Les moldus et élèves de Poudlard du forum se sentent cruellement seuls au milieu de tous ces sorciers adultes, alors pensez à les privilégier pour vos personnages
« C’est quoi le prochain match de Quidditch ? - Depuis quand tu t’intéresse au Quidditch, toi ? »
*Je hausse les épaules, en regardant Naomi.*
« Je m’y intéresse pas spécialement, je suis juste curieuse. C’est toi qui aime ça, non ? - Carrément ! C’est Serpentard contre euh… Poufsouffle, je crois ? Pas nous, en tout cas. »
*Me réplique mon amie, perdant alors l’intérêt total du reste du groupe, sagement installée dans la salle commune sur les canapés ou sur le sol.*
« Aucun intérêt, donc, affirme Emmy, qui s’apprête à changer de sujet. - Moi je vais quand même aller jeter un coup d’oeil, faut évaluer le niveau de nos rivaux. - Je peux venir avec toi ? »
*Là, tous les regards se tournent vers nous, et j’ai l’impression d’avoir dit une bêtise. Je me renfrogne, et glisse les mains dans mes poches.*
« Toi, tu veux aller voir un match de Quidditch, au début de l’hiver, quand on se les pèle sur les gradins, et même pas pour encourager notre maison ? - Je vais pas laisser Naomi toute seule. - Ca serait pas la première fois, hein. - Je suis curieuse, c’est tout. »
*Mon ton surprend un peu mes camarades, et seul Sybil, qui a une petite idée de ce qui me pousse à aller voir ce match sourit, amusée par la situation. Après tout, elle est ma meilleure amie, et même s’il y a des choses que je ne lui ai pas dite, tout simplement parce que, moi-même, je ne sais pas trop ce que j’en pensais, Sybil a sa petite idée. Elle sait qu’il y a ce Serpentard, une année au dessus, qui embête Rachel. Elle sait aussi que ce n’est pas trop méchant, et que Rachel n’en souffre pas, alors elle laisse couler. Ca l’amuserait presque. Elle avait tout de même été surprise de voir la jeune femme se mettre à broder un serpent sur un sweat immense. Rachel s’était mise à broder chez les Slughorn, pour une occupation calme qui changeait un peu du dessin, et elle se débrouillait franchement bien. Mais d’habitude, elle ne s’amusait pas à broder l’insigne de la maison « rivale » des Lions. Depuis, Sybil observe avec intérêt ce qui se passe, sans rien dire, et d’ailleurs, le regard que j’échange avec elle à ce moment là est lourd de sens… Mais je l’ignore.
Naomi, de son côté, est bien trop contente d’avoir une camarade qui veut l’accompagner pour cracher dans la soupe. A la place, elle lui présente les points forts et les points faibles des équipes, les stratégies préférées des capitaines, et évoque un nom qui parle à la jolie petite lionne, qui écoute attentivement son amie, si passionnée par ce sport, mais pas assez à l’aise pour y jouer elle-même.
Le jour du match arrive vite, et je me suis emmitouflée dans ma cape, avec mon écharpe et mon bonnet. Sur le gradin, le rouge et or de nos écharpes ressort au milieu du vert et du jaune des deux maisons qui s’affrontent. Mais Naomi me présente son petit groupe, qui, eux aussi, sont passionnés de Quidditch, et assistent à tous les match, même quand ce n’est pas leur maison. Il y a d’ailleurs quelques serdaigles avec nous, qui détonnent eux aussi, avec le bleu de leur tenue. Le petit groupe est surpris, agréablement, de voir une petite nouvelle à leur côté, et avant que le match commence, certains viennent me parler. Je m’installe avec un serdaigle qui, gentiment, m’explique les tenants et les aboutissants des matchs amicaux, les enjeux, mais aussi l’importance que cela a pour les équipes.
Sa voix est alors couverte par des acclamations, quand les joueurs rentrent sur le terrain. Je me lève avec les autres, pour venir observer les joueurs, appuyée sur la rambarde, comme les autres. Un soupir m’échappe, et s’envole en volute dans le ciel où bientôt, les joueurs slalome avec agilité. Je ne peux pas m’empêcher de repenser à mes cours de vols, en première année. C’est bien lointain. Je n’étais pas mauvaise, mais, comme pour le reste, je n’avais pas été excellente non plus. C’était une sensation qui m’avait plu, mais je me souvenais avoir eu un peu peur, là-haut, perchée seule sur mon balais. Je ne peux m’empêcher d’admirer, la bouche grande ouverte, le balais aérien qui se déroule sous mes yeux, alors que les joueurs se mettent en place. Le serdaigle, un septième année du nom de Timothy se met à mes côtés.*
« C’est plutôt impressionnant, quand on y pense, non ? - Oui, ça me fait penser à mes cours en première année… Dire que j’avais déjà un peu le vertige en faisant des exercices tout simple. - Haha moi aussi ! Au début, même regarder le Quidditch me filait le vertige. J’ai fini par apprécier, mon grand frère était dans l’équipe, alors je venais l’encourager. »
*Nous échangeons un peu, pendant que le match commence, et Naomi, qui s’est logé à mes côtés, nous dit de nous taire et de nous concentrer sur le match, ce qui m’arrache un sourire amusé et qui surprend un peu le bleu et argent, qui ne s’en formalise pas. Naomi commente le match, et Timothy et elle échangent en direct sur le match. Et de temps à autre, je ne peux m’en empêcher, mon regard se porte vers le gardien tout vêtu de vert. Il a l’air tout petit, vu de là, alors qu’il me dépassait d’une bonne tête. Le serdaigle finit par voir mon regard vers Björn, et me demande : *
« Tu connais le capitaine des Serpentards ? - Il la fait chier depuis la première année. - Sérieux ? - Ca va, c’est juste que je traîne souvent vers les enclos des créatures magiques, et il aime bien m’embêter. Mais c’est pas trop méchant. »
*Mais déjà, l’attention de tout un chacun est détournée pour une action, et je me contente de poser une question sur le match au silence suivant pour éviter que le sujet soit relancé. Parce qu’il n’y avait rien à dire. Je ne considérais pas Björn vraiment comme un « ennemi », même pas un vrai « bullie ». Peut être que mon seuil de tolérance quant à ce qui est, ou non, du « harcèlement » avait très largement grandit, mais il n’avait jamais non plus été trop mauvais. Il voulait user ma patience, et je devais admettre que j’avais toujours été plutôt fière -et presque amusée- de ne jamais avoir cédé. Bien sûr, il m’arrive d’être un peu tendue ou de mauvais poil quand il était vraiment pénible, mais je ne craquais pas devant lui. Enfin… A notre dernière rencontre, j’avais été un peu moins douce que d’ordinaire. Mais depuis mon retour, j’étais moins douce. Mes amies l’avaient remarqués, je l’avais vu dans leur yeux, même si aucune ne s’était risqué à faire une remarque. Elles étaient contentes de mon retour, j’allais bien, et j’étais toujours la Rachel gentille, altruiste, timide et un peu pataude qu’elles avaient rencontrés en première année, alors elles ne s’étaient pas posé plus de questions que ça.
Le match avance, les Serpentards mènent, mais de pas grand chose. Le temps avance, quand une catastrophe arrive. Tout se passe si vite que je n’ai pas le temps de voir ce qui se passe. La seule chose dont je me souviens, c’est d’avoir crier le nom de Bjorn en le voyant tomber de son balais et atterrir sur le bras. Je me dirige vers la sortie, en courant, prenant les marches quatre à quatre, manquant, moi aussi, de tomber, pour finalement arriver alors qu’il est entourée par ses camarades et le professeur responsable. Je suis là, devant le terrain, sur le gazon, à bout de souffle, et soudainement, je me sens idiote. Franchement, tu fous quoi, Rachel ? C’est juste Bjorn.
Non mais à quoi je pense ? C’était juste Bjorn, mais je me serais inquiétée de la même façons pour n’importe qui, j’étais comme ça. C’est pour cette exacte raison que je pensais même à me diriger vers la médicomagie plutôt que vers le rêve de mon enfance, le soin aux créatures magiques. Pourtant, je n’ai aucune formation, rien à faire là, alors je laisse les professeurs et l’infirmière qui est arrivée, faire son travail, et remonte, un peu honteuse, pour retrouver Naomi. Elle me regarde d’un drôle d’air, mais ne dit rien. Personne ne fait de remarque, pas même Timothy, qui me regarde pourtant d’un air curieux. Le match s’achève là-dessus, et moi, je reste dans mon coin, sans rien dire, pendant que les discussions reprennent. On espère quand même que ça ne serait pas trop grave : même si le capitaine des serpentards est un bon élément « dangereux » pour les équipes que soutiennent les différents membres du groupe, il n’en reste pas moins un joueur, et un bon joueur. La solidarité sportive surmonte la rivalité, les mots sont donc bienveillants et les souhaits se dirigent vers un rétablissement rapide. Heureusement, dans le monde magique, même un os cassé, finalement, ce n’est pas grand chose, et en quelques jours, on s’en remet.
Après le match et un débriefing, tout le monde se salue, et chacun retourne profiter du reste de la journée avec ses obligations. Naomi et moi repartons vers la maison commune, et elle me parle du match, en évitant soigneusement de mentionner la chute de Björn. Mais ce comportement, c’est à Sybil qu’elle ira en parler, c’est elle, la meilleure amie de la plus timide de la bande, qui n’est pourtant pas du genre à se donner en spectacle comme ça. Et c’est bien Sybil, sa meilleure amie, alors elle aura peut être une explication.
Finalement, en arrivant près de la maison, très pensive, je finis par prendre mon courage à deux mains. Je me tourne vers mon amie, la coupant au milieu de la critique sur l’attraper de Poufsouffle.*
« Je viens de me rendre compte que je dois emprunter un bouquin à la bibliothèque pour le cours d’Astronomie. Désolée, je te rejoins à la salle commune, ok ? »
*Je ne lui laisse pas vraiment le temps de répondre, mais elle me salue d’un air perplexe. La timide Rachel qu’elle avait rencontré aurait attendu qu’elle soit à la salle commune, pour ne pas la laisser faire, ne serait-ce que 2 minutes de marche toute seule. Mais cette Rachel-là est, malgré tout, loin derrière moi. J’aurais aimé avoir autant de douceur, d’innocence et d’attention pour les choses aussi insignifiantes. Mais maintenant, je ne pouvais pas m’empêcher de « prioriser » les besoin dans ma tête. Et actuellement, Naomi n’est pas forcément celle qui a le plus besoin d’attention. Elle connaît les couloirs, après tout, et elle était assez grande pour marcher 5 minutes dans les couloirs du château par elle-même.
En avançant, je ralentis le pas. Je n’ai pas vraiment de légitimité à aller à l’infirmerie voir Björn. On ne se connaît pas vraiment, au fond. Et puis, qu’est-ce que j’allais lui dire ? Le match ne regardait même pas Gryffondor, alors je n’avais aucune raison d’être là-bas. Enfin… Presque aucune. Mon esprit se dirige vers Jack, ce petit garçon que j’avais connu au centre, que j’avais bercé et tenté de maintenir sain d’esprit au travers de mes histoires. Si certains avaient été intrigué par Poudlard, par les créatures ou encore par les tâches domestiques que la magie permettait de ne pas faire, Jack, lui, s’était passionné par l’idée de pouvoir voler. Je lui avais parlé des sensations, mais aussi du Quidditch. En y repensant, je pouvais peut être demander à Björn de rencontrer Jack, de lui parler de tout ça, lui montrer, même ? J’avais encore des nouvelles par sa famille adoptive, et quelques mots de son écriture maladroite, environ une fois par mois, et il entrerait à Poudlard quand je n’y serais plus, dans 2 ans. Bon, ce n’était peut être pas le moment d’en parler à Björn, mais je pouvais garder l’idée dans un coin de ma tête, non ?
