Toi qui espérais trouver un peu de tranquillité d’esprit à Poudlard, tu en as été pour tes frais. Oh bien sûr, tu as retrouvé la protection habituelle, la certitude que tu étais de nouveau hors d’atteinte de ton père et de ses complices – ce petit soulagement un peu tordu que tu as toujours vu sur le visage de ta mère lorsqu’elle t’accompagnait à la gare pour prendre le Poudlard Express lors de tes années au collège. Elle ne se réjouissait pas de te savoir au loin la majeure partie de l’année, mais il y avait la consolation profonde que tu étais en sécurité et bien plus protégé qu’elle ne pourrait jamais le faire. Un an de gagné pour toi, tu pouvais le lire dans son expression, un an de plus arraché aux menaces avant d’affronter l’été suivant – et la petite hausse de tension à Noël, elle aurait sans doute voulu que tu y restes aussi, mais tu t’y es toujours opposé. Un an de plus avec l’espoir qu’un jour ton père finirait par se lasser, que vous ne seriez plus obligés de regarder en permanence par-dessus votre épaule. En vérité, vous n’y avez jamais cru. En plus d’être un traqueur de sorciers acharné, décidé à les éradiquer, ton père ne supporte pas l’humiliation – et avec toi, il a gagné les deux : une belle tare dans la famille, une erreur sur l’arbre généalogique, une tache à effacer, et douze ans de honte et d’humiliation à lui échapper, à glisser entre les balles de ses hommes. Il a réussi à retrouver ta mère, mais toi, tu es passé entre les mailles du filet de justesse.
Un filet qui se resserre de plus en plus, entre les courses poursuites dans Londres cet été, l’attaque à Pré-au-Lard, et pire encore, la rencontre avec Olivia Baring par hasard, de nouveau à Londres. Ils peuvent te reconnaître, maintenant. S’il y a une chance qu’ils ne connaissent pas encore ton identité sorcière, ton visage ne leur est plus inconnu après pourtant plus de dix ans à n’apparaître sur aucune photo, jamais. Tu ne sais pas combien de temps encore tu vas pouvoir t’en sortir, d’autant que les missions accomplies sur le terrain pour l’Ordre t’amènent souvent au contact du Blood Circle. Hors de question cependant que cela arrive. Robin t’a confirmé que ta mère se trouvait bien dans la demeure de ton père, et non dans l’un des QG du Blood Circle ; il est grand temps que tu prennes les choses en main pour la libérer. C’est à la fois plus simple et plus compliqué que les repères : plus simple, parce qu’il y aura moins d’hommes, moins de couloirs à explorer. Plus compliqué parce que tu seras totalement sur le terrain de ton père, que l’hôtel particulier doit être blindé de matière anti-magie et qu’il doit s’attendre à te voir débarquer. Mais tu ne peux pas repousser plus longtemps.

Tu avais espéré que Poudlard t’accorderait la tranquillité d’esprit nécessaire pour monter tes plans, mais les bouleversements dans les programmes de Protection magique ne t’ont pas facilité la vie – c’est même plutôt le contraire, pour la première fois, tu t’es senti trahi par l’école. Évidemment, tu comprends leur nécessité, dans d’autres circonstances tu aurais applaudi l’introduction du corps-à-corps dans le cursus, l’apprentissage du combat sans baguette – la grande faiblesse des sorciers. Et tes compétences en arts martiaux t’auraient sans doute permis d’y briller. Si tu supportais encore qu’on t’approche et te touche. La discussion avec Kayla a remué énormément de choses, et tu ne sais pas encore quoi faire de tout ça, ce qu’il en sortira vraiment. Si ça t’aidera à dépasser tes angoisses. C’est le flou complet et la fatigue ne t’aide pas à y voir clair. Tu espérais pourtant commencer à aller mieux sur ce point-là, mais non, les cernes tracent des demi-lunes noires sous tes yeux et tu as l’impression que ça affecte même ta magie. Tu ne peux pas te permettre de perdre ta meilleure et pratiquement seule arme contre le Blood Circle. Ce n’est pas le couteau que tu gardes sur toi quand tu quittes le château qui te sauvera face aux balles. Si tu le sors, c’est qu’ils sont déjà beaucoup trop près pour ton bien.
Et cerise couronnant un gâteau déjà bien trop lourd et écœurant, il y a les heures de colle dont tu as écopé suite à ta crise de panique lors du premier cours de défense au corps-à-corps. L’autre élève s’en est bien sorti – tu n’as pas frappé aussi fort que tu l’aurais pu – mais ta « violence » méritait une bonne leçon. Tu as pris sur toi pour accepter la punition sans rien dire, et heureusement le professeur n’a pas insisté de nouveau pour te forcer à combattre un autre élève. Tant que tu fais profil bas, ça devrait bien se passer.

Malgré ce début morose, avec la conscience du compte à rebours qui s’enclenche puisque c’est ta dernière année d’études, tu t’efforces de ne pas trop te replier sur toi-même, de voir un peu tes amis. Et de rester attentif à ce qui se trame dans les couloirs. Les apprentis mangemorts n’ont pas de raison de se calmer.
C’est un peu ce que tu crains quand tu vois Elyakim te rejoindre dans la salle commune. Son attitude te suffit à comprendre qu’il ne vient pas juste parler de tout et de rien. Du coup, lorsqu’il t’aborde en demandant si vous pouvez discuter, tu lui proposes un endroit plus tranquille que la salle commune si ça lui va. Ce qui est le cas, signe que la conversation s’annonce effectivement sérieuse.
Victime toi-même de l’idéologie sang-pure à ton arrivée à Poudlard et complètement perdu dans ce monde magique que tu découvrais de zéro, tu as par la suite essayé d’aider les nés-moldus plus jeunes qui pouvaient en avoir besoin, en les renseignant ou en intervenant dans des altercations. Les sang-pur t’ont vite laissé tranquille quand ils ont vu que, malgré leurs railleries sur tes capacités magiques, tu te révélais bien meilleur qu’eux en sortilèges – et même si tu n’es pas un bagarreur dans l’âme, il faut bien avouer que leur rabattre leur caquet à coups d’enchantements a toujours eu quelque chose de particulièrement plaisant. Tu te demandes ce qui amène le jeune Serdaigle, surtout si tôt après la rentrée – et espères qu’il n’a pas eu d’ennuis.

Elyakim et toi gagnez une des nombreuses salles de classe vides à cette heure. Tu refermes la porte en vérifiant qu’il n’y a personne dans le couloir. Au moins, vous serez vraiment tranquilles. Il s’assoit sur une table, tu en fais autant en face de lui. Tu le laisses chercher ses mots, souris quand il te remercie d’avoir accepté de discuter.

— T’inquiète, c’est normal. Il ne faut pas hésiter à venir me voir.

Il te demande si ton été s’est bien passé. Hmm, en dehors du mois passé à dormir dehors, dans des immeubles abandonnés, avant que Sean ne t’héberge, des rencontres avec le Blood Circle, des cauchemars et autres événements divers… Oui, bon, l’été a de nouveau été un grand jeu de survie. Mais évidemment tu ne lui en parleras pas – comme tu n’en as parlé à personne, en dehors de l’Auror. Cette partie-là de ta vie, nul ne doit la connaître.

— Ça s’est plutôt bien passé. J’ai travaillé dans une chouette librairie mi moldue mi sorcière. J’ai passé du temps avec mes amis, puis j’ai profité de ma famille aussi, ils trouvent qu’ils ne me voient pas assez et ils ont plutôt hâte que je finisse mes études, mais on a passé de bons moments ensemble. Bref, un été plutôt tranquille. Et le tien ?

Tu gardes une voix égale, te réserves la possibilité de nuancer selon sa réponse. Sa question n’est sans doute pas anodine. Tu restes attentif à ce qu’il va te dire.

