphaël, Elise, William… Elle s’en voulait d’avoir pu employer des mots crus à leur égard ou pour avoir ignorer leur main tendue. Ils ne le méritaient pas.

À la place, Amber avait préféré rester en compagnie d’elle-même. Elle avait préféré nourrir la colère, l’amertume et le ressentiment, quitte à s’engager dans un cercle vicieux. Un cercle vicieux qui l’avait conduite à cette soirée-là. La sorcière avait été incapable de contenir toutes les émotions qui se bousculaient en elle. Elle avait éclaté en sanglots et se demandait comment elle avait pu en arriver là.

Sa tristesse aurait pu durer de longues minutes si Tobias n’était pas venu l’interrompre. Elle s’était montrée aussi agréable qu’elle l’était d’habitude (ou depuis juin) et l’avait simplement envoyé promener. Son frère l’avait tellement ignorée qu’elle était persuadée qu’il lui avait mis la mort de son père sur le dos. Il devait se dire qu’elle l’avait obligée à commettre l’irréparable, ce qui n’était pas vrai… Tobias avait simplement voulu la protéger d’un monstre et des conséquences s’étaient produites, des conséquences que personne ne pouvait anticiper.

— Pourquoi tu veux parler ? Tu m’as suffisamment fait comprendre ces derniers mois, par ton ignorance, que tout ça était de ma faute.

Amber contracta sa mâchoire. Elle n’avait pas envie de débattre cent-sept ans avec Tobias. Elle savait très bien ce qu’il pouvait ressentir. S’il voulait lui dire des mots crus, elle n’était pas prête pour les entendre. Elle voulait juste être seule, se mettre en boule sous ses draps et que plus personne ne vienne l’importuner. Était-ce si compliqué à concevoir ? La sorcière était persuadée que personne ne pourrait la sortir de son mal-être. Pas même Tobias. Il risquait d’aller à Azkaban pour avoir simplement voulu la protéger. Il n’avait certainement aucune envie de lui pardonner. Thorfinn serait encore en vie si elle n’avait pas commencé à l’étrangler. En revanche, elle serait peut-être morte sans les entraînements de William. Il lui avait permis de maîtriser quelque peu les effets du Doloris. Pas suffisamment pour ne pas subir de séquelles, mais elle avait plutôt bien tenu le coup. Un moldu ou un sorcier débutant aurait pu sombrer dans la folie. Cette torture avait duré de longues minutes et, aujourd’hui encore, elle était incapable d’oublier la douleur qu’elle avait ressentie, l’envie de mourir pour ne plus la subir, les larmes qui avaient coulé le long de ses joues, mais surtout ses hurlements...

Amber n’aimait pas la tournure que tous ces événements avaient pris. Elle était à la fois terrorisée et coupable. Elle n’avait aucune idée de comment concevoir son avenir après une telle mésaventure. Méritait-elle le bonheur alors qu’elle avait contribué au meurtre de son père ? Méritait-elle de faire le métier de ses rêves ou devait-elle poursuivre sur le chemin qu’on lui avait déjà tracé ? Après tout, Thorfinn souhaitait qu’elle devienne Auror pour cacher les méfaits de certains mangemorts. Cette profession était en adéquation avec ses valeurs, mais pas avec les projets de sa famille. Elle voulait rendre ce monde plus juste et plus sain pour les sorciers qui y vivaient. Tous les mangemorts n’étaient pas des pourritures, mais certains méritaient de finir à Azkaban. Elle ne voulait pas leur permettre de continuer leurs crimes sans être punis pour ça. Malgré tout, Thorfinn avait déjà parlé de l’avenir de sa fille à de nombreux partisans de l’Augurey. Beaucoup d’entre eux l’attendraient au tournant. Devait-elle changer de profession ou continuer sur cette lignée, au risque de se mettre en danger pour les choix qu’elle ferait ? Après tout, Tobias était maintenant à la tête de leur famille et il avait sûrement autant d’attente envers elle que Thorfinn en avait autrefois.