Oh, hé puis zut, s’il me demande ce que je faisais là, je dirais juste que j’avais mal au crâne et que j’étais venu voir l’infirmière. Il n’avait probablement pas dû me voir, de toute façons, quand il était sur son balais, il avait d’autre chats à fouetter. Alors je reprend ma marche d’un pas plus ferme, plus déterminée, jusqu’à arriver devant les portes de l’infirmerie. Je me mets soudainement à me dire qu’il y aurait peut être quelqu’un, sa soeur ou ses amis. Je me dégonfle un peu, en arrivant, mais trébuche, et me rattrape sur la porte… En provoquant un bruit pas discret du tout. Je me maudis intérieurement, moi et ma maladresse, et inspire un grand coup, pour toquer, et ouvrir la porte. Je passe la tête par cette petite ouverture, et murmure un timide : *
"Hmm… Bonjour ?"
*Bjorn est là, un peu plus loin, sur un lit, et il n’y a personne d’autre. Je soupire, de soulagement, entre et ferme la porte. Je m’approche, et me mords la lèvre.*
« L’infirmière est pas là ? J’ai euh… Mal à la tête. »
*Je le regarde, dans ce lit, avec une pointe -mais vraiment une pointe- d’inquiétude. Je ne peux pas m’empêcher de dire : *
« J’ai entendu dire que tu avais eu un petit accident. Tout va bien ? »
*Mais à peine avais-je fini ma phrase que la porte s’ouvre sur l’infirmière. Oui, c’est logique, à l’infirmerie, on tombe sur les infirmières. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de grimacer. Quand était la dernière fois que j’étais venue, déjà ? Pour le tournoi… J’avais promis de repasser, pour s’assurer que toute ma magie revenait, et que je n’avais pas de problèmes de nausées ou de saignements qui reviendrait -ce qui avait été un peu le cas pendant 3 jours après le tournoi, mais je n’étais pas revenue. Je n’aimais pas spécialement l’idée d’être allongée dans un lit à attendre d’aller mieux… J’avais tellement de choses à faire, et absolument pas le temps de me reposer. Et pourtant, je savais que c’était ce que l’infirmière me demanderait si jamais je la laissais m’ausculter. Elle me voit, là, debout à côté de Björn, et pose les deux mains sur les hanches.*
« Ah, miss White ! Ce n’est pas trop tôt, j’attendais votre visite depuis deux semaines déjà ! Bon, mon garçon, voilà pour toi, ça te soulagera. Je dois aller m’occuper d’un élève qui a fait un petit malaise, mais Miss White, vous restez là ! Ce n’est pas prudent, avec ce qui est arrivé pendant le tournoi… Jeune homme, je compte sur vous pour que empêcher à votre amie de nous filer entre les doigts ! Je reviens aussi vite que possible. »
*Elle pose un flacon sur la table de chevet à côté de Bjorn, et repars aussi vite qu’elle est venu, en me foutant bien la honte : la dernière chose dont j’avais besoin devant Björn. Mais maintenant qu’elle m’avait vu là, elle irait me chercher par la peau des fesses dans ma maison, ou alors ça serait Sybil qui me ramènerait ici à coup de pieds dans les fesses en apprenant que je n’avais pas suivi les demandes d’une infirmière. Alors je m’assieds sur le lit en face de Bjorn en lui lançant un regard qui en dit long. Un petit silence s’installe, je ne sais pas quoi ajouter. Et honnêtement, je ne savais même pas ce que je foutais là. J’étais un peu inquiète pour Björn, mais c’était le capitaine de son équipe, Naomi saurait dès le lendemain ce qu’il en était. Ce n’était pas le genre de chose qui passait innaperçue, ni le genre de personne qui est inconnue. Ce soir, au diner, tout le monde saurait déjà ce qui était arrivé, et la plupart se renseigneront dès que possible pour savoir comme allait le prometteur capitaine des Serpentards. Pourtant, je suis là, il est en face de moi, et après un énième soupir, je brise le silence.*
« No comment. »
*M’étais-je contenter de dire, avant de hausser les épaules, et de soupirer. Bon, de toute façons, j’allais bien. Les effets secondaires du sérum était loin derrière moi, sauf quand j’utilisais beaucoup de magie et de force physique en même temps… Ce qui arrive quand on se retrouve entourée d’une centaine d’araignées géantes qui ont décidé que vous étiez le repas du soir.*
« Notre prochain match est un match amical contre l’équipe de la maison Poufsouffle, » dis-je en guise d’introduction. C’était le dernier entraînement avant ce fameux match contre les jaunes et noirs, l’ultime chance de se perfectionner en prévision de cette rencontre amicale, alors tous les joueurs de l’équipe des verts et argents formaient un cercle face à moi, afin de discuter stratégie et motiver les troupes. C’était un rituel régulier de quelques minutes au début de chaque dernier entraînement avant un match, peu importe la gravité de celui-ci pour notre place dans le classement. Je tentais de transmettre de la motivation, ma motivation, au travers de ma voix. « Même si c’est un match amical, il nous faut nous préparer au mieux. Afin de montrer aux autres équipes qu’on est là, et qu’on est prêts pour la saison qui arrive, et que nous ne sommes pas là pour rigoler, » continuai-je donc sur le même ton en recevant en réponses non-verbales des hochements de têtes affirmatifs et des sourires témoignants d’une envie d’en découdre avec fair-play. Après mes un peu plus de cinq ans de Quidditch, j’avais arrêté de compter le nombre de fois que j’avais affronté les blaireaux entre les deux sets d’anneaux surélevés. Je n’étais même pas sûr d’être capable de noter toutes les fois où nous nous étions croisés sur le terrain. Et au fond, je crois que c’était une information totalement inutile dont tout le monde devait se ficher, moi le premier. Au cours des années et des affrontements, par contre, j’avais pu remarquer un certain style de la part de l’équipe des blaireaux. Un jeu que le capitaine précédent avait légué à Nymphéa Elizabeth Chang, la capitaine actuelle de l’équipe des Poufsouffle. Les jaunes et noirs, en tout cas depuis que je les connaissais, avaient adoptés un style de jeu très défensif, avec des formations très difficile à pénétrer, qui rendait l’approche des buts compliqués. Mais qui se caractérisait également par une grande maîtrise des passes pour tenter de garder la possession du souafle le plus longtemps possible, pour laisser le temps à l’attrapeur de prendre le vif d’or. C’était une stratégie à double tranchant : soit c’était leur attrapeur qui prenait possession du vif, et ils pouvaient l’emporter suivant le nombre de points, soit c’était le nôtre.
« Vous connaissez leur jeu à force, continuai-je sur un ton qui se voulait plus solennel, plus significatif même, vous pouvez donc deviner ce que je vais vous demander de travailler aujourd’hui. On va travailler sur les feintes, les poursuiveurs et moi. Les batteurs, comme d’habitude vous êtes autonomes mais je souhaiterais que vous gardiez votre sérieux. Quant à toi, Tristan, dis-je finalement en me tournant vers notre attrapeur, tu peux t’incruster où tu veux. Ça peut être intéressant d’aider les batteurs en ayant une cible mouvante, mais c’est toi qui vois. »
Ce qui était rafraîchissant pour mes joueurs, et qui m’ôtait tout de même une charge mentale conséquente durant nos entraînements de groupe, c’est que je laissais aux joueurs une assez grande liberté pour qu’ils ne se sentent pas maternés comme des bébés sorciers en maternelle. Ils pouvaient avoir leur mot à dire durant nos exercices, et je crois bien que c’est cette autonomie qui leur permettait de se donner d’autant plus à fond consciemment, de leur pleine volonté. Une personne volontaire sera toujours plus efficace qu’une personne que l’on force. Et un autre avantage de cette méthode, c’est que l’on remarque tout de suite les personnes qui ne sont pas motivées et on peut les diriger vers la sortie. Énormément de jeunes tueraient pour faire partie de l’une des équipes de Quidditch de l’école.
C’est ainsi que l’équipe au complet s’éleva dans les airs pour voltiger dans tous les sens, après que chaque joueur ait enfourné son balais comme un seul homme. Après cette heure et demie de travail, je pouvais affirmer sans crainte que nous avions toutes nos chances contre les blaireaux et que ceux-ci n’avaient qu’à bien se tenir. J’étais fier de chacun d’entre eux, de tous les efforts qu’ils avaient fourni, pas seulement ce jour-là, et de tous les progrès que chacun d’entre eux avait fait depuis leur entrée dans l’équipe. Je pensais notamment à Septima Ombrage, la cadette et ma partenaire d’entraînement en solo également. En l’observant ce jour-là, je savais parfaitement qu’elle avait su apprendre de notre mésaventure avec le relet vif, et qu’elle avait maintenant de nouvelles cordes à son arc en ce qui concerne le slalome en voltige. Et puis, avec sa fougue et sa motivation, il était impossible de deviner son accident et le fait qu’elle s’était cassée le nez. L’infirmière de l’école faisait vraiment toujours des miracles, c’était bien vrai.
Après avoir félicité les verts et argents une dernière fois, nous nous séparâmes, prenant chacun direction vers ses autres obligations ou hobbys. Nous étions prêts en prévision de ce fameux match qui opposerait les équipes de Serpentard et de Poufsouffle.
Le jour du match, je me sentais toujours autant prêt. J’avais déjà bien assez chaud grâce à mes protections et mon gros pull en laine aux couleurs de ma maison, mais je m’étais tout de même affublé de la cape verte de l’équipe. C’était fou à quel point dès que je le pouvais, j’évitais de la mettre, cette fichue cape. Avec ma taille spectaculaire, ce n’était qu’un long bout de tissus encombrant qui tournait et virevoltait dans tous les sens, bien plus jolie que pratique. Nous attendions encore en rang dans le couloir menant au stade depuis les vestiaires, attendant le signal de l’arbitre pour nous faire entrer sur le terrain. Durant ces moments-là, je pouvais dès lors ressentir le déferlement de l’adrénaline dans mes veines. L’excitation montait toujours très rapidement avant les matchs. Déjà dans les vestiaires alors que je leur adressais de derniers mots d’encouragement, je pouvais ressentir les petits fourmillements caractéristiques dans mes mains, qui les ankylosaient presque. C’étaient comme des vibrations qui partaient du bout de mes membres et les traversaient de tout leur long pour remonter par la paume jusqu’au bon de mon coude. Malgré la chaleur que l’on pouvait ressentir dans le couloir, à cause des corps échauffés entassés dans un petit espace et de nos vêtements prêts à affronter les vents du mois de novembre, ces frissons résultants d’un mélange de stress et d’excitation rendaient mes mains toutes blanches et, paradoxalement, mes oreilles toutes rouges. C’était quelque chose sur lequel Freya me charriait quand elle était là pour le constater. Je n’avais même pas besoin de me regarder dans la glace pour observer le phénomène, je reconnaissais parfaitement la sensation qui l’accompagnait, aussi, un petit sourire amusé illumina quelque peu l’expression sérieuse que mon visage avait emprunté depuis que j’avais terminé de m’habiller et qui ne l’avait pas quitté tout le long de mon échauffement. Et plus les minutes passaient, plus j’arrivais à la fin de mes préparations pour pouvoir entrer sur le terrain sereinement, plus mon sang bouillait et plus une envie irrépressible de secouer tout mon corps me faisait trépigner sur place. Je me balançais de droite à gauche jusqu’à ce que Tristan, perdant patience face au manque de la mienne, me demande plus ou moins gentiment de cesser. Je parvins difficilement à contenir mon geste en tapotant du pied sur le sol, petit substitut cathartique.