Le monde sorcier change, mais bien trop lentement à ton goût. La mainmise des familles de sang-pur sur une partie de la politique n’y est sans doute pas pour rien. Mais ça te tue qu’en 2020, une bonne partie de l’idéologie du sang ait encore cours et s’exprime à voix haute dans les couloirs de Poudlard, sans honte, comme si c’était normal de faire la distinction entre « sang-pur » – bon sang, qu’est-ce que tu hais ce mot, avec ce qu’il traîne de connotations malsaines –, et nés-moldus, comme si vous n’étiez pas tous des sorciers, point final. Tu n’aimes pas jouer les héros, tu n’as pas vraiment l’âme d’un Gryffondor, tu tiens encore moins à attirer l’attention sur toi, mais tu t’es vite rendu compte qu’il n’y avait pas grand monde pour vous défendre au-delà de « les écoute pas, fais pas gaffe, c’est des idiots ». Peut-être, mais en attendant une frange extrême continue de se croire tout permis et n’hésite pas à s’en prendre aux autres. Ce n’étaient pas quelques étudiants qui allaient te faire peur, compte tenu de la vie que tu menais, même si certains peuvent se montrer dangereux. Tu as toujours su te défendre, tu as seulement ajouté la magie et surtout les sortilèges à ton arsenal. Et quitte à le faire pour toi, tu l’as fait aussi pour d’autres quand tu pouvais. Qu’est-ce qu’il y a de glorieux à s’en prendre à plus petit ou plus faible que soi, tu ne sais pas, mais visiblement ça suffit à contenter leurs petits ego (oui, il y a certains sang-pur que tu n’aimes vraiment pas). Sur un plan moins combatif, tu ne rechignes pas non plus à expliquer aux nés-moldus un peu perdus quelques subtilités du monde magique ou à les orienter vers des livres qui les aideront à mieux l’appréhender (on est Serdaigle ou on ne l’est pas).
C’est dans ce genre de circonstances que tu as croisé Elyakim, pris à partie par des Serpentards et que tu l’as défendu. Tandis que vous vous installez dans la salle de classe, tu espères qu’il n’a pas eu de nouveaux ennuis. Il a l’air hésitant, du mal à se lancer, tu le laisses trouver ses mots.
Et tu es sincère quand tu lui dis qu’il n’a pas à hésiter à venir te voir, même pour pas grand-chose. Ça peut paraître paradoxal pour un pro de la non-communication comme toi, qui préfère ne jamais rien dire, même si ça commence à changer un peu, mais justement, tu sais parfaitement ce que ça fait de ne pouvoir parler à personne, d’enfouir tous ses problèmes au fond de soi jusqu’à ce que ça finisse par exploser… et tu n’as pas envie que d’autres le vivent. Alors, si tu peux aider à la hauteur de tes moyens… Ce n’est toujours pas la grande forme ces derniers temps, mais tu comptes bien faire ce que tu peux.

Il t’interroge sur ton été, tu te gardes bien d’entrer dans les détails et livre la version officielle de ces deux mois. Amis, famille, job d’été, à part la seconde, le reste n’est pas un mensonge. S’il a choisi d’aborder la conversation sous cet angle-là, c’est peut-être qu’il y a anguille sous roche et tu lui retournes la question, attentif à ce qu’il va te répondre.

Il commence par le plus général qui soit : la météo et le décor local. Tu ne doutes pas que Cambridge soit une très jolie ville, tu en as déjà vu des photos – impossible de te rappeler si tu y es passé avec ta mère pendant votre fuite, mais vous n’aviez de toute façon pas le temps de faire du tourisme. Et les dernières années, vous ne bougiez pas, tâchant surtout de vous perdre dans la foule londonienne.

— Je n’y suis jamais allé, mais j’ai déjà vu des photos, ça a vraiment l’air beau. Et ça doit être chouette d’avoir une librairie dans une telle ville ! J’espère avoir l’occasion d’y passer un jour.

C’est plus un vœu pieu qu’autre chose, tu vas plutôt éviter de mener le Blood Circle droit sur une autre famille. Quoi qu’il en soit, tu n’es pas vraiment dupe de ces tours et détours, il n’a pas accepté de venir là juste pour te vanter sa ville. Mais ça commence à t’inquiéter, et tu espères que ce n’est pas quelque chose qui concerne sa famille. Tu n’en sais pas beaucoup sur eux, mais avec la guerre qui enfle, la défiance généralisée envers les sorciers et les mesures gouvernementales… ça n’a rien de rassurant. Ou peut-être que tu te fais des idées ? Toutes les familles ne sont pas comme la tienne, des nés-moldus s’épanouissent parfaitement parmi les leurs. La suite confirme cependant tes craintes. Pas la joie à la maison… Elyakim dévie encore. Mais sa question te paraît expliciter le vrai problème. La peur du monde magique… Tu as pris soin de te garder cette porte entrouverte, et si tu parles souvent de l’entente dans ta famille, tu ne caches pas non plus que ton père est un cartésien qui a du mal avec l’existence même de la magie et que ça peut parfois entraîner des disputes – rien de grave, juste assez pour dire que ta vie n’est pas parfaite et qu’il y a des petits accrocs de ce côté-là, histoire de pouvoir expliquer aussi pourquoi tes parents ne viennent jamais sur le Chemin de Traverse, ce genre de choses. Non qu’on t’ait beaucoup posé la question, mais tu préfères parer toutes les éventualités.
Ça ne te rassure pas pour Elyakim, si sa famille commence à le considérer d’un autre œil. Mais tu ne vas pas sauter tout de suite aux conclusions dramatiques. Tu prends le temps de choisir tes mots – que tu n’affirmes pas directement que non, les tiens n’ont pas du tout peur de la magie est déjà un aveu en soi.

— Ils n’en ont pas vraiment peur, mais il y a beaucoup de choses qu’ils ne comprennent pas vraiment, c’est dur de leur faire découvrir un monde dont ils ignorent tout et qu’ils ne peuvent pas voir. Mon père se demande parfois s’il n’aurait pas été mieux que je fasse des études dans le monde moldu… mais c’est aussi parce qu’il s’inquiète pour moi et pour eux avec le contexte actuel. Ma présence les met en danger…

Ça, les lois anti-sorciers de Kane qui prônent l’arrestation des moldus qui viendraient en aide aux sorciers, et donc les membres de leurs familles, peuvent être assez dévastatrices. Ça ne t’a pas surpris de ton oncle, ta mère t’a assez fait son portrait, mais c’est une fracture de plus entre les deux mondes. Et le fait que tu appartiennes à l’Ordre est un danger supplémentaire pour ta « famille », raison officielle pour laquelle tu les vois aussi peu que possible, pour les protéger.

— Pourquoi ? Tu as entendu des choses sur ce sujet ? Les tiens t’en ont parlé ?

« C’était pas la joie »… ça peut recouvrir un large éventail de situations, du un poil embêtant au totalement dramatique, et tu espères que ce sera plutôt le premier que le second. Au moins, il est de nouveau à Poudlard, à l’abri. C’est déjà l’essentiel.

D’une certaine façon, tu trouves ça un peu paradoxal que ce soit vers toi que certains se tournent quand ils ont besoin d’aide ou de réponses à leurs questions. Ou que tu sortes de ta réserve soigneusement entretenue pour intervenir lorsque tu es témoin d’altercations, alors que c’est quand même le meilleur moyen d’attirer l’attention. Il y a des dizaines, des centaines d’autres élèves dans cette école dont la plupart seraient bien plus à même d’agir – et certains le font, d’ailleurs, fort heureusement. Mais tu n’es pas… enfin, disons qu’il y a des gens à l’allure bien plus ouverte que toi, qui cultives ta solitude depuis des années, même si ta coquille commence à s’ouvrir un peu ces derniers temps. Et tu n’es pas toujours sûr de pouvoir vraiment répondre aux demandes des autres, de les aider comme ils le souhaitent. Ils pourraient trouver bien plus efficace ou simplement bien mieux chez n’importe qui d’autre. Ou alors, c’est encore un coup de ces pensées négatives que t’a signalées Abigail, ces pensées qui menacent toujours de déborder et sapent ton reliquat de confiance en toi – suite aux réflexions de cet été, tu sens mieux la différence par rapport à avant, lorsque tu te fiais à tes capacités. Tu as bien plus conscience maintenant de la négativité qui te ronge, mais tu n’arrives pas encore à la contrôler, à avoir une vision un peu plus objective des choses ou, du moins, moins à charge contre toi-même. Et ça te demande déjà beaucoup d’effort d’essayer de croire ce qu’on te dit, plutôt que de suivre tes propres pensées.
La seule chose que tu peux vraiment garantir, c’est qu’avec toi, ce qu’on te confie est bien protégé. Tu consacres assez de temps et d’énergie à préserver tes propres secrets, tu as tellement l’habitude de tout garder pour toi que tu n’iras pas hurler ceux des autres sur tous les toits. Certes, jusqu’à il y a peu, tu n’aurais pas eu grand monde à qui en parler de toute façon, mais ça ne change rien au fait que tu es capable d’être muet comme une tombe sur à peu près tous les sujets.

