Rien en ce moment ne semblait pouvoir venir entacher la bonne humeur de la Française, comme si enfin le destin avait décidé de lui laisser un peu de répit. La lettre stupide qu'elle avait reçue au matin de sa cousine pour lui souhaiter son anniversaire, l'avait à peine fait réagir. Les escaliers de l'université qui l'avait ralentie pour les cours de la matinée, ne l'avaient même pas fait râler. Sa classe d'idiots qui habituellement ne manquait pas d'imagination pour mettre de l'animation dans leur cursus, ne l'avait même pas amenée à se plaindre. Non rien ne semblait pouvoir l'atteindre et elle avait presque envie de croire que cette année, son anniversaire serait bien plus agréable que les années précédentes. Elle avait bien évidemment déjà reçu le présent de sa mère, un ouvrage d'un de ses auteurs préférés qui ne tiendrait pas la semaine pour être dévoré. Le classique cadeau qui ne variait pas d'une année à une autre, mais qui au moins lui plaisait. Ce qu'elle avait surtout hâte, c'était que le soir arrive rapidement et qu'elle rejoigne celui qui avait rendu ce mois bien différent des autres. Aurait-elle cru possible un jour de ressentir ce qu'elle pouvait ressentir en ce moment même ? Un sentiment si fort que chacun des problèmes qu'elle pouvait rencontrer lui semblait insignifiant ? Jamais. Elle ne s'était jamais laissé jusqu'alors la possibilité de s'abandonner ainsi à quelqu'un. Elle avait toujours pensé que l'amour ce n'était pas pour elle. Un sentiment qu'elle ne pouvait pas comprendre puisqu'elle n'en avait jamais vraiment bénéficié de la part de sa famille. Et maintenant, il lui semblait impensable de devoir y renoncer, comme si à présent il lui manquerait quelque chose.

Installée dans la salle commune pour terminer un devoir, qui reconnaissons-le n'avançait pas beaucoup depuis qu'elle avait ouvert son livre, Adèle n'avait pas vraiment prévu que quelqu'un ait idée de venir la sortir de ses pensées. Elle avait relevé la tête, un peu surprise en entendant son nom. Adieu tranquillité. Elle venait de voir qui venait de s'installer en face d'elle et elle se demandait bien ce qu'il lui voulait. Rien ne pouvait entacher sa bonne humeur ? Peut-être pas. Elle avait beau être moins virulente ces derniers temps. Se laisser insulter ainsi, n'était toujours pas dans ses habitudes. Il ne pouvait pas choisir un autre jour pour lui casser les pieds ? Elle soupira, en levant les yeux au ciel. Faible et crédule ? Il allait voir si elle était faible et crédule une fois qu'elle lui aurait balancé une réplique de son cru. Qu'est-ce qu'il lui prenait à ce type pour venir lui sortir ça comme ça. Elle n'avait vraiment rien d'une potiche. Cependant il enchaîna si vite qu'elle n'eut pas le temps de répliquer. Mais pourquoi il lui parlait d'Eljas ? Quel rapport ? Adèle savait que le Finlandais et Avery se côtoyaient régulièrement, mais à priori le premier ne s'était toujours pas décidé à assumer leur relation au grand jour, alors pourquoi ? Elle ne comprenait rien à ce qu'il lui sortait. Elle reposa sa plume calmement et croisa les bras avant de planter son regard dans celui du serpent :

- Dis-moi Avery tu ne savais pas qui emmerder aujourd'hui ? J'étais dans le coin, tu t'es dit ça va le faire ? Tu t'es mis à assembler des mots ensemble en espérant que ça ait du sens ?

S'il voulait la prendre pour une conne, elle pouvait jouer à ça aussi. Ce n'était pas à elle qu'on allait apprendre à être acerbe.

- Ou tu avais vraiment un truc intéressant à dire ? Si c'est ça, il va falloir faire un effort, parce que je ne vois absolument pas de quoi tu parles...