« Je demande donc un tonnerre d’applaudissements pour les deux équipes venues s’affronter aujourd’hui entre les anneaux ! Les blaireaux de Poufsouffle et les serpents de Serpentard ! » s’écriaient les commentateurs depuis leur tour. C’était ça, le signal. Je pris donc une dernière inspiration, passant une main gantée dans mes cheveux pour remettre en arrière les boucles qui me tombaient sur le front, avant de faire un premier pas dans la lumière. Nous nous mîmes donc en marche vers le centre du terrain, où l'arbitre, la professeur de vol qui enseignait aux premières années les rudiments de la voltige, nous attendait, pour nous faire un rapide rappel des règles et du fair-play, bien que ce n’était pas forcément nécessaire. Mais mieux valait prévenir que guérir, n’est-ce pas ? Après quoi, les quatorze joueurs présents sur l’herbe du terrain, intacte au point où l’on ne pouvait plus deviner l’épisode du relet vif avec Septima et des rayons brûlants qui lui avaient laissé des tâches rouges comme un violent épisode de varicelle, enfourchèrent leurs balais et nous nous élevâmes haut dans les airs jusqu’à atteindre la hauteur des gradins où les spectateurs nous acclamaient déjà. La professeur nous suivit tandis que la plupart de nos coéquipiers et adversaires les plus frimeurs effectuaient déjà quelques figures aériennes pour augmenter l’engouement des spectateurs, le souffle sous un bras et le sifflet dans la même main, et se stabilisa entre les deux équipes. « Une fois de plus, c’est de la solidarité sportive que l’on veut voir aujourd’hui, compris ? » dit-elle en nous détaillant chacun de son regard perçant. Nous hochions tous la tête à des rythmes différents en guise de réponse, nous étions là pour prendre du plaisir mais surtout pour déjà montrer nos qualités et points forts aux supporteurs et habitués des bancs. En parlant des habitués, je balayai du regard les rangées de bancs pour estimer le nombre de personnes qui s’étaient déplacées pour nous voir. Pour un match au mois de novembre, un bon nombre de curieux étaient venus pour nous observer, nombre d’autant plus impressionnant pour un simple match amical. Je repérai aussi les fidèles du premier rang, comme j’aimais à les surnommer dans mon esprit, un groupe hétéroclite de supporteurs qui venait à chaque match de l’année et qui, ce qui leur avaient dû ce surnom amical, s’installait presque toujours au premier rang juste derrière la rambarde. Les meilleures places pour observer toutes les hauteurs du terrain, de jusqu’en bas près du gazon, jusqu’aux points les plus hauts, juste en dessous des nuages. Je ne connaissais pas leurs noms, mais je les reconnaissais toujours à leurs amis aux couleurs “neutres” durant ces matchs. Cette fois-ci, c’est le bleu de quelques Serdaigles et le rouge de deux Gryffondors qui attirèrent mon attention. Je ne connaissais pas réellement leurs noms, juste leurs silhouettes, et pour ceux que j’avais eu la chance d’approcher et d’observer de plus près durant certains affrontement, leurs visages. Enfin c’est ce que je croyais, jusqu’à ce que je reconnaisse Rachel White, alias la dernière personne que j’aurais cru intéressée par le Quidditch. « Mais qu’est-ce qu’elle fiche là ? » laissai-je échapper à haute voix en fronçant les sourcils, réellement surpris par sa présence.
Mais je n’eus pas le loisir de chercher une réponse à ma propre question, car la professeur souffla un bon coup dans son sifflet, émettant un son strident qui résonna sûrement jusqu’aux murs de l’école plus haut sur la colline, pour annoncer le début de la rencontre, me tirant hors de ma stupéfaction. Elle jeta le souafle bien haut en dessus d’elle, se précipitant en même temps vers le bas gazon où elle pourrait nous observer plus facilement sans doute, et les poursuiveurs en position offensive se jetèrent donc sur celui-ci pour tenter de l’attraper et avoir l’avantage pour la première action de ce match. Malheureusement pour nous, ce sont les jaunes et noirs qui parvinrent à nous le subtiliser, mais encore fallait-il qu’ils parviennent à traverser nos défenses. Ce qui ne devait pas être une mince affaire face à trois joueurs et un gardien grand comme une perche. Tiens, c’est de moi dont je parle ! Je me précipitai donc en face des anneaux, tandis que mes camarades poursuiveurs assuraient mes arrières durant cette courte manœuvre. Je fus donc rapidement prêt à cueillir le souafle, mais Septima parvint d’abord à le reprendre et faire une passe rapide à l’un de nos coéquipiers qui put par la suite progresser en direction des buts adverses. Après quelques minutes, nous ouvrons les scores avec un premier but, ce qui provoque une vague d’excitation de la part des supporteurs vêtus de vert et d’argent, qui frappent frénétiquement des pieds sur le bois qui fait un boucan d’enfer autour du terrain. « C’est les Serpentard qui ouvrent le bal, aujourd’hui ! s’égosille le premier commentateur dans son micro. – C’est dommage pour les blaireaux qui font pourtant preuve de beaucoup d’ingéniosité cet après-midi. Malheureusement leurs défenses ne sont peut-être pas suffisantes face à la stratégie toute en offensive qu’adopte les verts aujourd’hui, rétorque son camarade, pour redorer le blason jaune et noir de nos adversaires. – Qui sait, ils ont sûrement de nombreuses surprises en poche, je ne doute pas d’eux ! » termine le premier, trahissant une certaine déception dans sa voix. Mais je finis par décrocher, laissant leurs voix devenir un simple écho de sons inintelligibles à mes oreilles tandis que toute mon attention est focalisée sur trois objets, le souafle et les deux cognards qui nous menacent de temps à autre. Heureusement pour moi, Hestia Carrow et Grigori Dimitrov sont d’excellents batteurs et parviennent à nous éviter de gros coups en se jetant sur les deux démons ronds pour les dévier vers nos adversaires.
Je tiens à dire que je suis très fier des belles occasions que mes camarades ont totalement saisi. Je pense notamment à plusieurs balles interceptées par les poursuiveurs alors que les poufsouffles tentaient de se faire des passes, leur piquant le souafle juste sous leur nez. Je ne suis pas sûr que certains d’entre eux en auraient été capables s’ils n’avaient pas durement travaillé sur leurs slalomes aériens et leur vitesse. Je pense aussi aux puissantes frappes des nos batteurs, Hestia et Grigori, qui ont même parfois donné de l’élan à deux à un cognard pour le jeter sur la gardienne adverse, Sélénya Macmillan, une élève de magizoologie et botanique à l’université, ouvrant les défenses au moment assez opportun, permettant à l’un de nos poursuiveurs de tirer sur les cages et nous rapporter 10 points de plus. J'ai moi-même mis en place de belles stratégies et figures en place durant ce match. Je m’amusais à jouer à un jeu dans le jeu que je surnommais “Tente d’arrêter les balles avec chaque membre de ton corps en ne répétant pas deux fois le même”. C’était un jeu plutôt facile de base, étant ambidextre, et pour y mettre du piment je m’imposai une règle supplémentaire : celle de devoir alterner entre les arrêts avec les mains et les pieds. C’est comme ça que je me retrouvai à repousser certains lancers avec la paille ou le manche de mon balai. Ou encore à donner des coups de tête dans la balle. Oh et aussi de me suspendre au manche de ma monture volante pour frapper la balle avec le pied et faire un tour autour du manche, effectuant ce que l’on appelle un soleil en gymnastique, arrachant des rugissements de la part de nos supporteurs et des gémissements et plaintes de la part de ceux qui étaient venus pour les jaunes et noirs. Tout le long de cette rencontre, notre créativité et notre réactivité nous donnèrent l’avantage face aux Poufsouffle qui restaient des excellents adversaires, des joueurs de taille qui parvenaient à se coordonner parfaitement. Seulement, malgré tous les entraînements du monde et toutes les figures les plus complexes et impressionnantes que nous permettaient nos montures, les accidents pouvaient toujours arriver. Et malheureusement, je fus ce jour-là le malchanceux qui eut un accident.
Toute la scène se déroula très rapidement, les évènements s’enchaînèrent trop vivement pour que je ne puisse les anticiper, ce qui provoqua ma perte, inévitablement.
La première étape, quand les choses ne n’avaient pas encore dégénéré, c’est que je parvins à repousser une tentative de but de la part de la poursuiveuse et capitaine d’équipe Nymphéa Elizabeth Chang. La deuxième étape, la chute du premier domino, étant moi même l’ultime domino de cette suite d'événements, c’est que je ne vis pas le premier cognard assez vite pour l’éviter parfaitement. J’eus beau reculer mon buste rapidement, mon bras gauche qui était encore tendu vers l’avant suite à ma défense, fut frappé au niveau de l’avant-bras, juste avant le coude, ce qui fit tomber mon gant de protection. Ça sentait déjà le roussi à ce niveau-là, mais jamais je n’aurais pu prévoir que c’était la pire chose qui aurait pu m’arriver durant le match, ce matin en me réveillant, tout motivé comme j’étais, car cette protection aurait pu m’éviter la blessure qui suivit, ou l’amoindrir. Bref, quoi qu’il en soit, j’étais déjà perdu à cet instant, car sonné par ce premier contact avec l’un des démons ronds, je ne vis pas le deuxième qui me fonçait dessus, frappé par le deuxième batteur adverse depuis mon dos. La furieuse me prit de plein fouet, entre les deux épaules. Le choc m’arracha un hoquet de surprise, car il venait de vider mes poumons tout en me faisant basculer la tête la première au-dessus de mon balais. Dans un grand plongeon, j’entamai ma chute en direction de l’herbe molle en dessous du terrain, mais pas assez molle pour amortir ma descente. Je m’écrasai lourdement au sol, avec un grand crac provenant de mon bras dévêtu par le premier cognard, et la seule chose que je parvins à entendre par-dessus le bruit sinistre qu’émit mon membre fut mon prénom hurlé par une voix que je reconnaissais, et le soupir de crainte que poussa la foule comme un seul sorcier. On pense souvent que lorsque l’on va chuter de son balai ou se casser quelque chose, et parfois les deux en même temps, on va se mettre à hurler de douleur. Je ne sais pas trop d’où vient cette idée reçue, mais pour moi ce fut tout le contraire. Peut-être était-ce à cause du fait que mon buste était encore traumatisé par le choc du cognard, que je n’avais donc pas encore repris mon souffle lorsque j’atteignis le sol dur. Je restai étalé de mon long au sol, face contre terre, tentant peinement de recouvrer une respiration normale, mais la douleur m’écrasait comme si un incube s’était posé sur mon ventre pour m’étouffer. J’avais certainement le visage égratigné, un gigantesque hématome qui se formait déjà dans mon dos et la nuque traumatisée par le roulé-boulé que j’avais effectué à l’atterrissage, mais la douleur aiguë qui m’arrachait l’avant-bras prenait le pas sur toutes les autres. C’est la respiration encore saccadée, comme si je me noyais, totalement paniqué par le cocktail d’hormones que mon cerveau envoyait dans mon corps pour répondre aux signaux de douleur que je vis mes camarades, mes adversaires et l’arbitre se précipiter à mon chevet pour me porter secours, ayant clairement vu que quelque chose n’allait pas. Je serrai une main sur l’avant bras de la professeur qui m’aida à me redresser, à qui je dus sûrement couper la circulation sanguine avec ma poigne de fer et la taille de ma main. Elle devait sûrement avoir l’habitude car elle ne fut pas perturbée le moins du monde par mon geste et par le fait que je la dépassais de bien une tête. Je m’appuyai fort sur elle et l’un des poursuiveurs de Poufsouffle, déjà un peu plus grand qu’elle, qui avait accouru pour l’aider. Honnêtement, j’avais l’esprit bien trop embrumé pour réfléchir à quoi que ce soit, et je me laissais “porter” en direction de l’infirmerie après avoir jeté un dernier regard en arrière, ce qui était surtout pour contrôler la nausée qui me prenait et qui me donnait terriblement envie de vomir de douleur. Ce mouvement me permit de voir une écharpe rouge au bord du terrain, mais ma vision était bien trop floutée par les larmes que je reprimais pour reconnaître qui que ce soit. Mais je savais que c’était elle, ou en tout cas je m’en rendrais compte plus tard lorsque j’aurais l’esprit bien plus clair et propice à la réflexion.