Elle aurait aimé avoir accès à ses pensées pour pouvoir en discuter avec lui. Pourtant, son frère s’était refermé et l’empêchait d’avoir accès à ses représentations. Voulait-il lui aussi la marier à quelqu’un de sang pur ? Voulait-il qu’elle rejoigne les mangemorts ? Préférait-il qu’elle disparaisse de la circulation ? Pourquoi ne lui disait-il rien ? Il passait son temps en soirée, en réunion, à conclure des affaires… Il avait totalement remplacé leur père et semblait apprécié son nouveau statut. Si cela n’avait pas été le cas, il aurait été bien plus dans ce manoir qu’aux côtés de mangemorts. Était-il aussi avide de pouvoir que leur père ? Ils n’avaient jamais parlé de ce sujet, mais Amber avait l’impression que le besoin d’autorité et de respect devaient être assouvis chez Tobias. Peut-être était-il satisfait du dénouement de toute cette situation et l’évitait pour ne pas qu’elle lui mette des bâtons dans les roues ?

La sorcière laissa un long soupir s’échapper de ses lèvres. Elle aurait aimé être loin d’ici. Ce manoir ne lui rappelait que de mauvais souvenirs. Elle n’avait pas trop eu l’occasion d’en avoir des joyeux, entre son enfance en partie malheureuse, son adolescence rythmée par les rabaissements et l’autorité de son père et son entrée en âge adulte douloureuse et pleine d’obligations, obligations qui allaient contre ses valeurs. La vie d’Amber n’avait été faite que de contraintes. Elle n’avait jamais pu mener sa vie comme elle l’entendait, mais aujourd’hui, elle était libérée de ce fardeau. Son père n’était plus là et elle pouvait prendre son destin en main… Du moins, elle l’espérait. Amber ignorait encore les ambitions de son frère et elle craignait qu’il veuille reprendre le rôle de père à son encontre, en lui choisissant un mari, un parcours universitaire, des alliances, des missions à accomplir… Elle devait sans doute spéculer, mais c’était l’une des raisons plus lesquelles elle ne s’était plus trop rapprochée de lui. Amber avait peur que Tobias lui annonce d’autres mauvaises nouvelles qu’elle ne parviendrait pas à supporter. Déjà que le meurtre de son père pesait sur sa conscience, il était inutile d’y rajouter une seconde couche.

Depuis plusieurs mois, la jeune femme s’était renfermée sur elle-même. Poudlard avait même envoyé une lettre à sa mère pour l’avertir de son comportement. Certains enseignants l’avaient jugé inquiétant, à la fois envers ses camarades et envers elle-même. Ils avaient remarqué son absence de joie de vivre, son amertume, son envie de rébellion et de hurler sur le premier qui tentait de lui adresser la parole. Aucun ne reprochait son manque d’assiduité en cours. Ils n’avaient aucune raison de le faire. En revanche, ses professeurs s’étaient basés sur les bruits de couloir et leurs propres observations pour émettre leurs hypothèses. Amber était touchée de compter au moins pour quelques personnes, mais elle n’avait pas envie de faire d’effort pour leur prouver que tout allait bien. Ce n’était pas le cas. Pourtant, en se cachant la vie, elle se cachait également sa dernière année d’étude. Dans quelques mois, elle serait diplômée et ses derniers jours sur le banc d’école se résumeraient à ça… Quelle tristesse ! Elle ne le souhaitait pas, même si faire un pas en avant sonnait très compliqué pour elle. Impossible.

Tobias prit alors la parole et avoua, pour la première fois depuis juin, ce qu’il avait sur le cœur. Amber baissa les yeux en direction de ses draps et cherchait un moyen de réagir à tout ça. Quelque part, elle avait envie de lui aboyer dessus, comme elle faisait déjà depuis plusieurs mois. De l’autre, elle voulait avoir un véritable échange avec lui. Elle en avait assez de se cacher derrière une façade sombre. La sorcière voulait apprendre à vivre, à revivre. Elle voulait redevenir celle qu’elle était avant tout ça. Celle qu’elle était un an auparavant…

— Pourquoi te sentirais-tu coupable ? Notre père était une pourriture et s’il n’avait pas repris le dessus sur moi, j’aurais pu commettre les mêmes actes que toi.

La jeune femme releva son regard émeraude en direction de son grand frère. Ses mains tremblaient à cause de toutes ces vagues de sentiments contradictoires. Elle voulait comprendre qui elle était devenue aujourd’hui. Rien de plus simple.