Heureusement que ce devoir n'était pas à rendre pour le jour même. En s'installant en face d'elle et en l'abordant de la sorte, elle sut qu'elle n'allait pas pouvoir le terminer. Visiblement ce qu'elle lui avait répliqué l'amusait beaucoup. Ok, elle lui laissait une minute avant qu'elle ne range ses affaires et aille étudier ailleurs. Elle n'avait jamais eu beaucoup de patience et elle n'avait pas envie qu'il lui ruine le peu qu'elle avait. Elle était en train de refermer son ouvrage lorsqu'il reprit la parole. Des paroles qui lui firent l'effet d'une gifle. Elle le fixa muette, assimilant difficilement ce qu'il venait de lui asséner sans prendre de gants. Choc. Comme si doucement le monde merveilleux dans lequel elle s'était lovée, était en train d'imploser. Ce type était en train de lui sortir qu'Eljas avait fait un pari sur son dos avec ses amis ? Il était en train de lui balancer que sa relation n'existait que pour gagner un stupide défi ? Il était en train de lui dire que ces deux derniers mois, elle les avait vécus dans le mensonge ? Non, c'était forcément lui qui mentait. Déni. Ce doux mécanisme qui connaissait bien la Française, lorsque les choses étaient bien trop difficiles à admettre. Un réflexe qui la protégeait de l'effondrement et qui s'était déjà mis en place plusieurs fois cette année. Là elle n'était clairement pas préparée à entendre les révélations du serpent. La suite de ses paroles interrompit le fil de ses pensées et elle tenta de conserver la tête haute face à l'humiliation qu'il était en train de lui faire ressentir.

- Tais-toi ! lui ordonna-t-elle, espérant que personne n'était en train d'écouter leur conversation.

Elle avait besoin de réfléchir calmement à ce qu'il lui sortait et de ne pas sauter aux conclusions trop vite. Eljas avait dû parler à Avery de leur relation comme elle l'avait fait avec Hestia. Peut-être que ça ne lui plaisait pas, peut-être qu'il cherchait à ruiner leur histoire ? Mais dans ce cas-là, comment savait-il pour... Le Finlandais n'avait quand même pas été étaler leur vie sexuelle ainsi alors qu'il n'était même pas capable d'assumer leur histoire devant tout le monde ? Ou Avery, ne savait rien et cherchait juste à l'atteindre pour on ne sait quelle raison. C'était la meilleure explication, elle ne voulait pas croire à ce qu'il lui disait. Elle se pencha alors au-dessus de la table et saisit la cravate du brun. Elle tira pour le forcer à se rapprocher d'elle et à écouter ses menaces énoncées de façon à ce que personne d'autre que lui ne puisse les entendre.

- Je te préviens Avery, aujourd'hui n'est clairement pas le bon jour pour jouer avec mes nerfs et si tu me connais si bien, tu sais qu'il n'y a d'ailleurs aucun jour idéal pour le faire. Si tu es en train de me baratiner, sache que je te laisse encore une chance de te rattraper avant de te foutre sur ma liste des gens à qui je dois faire payer un truc.

Elle le relâcha avant de se réinstaller sur sa chaise. Mais doucement son esprit faisait défiler à nouveau toutes ces incohérences, ces questions qui n'avaient jamais trouvé réponse. Pourquoi elle alors qu'elle n'était pas son genre de filles ? Pourquoi insister ? Pourquoi rester après qu'elle l'ait repoussé ? Pourquoi se cacher des autres?

- Pourquoi tu me sors tout ça ? Qu'est-ce que ça t'apporte ? Qu'est-ce que tu veux ? Pourquoi je devrais te croire ?

Elle avait besoin de démêler le vrai du faux. Elle avait besoin de comprendre, car si vraiment elle vivait une mascarade, alors elle devrait y mettre fin.

Évidemment que personne ne prenait jamais d'emblée ses menaces au sérieux. Est-ce que vraiment avec sa frêle silhouette elle effrayait quelqu'un ? Non, elle ne le savait que trop bien. Pourtant, elle ne prononçait jamais de menaces en l'air et elle ne se gênerait franchement pas pour se venger d'Avery s'il s'avérait qu'il jouait vraiment avec ses nerfs. Qu'il la craigne ou non.