Même si pour l’instant, le début de la discussion est des plus banals. Elyakim parle de Cambridge, où tu n’as jamais eu l’occasion d’aller. Tu comprends sans mal qu’il n’est pas à l’aise, alors pour l’instant, tu suis son amorce. Bon, si jamais tu en viens à te rendre dans la librairie des Kessler, c’est que la guerre est finie et qu’il n’y a plus de risque à ce que tu te promènes dans le monde moldu, ce qui implique aussi que ton père ait été mis hors d’état de nuire, ce qui n’est donc pas pour demain. Tu ne crois pas vraiment au fait qu’un jour, tu pourras vivre sans cette épée de Damoclès, cesser de regarder en permanence par-dessus ton épaule et arrêter de fuir. C’est trop irréel, trop loin de ce que tu vis pour que tu arrives à le concevoir.
Elyakim ne réplique pas tout de suite, sa réponse te paraît un poil embarrassée, sans que tu saches s’il préférerait que tu ne viennes pas en fin de compte ou si autre chose le dérange. De toute façon… ce n’est pas pour tout de suite – et comme ce n’est visiblement pas le sujet principal de la discussion, il aura peut-être oublié d’ici quelques mois, ou tu trouveras une explication pour reporter, ce n’est pas bien difficile, même si tu te passerais de ces numéros d’équilibriste. Tu lui souris.

— On s’organisera, je ne vais pas débarquer à l’improviste. C’est chouette, tu dois apprendre des tonnes de choses avec ton père !

À propos de père, la conversation dérive justement vers les familles moldues et leur lien à Poudlard. Pour l’instant, tu restes à la surface des choses, tu n’évoques pas les « disputes » qu’il peut y avoir parfois entre ton « père » et toi, ce père que tu décris comme étant rationnel et cartésien, qui a eu du mal à découvrir que son fils aîné était capable de réaliser des choses plus qu’étranges dans son enfance. Autant mentir à des inconnus ne te dérange pas, autant sortir le même tissu de faussetés à des personnes que tu apprécies… cela finit par t’ajouter un poids sur les épaules, et tu culpabilises de n’opposer que des mensonges à la vérité qu’on te livre en toute confiance. Mais tu n’as pas le choix. Tu essaies de rééquilibrer en aidant autant que tu peux, mais tu sais que ce n’est qu’un marchandage bancal avec ta conscience… et tu n’as de toute façon pas d’autre solution.
Tout en parlant, tu restes attentif à ce qu’il montre. Elyakim redresse la tête lorsque tu évoques des études moldues, mais lorsque tu relies cela au contexte actuel, il a l’air moins… enfin, tu as l’impression que ce n’est pas tout à fait ce qu’il espérait entendre. D’accord. Tu lui retournes la question, inquiet surtout de ce que ça cache. La situation des nés-moldus n’a jamais été facile, à cheval entre deux mondes, et toutes les familles ne prennent pas bien la découverte de la magie.
Tu n’es pas dupe de l’air étonné d’Elyakim. C’est lui qui en a parlé le premier. Tu te contentes de hausser les sourcils pour lui montrer que ça ne prend pas et il se lance. Oh oh. Blood Circle. Tu hoches la tête, oui, tu connais, difficile de passer à côté en ce moment, même sans avoir ton histoire. Un garçon de Poufsouffle, hein… Tu mettrais ta main à couper que c’est un moyen détourné de parler de lui – le « c’est pour un ami » reste quand même la façon la plus simple de demander quelque chose sans en avoir l’air, en un sens, ça aide aussi à faire tomber les barrières, parce qu’intérieurement, on peut continuer à prétendre qu’on ne parle pas de soi. Personne n’est dupe, mais ça peut permettre de prendre un peu de distance. Et ce que tu entends ne te plaît pas du tout. Parce que passer d’avoir peur de la magie à avoir peur de son enfant sorcier… le pas n’est pas si grand qu’on pourrait le croire.
La suite confirme tes pensées et ça te serre le cœur : il craint que ses parents se mettent à penser qu’il est un danger et deviennent extrémistes. Et… bon sang, tu les détestes de plus en plus, ces adultes qui sacrifient leurs gosses, qui n’essaient même pas de les comprendre, qui se cramponnent à leurs convictions, qui se laissent avoir par la propagande. Garnet et toi, vous êtes des cas extrêmes de ce qu’ils peuvent faire – et encore tu as eu la chance que ta mère fasse passer son amour pour toi avant son idéologie – et ça ne devrait même pas être une chance, juste la norme. Est-ce qu’ils rendront des comptes un jour ? Tu as beau croire en la justice, tu comprends que Garnet ait choisi de se venger elle-même.
Comment est-ce que quiconque pourrait penser qu’Elyakim est un danger ? Entre sa distraction, son monde à lui, tu as du mal à l’imaginer faire du mal à une mouche. Bon, essayer de prendre les choses dans l’ordre. Ne pas montrer ta colère, parce qu’il n’y est pour rien, lui. Tu repenses au début de la discussion, à la façon dont il parlait de son père et la tournure que ça prend maintenant, et le contraste te serre le cœur. Déjà, revenir sur la fin, parce que tu n’aimes pas trop la façon dont il dit qu’ils vont se rendre qu’il est un danger, comme s’il en était effectivement un. Toute ton attention fixée sur lui, tu réponds :

— Tu n’es pas un danger, Elyakim. Avoir des pouvoirs ne fait pas de toi quelqu’un de mauvais ou de dangereux pour les moldus ou pour qui que ce soit, c’est juste un moyen que tu as à disposition et c’est à toi de décider comment l’utiliser, en bien ou en mal, tu comprends ? Si tu ne veux pas faire de mal, tu n’en feras pas.

Ça, il t’a fallu des mois et des mois pour le saisir quand tu étais petit, déjà imbibé des idées de ton père. Pour toi, les sorciers étaient des monstres qui ne pensaient qu’à tuer et tu étais terrifié à l’idée qu’un jour, tes pouvoirs t’échapperaient pour faire du mal à ta mère ou aux personnes autour de toi. Tu aurais tout donné pour t’en débarrasser. Des mois à lutter contre eux, à les refouler, avant que tu arrives à accepter les paroles de ta mère, d’autant que tu ne voyais pas pourquoi elle changerait d’avis juste parce que tu étais concerné.

— C’est quelque chose que j’ai mis longtemps à comprendre, j’avais peur de mes pouvoirs quand j’étais plus jeune, qu’ils m’échappent pour s’en prendre aux autres, surtout que personne ne comprenait ce qui se passait et que ça leur faisait peur… Mais il n’y a aucune chance que ça arrive, vraiment.

Maintenant, le Blood Circle.

— Oui, je vois bien qui ils sont. Tes parents en ont parlé comment ? Ils s’intéressaient à ce qu’ils disaient ou ils s’en inquiétaient ?

En soi, tu connais déjà la réponse, vu ce qu’il dit du « garçon de Poufsouffle ». Si ses parents ne voulaient pas qu’il revienne… Mais tu préfères entendre les mots d’Elyakim sur le sujet.

— Les gens peuvent changer, oui, malheureusement, et on n’en est pas responsables… Je ne veux pas dire que c’est ce qui arrive à tes parents, mais si tu te poses la question, j’imagine que tu as des raisons de le faire ? Je suis désolé si la question est un peu brutale, mais… C’était bien eux qui auraient préféré que tu ne reviennes pas ?