— Si tu n’étais pas intervenu, ce soir-là, il y aurait peut-être eu deux morts, expliqua-t-elle avec sérieux, avant de reprendre dans un murmure. Ou j’aurais connu un sort pire que la mort.

Le Doloris pouvait faire sombrer les hommes dans la folie. Beaucoup de patients à St Mangouste avaient perdu la raison quand les minutes passaient sous ce sortilège impardonnable étaient trop importantes. Amber aurait pu faire partie de l’un d’entre eux. Son père n’aurait pas eu le moindre scrupule. Au contraire, il aurait dominé sa fille en incapacité de dire ce qu’elle souhaite, ce qu’elle ressent au fond d’elle. Quelle horrible destin !

Amber ne comprenait toujours pas pourquoi son frère l’avait rejoint dans sa chambre. Il avait l’air de l’ignorer depuis des mois, trop centré sur son travail et sur ses amis pour faire attention à sa sœur. Immédiatement, l’inconscient de la sorcière avait fait des liens pas commodes entre son attitude et ce qu’il devait penser d’elle. Amber en avait simplement conclu qu’il lui en voulait parce qu’elle l’avait obligé à attaquer Thorfinn et donc à le tuer.

Elle aurait certainement pu prendre son envol si la culpabilité ne la rongeait pas de l’intérieur. À ses yeux, tout était de sa faute. Son frère pouvait finir à Azkaban d’un moment à l’autre parce qu’elle avait été incapable de se défendre par elle-même. Était-elle trop faible ou vouée à faire souffrir les personnes qui l’entouraient ? Elle n’en savait rien, mais cette situation ne faisait que nourrir son mal-être et sa solitude.

Tobias se mit à parler et lui confia tout le contraire de ce qu’elle s’était imaginée pendant des mois. Lui aussi culpabilisait et se disait qu’il aurait pu mieux faire. Les yeux émeraude de sa jeune sœur se levèrent dans sa direction et elle l’écouta, le cœur battant à tout rompre contre sa poitrine. Jamais elle n’aurait imaginé que son année prendrait un tel tournant. Noël approchait et elle n’avait même pas pu profiter de cette période festive qu’elle chérissait tant autrefois. Elle adorait arpenter les rues de Pré-au-Lard à la recherche de cadeaux pour ses amis et sa famille. Aujourd’hui, que lui restait-il de tout ça ? Un frère absent, un père assassiné, une mère profitant de sa liberté, des amis lui ayant tourné le dos suite à une insulte de trop de sa part… C’était désastreux.

— C’est de ma faute. Je n’arrive qu’à faire souffrir mon entourage sans le vouloir, soupira-t-elle entre ses lèvres. Dès que je veux bien faire, ça revient au galop comme si la noirceur coulait dans mes veines et que je ne pouvais rien faire pour la chasser.

Amber se mordilla la lèvre inférieure. Son frère lui avait ordonné de ne pas s’en vouloir, mais c’était trop tard selon elle. Elle ne pouvait plus revenir en arrière. Elle avait trop été bercée dans ce flot d’émotions négatives pour en sortir aussi brusquement.

— Cette année, j’ai tué un moldu sans le vouloir. Le fiancé que notre père avait choisi pour moi a mystérieusement disparu. J’ai torturé un autre moldu avec un sortilège impardonnable alors qu’il ne peut fonctionner qu’avec la volonté du sorcier. Puis je t’ai poussé à tuer notre père après l’avoir étranglé et poussé à me torturer, finit-elle par avouer. Au fond, je mérite tout ce qui arrive. J’ai fait souffrir mon entourage depuis des mois. Toi le premier. Et je commence à me dire que le bonheur n’est pas dans la nature des Towsen. Dès qu’un rayon de soleil apparaît au loin, quelque chose vient obscurcir notre quotidien.

La sorcière n’était pas du genre défaitiste. Au contraire, elle se battait pour tout et pour rien. À présence, cette énergie l’avait quitté et donnait lieu à une humeur maussade. Amber finit par faire un mouvement de main pour désigner son frère et reprit la parole.

— J’ai même gâché le début de la relation de confiance qui s’était créée entre nous.