Je ne me souviens plus trop ce qui s’est passé entre deux, hormis le fait que le chemin entre le terrain et l’infirmerie me parut horriblement long à pieds avec la douleur qui faisait pulser mon bras. L’infirmière m’accueillit en prenant la situation en main d’une main de maître, comme d’habitude. Elle était méthodique. Elle était efficace. Et très rapidement j’étais ainsi dans un lit, le bras gauche en écharpe et le corps détendu par des potions anti-douleur. « D’ici une heure ou deux vous serez à nouveau sur pieds, Mister Shafiq, me prévint la dame sur un ton autoritaire malgré ses gestes d’une douceur sans nom. D’ici-là prenez le temps de vous reposer, le traitement vous a pris beaucoup d’énergie pour accélérer la guérison. » Je trouve à peine la force de marmonner un remerciement avant de m’assoupir comme ça, assis en tailleur et le dos appuyé contre le coussin surélevé. Mon sommeil est très léger, j’ai l’impression d’être bien réveillé tandis que je revois les instants qui précèdent et suivent ma chute en boucle, sous plusieurs angles, comme si mon cerveau avait encore besoin de procéder ce qui venait de se passer. Je ne lui en voulais pas, tout s’était enchaîné si vite, j’avais la sensation qu’un instant j’étais sur mon balais, sur le point de gagner à n’importe quel moment, et que celui d’après j’étais dans ce lit, le corps lourd et la main traversée de fourmillements caractéristiques de la circulation sanguine qui reprenait son cours correctement cette fois-ci. Je suis bientôt sorti de ma torpeur par un bruit lourd contre la porte de l’infirmerie qui me fait sursauter et me redresser très vivement, ce qui m’arrache un grognement de douleur. Maintenant que celle de mon bras commence enfin à me donner du repos, c’est le coup de cognard que j’ai reçu entre les omoplates qui me fait souffrir. Super ! Quelle ne fut pas ma surprise quand c’est la petite tête de Rachel White, que j’étais déjà surpris de voir dans les gradins du terrain, que je vois dépasser de la lourde porte. La lionne soupira et entra après avoir lâché un timide “bonjour” qui rebondit en écho contre les murs de la pièce. « Elle est partie un instant, dis-je pour répondre à sa première question, elle sera bientôt de retour. » J’étais sur le point de répondre à sa deuxième phrase quand l’infirmière revint justement. Quand on parle du loup. La pauvre Rachel se prit un sermon auquel je ne me serais jamais attendu mais qui me permit d’apprendre deux choses : quelque chose était arrivé à Rachel durant la dernière épreuve, et elle avait un problème de santé qui requérait l’attention régulière de l’infirmière. Celle-ci me donna l’ordre de veiller à ce que la gryffondor ne s’en aille pas avant son retour, et je comptais bien la retenir sur place. Je m’avançais lentement, ne m’appuyant que sur mon bras droit, pour m’asseoir sur le bord du lit, en face de l’adolescente, qui me gratifia d’un sec “No comment”. Comme si j’allais me manquer des potentiels problèmes de santé des gens. Je n’étais pas un monstre non plus. « Je sais que je ne suis pas dans la meilleure position pour poser la question mais, tu vas bien ? » lui demandai-je alors. Ce devait être les calmants que je venais d'ingurgiter que la dame venait de m’amener qui me rendait plus mou, mais je n’étais vraiment pas en état de jouer le mauvais rôle à cet instant.
*Le premier cognard heurte son bras, et déjà, quelques cris de panique m’interpelle. Mais au lieu de tourner la tête dans la bonne direction, je regarde Naomi qui vient de crier un « attention ». Attention à qui, à quoi ? Je m’étais tournée dans la direction, juste à temps pour voir le cognard frapper de plein fouet le dos du géant blond. Mon sang ne fait qu’un tour, et ma voix prend le pas sur toutes les autres, qui se contentent d’onomatopée. La mienne est profonde, peu importe le fait qu’elle soit naturellement haute. Elle détonne au milieu des autres. Car ce n’est pas pour le capitaine des Serpentards que ma voix s’inquiète. C’est pour le garçon sous la cape, et sous ce rôle. Je le nierais, si on me le demandait, évidemment, mais au fond de moi, je ne pouvais que… Le nier aussi. Parce que ce n’était « que » Bjorn. Un garçon comme les autres, pas même un ami. Un garçon que j’avais croisé souvent pendant mes premières années, pour la simple et bonne raison que nous aimions traîner dans les mêmes coins. Un garçon qui avait réalisé mon absence, moi qui avait eu cette impression, en arrivant, que mon absence n’avait rien changé dans aucune vie. Sybil, évidemment, m’avait rapidement fait comprendre à quelle point mon absence s’était fait sentir dans son quotidien, et toute son inquiétude. Elle me l’avait déjà transmise lorsque nous nous étions retrouvés, peu après ma sortie de l'hôpital.
Mais je ne saurais pas expliquer pourquoi la sollicitude de Björn, en particulier, m’avait tant touchée. C’était d’ailleurs sûrement cette sollicitude qui m’avait amené ici, dans ces gradins, avec ce froid de canard. Franchement, quelle idée d’organiser des matchs en plein mois de Novembre ? Et quelle mauvaise idée que d’avoir voulu accompagner Naomi ! D’autant plus qu’elle n’était pas toute seule, en réalité. Il y avait, ici, tout un groupe de gens dont je n’avais pas entendu parlé, ou seulement d’une oreille. Je savais que Naomi avait un groupe d’amis aussi passionné qu’elle par le Quidditch, et j’en étais ravie pour elle. Pour ma part, je n’avais qu’un petit groupe d’amies, mais j’avais en elle une confiance totale. Evidemment, je me sentais encore plus proche de Sybil, mais l’ensemble du groupe de 6 était des amis qui ne m’avaient pas quitté depuis la première année.
Toujours est-il que Sybil n’est pas là, et que seule Naomi m’accompagne. Ou plutôt, c’était moi qui l’accompagnait. Et si j’avais passé un très bon moment avant le match, en rencontrant ses proches, j’avais un peu de mal à suivre tout ce qu’il se passait. Je connaissais les règles du Quidditch, bien sûr. En gros, quoi. Je ne suivais pas spécialement ce sport, mais à Poudlard, on ne peut pas échapper au Quidditch. Et il fallait l’admettre, c’était amusant d’être dans la foule, à encourager son équipe avec toute sa maison, en peignant son visage aux couleurs de son camp, hurlant à plein poumons. Faire partie de la foule, d’un groupe, c’était incroyablement excitant. On se sent vivant, là, comme une part d’un tout. Et ce sentiment là, je l’adorais.
Mais aujourd’hui, ce n’était pas franchement pareil. Au début, évidemment, j’avais été incroyablement bien accueillie. Ce n’était pas tous les jours qu’une petite nouvelle rejoignait les rangs de l’équipe, et il semblait bien que l’ensemble du groupe espérait m’enrôler pour de bon, afin d'agrandir leur rang sûrement ? Dans tous les cas, dès que les joueurs avaient pénétré sur le terrain, tout l’intérêt s’était tourné vers eux. En soit, j’étais soulagée. Je detestais être le centre de l’attention, aussi bienveillante cette attention puisse-elle être.
Enfin, dans tous les cas, je tentais de suivre ce match autant que possible. Par moment, Naomi ou Timothy m’expliquait une action, une faute, une stratégie, mais la plupart du temps, ils se contentaient de commenter entre eux. Je ne leur en voulais pas, après tout, eux venaient ici depuis des années, par passion. Je trouvais qu’ils étaient déjà bien aimables de prendre le temps de m’expliquer certaines actions qu’ils jugeaient belles. Les Poufsouffle râlent en voyant les serpentards mener, et les serpentards se vantent de leur équipe, citant les noms des membres de l’équipe. Je ne peux pas m’empêcher que plusieurs noms sont ceux de famille aux sangs-purs. Shafiq, Carrow… Je me demande alors ce que pensent les parents de Björn de tout cela. Je savais que les familles de sang-purs étaient très exigeantes envers leur progéniture, et le blond ne devait pas y échapper. Je savais aussi que sa famille était spécialisée en soin des créatures magiques, les équidés notamment. Sa grande soeur, Freya, me le prouvait régulièrement avec ses vastes connaissances qui me passionnaient un peu plus à chaque cours. Björn devrait-il suivre les pas de sa soeur ? Bien sûr, il appréciait les créatures magiques, comme moi…
Mais là, sur son balais, à faire le pitre, il a l’air épanoui, comme s’il était exactement là où il devrait être. D’ailleurs, ses pitreries m'arrachent quelques sourires discrets, et même quelques roulements d’yeux. Décidément, si moi, je n’aimais pas être au centre de l’attention, lui, se donnait volontiers en spectacle. Et ça lui allait bien, comme rôle. Je me demandais si ses parents avaient déjà vu cela. Le visage de leur fils, parfaitement extatique, joueur, ayant trouvé sa place dans ce monde. Pouvait-on vraiment forcer quelqu’un qui avait ce visage sur un balais à rester les pieds campés sur le sol ?
Je me force à quitter le blond du regard, pour essayer de comprendre le jeu, et pouvoir débriefer avec le groupe, ou au moins, poser des questions sur le match. C’était pour ça que j’étais là, pour m’investir un peu plus dans la passion d’une amie, non ? Et puis, il y a aussi Nymphéa sur le terrain. Elle est le capitaine de l’équipe adverse, et je ne peux pas m’empêcher de vouloir encourager la jeune femme, elle aussi. C’était mon problème dans les sports comme ça : je n’arrivais pas à souhaiter qu’une équipe gagne, si cela signifiait que l’autre devait perdre. Cela faisait forcément des deçus. Bien sûr, pour beaucoup de sportifs, c’était simplement un motif pour s’entraîner plus dur, se dépasser la fois d’après… Mais j’étais ainsi, je me sentais toujours désolée pour les perdants et espérais qu’il n’en soit pas trop attristé.