Tu n’es pas vraiment dupe des tours et détours d’Elyakim pour éviter le vrai sujet de la conversation, parce qu’il n’a pas accepté ta proposition de vous trouver un coin tranquille seulement pour te vanter sa ville, mais tu es bien placé pour savoir qu’en venir aux confidences n’a rien de simple. Alors, certes, tout le monde n’a pas développé la même méfiance, voire la même paranoïa, que toi, élevé au son du « ne fais jamais confiance à personne » de ta mère, mais ça ne rend pas les choses plus évidentes. Tu ne le bouscules pas, fais mine d’accepter sa proposition de venir voir la librairie familiale – non que tu n’en aies pas envie en soi, mais tu commences à être bien trop repérable, et surtout repéré. Avec les photos de toi dont dispose le Blood Circle, tes déplacements sont autant de sources de danger, tant pour toi que pour les autres.
Il évoque son père, et face à ta remarque, il hoche la tête avec énergie, un sourire aux lèvres. Au moins, ça a l’air d’aller bien de ce côté-là. Mais cette impression ne dure pas lorsqu’il en vient au vrai sujet, au Blood Circle et qu’il évoque la peur de la magie de ses parents. La propagande du Cercle commence à faire des ravages, et les sorciers ont toujours trois trains de retard dessus. Bien sûr, ils font ce qu’ils peuvent, mais ils sont loin de prendre la mesure du problème et de le traiter avec l’attention qu’il mérite. Mettre en place un système de famille d’accueil pour les nés-moldus, c’est une bonne chose pour éviter que d’autres ne finissent à la rue – voire pire, comme ce que tu as vu à l’Institut en mai. Les expériences, les tortures… les nés-moldus forment un vivier facilement exploitable, entre la peur qui se développe chez les parents et le fait qu’ils vivent dans le monde moldu, davantage à portée de mains que les sorciers. Mais s’il y a besoin de famille d’accueil, c’est que le pire est déjà arrivé et qu’il est trop tard. Quant à la proposition de suivi des familles… à voir ce qu’elle donnera. Tu espères que l’initiative permettra d’apaiser les angoisses de certains parents et les aidera à mieux comprendre leur enfant et ses pouvoirs. Mais il faudrait que ce soit mis en place dès l’apparition des pouvoirs. Après tout, si les services du Ministère sont capables de détecter tous les nouveaux sorciers, de mettre en place la Trace et d’envoyer quelqu’un au moment des onze ans… pourquoi ne pas prendre contact dès le début ? Cela éviterait des années de peur et d’interrogations sans réponse, même à présent que le secret magique a été levé.
Il faudrait davantage de communication du Ministère en direction des moldus pour les aider à appréhender le monde magique, mais ça n’a pas l’air d’être une priorité du moment. Pour autant, tu es plutôt convaincu qu’il sera difficile de remporter la guerre sans l’aide des moldus – et, au minimum, il ne faut pas abandonner le terrain de la communication au Blood Circle. Leur force de frappe est déjà bien assez importante.

Face aux inquiétudes d’Elyakim, tu essaies de le rassurer sur le fait qu’il n’est pas un danger pour les siens, que le fait qu’il soit un sorcier n’implique rien de menaçant, tant qu’il ne passe pas lui-même à l’acte. Tu le sens sceptique face à tes paroles, prêt à reculer. Est-ce qu’il regrette d’avoir décidé de t’en parler ? Est-ce qu’il s’est déjà convaincu qu’il est mauvais, responsable de quelque chose qui serait arrivé dans sa famille ? Tu espères que non. Mais c’est difficile à faire passer en quelques mots, tu mets de la conviction dans ta voix, mais ce ne sont pas quelques phrases qui suffiront. Même si c’est déjà bien qu’il les entende, que quelqu’un le lui dise. Tu essaies de développer un peu plus avec ton propre cas pour lui montrer qu’il n’est pas le seul à se retrouver face à cette peur et que, même si elle est bien présente, il ne risque pas d’y avoir de dommages de sa part. De sa famille, en revanche… tu sautes peut-être vite aux conclusions dramatiques, mais il faut dire que tu n’as pas eu tant d’exemples rassurants sous les yeux.
La reculade est immédiate cette fois, mélange d’excuses et de justifications, dont tu ne crois pas un mot. Il n’en parlerait pas si ça sortait de nulle part, il n’aurait pas fait l’effort de venir te parler.

— Non, Elyakim, je comprends ta peur, et ce n’est pas facile de vivre avec, surtout quand les adultes autour ne comprennent pas. La magie, ça peut être effrayant quand on ne baigne pas dedans comme les autres… mais il n’y a pas d’exemples de sorciers qui porteraient malheur ou provoqueraient des accidents seulement parce qu’ils sont sorciers. Est-ce qu’il y a eu des événements autour de toi qui t’ont amené à penser ça ? Est-ce que tu veux en parler ?

Tu désignes la pièce vide autour de vous. Aucun bruit ne monte des couloirs.

— On est tranquilles, je ne dirai rien à personne. Et on a tout le temps qu’on veut devant nous, je ne suis pas pressé ni rien.

Tu reviens sur le Blood Circle. L’hésitation encore. Ça ne te plaît pas vraiment que des parents de sorcier s’intéressent aux propos du Cercle, notamment pour comprendre la magie. Ce n’est peut-être que ta paranoïa latente, mais étant donné la situation actuelle, tu préfères être trop méfiant que pas assez.
La situation d’Elyakim t’inquiète profondément, tu sais pertinemment qu’il parle de lui-même lorsqu’il évoque ce camarade de Poufsouffle. Et c’est cette inquiétude, la crainte que les choses tournent mal qui te pousse à l’interroger plus avant, à demander s’il parle bien de ses parents en se cachant derrière un autre. À peine les mots sont-ils sortis que tu regrettes ta phrase et tu donnerais beaucoup pour effacer ces dernières secondes, revenir en arrière, faire en sorte que tu ne les aies jamais prononcés. Elyakim se décompose devant la question trop franche, trop brutale, et tu te mords les lèvres. Bon sang ! Tu peux te réfugier derrière ta fatigue, avoir envie de te cogner la tête contre le bois d’une des tables ou, mieux, la pierre des murs, ça ne cachera pas le fait que tu n’as aucune excuse et que ça ne rachètera pas ta connerie. Tu es pourtant bien placé pour savoir à quel point c’est difficile de se confier, et courageux de sa part de se lancer. Et il a fallu que tu viennes lui compliquer la tâche.
Le regard d’Elyakim se perd vers les fenêtres et tu es déjà soulagé qu’il ne s’enfuie pas tout net – ce qui aurait été ton deuxième choix après le déni énergique « ah non, mais pas du tout, je parle vraiment d’un autre ! ». Il aurait préféré continuer avec le Poufsouffle. Ah bah, tu m’étonnes. Et ta colère contre toi-même n’apportera rien dans cette conversation, tu auras tout le temps de te flageller une fois que tu auras rattrapé le coup – si c’est encore possible. C’est ce qui s’appelle mettre les deux pieds dans le plat et en sautant à pieds joints, en plus. Tu es vraiment trop con. Bien sûr que tout ça t’inquiète, bien sûr que tu réagis comme tu le fais face au danger, sans réfléchir, juste la nécessité pragmatique, brutale de cerner la menace, mais ce dernier point n’a rien à faire ici et maintenant. Elyakim est à Poudlard, il a réussi à revenir, ses parents ne l’ont pas retenu. Il reprend, en détaillant un peu plus. Il doit parler de sa mère – il a l’air de toujours bien s’entendre avec son père si tu peux te fier à ce qu’il disait au début de la discussion. Des excuses, encore, qui viennent aussitôt, presque criées, comme un refus et un déni de ce changement chez sa mère, une défense d’un comportement qu’il redoute quand même. De la peur aussi, peut-être, face à cette attitude nouvelle. « Elle connaît pas »… elle n’a sans doute pas fait l’effort de connaître. Est-ce que c’est vraiment si compliqué que ça de comprendre ses enfants ? Non, même pas de les comprendre, de les accepter pour ce qu’ils sont ? Tu te passes une main sur le visage.

— Excuse-moi, Elyakim, je n’aurais jamais dû te poser cette question, je ne veux pas te forcer à parler... C’est difficile de se confier, tu es courageux de venir m’en parler et tu fais bien. J’ai mal réagi, parce que je m’inquiète pour toi. Moi, c’est mon père qui a peur de la magie, il est très rationnel, il ne comprend pas vraiment comment ça fonctionne… et si j’avais quitté le monde magique après la septième année, voire avant, pour mener une vie de moldu, il en aurait été plus qu’heureux. Ce n’est pas très facile en ce moment, on se dispute… régulièrement. Il ne connaît pas et ne veut pas connaître, et ça ne l’aide pas à avoir moins peur. Un peu comme ta maman… et comme les parents du Poufsouffle, j’imagine ?

Ce n’est pas une échappatoire terrible, c’est un peu tard pour tendre cette perche, mais si ça peut l’aider… Mais tout le monde ne fonctionne pas selon tes schémas tordus.