Tobias et elle s’étaient éloignés quand son aîné avait rejoint la formation de mangemorts. Sa sœur avait subi les comparaisons de son père pendant des années, allant même jusqu’à détester Tobias qu’elle voyait comme le coupable de tous ses maux. Depuis son retour à Londres, ils avaient commencé à rebâtir ce qui avait disparu depuis des années, mais les fondations avaient été détruites le jour de la mort de leur père. Amber en était persuadée.

Amber avait du mal à passer à autre chose. Pour elle, elle était la seule fautive dans cette histoire. Elle avait commis des erreurs qui avaient coûté à son frère et à son entourage. Si elle n’était pas rentrée et s’en était pas prise à son père, ce soir-là, il serait toujours en vie et elle serait un peu moins malheureuse qu’aujourd’hui. Il ne lui manquait pas. Jamais elle ne pourrait proclamer un tel mensonge. Thorfinn l’avait humilié, rabaissé tout au long de son enfance. Il n’avait jamais cru en elle et l’avait sans cesse comparé à son frère. Jamais elle ne le regretterait. Le fait était qu’elle le détesterait toujours, mais qu’elle s’en voulait que sa mort se soit faite de cette manière. Il aurait été plus simple qu’il parte à cause d’un accident, d’une mission qui avait mal tourné ou d’une maladie lente et douloureuse. Amber aurait pu en tirer davantage de satisfaction.

Ce qui était le plus douloureux dans cette histoire était d’avoir impliqué son frère et sa meilleure amie. Elle avait gâché la vie de deux personnes, dont une qu’elle aimait plus que tout dans ce monde. Tobias et elle n’avaient jamais été trop fusionnels. Amber ne lui avouait jamais ce qu’elle avait sur le cœur et ne lui disait jamais qu’elle l’aimait. Pourtant, elle était presque certaine que son aîné devait le savoir, même si elle ne l’avouait pas clairement. Elle l’espérait. Après tout, il avait toutes les raisons de lui en vouloir. Il avait été contraint d’agir pour lui venir en aide.

Doucement, Amber déposa sa tête contre son épaule et ferma les yeux. Ils commençaient à sérieusement brûler. Elle n’aurait pas dû fondre en larmes. Elle devait être pitoyable. La sorcière était à fleur de peau depuis quelques mois déjà et ne parvenait plus à maîtriser ses émotions qui étaient multipliées par dix. Sa colère était tel un ouragan. Son désespoir, similaire au néant. Sa tristesse ressemblait à un déluge… Rien n’allait en terme émotionnel, mais elle finirait par reprendre le dessus. L’ouragan ne devait pas prédominer et empêcher les beaux jours de revenir.

Les propos de Tobias étaient exactement ceux qu’elle avait besoin d’entendre. Amber enroula ses doigts autour de ceux de son frère et murmura un « Merci... ». Elle resta un instant, les yeux fermés, à apprécier cette étreinte fraternelle. Un immense poids semblait avoir disparu de ses épaules, même si elle était consciente que le plus dur restait à venir.

— J’ai demandé à ne plus devenir auror. Depuis la rentrée, je suis dans la filière pour devenir tireuse d’élite, murmura-t-elle en fixant le sol de sa fenêtre. J’ai fait la demande courant août et elle a été acceptée.

Amber quitta l’épaule de son frère pour le regarder droit dans les yeux. Il avait peut-être apaisé les maux de son présent, mais il restait ceux de son futur.

— Je souhaite contribuer à la justice dans notre monde, mais tôt ou tard, je finirai par tomber sur des mangemorts qu’on a côtoyé. Qu’est-ce que je serais censée faire ? Que se passera-t-il le jour où je me les mettrais à dos ? demanda-t-elle à son frère qui n’avait certainement aucune réponse à sa question. Si je tombe sur toi et que je ne peux rien faire pour t’aider à t’en sortir ?

La sorcière aimerait partir en magicozoologie à cet instant, mais son envie de justice prédominé sur tout le reste, sur sa passion pour les animaux. Elle avait pris sa décision, mais l’avenir semblait si dangereux, si incertain. Tenant toujours fermement la main de Tobias dans la sienne, elle finit par lui poser une question qui la tourmentait tout autant que la précédente.