Enfin, mon regard n’est pas non plus sur Nymphéa, mais sur les attrapeurs, que je suis du regard, impressionnée par leurs acrobaties aériennes, qui me donneraient presque vertiges et tournis. C’est donc bien la voix de Naomi qui me sort de ces observations, mais c’est elle que je regarde d’abord. Ce cognard qui se cogne contre le dos me coupe le souffle, comme si j’avais moi aussi ressenti l’assault de la balle magique qui venait de percuter le capitaine d’équipe qui tombait maintenant vers le sol, de beaucoup trop haut à mes yeux.
Au bord de ce terrain, je reprends mes esprits, et réalise que je me suis donnée en spectacle. J’espérais au moins que Bjorn ne m’avait pas entendu hurler son nom, que les autres voix auraient masqués la mienne, mais je sais que cet espoir risquait forcément d’être deçu. Il devait tout de même avoir bien autre chose en tête. La grimace qui crispe ses traits me fait comprendre toute la douleur qu’il ressent, et je meurs d’envie d’attraper ma baguette et de hurler sur la professeur que l’on ne transporte pas un blessé comme ça. Voulait-elle deplacé l’os qui s’était probablement brisé dans la chute ? Heureusement, la magie faisait des miracles, car avec la medecine moldue, ce genre d’intervention pouvait rallonger de plusieurs semaines le rétablissement du malade.
Non pas que je me sois renseignée sur la medecine du sport en particulier. Mais je devais bien l’admettre : si j’étais intriguée par l’idée de m’orienter dans cette direction depuis mon passage à l’hopital -où je m’étais remise extrêmement vite de mes blessures pourtant pas vraiment bénigne, j’avais véritablement commencé à me renseigner depuis le tournoi.
Observer mes camarades être blessées, et ne pouvoir prodiguer que les gestes de premier secours, sans pouvoir empêcher leur souffrance ou savoir quoi faire véritablement, avait été incroyablement frustrant pour moi. Alors oui, j’avais regardé les premiers gestes à avoir en fonction des blessures. Mais je me voyais mal aller enguirlander la professeure de vol et le joueur de Poufsouffle, surtout que cela n’aurait finalement que peu de repercution à l’avenir… Mais j’avais peur que Björn ait d’autant plus mal pendant le trajet. Un simple petit sort aurait pu le soulager le temps du trajet, mais ce n’était pas ma place. Et puis, par fierté, il n’aurait sûrement pas aimé que je m’en mêle. Alors, déjà, je m’éclipse pour remonter, un peu honteuse, les marches que j’ai dévalé en quatrième vitesse.
Je bénis tous les amis de Naomi qui ne disent pas un mot de mon petit “spectacle”, sans me douter que c’est Naomi -soutenu par Timothy, qui avait dissuadée tout le monde de me poser des questions… Ce qui n’empêcherait pas mon amie d’avoir ces mêmes questions lui brûlant les lèvres tout le long de notre retour.
Sur le chemin, pour ne pas y penser, elle préfère donc me parler du match, des enjeux, des prochains, avec Gryffondor, des points forts des différentes équipes, bref, de tout ce qui lui passe par la tête. Naomi, comme les autres filles du groupe, connaît bien Rachel. Elle est la plus discrète de leur groupe, même si elle avait déjà prouvé plus d’une fois qu’elle avait l’impulsivité et le courage d’une lionne. En tout cas, Rachel ne parle pas beaucoup d’elle, et n’apprécie pas franchement qu’on le fasse. C’est le genre de fille à toujours s’inquieter pour les autres, mais à ne pas apprécier que l’on pose des questions sur elle. Naomi, et les autres, s’y étaient faites, et elles laissaient couler. Mais cette fois, c’est trop surprenant de la part de la jeune femme. Elle a beaucoup changé, depuis son retour, et comment lui en vouloir ? Naomi a parfois l’impression que son amie est devenue très mature très vite, trop vite, et c’est sûrement le cas. Mais se donner en spectacle, comme ça, hurler un prénom, se précipiter au chevet d’un garçon, pour remonter, la queue entre les jambes ? Ca, ça ne lui ressemble pas du tout. Alors, pour éviter de la braquer, Naomi attendra de rentrer dans la maison pour isoler Sybil, et lui demander si elle sait ce qui se passe avec Bjorn Shafiq.-
Pendant ce temps-là, alors que j’avais laissé mon amie repartir seule, je me dirige d’un pas assurée à l’infirmerie… Même si les derniers mètres sont plus hésitants. Remercions néanmoins ma maladresse sans faille, pour avoir booster ma motivation, et surtout, pour m’empêcher de faire marche arrière maintenant. Pourtant, il faudrait bien trouver une excuse pour laquelle je reviendrais sans livre de mon passage à “la bibliothèque”. En attendant, je passe la tête par la porte de l’infirmerie.
Alors que je m’approche, Björn me répond calmement. Il n’a pas le temps de rebondir sur mon excuse bidon -et heureusement, car je sentais le sarcasme arriver de là où j’étais, que l’infirmière pointe le bout de son nez, et me fait un joli petit sermon.
Je me renfrogne, soupire, me mord la lèvre, anxieuse. Que répondre à tout ça ? Mon état de santé est encore fragile, je le sais bien, et tout ce qui était arrivé au tournoi ne m’avait pas aidé à être en grande forme. Je me souvenais encore de la tête de Sybil, malade ce jour-là, qui m’avait vu rentré en mauvais état, et qui m’avait mise au lit en m’interdisant d’en sortir et d’étudier ce soir-là, épaulée par l’ensemble du groupe, qui lui avait raconté notre aventure, ou en tout cas, ce qu’elles en avaient entendu.
De toute façon, je sais que je n’ai pas le choix, alors je m’assieds sur le lit en face de celui de Bjorn, alors qu’il s’est éloigné de la tête du lit d’infirmerie, pour, lui aussi, me faire face. Pendant un instant, aucun de nous ne parle. Nous ne bougeons pas, restons muet, sans bouger. C’est moi qui prend la parole. Comme s’il allait se moquer, dans cette situation. Pourtant, je sais qu’il n’est pas méchant, pas du genre à insister sur les faiblesses ou les choses sur lesquelles on a pas de contrôle… Comme son sang, ou son état de santé.
Je ne m’attends pas vraiment à ce qu’il me moque, même si je dois admettre que j’ai un peu peur d’une réponse cinglante. Pourtant, encore une fois, Björn me surprend. Et sa question, cette fois, me fait monter le rouge aux joues. Et cette fois, il n’est pas dos à moi. Alors je baisse la tête, pour qu’il ne le voit pas trop. Est-ce qu’il était en train de s’inquieter pour moi ? Probablement pas. J’étais juste moi. Il était bien élevé et poli, c’est tout.*
Oui, ça va. j’ai juste utilisé beaucoup d'énergie et de magie face aux acromantules qu’on a croisé au tournoi. Ça a ravivé quelques..
*Je me mords la lèvre. Je ne l’ai pas dit, depuis que je suis arrivée ici après le tournoi, avec Ana. Je ne l’ai même pas dit à Sybil. Mais je redresse mes yeux, d’un azur aussi froid que le ciel d’hiver dans lequel le serpent avait ondulé une heure plus tôt, et termine ma phrase, aussi surprenant que cela puisse être.*
Quelques effets secondaires du sérum du Blood Circle.
*Ce nom mettait mal à l’aise beaucoup de gens. Mais le dire le rendait concret. Le dire rendait la menace concrète. Et je préférais mettre mal à l’aise, mais faire comprendre que la menace était réelle, plutôt que de menager. J’inspire un grand coup. C’est étrangement si simple de dire cela à Bjorn… Mais plutôt que de rester coincée sur un sujet que je n’aime pas -c’est à dire, moi- je lui demande à mon tour : *
Et tu n’as pas répondu à ma question. Comment tu vas, toi ?
J’ai dit que je savais que cela avait été elle, et par elle je veux dire Rachel, que j’avais vu au bord du terrain, quand mon univers entier à ce moment-là n’était plus qu’une douleur nauséeuse qui me prenait à la tête et aux tripes, mais je n’en étais pas sûr. J’en avais la certitude, au fond de moi, mais aucune preuve tangible autre que ce simple sentiment renforcé par une autre certitude, intangible elle aussi, que c’était sa voix que j’avais entendue au-dessus du frisson de crainte qui avait traversé les bancs de spectateurs. J’adorais le Quidditch, ce sport était l’une des raisons qui me poussaient à avancer jour après jour, à me lever chaque matin et à garder espoir malgré l’étau dans lequel mes parents m’avaient bloqué depuis ma naissance. Et puis ce n’était pas la première fois que je me blessais, ni même la première fois que je tombais de mon balai, aussi aucune blessure et aucun des potentiels dommages auxquels ce sport terriblement dangereux pouvait nous exposer dès que l’on enfourchait nos balais pour survoler l’herbe du stade, pour rien au monde, ne m’aurait fait arrêter le Quidditch. Je me sentais si libre, virevoltant dans l’ovale formé par les rangées de gradins en bois, si puissant, presque invincible. Mais tel Achille, j’étais tombé, le cognard étant la flèche qui vint se planter dans mon talon, ou plutôt mon dos. Et à la suite de quoi c’est comme Icare, fils de Dédale tentant de s’échapper de son fameux labyrinthe, que je tombai. J’aimais à croire qu’il avait chuté à cause de son orgueil, son envie d’atteindre le soleil bien trop folle pour être raisonnable, et ce fut un peu mon cas aujourd’hui : c’est à cause de mes pitreries et de mon manque d’attention, symptômes de ma complaisance, que je m’échouais lourdement dans un craquement, comme les vagues s’écrasent sur le sable faisant éclater l’écume qui pétille encore quelque secondes après l’impacte. Au fond, même si j’avais la sensation grisante d’être invincible, il n’en était rien.
Etant une personne capable de lire le langage non-verbal des autres, plus par survie que par réel intérêt, ce fut extrêmement rassurant de voir les personnes me prenant en charge, et prenant en charge la situation, garder leur sang-froid, être flegmatiques. Bien que j’étais trop sonné par la douleur et encore trop paniqué par le traumatisme que mes poumons avaient subi, ce qui aurait peut être mené d’autres à s’enfermer dans leur coquille comme des bernard-l’hermite, ça m’avait paradoxalement ouvert d’autant plus. Au plus bas, dans ce moment de faiblesse physique et mentale, j’étais devenu une véritable éponge, m’appropriant la peur que les autres pouvaient me transmettre en plus de celle qui me secouait déjà. Maintenant que j’avais les idées claires, je ne parvenais toujours pas à me souvenir du trajet entre le bas de la vallée et l’infirmerie à l'intérieur de l’école. Cela avait sûrement à voir avec le fait que j’avais marché à l’aveuglette, les yeux clos dans une grimace qui laissait parfaitement transparaître ma douleur. C’était marrant quand même, à quel point le cerveau parvenait si facilement à oublier l’intensité de la douleur que pouvait provoquer certaines blessures.