Pourquoi, as-tu parfois envie de demander tout en sachant que c’est absurde, tout en sachant que tu connais déjà une partie des réponses. Pourquoi… Tu n’as encore que peu d’éléments sur la situation d’Elyakim, mais tu perçois son inquiétude sur le danger qu’il pourrait représenter pour les siens. Pourquoi est-ce que c’est si compliqué pour les parents des personnes comme vous ? Pourquoi est-ce que la même histoire doit sans cesse se répéter – plus ou moins, avec des variantes propres à chacun ? Pourquoi ce rejet de la différence chez son propre enfant, que ce soit la magie ou autre chose ? Elyakim n’a que quinze ans et déjà des interrogations beaucoup trop grandes pour lui, des questions qu’il n’aurait jamais dû avoir à poser. Bien sûr, il y a des nés-moldus heureux – rares, parce que vous n’êtes déjà pas nombreux – mais il y en a. Des sangs-mêlés qui ont grandi à cheval entre les deux mondes, avec un parent moldu qui a dans la majorité des cas pleinement accepté l’existence du monde magique – il y a parfois des problèmes aussi dans ce cas de figure. Et le conflit ne fait qu’amplifier tout cela, ces peurs latentes qui ne demandent pas grand-chose pour s’embraser. Tu as l’impression que les instances dirigeantes sorcières passent en bonne partie à côté du problème – tout en reconnaissant que tu n’as pas vraiment de solution à apporter. C’est peut-être ta propre expérience qui cristallise ton avis, ce rappel de la coupure avec le monde sorcier l’été et à Noël, qui te laissait entièrement vulnérable dans le monde moldu. Des témoignages pourraient-ils aider ? C’est là que les choses se compliquent – tu aurais des dizaines de chose à dire, mais tu es lié par le poids des secrets. Impossible d’attirer l’attention sur toi, que quelqu’un se penche sur ta famille ou risque de remonter jusqu’à ton vrai nom. Tu serais prêt à faire beaucoup, pourtant, pour ces enfants et ces adolescents, mais il y a cette ligne qui te renvoie à ta propre lâcheté. Et tu ne serais de toute façon qu’un témoignage, dans un cadre particulier en plus, pas une généralité sur la situation des nés-moldus. Cependant, les sorciers ne peuvent pas les surveiller en permanence, encore heureux. Des personnes faciles à saisir en cas de doute, de sentiment d’insécurité, afin de tenter une médiation, de permettre aux parents de mieux appréhender la situation et, le cas échéant, basculer sur le programme de famille d’accueil ? Peut-être. Tu veux éviter en tout cas les recensements, qui rappellent un peu trop ce que faisait Voldemort – et tu n’as aucune intention de faciliter encore la tâche des Mangemorts.

Elyakim se dérobe, tu tentes malgré tout d’atténuer ses craintes. Non, les sorciers en tant que tels ne sont pas plus un danger que les moldus, tout dépend de ce qu’ils font du pouvoir à leur disposition (et comme tout le monde le sait, un grand pouvoir appelle de grandes responsabilités, puisqu’on est dans les citations). Il n’a pas l’air d’apprécier tes paroles, peut-être parce qu’il aurait préféré changer de sujet. Mais tu ne peux pas le laisser avec ces pensées, elles peuvent faire trop de mal. Les moldus ont souvent – presque toujours – eu peur de la magie, allant jusqu’à brûler les sorciers, et ces idées ont survécu.
Oui, il s’est passé des choses, non, il ne veut pas en parler. Ce que tu peux comprendre, même si… Vous avez le temps de toute façon, tu ne vas pas le bousculer, ce serait le meilleur moyen de le braquer. Tu ne vas pas essayer d’imaginer ce qui a pu se produire, il y a tellement de possibilités. Et au fond, ce qui compte, c’est le résultat : qu’Elyakim en est venu à penser qu’il pouvait être un danger pour ses proches.

Il embraie sur les mages noirs – l’exemple extrême, directement, et sans doute le plus explicite. Tu comprends, de nouveau. Biberonné à l’idéologie du Blood Circle, tu étais convaincu que les sorciers étaient des monstres qui n’attendaient que l’occasion de tuer des moldus sans défense. Tes pouvoirs te terrifiaient, tu n’en as pas dormi pendant des semaines et des semaines, redoutant qu’ils t’échappent la nuit, qu’ils s’en prennent à ta mère, aux gens autour de toi, guettant le moment où toute cette masse obscure te transformerait en abomination. Il a fallu du temps avant que les mots de ta mère percent tes craintes – après tout, elle avait toujours soutenu ton père, pourquoi est-ce que son avis sur les sorciers changerait simplement parce que tu étais concerné ? Que tu sois son fils ne te rendait pas moins monstrueux. Heureusement que tu as eu son soutien, qu’elle t’a accepté tel que tu étais malgré ses idées d’origine. Que tu as pu en parler à cœur ouvert avec elle. Tu n’es pas un monstre. Est-ce qu’un monstre se soucierait du mal qu’il pourrait infliger aux autres ? Tu peux choisir de faire le bien avec tes pouvoirs. Les mots ne se sont jamais effacés. Tu vas passer sur le fait que certains tordent la notion de bien pour lui faire dire ce qu'ils veulent, pour donner un vernis à leurs idéologies.

— Le mal que Voldemort a fait, il l’a toujours fait volontairement, même enfant. S’en prendre à des animaux, viser les points faibles des autres, ce qui les affecterait profondément… Je ne suis pas un spécialiste, mais ça ressort de ce que j’ai lu sur lui. D’autres sorciers ont versé dans la magie noire, plus âgés, une fois adultes… La magie leur met une arme différente entre les mains, mais ce n’est pas pire qu’un moldu qui se serait procuré des armes, que des tueurs en série… Moldu ou sorcier, si on veut faire le mal, on trouve toujours le moyen d’y parvenir, peu importe quel est ce moyen.

Tu marques une pause.

— Est-ce que tu as envie de faire du mal aux autres, de les blesser ? De faire souffrir ? Je ne parle pas d’erreurs ou de maladresses, on en fait tous, mais de réelle volonté de s’en prendre aux autres. Un mage noir ne se soucierait pas du danger qu’il représente. Et puis, ce n’est pas la naissance qui compte, mais ce qu’on décide de faire avec nos pouvoirs, les choix qu’on pose… Aucun sorcier n’est condamné à devenir un mage noir, tu comprends ?

La conversation revient sur la situation des parents, et tu regrettes très vite tes mots, t’excuses de l’avoir brusqué. Alors, tu décides d’en dire un peu plus sur toi, louvoyant entre les mensonges, dévoilant un peu ce père qui n’a jamais compris la magie – euphémisme de l’année, mais tu ne peux pas aller plus loin que ça. Ce n’est pas le lieu de toute façon. Tu ne parles que très peu de tes parents, évoquant juste des moments en famille quand c’est nécessaire, pour faire vrai, leur donner un peu de consistance dans les esprits des autres, qu’il n’y ait pas un grand flou quand on pense à tes proches. Tu mentionnes rarement les éventuels problèmes pour ne pas susciter trop de questions, juste assez pour que le cas échéant, ça rappelle quelque chose, un « il l’a déjà évoqué en passant ». Non que tu aies beaucoup de monde auprès de qui développer tes petites stratégies, mais ça fait partie du personnage d’Eirian, de la façade que tu présentes aux autres. Tu insistes sur son incompréhension, cette méconnaissance dont Elyakim a parlé.

Il rejette la perche du Poufsouffle que tu lui retendais, tu esquisses un geste de la main en guise d’excuse. Il t’interroge sur ton père, sur ses éventuels efforts.

— Non, pas vraiment. Au début, il y avait pas mal de déni devant mes manifestations magiques, il est très rationnel, puis une fois au courant… Je crois qu’il était plutôt soulagé que je sois moins là, mais maintenant il regrette de ne pas avoir insisté pour que je reste loin de tout ça.

Bref, tu n’es pas là pour parler de toi, encore moins de ta vie fictive.

— Je ne vais pas te mentir, l’attitude de ta mère n’est pas très rassurante avec le contexte actuel. Mais quoiqu’il en soit, ce n’est pas de ta faute… Et c’est bien que tu ne restes pas seul face à ça. Ton père, qu’est-ce qu’il en pense de tout ça ? Est-ce qu’il peut te soutenir face à elle ? Ou est-ce qu’il s’intéresse aussi aux idées du Blood Circle ?

Ce serait déjà une bonne chose que son père puisse s’opposer à sa mère le cas échéant, mais tu sais pertinemment que ça ne suffit pas. Pas la peine d’envisager le pire pour le moment, il est en sécurité à Poudlard au moins jusqu’à Noël.