Adèle aurait préféré rester murée derrière son déni, mais elle n'était pas du genre à refuser d'affronter la réalité indéfiniment. Le brun voulait des réponses ? Elle en voulait aussi. Ce qu'il lui balançait lui paraissait tellement gros, qu'elle avait besoin d'être certaine que ce soit vrai. Et pourtant, si on lui avait dit ça en septembre, elle l'aurait cru sans se poser de questions. Parce que oui Eljas était joueur et oui sa réputation de coureur de jupons n'était pas pour lui servir. Mais entre-temps il y avait eu deux mois de relation et pendant ces deux mois, elle n'avait pas eu l'impression que cette réputation était vraiment ce qui le représentait.

Il voulait savoir comment Eljas l'avait séduite. En l'entraînant dans le fameux jeu du « fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis », dans un jeu où ils avaient alterné le rôle du chat et de la souris. Il avait suscité son intérêt en se révélant à elle et en la forçant à se révéler à lui. Et si alors, elle n'avait toujours été qu'une souris dans ce jeu ? Et si depuis le début, il menait la danse pour l'entraîner à sa perte ? Les paroles d'Avery venaient la heurter et l'agacer. Il la réduisait à l'état de sujet d'expériences, se fichant éperdument de ses sentiments ou de ce que cette nouvelle pouvait provoquer chez elle. Il pensait vraiment qu'elle allait lui déballer leur histoire comme ça alors qu'il la traitait comme une proie ? Un jouet dont il voulait savoir comment le Finlandais l'avait obtenu ?

De la curiosité, il se justifiait par de la curiosité ? Il se foutait littéralement d'elle et du bordel dans sa vie qu'il venait de mettre. Adèle tentait de rester calme et de sauver les apparences, alors qu'intérieurement elle sentait tout s'effondrer. Elle avait l'impression de manquer d'air et de sentir son cœur se noyer, et elle suppliait mentalement que quelqu'un la sorte de là. Elle espérait plus que jamais se réveiller d'un cauchemar trop réaliste. Elle ne voulait pas croire et pourtant cette histoire de pari venait parfaitement compléter le puzzle des questions qu'elle se posait et auxquelles elle n'avait jamais vraiment trouvé réponse. Pourquoi s'intéresser à elle, alors qu'elle n'était pas son genre de fille ? Parce qu'il avait un défi à relever. Pourquoi insister auprès d'elle, alors qu'elle lui montrait clairement qu'elle n'était pas intéressée. Pour ne pas essuyer un échec face à ses amis. Pourquoi cacher cette relation aux yeux de tous ? Pour que personne ne vienne ouvrir les yeux de la Française, pour qu'il puisse reprendre sa vie auprès de ses multiples conquêtes une fois son défi relevé. Pourquoi être resté auprès d'elle tout ce temps alors que les filles défilaient dans son lit et que ce n'était clairement pas ce qu'il trouverait avec elle ? Toujours et encore, ce pari. Et plus elle avançait et plus il lui paraissait logique qu'elle ait été stupide de croire qu'Eljas désirait une relation de couple avec elle.

Personne ne viendrait la sortir de cette mer de douleur dans laquelle elle se trouvait désormais. Non, pire. Avery insistait. Il continuait de l'humilier, de la réduire à l'état de pauvre fille naïve qui pensait se trouver dans une belle relation. De la curiosité uniquement ou l'envie de lui faire ravaler sa fierté ? Le plaisir de la voir s'effondrer devant lui ?
Elle ne lui ferait pas ce plaisir. Rassemblant tant bien que mal ses pensées, elle redressa la tête. Tentant de replacer le mur entre elle et Avery pour pouvoir lui répondre.

- Laisse-moi résumer. Tu viens me balancer le pari que ton pote a fait avec d'autres sur mon dos dans le but d'apprendre comment il s'y est pris pour me sauter ? Tu as besoin de conseils pour ça, maintenant ?

Car lui aussi, sa réputation le précédait. Une fille lui résistait et il n'appréciait pas ?

- C'est un nouveau jeu malsain entre vous ? Faire craquer la fille qui se refuse à vous dans le but de la faire passer entre vos draps ? Si c'est ça que tu cherches, je ne peux rien pour toi. Eljas a eu tort de jouer à ce jeu-là avec moi. Tu veux que je te donne un conseil ? Les femmes ne sont pas des jouets à votre disposition. Ne joue pas avec l'une d'entre elles où tu le regretteras amèrement.