Bon, j’ai déjà dit que je m’étais déjà blessé par le passé, pas seulement en sport par ailleurs, mais je n’ai pas encore expliqué dans quelles circonstances. Premièrement, j’avais déjà passé plusieurs semaines avec une minerve car je m’étais bien traumatisé la nuque en tombant. C’était une chute stupide d’ailleurs. Je devais avoir huit ou neuf ans, dans tous les cas je n’étais pas encore entré à Poudlard et c’était durant les vacances d’été. J’étais tombé du cheval que je montais à cru car celui-ci s’était arrêté net à cause de Magnus, mon frère aîné, qui avait eu la brillante idée de vouloir nous surprendre. Par chance, aucun de ses sabots ne m’écrasa un membre, la bête trépignant ensuite de peur sur place. Mon cher grand frère fut sévèrement grondé après cet épisode, et je crois bien que cela contribua un peu à renforcer cette image qu’il formait déjà de moi du petit enfant parfait qui souhaitait plaire aux parents à tout prix. Avec le recul, je ne lui en veux pas, j’étais encore comme ça. J’étais encore endoctriné, traumatisé sans en avoir conscience, et bien loin d’être capable de me rendre compte de toutes les perfidies et pratiques malsains que certains adultes et parents peuvent mettre en place pour s’assurer que les générations futures rejoignent bien leurs rangs. Même aujourd’hui, je n’avais pas encore conscience des traumatismes et cicatrices que cela laisserait sur mon esprit. Bref, continuons sur le chemin tortueux des blessures qui m’ont le plus marqué. La deuxième qui me vient en tête, c’est la première que je me suis faite en jouant à un entraînement de Quidditch. J’étais en deuxième année, je venais fraîchement de fêter mes 13 ans et, au passage, de rejoindre l’équipe des verts et argents. Ce n’était pas un entraînement particulièrement rude, mais comme je l’ai déjà dit plus tôt, il suffit d’une seconde d’inattention, ou d’un geste moins maîtrisé. On devait être en fin de session, je commençais à fatiguer. Il faut imaginer un Björn de douze piges fiché sur son balais volant juste devant les anneaux, dans le froid de décembre, avec son petit bonnet vert couvrant ses oreilles, le bout du nez rougi par le vent d’hiver (celui qui chante perd un point). Si je me souviens bien, je devais mesurer dans les un mètre soixante à l’époque, j’avais donc déjà dépassé Freya en taille. Encore une fois, un accident stupide : je ne maintins pas correctement ma main en retenant un tir de souafle, et c’est mon poignet qui encaissa le choc. Ce n’était rien de bien grave, une broutille, soignée en moins de vingt-quatre heures. Mais il était vrai que cela marquait les esprits, une première fois. Premier accident, première blessure, premier passage à l’infirmerie. La pauvre infirmière se doutait sûrement déjà qu’elle me verrait plusieurs fois durant toute ma scolarité. Le Quidditch c’était vachement dangereux en réalité, c’est ce que me confia la capitaine de l’époque, qui m’avait accompagné car je ne m’étais encore jamais rendu à l’infirmerie. Elle m’avait demandé si j’étais toujours motivé à me donner à fond dans ce jeu, si cela ne m’avait pas refroidi quand à l’avenir que j’envisageais dans ce sport. « Et puis quoi encore ? » lui avais-je répondu. Et je le répéterais aujourd’hui aussi si on me reposait la question après m’être cassé le bras. Pourquoi les aléas de la vie, les risques que j’avais pleinement accepté en l’approchant pour rejoindre l’équipe, m’auraient fait reculer ? J’avais bien eu le temps de reculer à pleins d’autres occasions avant cela. Entre le moment où je lui avais parlé et le moment où je tentais ma chance au recrutement ; ou encore entre les essais durant le recrutement et le premier entraînement. Malgré ces risques, le verso de la même pièce, je ne m’étais pas reculé, je ne m’étais pas dégonflé. Je voulais y aller jusqu’au bout, atteindre cet objectif que je m’étais fixé : devenir un super joueur de Quidditch. Et si cela n’était pas assez à mon goût, si la suite était à ma portée, devenir le meilleur joueur de Quidditch de ma génération. J’étais déterminé, j’étais borné, et cela n’avait pas que des mauvais côtés.
La troisième blessure la plus mémorable de ma vie jusqu’à présent était donc le bras, enfin l’os que je venais de me briser. En parlant de celui-ci, l’os rompu m’avait fait souffrir le martyr. Je pouvais sentir mon sang pulser dans mon avant-bras au rythme des battements de mon cœur, encore pressé comme si je venais de courir un marathon, la sensation m’avait évoqué une image semblable à un deuxième cœur logé dans mon membre, prêt à éclater à chacune de mes respirations. Même à présent que j’étais assis sur le rebord du lit de l’infirmerie, après avoir ingéré plusieurs potions pour atténuer ma douleur et pour en accélérer la guérison, mon avant-bras était toujours lourd, telle une pierre, un morceau de granit. A moins que ce ne soit un morceau d’or pur, immobilisé, une malédiction semblable au toucher du roi Midas. Face à moi, Rachel White gardait le visage baissé, et même avachis comme je l’étais, ma stature plus imposante que la sienne m’empêchait de discerner l’expression qui ornait son visage penché. Elle répond finalement à ma question, quelque peu interdite malgré tout. Sa phrase s’éteint dans sa gorge avant qu’elle ne parviennent à la conclure, comme emporté dans son souffle dans un dernier emprunt légèrement plus aigu. Je suis suspendu à ses lèvres, jusqu’au point où j’enferme ma dernière inspiration dans mes poumons afin de me rendre le plus silencieux au monde, prêt à boire les paroles qu’elle a tu dans un premier temps. Je suis prêt à disparaître, à ce qu’elle oublie même jusqu’à mon existence si ça lui donnerait le courage nécessaire à terminer cette phrase suspendue dans l’air entre nous deux, si palpable qu’il serait presque possible pour moi de tendre la main pour la saisir.
Puis elle le dit enfin, elle avoue du bout des lèvres ce fardeau qui pèse sur ses épaules depuis des mois, depuis son retour, depuis sa survie. Ce fardeau se transfère de son dos à l’air de la pièce entière, à moins que ce ne soit juste mes épaules déjà bien penchées sur lesquelles il vient se poser, afin de l’aider à supporter cette charge qui l’accable depuis déjà trop longtemps. Il était vrai que nous n’étions plus en sécurité, en haut de nos tours d’ivoire magiques, protégés par ce sentiment de supériorité que nous procurait le fait d’être sorciers. La vérité était bien plus cruelle à présent, les moldus savaient pour notre existence, et certains d’entre eux étaient assez cruels pour se lancer dans une véritable nouvelle chasse aux sorcières, nous réduisant à l’état de vermine. Cette réalité brutale me frappait de temps à autre, et elle venait de le refaire face aux paroles de la lionne. Mais que pouvais-je faire d’autre à part serrer les dents et lutter pour ignorer le sentiment d’impuissance qui assaillait ma poitrine, comme si on venait de me jeter un seau d’eau glacé au visage ? Rien. Je ne pouvais qu’imaginer, et ça n’atteindrait sûrement jamais l’inouïe violence de la réalité, tous les traitements que ma camarade avait dû subir, en serrant la mâchoire comme je le faisais maintenant. Les longs doigts puissants de ma main droite se crispaient autour de ma jambe, juste au-dessus du genou, pour sublimer le désir ardent de violence que je ne pouvais pas combler, cette soif de vengeance qui n’était pas épenchable. Je n’étais pas mal à l’aise, ce n’était pas la bonne expression, non. J’étais bouillonnant de colère, oui, ou même indigné. Ce sentiment de savoir que des personnes vous veulent du mal pour des choses qui vous décrivent dans votre essence et que vous n’avez pas choisi, voilà quelque chose de bien difficile à décrire avec sobriété. Mais ce sentiment laissa rapidement place à de l’inquiétude. J’aurais voulu l’assaillir de questions, afin de lever les bagages de non-dits qu’elle devait tirer derrière elle, mais ce n’était pas ma place. Après tout, je n’étais que Björn. Juste Björn, le mec qui la harcelait depuis son arrivée à Poudlard, depuis son entrée dans la maison rivale. Je n’avais donc aucun droit de lui poser toutes ces questions. Et ce n’était pas mon rôle que d’en écouter les réponses. Qui aurait voulu se rendre encore plus vulnérable devant la personne la plus à même d’utiliser ses plus grandes failles contre soi ? Personne, et Rachel n’était sûrement pas assez stupide pour faire une chose aussi stupide.
Oh Rachel … Celle qui s’inquiétait plus pour les autres que pour elle-même, la Rachel douce et innocente que ses amies devaient adorer pour sa capacité à oublier ses propres besoins. Ce qu’elle faisait à nouveau à cet instant, en me demandant comment moi je me sentais. Je ne lui jetais pas la première pierre, après tout, c’était moi le grand blessé du jour. Honnêtement ? Je ne savais pas vraiment quoi répondre, enfin surtout, comment répondre. Je n’avais pas la force de remettre le masque de sarcasme et d’assurance que j’empruntais habituellement en face d’elle, le cerveau encore embrumé par les antalgiques. Je passais ma main valide dans mes cheveux pour écarter les boucles qui me chatouillaient le front en soupirant. « Je me suis déjà blessé par le passé, je sais que ça va aller mieux, physiquement je veux dire. Mais je ne sais pas, je laissai ma phrase en suspens un instant, à la recherche des mots justes pour décrire ce que je ressentais. Je suis un peu déçu et fier de moi en même temps. J’ai très bien joué … jusqu’à cet imprévu. »
Voilà ce qu’était un bras cassé durant un match de Quidditch, ou autrement dit un os cassé dans le monde des sorciers : un imprévu. Un simple inconvénient, une erreur de parcours, rien de plus. Enfin, ce n’était pas tout à fait juste. C’était le cas pour ceux qui pouvaient se le permettre, pour ceux qui étaient assez talentueux pour les faire oublier grâce à leurs moments de gloire. Et je n’étais pas sûr de faire partie de cette élite. A cet instant, le doute me rongeait, comme une main glacée autour de mon cœur : avais-je vraiment été assez bon ? aussi bon que je le prétendait ? Mais je ne pouvais pas laisser ce doute paraître, même dans un moment d’aussi grande faiblesse. Non, ce sport était l’une de mes rares certitudes, une porte garantie vers un petit bonheur. Alors je plaquai un sourire satisfait sur mon visage, prétendre aiderait à me convaincre, à balayer ces doutes dans un placard.
« Mais je crois bien que les potions me montent à la tête, » ajoutai-je avec un soupir rieur en venant pincer l'arête de mon nez, les paupières fermées avec force pour tenter de recouvrer mes esprits et reprendre le dessus sur les effets secondaires.
Ce court moment de silence me permet de me souvenir de ce que j’avais cru voir, et cru entendre. Et des questions que je pouvais poser. « Tu étais là, au match, non ? » Ma question sonne faux, ce n’en est pas vraiment une. Mais je la pose ainsi pour lui laisser l’occasion de démentir, par fierté ou par lâcheté.
*Certaines choses sont plus difficiles à admettre que d’autres. Certains souvenirs sont si douloureux que votre cerveau s’arrange pour les faire disparaître, comme ce court trajet pour Björn. La douleur, probablement, affecte votre intellect au moins autant que votre corps, votre cœur et votre âme.
Les mois, enfermée dans cet immense manoir, avaient été terriblement longs. Et pourtant, parfois, les souvenirs me faisaient défaut. Je me souvenais bien plus de ces longs moments d’attentes dans l’espèce de dortoir, avec la petite dizaine d’enfants que nous étions, que les sens où cet homme s’amusait à tester les limites de mon corps, dans un but que j’ignorais, mais que je devinais.