Voilà que vous vous retrouvez à discuter de Voldemort et de son penchant pour le mal. Tes souvenirs à ce sujet sont restés assez précis avec ce que Harry Potter a révélé de son passé, l’appétence pour le mal venue tôt. Ce n’est qu’une situation parmi d’autres, un exemple isolé. Toutes les personnes à tendance psychopathe ne se tournent pas vers le meurtre, ni ne conjuguent forcément cela avec une ambition démesurée et une soif d’immortalité. Mais Voldemort n’a jamais caché ses penchants, n’a jamais essayé non plus de lutter contre eux. Et ses suivants n’étaient pas beaucoup mieux, avides de pouvoir et d’étendre leur idéologie à l’ensemble du monde sorcier… À peine plus de vingt ans, vingt-deux ans précisément, et voilà que l’Ordre du Phénix se retrouve à pactiser avec les ennemis d’hier. Dans l’absolu, tu peux comprendre l’idée de l’Alliance, pourquoi les sorciers ont besoin de présenter un front uni face au Blood Circle. Mais ça ne marche pas quand l’un des deux camps ne joue pas franc jeu et en profite pour développer ses propres idées en toute impunité. Ça aurait pu fonctionner si les mangemorts avaient cessé de torturer moldus et nés-moldus, ça aurait pu fonctionner s’ils n’étaient pas tant décidés à réduire les moldus en esclavage ou à les éradiquer selon les courants. Mais ça aurait signifié renoncer à ce qu’ils sont au fond d’eux-mêmes ; c’était perdu d’avance. Tu n’as jamais vraiment cru à cette alliance et les témoignages de Raphaël comme de Nymphéa au printemps précédent ont achevé de t’en convaincre. L’Ordre se retrouve face à un deuxième ennemi, plus insidieux encore peut-être que le Blood Circle, puisqu’il vient de l’intérieur et est constitué de proches d’un certain nombre de sorciers – et beaucoup peinent encore à voir la réalité de ce que cachent les mangemorts.
Quoi qu’il en soit, de ce que tu as vu de lui, Elyakim n’a rien d’un mage noir. Tu ne peux évidemment rien présumer de ce qu’il deviendra dans quelques années, mais ça te paraît malgré tout un changement assez radical et improbable. Le monde magique n’est pas avare de surprises, mais quand même… Tu ne sais pas si tes paroles réussiront à le convaincre, tu l’espères en tout cas. Qu’il prendra le temps d’y réfléchir ensuite à tête reposée. Tu es bien placé pour savoir que ce n’est pas facile à encaisser sur le moment, qu’il faut arriver à digérer. Et s’il a besoin d’en reparler, tu seras là, bien sûr. Ce n’est pas le genre de chose qui se règle en un jour, surtout si ses inquiétudes sont anciennes ou bien installées. Ça te serre le cœur qu’un adolescent comme lui en vienne à penser qu’il peut être un danger pour sa famille à cause de ses pouvoirs. Que ses proches puissent le rendre responsable de… quoi qu’il se soit passé. Il n’aurait pas dû avoir cette image de lui, jamais. Et ce n’est pas le genre de chose qui risque de s’arranger dans les mois qui viennent avec la propagande continue du Blood Circle, appuyé par les médias.
Tu le sens hésitant face aux questions que tu poses. Est-ce qu’il en viendra à confier ce qui lui pèse vraiment sur le cœur, l’origine de tous ces questionnements ? Il admet que tu as raison, mais son regard reste fuyant tandis qu’il dit n’avoir rien fait de mal. Il ne le pense pas, on ne ment pas à un menteur, mais… tu ne peux pas le forcer non plus, ce serait pire que contre-productif.

— Non, je ne crois pas que tu aies fait quelque chose de mal. Mais si à un moment, tu veux parler de ces événements, aujourd’hui ou plus tard, avec moi ou avec quelqu’un d’autre… n’hésite pas. Ne reste pas seul avec tes questions, d’accord ? C’est toujours mieux d’en parler même si c’est compliqué sur le moment.

Parole de quelqu’un qui vit sous le poids des secrets. Ça n’amène rien de bon, mais dans ton cas, la vérité n’aidera pas non plus.

— Oui, il a toujours pris plaisir à la cruauté, ainsi qu’à la domination des autres. À Poudlard, il s’est très vite plongé dans la magie noire… Bref, infréquentable de bout en bout. La plupart des mangemorts sont du même acabit.

Tu évoques ensuite la situation de ton « père », ce qui semble résonner avec ce qu’Elyakim traverse lui-même dans sa famille. Le déni, l’hostilité qui vient petit à petit, le soulagement devant l’éloignement… ça a l’air de lui parler, sans que tu saches dans quelle mesure ça touche juste. En tout cas, le but est de lui montrer qu’il n’est pas seul dans cette situation et que le problème vient surtout de ses parents, pas de lui.
Il ne réagit pas. L’important reste qu’il entende les mots. De ton côté, tu as parfois tendance à tout rejeter en bloc ou à faire profil bas pour te sortir de la conversation au plus vite, et ce n’est qu’ensuite que tu arrives vraiment à faire le tri dans tes pensées… et à admettre que l’autre en face n’avait pas forcément tort.

Sa crispation lorsque tu lui signales que ce n’est pas sa faute ne t’échappe pas, le corps tendu, les poings serrés sur le bois de la table, une inspiration pour se reprendre. Toute son attitude clame le rejet de cette phrase. Non, ce n’est pas ta faute, si ta mère te voit comme un danger, ce ne sera jamais ta faute. C’est elle le problème, pas toi. Tu comprends que ce soit dur à entendre, encore plus à accepter. C’est plus facile de prendre la faute sur soi que de la mettre sur quelqu’un d’autre, d’autant plus sur sa propre mère. Ce n’est pas un lien qu’il est aisé de remettre en question – et tu n’as compris qu’il y a peu à quel point la haine de ton propre père t’a fait du mal et a servi de terreau à cette peur du regard des autres sur ce qui te concerne. Il n'a pas l'air prêt à admettre le danger que peut représenter sa mère si elle continue sur cette pente - et c'est logique, mais... La prise de conscience sera douloureuse lorsqu'elle viendra, bien qu'une part de toi espère encore que les choses pourront bien se passer.
En revanche, Elyakim se détend dès que tu évoques son père. Tant mieux, il a au moins un allié proche, c’est une bonne chose. Pas assez pour faire changer sa mère d’avis, mais il n’est pas seul face à elle. Elyakim s’enthousiasme, te détaille l’intérêt de son père pour la magie et pour Poudlard, sur les sorts… Oui, il vaut mieux qu’il évite de lui en faire la démonstration tant qu’il n’est pas majeur, c’est un coup à voir débarquer les représentants du ministère… Ce qui ne serait pas forcément un mal dans le cas présent. Mais tu doutes qu’ils soient capables de déceler tout de suite le réel problème et inutile d’ajouter des problèmes à ses relations familiales, c’est plutôt un coup à faire déborder le vase. Ses mots te font sourire.

— Promis, je ne dirai rien ! Il vaut mieux attendre ta majorité sorcière pour lui montrer, mais c’est super qu’il s’y intéresse autant !

Fantine ? Hmm, sans doute sa chouette, si elle doit rester dehors.

— C’est ta chouette ?

Autant demander confirmation. Bon, par contre, la suite est moins encourageante. Faire profil bas devant la mère reste en effet le plus prudent pour ne pas aggraver la situation, mais tu n’es pas sûr que ça suffise, pas avec le matraquage du Blood Circle. Et c’est grâce à son père s’il a pu venir cette année. Ça ne présume rien de bon pour les vacances à venir. Tu lui souris.

— Oui, je suis soulagé que ton père t’ait aidé, c’est le plus important que tu sois là.

En sécurité.

— Et c’est vraiment une bonne chose qu’il puisse te soutenir. Est-ce que tu as entendu parler des mesures mises en place par le Ministère pour aider les familles de nés-moldus ? Ils proposent une sorte de médiation pour aider les familles à mieux comprendre le monde magique, répondre aux questions et calmer les peurs… Tu penses que ça pourrait être utile pour aider ta mère à mieux comprendre et changer d’avis ? Cela vous ferait du soutien, à ton père et toi. Ou elle serait hostile ?

C’est une aide plus importante et peut-être plus efficace que celle que tu peux lui offrir. En espérant que le Ministère ait mis les bonnes personnes là-dessus, des personnes qui connaissent bien le monde moldu et sont capables de comprendre ce que vivent les parents… et de repérer les problèmes pour éventuellement agir ensuite.