— Comment vas-tu depuis le mois de juin ? Tu ne m’as pas beaucoup parlé et je m’inquiète pour toi.

Au fond, Amber avait besoin de ce moment avec son frère. Il lui permettait de remettre les choses en ordre, de se parler, de mettre des mots sur ses maux. Cette conversation semblait tout débloquer à l’intérieur de la sorcière. Elle avait enfin l’impression de pouvoir à nouveau respirer. Elle avait la sensation de retrouver la liberté dont elle avait été privée une bonne partie de sa vie. Cela faisait un bien fou, même si elle n’allait pas avouer à Tobias tout cela. Déjà, elle ne voulait pas paraître folle. Ensuite, elle ne voulait pas qu’il prenne la grosse tête. En vérité, elle aimait profondément son frère, mais ne lui avouait que très rarement. Sans lui, sa vie serait en train de s’effondrer. Sans doute ne serait-elle même plus de ce monde. Thorfinn l’aurait tué en plein mois de juin…

Les choses semblaient enfin d’apaiser entre eux, alors Amber ne prit pas le risque de lui parler de sa dernière rencontre avec Raphaël. Elle savait que Tobias la sermonnerait s’il apprenait qu’elle avait à nouveau vu ce moldu avec qui elle avait essayé de couper définitivement les ponts. Leur rencontre avait pris un tout autre tournant et elle lui avait tout raconté, à quelques détails près. La sorcière avait expliqué au moldu qu’elle avait fracassé le crâne de son père pas inadvertance. Elle lui avait décrit cette terrifiante nuit en omettant tous les détails liés à Tobias. Jamais elle ne mettrait son frère en danger. Quant à elle… Si elle devait aller à Azkaban, elle le mériterait. Malgré tout, elle faisait entièrement confiance à Raphaël. Il n’irait pas raconter ce qui s’était dit dans cette chambre. Tobias ne prendrait aucun risque avec ce qu’elle lui avait dit. Nul besoin de lui en parler et de créer un autre conflit… Elle était si heureuse de retrouver son frère et ne voulait pas gâcher ce moment. Au moment où elle avait vu Raphaël, elle avait eu besoin d’évacuer toutes ses tensions, tout l’isolement qu’elle vivait depuis des mois. Elle avait eu besoin de respirer à nouveau, comme elle le faisait actuellement avec son aîné.

— Je sais que cette idée ne te plaît pas, Tobias. Mais je n’ai pas envie de recommencer mon cursus à zéro. Je veux travailler. Je veux gagner ma vie et quitter ce manoir maudit.

Amber ne voulait plus rester sous ce toit. Trop de mauvais souvenirs y étaient reliés. Elle voulait tourner la page sur Thorfinn une bonne fois pour toute. Elle voulait se permettre de vivre comme elle ne l’avait jamais fait auparavant. Sa nouvelle vie commencerait ce soir.

— Je te promets que je te protégerais, dit-elle en saisissant la main de son frère. J’ai aussi mon rôle à jouer dans cette famille. Laisse-moi te rendre la pareille.

La sorcière savait que ce métier ne plairait pas à son frère, mais en tant que tireuse d’élite, elle avait moins de chances de tomber sur son frère qu’en étant Auror. C’était un parti pris. Elle finirait bien par voir si cette voie était envisageable ou non. Jamais elle ne mettrait Tobias en danger. Elle en avait déjà bien assez fait.

— Vous ne vous parlez plus avec William ? le questionna-t-elle, les sourcils arqués.

Elle était surprise d’apprendre cette nouvelle. Tobias s’était éloigné de son mentor, alors qu’Amber s’en était rapprochée pour maîtriser les effets de deux sortilèges impardonnables. Il avait aussi contribué à faire disparaître son ancien fiancé. William entretenait une place particulière dans la vie de l’étudiante, même si elle ne voulait pas offusquer son frère en lui en parlant.

— Tu devrais trouver le temps de te détendre. Ta vie ne peut pas se résumer à faire tenir cette famille, à aider la Cause et à aller travailler. Il faut que tu te changes toi-aussi les idées.

Plutôt ironique quand on voyait la misérable vie d’Amber, ces derniers temps.