Avant ce jour, j’avais toujours eu la possibilité d’user de ma magie. C’était interdit, en dehors de Poudlard, mais j’estimais que le ministère ne m’en voudrait pas d’user de mes pouvoirs pour soulager la douleur d’enfants torturés par le blood circle, aussi limité cela puisse être. Impossible, sans connaissance et sans baguette, de soigner parfaitement les plaies. Mais la magie permettait au moins d'atténuer la douleur et la blessure, petit à petit, plus rapidement que par la simple action du corps.
Mais dès que cette aiguille avait pénétré ma chaire, je ne m’étais plus sentie moi-même pendant des mois. J’avais réalisé, non seulement à quel point la magie était utile, mais aussi et surtout qu’elle était une part de moi. La meilleure part de moi, sûrement. Sans elle, j’avais eu l’impression de ne plus rien valoir. Sans Dean, mon propre esprit aurait probablement coulé pour plusieurs jours, même si la présence des autres m'aurait sûrement aidé à reprendre mes esprits. Après tout, là bas, ce n’était pas pour moi que je m’étais battue, à ma façon, à mon échelle. Quand j’étais seule, dans des conditions peut être similaires, j’avais fini par perdre l’espoir et l’envie de me battre. Quoique, les choses étaient différentes. J’avais encore ma magie, et l'organisation était presque inexistante. Au centre, on m’avait privé de cette part de moi, et tout était minutieusement organisé, peut-être même fait pour nous briser, autant magiquement, que physiquement et psychologiquement. Mais dans ce sous-sol humide et froid, le regard de ceux qui m’avaient donné la vie, la regardant me quitter sans rien faire, avait été beaucoup trop dure à supporter.
Étonnement, si les séances de torture de l’homme au teint basannés dont le nom m’échappait étaient flous, l’exact instant où la croix s’était gravé sur ma peau, au creux de ma poitrine, résonnait encore dans mes pensées et dans mes songes. C’était l’une des visions les plus récurrentes de mes cauchemars.
Perdre ma magie avait été la pire chose qui m’était arrivée. Même si je ne pouvais pas m’empêcher, encore et toujours, de revenir à cette même inquiétude sur le fait de prendre la vie. Néanmoins, je savais aussi que la magie était loin d’être nécessaire pour prendre des vies. Oh, les moldus arrivaient très bien à s’entretuer, eux aussi, sans user de sortilèges interdits. Chaque chose avait son pendant sombre. Il suffisait simplement de ne pas y tomber.
J’aurais pu désirer la vengeance. J’aurais pu chercher à détruire les moldus, le Blood Circle, vouloir leur apprendre par la force à respecter la vie. J’aurais pu chercher à traquer ces hommes et ces femmes, dont le visage m’était connu, qui avaient, pour certains, pris un malin plaisir à me balancer dans une cellule pleine d’enfants, couverte de plaie et de mon propre sang. J’aurais pu traquer cet homme, dont les traits étaient clairement marqué dans mon esprit, comme il avait marqué mon corps, prendre un malin plaisir à user de la magie pour le torturer, avant de l’achever, discrètement, lentement mais sûrement, à coup de flamme ou de tout autre sortilège. Je n’avais même pas besoin de force ou d’endurance puisque j’avais la magie.
J’aurais pu, mais à quoi bon ? Qu’est-ce que la vengeance m'amènerait si ce n’est de devenir un monstre, à leur image ? Prendre des vies, blessés, ce n’était pas moi. Martin Luther King avait dit que "l'obscurité ne peut pas chasser l'obscurité : seule la lumière le peut . La haine ne peut pas chasser la haine : seul l'amour peut faire.” C’était, pour moi, si vrai. On ne peut lutter contre la haine et la peur avec plus de haine et plus de peur. C’était idéaliste, sûrement. Mais c’était ainsi que je voulais être. Moi qui m’en voulait tant d’avoir pris la vie d’acromantules qui voulaient me dévorer, comment aurais-je pu ne serait-ce que survivre dans les méandres et la tourmente de la vengeance ?
C’est difficile à prononcer, pourtant. Sûrement parce que je déteste que l’on s’apitoie sur mon sort, ou encore que l’on se penche trop sur mes faiblesses. Je n’aimais pas franchement être la “pauvre petite” que l’on avait pourtant décrit dans les couloirs de l'hôpital ou pendant un sommeil léger. Ce sont aussi de nombreux souvenirs douloureux qui sont ravivés par cette simple pensée, par de simples mots. Le visage de Dean me revient, et je me souviens que je suis celle qui a survécu. Et je n’étais pas certaine de savoir pourquoi. Pourquoi moi plus que lui ? Il était pourtant bien plus costaud que moi, des épaules plus larges, une carrure d’homme malgré son jeune âge. Il n’atteindrait pourtant jamais sa taille adulte. En relevant le regard, je ne peux m’empêcher d’observer la carrure du blond devant moi. Björn était immense, ce n’était un secret pour personne. Il avait aussi pris en épaule, entre le 5ème et la 7ème année. Était-ce moi, où sa voix était aussi plus grave qu’avant ? Avait-il mué avant que je ne disparaisse ? Je ne m’en souvenais même plus.
De ses larges épaules se devinent ses bras dont les muscles saillants sont étonnement contractés. Celui de gauche probablement de douleur. Mais celui de droite, lui, est crispé, et je le suis du regard pour tomber sur cette main, qui serre fort sa cuisse au-dessus du genou. Je relève les yeux vers son visage, naïvement, et constate en silence que ses traits sont très légèrement crispés. Il me semble lire, dans ces yeux clairs, une colère sourde. Mais elle n’est pas dirigée contre moi. Presqu’au contraire. Elle semble dirigée vers ceux qui m’ont fait ce que je lui ai avoué à demi-mot.
Si, en 4ème année, on m’avait montré cette scène, je n’y aurais pas cru. Nous sommes là, face à face dans cette infirmerie, seuls, nos regards ancrés dans l'autre, sans qu’un mot plus haut que l’autre ne quittent nos lippes. Nous sommes calmes, inquiets l’un pour l’autre. Était-ce la naissance d’une amitié improbable ? Cette idée m’arrache un sourire léger, avant de lui demander comment lui se sent. Après tout, moi, ce n’était que quelques répercussions d'événements déjà lointains. Son bras s’était brisé dans l’après-midi, c’était on ne peut plus récent.
Une moue s’affiche sur mon visage quand il me confie qu’il sait que les choses iront mieux. Cela signifie donc qu’elles ne sont pas forcément biens. En même temps, à quoi est-ce que je m’attendais, franchement ? Un bras cassé, dans le monde magique, c’était vite réparé, oui. Mais ce n’en était pas moins douloureux.
Il laisse sa phrase en suspens, et je l’écoute d’une oreille attentive. C’était ce que j’étais toujours pour tous mes proches. On me disait toujours qu’il était agréable de me parler, que je “savais écouter”. Je n’avais pourtant jamais eu l’impression qu’il s’agissait d’une capacité particulièrement impressionnante. Tout le monde pouvait écouter paisiblement les autres avec inquiétude. Je m'inquiétais sûrement peut-être un peu plus pour les autres que la moyenne. Ma sensibilité et mon empathie me forcent presque à écouter, à attendre ses paroles, presque avec anxiété.
Mais je suis soulagée qu’il soit tout de même fier de lui et de son jeu. Je n’y connaissais pas grand-chose, mais mes camarades et nouveaux amis semblaient être de son avis, et je n’avais aucune raison d’en douter. Alors, je m’apprête à répliquer, quand un sourire se plaque sur ses lèvres, il soupire un peu rieur et pince l’arrête de son nez. Soudainement, mon cœur semble manquer un battement, et je déglutis. Björn avait-il toujours eu un tel sourire et d’aussi grands yeux expressifs ?
Je fronce les sourcils une seconde. Était-ce maintenant que mes hormones décidaient de me réveiller, à 17 ans ? Cela faisait deux ans qu’une partie de mes amies discutaient régulièrement de garçon, et que tout cela me laissait parfaitement de marbre. Bien sûr, il y avait bien quelques garçons que je trouvais beaux. Mais je trouvais aussi beaucoup de filles très jolies, et ça ne voulait rien dire. Mais non, j’avais dû rêver, ou faire un micro-malaise, cette explication là me paraissait mille fois plus probable et logique.
Pourtant, le temps que je me ressaisisse, Björn me pose une question. Celle-là, je ne l’avais pas vu venir. Non mais franchement, il n’avait pas autre chose à regarder, en jouant, que les personnes qui étaient présentes dans les gradins ? Je pouvais mentir. De toute façons, engoncée dans mon écharpe, ma cape et mon bonnet, ça aurait pu être n’importe quelle Gryffondor de ma stature. Mais je ne sais pas mentir. Et il n’y avait pas de raison de mentir, de toute façon, pas vrai ? Alors j’inspire un grand coup, et hoche la tête, en me pinçant la lèvre d’un air un peu coupable.*
Je euh… Oui. Mon amie Naomi est passionnée de Quidditch, je… J’étais curieuse. Je me suis rendue compte que je n’y connaissais pas grand chose, en réalité.
*Je me pince les lèvres. C’était vrai, aussi, que j’avais réalisé cela, en échangeant des lettres avec Jack. Mais était-ce le moment d’en parler ? C’était une bonne excuse, non ? De toute façons, il faudrait se lancer un jour, et il n’y avait probablement pas de moment plus propice que celui-là. Après tout, ce n’était tout de même pas tous les jours que je me retrouvais face à Björn, à parler de ce sport que je ne connaissais pas plus que ça.*
En fait, il y a un garçon avec qui j’échange souvent des lettres. Il… Il était avec moi là-bas. Je leur parlais de la magie, et ce garçon, Jack, s’est pris de passion pour les récits de vol. Il m’a fait promettre d’aller voir les matchs pour lui en parler. Il n’a que 9 ans, alors il n’en a jamais vu. Peut être qu’un jour, si tu as le temps, et envie… Enfin… J’me disais… Je connais pas d’autres bon joueurs de Quidditch. Enfin, quand je dis “connaître”, tu vois ce que je veux dire. Voilà. Hmm. C’était peut être le moment idéal mais euh… Si tu veux pas, tu peux me dire non, hein. Juste… Voilà.
*Je m’embrouille, m'emmêle les pinceaux, parle trop et raconte un peu n’importe quoi. C’est étrange, comme requête. Et à vrai dire, en prime, je n’ai rien dit, vraiment. Rien demandé. Je m’en rends compte, mais j’ai déjà arrêté de parler trop longtemps pour recommencer. Trop embarrassée par ma demande sans queue ni tête, je me lève brusquement, et tente de m’échapper en bafouillant.*
Euh, je viens de me rappeler que j’avais… Un truc à faire, là, maintenant. Tu diras à l’infirmière que je reviendrai demain.