Si tu es soulagé qu’Elyakim ne soit pas resté seul avec ses interrogations, tu as cependant l’impression de passer à côté de ce qu’il te dit, sans parvenir à mettre le doigt dessus. Oh, tu vois bien qu’il acquiesce à certaines choses pour te faire plaisir, mais il évite toujours avec soin d’en venir à ce qui a semé ces idées chez lui. Pour toi qui pratiques cela depuis des années, tu découvres soudain la frustration de tes amis qui t’interrogent depuis des années sur ce qui t’arrive sans que tu aies jamais lâché le moindre mot – jusqu’à il y a peu. Parce que tu sais qu’il y a quelque chose, mais tu ne peux qu’émettre des hypothèses. Et en la circonstance, ça ne te mènera pas bien loin. Tu n’as évidemment pas l’intention de forcer Elyakim à parler, tu connais trop le poids et l’importance des secrets, et tu as apprécié aussi que tes amis n’essaient jamais de dépasser tes limites. Tu espères juste qu’il te fera suffisamment confiance pour venir t’en parler un jour. Toi ou quelqu’un d’autre, d’ailleurs. L’important, c’est qu’il réussisse à se confier. Parce que même si c’est compliqué sur le moment, ce sera pour le mieux ensuite. Ça, tu peux le garantir.
La fatigue ne t’aide pas à réfléchir, mais hors de question de la laisser prendre le dessus. Tu t’efforces de le rassurer, de lui faire comprendre qu’il n’a sans doute rien fait de grave ou qu’il n’est pas responsable de ce qui s’est passé. Il t’interroge sur les mages noirs et Voldemort, tu rassembles ce que tu sais sur lui, ce qui est sorti de ce qu’a raconté Harry Potter une fois la guerre terminée. Tu t’y es intéressé il y a quelques années, tant ce conflit et ses conséquences marquent encore la société sorcière actuelle. Les mangemorts n’appartiennent pas au passé, l’Augurey est dans la lignée de Voldemort. De même que l’Ordre du Phénix, qui porte décidément bien son nom, à sans cesse renaître de ses cendres. C’était une façon aussi de voir les enjeux du conflit côté sorcier, de mieux comprendre les différentes factions, l’idéologie des mangemorts, bref, tout ce qui se retrouve encore aujourd’hui et te donne presque l’impression que cette guerre a été un coup d’épée dans l’eau, en dehors de la disparition de Voldemort. Bien sûr, il y a eu des progrès, mais ça reste lent, si lent… Tu le vois bien dans ce que les nés-moldus peuvent encore vivre à Poudlard. Certains étudiants actuels sont après tout les enfants des précédents mangemorts… Alors que tu mentionnes que la plupart d’entre eux sont de la même trempe que leur maître, Elyakim te demande s’ils le sont vraiment tous. Non, évidemment, tu as un peu trop simplifié. Tu secoues la tête.

— Non, pas tous, mais la majorité. Je vais rester sur ceux qui rejoignent volontairement les Mangemorts, pas ceux qui le font sous la menace ou parce qu’on les a ensorcelés. Et toutes les personnes méchantes, entre guillemets, ne deviennent pas forcément des mangemorts non plus. En tout cas, la plupart des mangemorts actuels sont du même genre que ceux qui suivaient Voldemort. Ils sont aussi très imprégnés de l’idéologie sang-pure. Tu sais comme moi comment ils considèrent les nés-moldus et les moldus de façon générale, les Cracmols aussi. Ils ne reculent pas devant la violence et la cruauté. Eux sont de vrais mages noirs. Mais il y a aussi des cas plus particuliers.

Tu penses à Garnet, à tout ce qu’elle a enduré et qui l’a poussé vers la vengeance et vers le Blood Circle. Et tu te doutes bien que le contraire est vrai aussi, que des sorciers traumatisés par le Cercle se tournent vers les mangemorts. Il y a eu tant de victimes avec l’Institut, des enfants. Tu comprends sans mal qu’ils en viennent à haïr les moldus… comme les moldus peuvent haïr les sorciers qui les torturent.

— Je me dis qu’il y a aussi parmi eux des gens perdus qui se laissent embrigader. Et il y a surtout des personnes qui ont beaucoup souffert des sévices infligés par le Blood Circle et qui finissent par haïr les moldus. Et qui pour tout un tas de raisons, parce que les mangemorts leur permettent de se venger, parce que la justice leur a fait défaut, parce qu’ils ont été brisés par la violence et ne savent pas comment vivre sans, décident de rejoindre leurs rangs. Il y a sans doute d’autres raisons auxquelles je ne pense pas. Et pour ces personnes, celles qui ont souffert…

Tu sais que tu n’es pas très moral sur ce coup-là. Mais tu n’as pas le droit de juger ceux qui prennent ces voies-là, parce que ça veut dire que ceux qui auraient pu, dû les aider ont failli, parce que tu n’as aucune idée de comment tu aurais réagi à leur place et que tu as conscience de la chance que tu as eue. Sans ta mère… et si tu avais survécu aux expériences, tu ne sais pas ce que tu serais devenu. Si, comme Garnet, la vengeance et la haine te seraient apparues comme la seule voie viable pour donner du sens à ta vie. Qui aurais-tu le plus haï, entre les moldus qui t’auraient torturé ou les sorciers responsables de ta nature ? Ça ne veut pas dire que leurs actes ne sont pas condamnables, mais il faut alors que les responsables soient tout autant jugés… Et ça, ce n’est pas près d’arriver.

— Tu vois, je pense que ce n’est pas à nous de juger leur décision, surtout si leurs bourreaux sont encore en liberté. Désolé, je ne sais pas si c’est très clair. Je ne suis pas vraiment pour qu’on se fasse justice soi-même, mais je comprends les gens pour qui ça semble être le seul choix. Bref, tout ça pour dire qu’en effet, le monde n’est pas tout noir ou tout blanc et qu’il peut se cacher énormément de choses derrière les actes d’une personne.

La conversation dérive vers le père d’Elyakim, et tu sens que c’est un sujet qui lui plaît beaucoup plus que le précédent – rien de surprenant en soi. Tu lui conseilles quand même d’atteindre sa majorité pour faire des démonstrations de sortilège. Déjà que le Ministère n’est pas tendre en temps normal, la période est encore moins propice à ce genre d’écart. Tu l’interroges sur un nom qu’il prononce. C’est bien sa chouette.

— Oh, Les Misérables ? C’est un joli nom.

Même si le destin du personnage est assez tragique, si tu te souviens bien.
Tu es cependant rassuré qu’Elyakim ne soit pas seul face à sa mère, même si tu n’accordes pas un crédit total au père. Bien sûr, il a aidé son fils à venir à Poudlard, heureusement, mais il ne semble pas pouvoir faire grand-chose face aux idées de son épouse. Si le profil bas peut être une solution à moyen terme, il y a un moment où ce ne sera plus viable. Si la mère d’Elyakim continue sur le même chemin, le statu quo ne lui suffira pas. Mais ça, tu ne peux pas vraiment le dire au jeune Serdaigle. Tu évoques la médiation que propose le Ministère, pas tant pour les résultats qu’elle offrirait, mais au moins pour signaler les soucis à qui de droit. Elyakim n’est pas très partant. Au fond, tu t’en doutais un peu. Tu hausses les sourcils lorsqu’il mentionne sa sœur.

— Ta sœur ? Elle est moldue ? Ou trop jeune pour que vous sachiez si elle a des pouvoirs ?

Le problème avec sa mère est vraiment ancien, encore quelque chose de pas rassurant qui s’ajoute à la liste. Tu ne peux que compatir en l’entendant parler de ce qui clochait chez lui. Ah ça, le jour où le Ministère comprendra que ça ne sert à rien d’attendre les onze ans de l’enfant pour parler du monde magique, ce sera un grand pas en avant. Surtout que la fin du secret magique ne signifie en rien que les moldus sont davantage renseignés sur la société sorcière, ils connaissent son existence, point. Les agents du Ministère sont bien capables de placer la Trace sur des enfants, pourquoi ne pas le faire à ce moment-là ? Breeeef.

— Je crois que tous les nés-moldus ont eu l’impression que quelque chose clochait avant d’apprendre de quoi il s’agissait.

Qu’elle reste loin de tout ça… Le problème, c’est qu’elle semble au contraire s’y intéresser un peu trop en se rapprochant du Blood Circle.

— Je comprends que tu préfères la tenir éloignée de tout cela, mais tu me disais tout à l’heure qu’elle écoutait de plus en plus les idées du Blood Circle, n’est-ce pas ? La magie a quand même l’air de l’intéresser un peu, non ?

Tu ne t’attendais pas à de telles interrogations de la part d’Elyakim – mais tu aurais pu t’en douter, au fond. Si le sujet avait été simple, il n’aurait pas eu tant de mal à l’aborder. La question des Mangemorts n’est pas évidente – et tu es sans doute un peu biaisé sur ce coup-là aussi, parce que tu sais pertinemment comment ils te considèrent. Entre Tobias Towsen et la façon dont il s’en est pris à toi, celui qui voulait te graver dans la peau ce « sang-de-bourbe » dont il t’abreuvait pour te rappeler ta vraie place, les réactions d’Helios Carrow à Poudlard même, les enfants de sang-pur que tu croises au sein de l’école… rien de tout cela ne dessine un tableau très flatteur de leur groupe. La plupart n’auraient guère de scrupules à éliminer les nés-moldus comme Elyakim et toi. Leur idéologie est bien ancrée dans la société sorcière actuelle… et qu’on les considère comme une force égale à l’Ordre du Phénix, qu’ils aient toute leur place au Conseil, c’est déjà une défaite pour toi. Ils sont aussi extrêmes que les Blood Circle côté moldu et n’hésiteront pas à imposer leurs idées, par la force s’il le faut. Ils ont commencé par glisser le pied dans la porte et maintenant il ne leur manque plus grand-chose pour être complètement réhabilités. Comment ça a pu se faire, tu ne le sais pas vraiment…
Certes, le monde sorcier ne pouvait pas apparaître désuni face au Blood Circle, mais laisser une telle place à cet extrême, non, tu ne le comprends pas vraiment. Discuter, élaborer des plans et des stratégies avec eux, les inviter à la table du Conseil, c’est envoyer l’idée qu’ils sont respectables, que leur idées sont des idées parmi d’autres, qu’elles sont parfaitement acceptables et recevables. Mais ce n’est pas le cas, ce ne sera jamais le cas. Et ça te désespère un peu qu’une partie du monde sorcier ne semble pas en avoir conscience. Bien sûr, les sang-pur sont implantés depuis longtemps, dans tous les cercles du pouvoir, et ont la mainmise sur de nombreux éléments de la société. Mais… tu ne sais pas, il y a pourtant bien assez de sang-mêlé et de nés-moldus pour montrer que leurs théories n’ont aucun sens ! On te dira sans doute que c’est parce que tu n’es pas né dans cet univers et qu’il y a des choses qui t’échapperont toujours, mais en dix ans, tu as quand même eu le temps d’en voir une bonne partie… Heureusement, les idées des Mangemorts ne dominent pas et nombreux sont ceux qui s’y opposent, mais ça reste quand même assez angoissant qu’ils aient une telle audience. La guerre contre le Blood Circle leur ouvre un boulevard pour se poser en défenseurs de la magie. Pour autant, tu entends bien continuer à lutter contre leur idéologie mortifère.
Pour autant, même si tu commences avec ce versant-là de leur idéologie dans ta présentation des Mangemorts au jeune Serdaigle, parce que c’est quand même la majorité d’entre eux, de ce que tu as pu constater, tu t’efforces de rester nuancé. Il y a certes ceux qui fonctionnent par idéologie… mais il y a aussi ceux qui se retrouvent là parce qu’ils ne voient plus d’autre alternative, de la même façon que Garnet s’est retrouvée au sein du Blood Circle à force d’avoir été torturée par les sorciers. Et tu ne peux pas nier cette dimension-là, cet échec de la société sorcière à veiller sur les victimes du Blood Circle, sur ceux qui finissent par ne voir que la vengeance comme seule solution.
Tu espères ne pas perdre Elyakim avec tes explications, peut-être trop détaillées pour un cinquième année peu au fait du conflit et des traumatismes que cela peut engendrer. C’est une chance en un sens, mais vu la tournure que prend la guerre, tu te doutes que plus grand monde ne restera innocent très longtemps. Et un peu de nuance ne fait pas de mal, même si ce n’est pas vraiment les personnes comme lui qui en ont besoin – enfin, tu n’en sais rien, c’est vrai que la situation politique est peu abordée à Poudlard, tout cela doit rester assez flou pour la plupart des collégiens. Et c’est assez dommage, il y en aurait sans doute moyen d’apporter des éclairages tout en restant neutres – et en rappelant la diversité des individus, de leurs motivations, de ce que peuvent cacher les histoires personnelles. Tu prêches un peu pour ta paroisse aussi, mais tu crois fondamentalement que le monde est bien davantage un camaïeu de gris qu’une division entre noir et blanc.

Elyakim te remercie et tu lui souris.

— Bien sûr, ce ne sont pas des choses évidentes à appréhender. Prends le temps d’y réfléchir et si d’autres questions te viennent… tu sais où me trouver, n’hésite pas !

Tu hoches la tête.

— Oui, c’est là qu’on voit toute la complexité de l’être humain, on ne peut pas diviser simplement entre gentils et méchants.

La conversation s’allège tandis que vous dérivez vers sa famille et sa chouette. Le nom t’évoque quelque chose. Tu n’es pas un spécialiste de la littérature française, mais le nom est assez connu pour que tu trouves la bonne référence. Autant tu peux admettre l’idée qu’on aime le nom, autant tu te demandes à quoi ressemble sa chouette pour qu’elle lui évoque précisément ce personnage. D’après tes souvenirs, Fantine n’a pas une vie très heureuse – euphémisme.

— C’est clair que c’est un joli pavé, bravo pour en être venu à bout !

La façon dont il écarte les bras te fait sourire. C’est à peine exagéré. Il évoque sa sœur. Il baisse les yeux avant de te répondre, on dirait que le sujet ne lui plaît pas tellement. Elle semble bien plus jeune que lui. Pleinement moldue. Tu espères que ça se passe bien entre eux. Tu n’as bien sûr pas de référentiel sur le sujet, vu ta propre famille, mais tu imagines que ce n’est pas forcément évident d’avoir un frère ou une sœur qui appartient au monde des sorciers, à part d’une certaine façon. Il n’y a plus la nécessité du secret – encore que, avec la politique actuelle… Mais ce n’est pas forcément simple à gérer. Elyakim se reprend aussitôt après avoir prononcé sa phrase.

— T’inquiète, j’avais compris. Mon frère et ma sœur sont moldus aussi, et ils sont géniaux.

Tu ne sais pas si ça l’amènera à en dire davantage sur sa propre petite sœur. Tu ne veux pas forcer ses confidences de toute façon, tu es là avant tout pour l’écouter et répondre à ses questions. S’il veut en parler, que ce soit aujourd’hui ou une autre, une fois de plus, il sait où te trouver et si tu peux l’aider, tu le feras avec grand plaisir.
La suite de la conversation te plaît nettement moins tandis que vous abordez le sujet de sa mère, qui paraît bien trop proche du Blood Circle à ton goût. Alors, certes, tous les parents ne s’en prennent pas à leurs enfants, mais dans ce domaine, tu préfères toujours un peu trop de paranoïa que pas assez. Et tout ce que te dit Elyakim sur sa mère ne te rassure pas… et tu ne sais pas vraiment comment aborder le sujet. Comment dire à un adolescent de se méfier d’un de ses parents ? Il risque surtout de ne pas te croire – de ne pas vouloir y croire, et c’est logique. « Elle déteste tout ce qui est en rapport avec la magie. » Au moins, c’est clair et net, et c’est une bonne chose qu’il l’admette, même si tu aurais largement préféré qu’il en soit autrement. Se retrouver dans le Blood Circle, oui, certainement, c’est bien le problème. Quant à vouloir protéger son fils… tu redoutes les mesures de « protection » qu’elle pourrait vouloir prendre. Après tout, selon la propagande du Blood Circle, ce qu’ils font pour vous ôter vos pouvoirs, les expériences, c’est pour votre bien… Tu ne peux pas le tourner de cette façon, vous parlez de sa mère, mais ton inquiétude pour lui augmente. Les vacances sont encore loin et vous aurez sans doute d’autres occasions de discuter, cela te laisse aussi le temps de réfléchir à la situation, d’éventuellement faire part de tes doutes… Tu t’inquiètes peut-être pour rien, mais tu préfères prendre trop de précautions que pas assez. La situation est beaucoup trop tendue, et pas mal de gens commencent à vriller sous le coup de la peur et de l’angoisse. L’actualité et la propagande du Blood Circle ne peuvent que renforcer l’animosité de la mère d’Elyakim envers la magie.

— Ce n’est pas rassurant qu’elle déteste la magie, alors que c’est important pour toi. Surtout si elle se rapproche du Blood Circle. Ils sont très dangereux, même s’ils essaient de faire croire que les sorciers sont les méchants et qu’ils agissent pour notre bien en cherchant à supprimer nos pouvoirs.

Tu hésites un instant.

— Tu es à l’abri ici. Mais si tu veux, on peut en parler à d’autres personnes pour qu’ils s’assurent que tout se passe bien quand tu rentreras chez toi. Les professeurs peuvent t’aider, je sais qu’on peut faire totalement confiance à certains.

Tu penses à ceux qui font également partie de l’Ordre pour commencer, comme Abigail, ils peuvent faire un bon relais sans impliquer toute la machinerie du Ministère, qui trouvera peut-être que tu en fais trop. Il n’y a pas de preuve après tout, juste des soupçons. Tu as presque envie de lui dire de ne pas rentrer, mais il y a son père, sa sœur… Le premier est de son côté, mais que pourra-t-il vraiment faire face au Cercle ?