*La tête baissée, j’enclenche un mouvement. Mais franchement, de quoi j’avais l’air, à paniquer comme ça, comme une idiote ? C’est vraiment stupide. Il m’a vu à un match de Quidditch, ça ne veut rien dire. Il y avait plein de monde à ce match. Enfin, plein. Il y avait un peu de monde, quoi. Et c’était vrai, j’étais venue avec Naomi ? C’était idiot. C'était Björn, juste Björn. Était-ce l’idée de devenir amis après tant de différends qui me gênait ? Probablement. Björn et moi ne jouions pas dans la même cours, après tout. Je savais bien ce que les sang-purs diraient de tout cela. C’était inapproprié, ne serait-ce que de lui parler comme ça, mais plus encore de lui demander un service. Alors, même si ça ne me ressemble pas, je m’échappe. Je m’enfuis, parce que c’est le plus simple à faire, et surtout, parce que c’est la seule solution que j’ai en tête à cet instant.*
Alors que la lionne répondait à ma question, posée presque avec insolence car je connaissais la réponse, un sourire s’étirait gentiment sur mon visage. Nous étions en quelque sorte de retour dans nos luttes de pouvoir, tels des gamins sur des châteaux de sable, des bambins ennemis, se croyant puissants alors que nous n’étions que des moucherons, des petites puces qui se battaient pour avoir ne serait-ce qu’un léger avantage sur l’autre. Elle avait l’air décontenancée par ma question, j’avais pris l’avantage à nouveau. Cette perspective me réjouissait, je parviendrais peut-être à la faire sortir de ses gonds pour une fois, alors même que je n’étais pas vraiment en état de me battre. A moins que ce ne soit que le récit auquel je souhaitais croire consciemment, alors qu’en réalité c’était une dynamique que nous avions adoptée depuis longtemps et qui me permettait, à ma manière, d’en apprendre plus sur elle, de poser des questions insolentes donc. La brune avouait son ignorance dans l’un des domaines qui me passionnait le plus. Cela m’arracha une moue compatissante, il était vrai que le Quidditch n’était pas un sport très facile de prime abord. Un peu comme le football, dont des sangs-mêlés et nés-moldus avaient tenté de m’expliquer les règles et que je n’avais, même après toute la bonne volonté du monde, fini par ne pas comprendre entièrement. Mais qu’était-ce qu’un hors jeu et un corner, bon sang ?
— En réalité, ce n’est pas si compliqué, les fidèles du premier rang t’ont sûrement très bien expliqué les actions du match, répondis-je en repinçant ensuite les lèvres comme elle par mimétisme mais aussi, et surtout, par compassion.
Mais mon sourire reparut bien vite à cause de la mention du surnom que je donnais aux habitués des tournois, les plus passionnés des sorciers qui ne décollaient pourtant pas du sol, afin d’apprécier ce sport à leur manière, et à sa juste valeur. Ce n’est qu’après les avoir nommés ainsi que je me rendis compte que Rachel ne devait pas nécessairement comprendre de qui je parlais, connaissant ces personnes par leurs prénoms, étant assise avec eux tout le long du match. Mais je ne notai pas cela à voix haute, je ne voulais pas pointer du doigt ma propre ignorance. Cependant durant ma remarque positive, la jeune lionne ne m’écoutait pas vraiment, semblant distraite par quelque chose qu’elle souhaitait dire. Elle resta donc là quelques longues secondes à attendre le moment opportun pour me poser une question, et je laissai cette occasion s’offrir à elle par mon silence. Puis elle se mit à bafouiller devant moi, me contant une histoire à laquelle j’eus de la peine à remettre les événements dans l’ordre. Je fus le témoin de la descente de sa voix jusqu’à s’éteindre à cause de la confusion qui régnait dans son esprit et dans les muscles de sa langue à cet instant. Au final je n’avais même pas compris sa question, s’il y en avait bien eu une au milieu de toutes ces paroles confuses. Mais elle ne me laissa même pas l’occasion de lui demander de m’éclairer, se redressant déjà pour s’enfuir. Oh oh ! Je ne parvenais donc pas à l’énerver mais elle fuyait, rouge comme une pivoine, sûrement gênée par sa propre incapacité à faire usage de clarté à ce moment-là.
Mais seulement, même si elle pensait pouvoir fuir cette gêne qui l’envahissait à cet instant, il en était rien : l’infirmière m’avait donné pour mission de la garder ici jusqu’à son retour, et je comptais bien ne pas la décevoir. Ma main valide et immense se posa vivement sur son épaule alors qu’elle se tenait debout face à moi, paraissant d’autant plus grande en recouvrant l’entièreté de sa frêle épaule. Nous restâmes ainsi quelques longues secondes, le regard plongé dans celui de l’autre, jusqu’à ce que je me rende compte que je devais justifier ce geste, l’intention derrière. Mais je n’étais pas comme Rachel, du genre à me laisser avoir par la gêne et m’exprimer de manière confuse.
– Je ne crois pas, non. La dame m’a demandé de te garder ici jusqu’à son retour, et j’y compte bien, mademoiselle.
Je mis l’accent sur ce dernier mot, mais sans être moqueur pour autant, plutôt accusatif. Puis je la repoussai, sans oser réellement mettre de ma force en comptant sur sa docilité, afin qu’elle se rassoit sur le lit en face de moi.
– Reprend ton souffle, calme-toi, et recommence je te prie, lui ordonnai-je. Tu as piqué ma curiosité.
Ma voix se fit plus calme, posée, dans ma requête, mais pas autoritaire ni suppliante. Assez ferme pour lui faire comprendre qu’elle ne pouvait trouver aucun argument assez fort pour me faire changer d’avis et lui permettre de fuir. Aussi, je lui demandais de reformuler plus clairement sa requête afin de changer de sujet, l’empêcher de parler de son envie de fuite, l'ancrer dans le lieu et la conversation à nouveau. Elle n’allait pas pouvoir partir avant un moment alors autant qu’elle trompe le cours du temps en continuant de discuter.
Comme tout le monde j'ai mes défauts J'ai pas toujours les mots qu'il faut Mais si tu lis entre les lignes
Tout ce que je n'ai pas su te dire
Tout ce que je n'ai pas osé te dire
Tu trouveras Mes blessures et mes faiblesses Celles que j'avoue qu'à demi-mot
*Le Quidditch est un sport compliqué. Au moins, dans les sports moldus, il y avait rarement plus d’une balle. Dans le quidditch, il y en avait trois, enfin, trois types, et quatre en jeu. Essayer de suivre tout ce qui se passait sur un terrain de Quidditch -qui, en prime, était en quatre dimensions au lieu de trois, c’était presque impossible pour moi. D’autant que tout allait si vite…
Björn compatit, alors que, pour lui, c’était probablement évident. Comme le dessin pour moi. Au début, lorsque l’on m’avait demandé comment je pouvais voir autant de détails, je m’étais retrouvée comme une idiote. Comment expliquer ce qui se trouvait sous mes yeux mais que les autres ne voyaient pas ? J’avais réalisé que ce qui m’était évident ne l’était pas pour tout le monde. Et pour Björn, je ne doutais pas que ce sport, sa passion à lui, était évident.
Je me contente de hocher la tête à son affirmation : il a bien raison. Naomi et Timothy m'avaient bien expliqué tout ce que je ne comprenais pas, même si je n’avais pas tout retenu, tant il y avait de détail. Mais pourtant, je n’en reste pas moins gênée qu’il m’ait vu. En réalité, je me demande aussi comment et pourquoi il m’a repéré dans la foule. Mais je ne suis pas sûre de vouloir avoir la réponse à cette question. Ce comportement là me perturbe : je ne me donnais jamais autant en spectacle. En général, quand j’avais quelque chose à dire, ou même que j’avais mes craintes, je me contentais de rester en arrière. Il n’y avait guère que dans des situations un peu dangereuses que je prenais mon courage à deux mains et changeais du tout au tout, prenant sur moi ce que je refusais d’observer mes camarades subir. Souffrir me paraissait moins pénible que de voir les autres être blessés, ou pire…
Mais Björn n’avait jamais vraiment été en danger. Un bras cassé, un énorme hématome dans le dos, un souffle bloqué quelques secondes. Encore une fois : douloureux, mais rapidement rétabli dans le monde magique. Alors je ne comprenais pas pourquoi j’avais réagi ainsi, aussi fortement, avec autant d'inquiétude, surtout “juste” pour Björn. Je m'inquiétais pour tout le monde, ça, ce n’était pas nouveau. Mais à ce point ?
Toujours est-il que je veux essayer de changer de sujet, pour ne pas lui demander pourquoi il m’a vu, mais c’est encore pire qu’avant. Je m’embrouille, me mélange les pinceaux, ne sais plus ce que je dis. Ce n’est pas clair, je suis ridicule : ça au moins, c’est évident. Ridicule, bon sang, Rachel, qu’est-ce que tu racontes ? Je n’étais pas du genre à demander des choses, mais je m’y étais fait pour plusieurs choses. D’autant que cette demande-là ne me concerne même pas personnellement. Alors pourquoi n’étais-je pas capable d’aligner dix mots ? Björn provoque une anxiété, ou plutôt, il amplifie mon angoisse naturelle à gêner et déranger toujours les personnes à qui je parle. Sûrement parce qu’il s’était toujours moqué de moi, et qu’aujourd’hui, il avait, entre les mains, bien trop d’éléments qui me touchaient véritablement. Le pire dans tout ça ? C’était moi qui les lui avait donnés.
Alors je me lève, prête à m’enfuir. Parce que c’est plus simple, de s’enfuir dans cette situation, plutôt que de continuer à me donner en spectacle, à me ridiculiser ainsi. Je me lève, oui, mais Björn m’imite, et soudainement, mon épaule est presque entièrement recouverte par l’immense paume du Serpentard. Je me tourne alors vers lui, les joues rouges pivoines, et plonge mon regard dans le sien. Il me dépasse d’une bonne tête, mais ce n’est pas tout : face à ma petite stature, sa main semble engloutir mon corps, et cette idée fait encore plus rougir mes joues, du moins, si cela est possible.
Combien de temps dure cet instant ? Quelques secondes sûrement. C’est long, mais aussi si court. Mes yeux se plongent dans ses pupilles azurs, dans lesquelles je cherche le sens de ce contact. Nous restons ainsi, sans bouger, un instant. Le temps semble s’arrêter un instant. Il se fige, et je suis seulement là, face à lui, sans bouger, sans rien dire, le visage rougi par la gêne.
Mais Björn n’est pas du genre à se laisser aller à la gêne, alors il brise le silence. L’espace d’un instant, je maudis cette infirmière. Ne pouvait-elle pas se taire, se contenter de s’occuper de ceux qui en ont véritablement besoin ? A n’en pas douter, j’étais faite pour la médicomagie, la preuve : je préférais toujours que l’on prenne en charge les autres. Ne dit-on pas que les cordonniers sont les plus mals soignés ? En tout cas, je suivais bien cela, si j’avais vocation à étudier la médicomagie.
Toujours est-il que, gentiment, il me fait me rasseoir, et m’incite à reprendre, calmement. Mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir honte de ce qu’il vient de voir. Pourtant, Björn ne se moque pas, comme il aurait pu le faire, il y a quelques années. Pourtant, c’était exactement ce qu’il avait cherché à voir, pendant des années. Une Rachel ne se contrôlant plus, ne contrôlant plus ses émotions. mais il ne se moque pas. Au contraire, même, il se montre très bienveillant.
Alors je me rassied, docilement, sans relever le regard, et inspire profondément, pour reprendre, en essayant de garder une cohérence dans mes paroles.*
Pendant… L’année dernière. J’étais avec d’autres enfants. Certains étaient très jeunes, alors il ne connaissait pas le monde magique, alors, je leur en parlais. Et parmi ces enfants, il y avait Jack. J’ai parlé du vol, du balais, du Quidditch, et il m’en parle toujours dans nos échanges épistolaires. Et je… J’ai pensé… Comme je ne connais pas d’autres joueurs de Quidditch, mais que ça lui ferait tellement plaisir, euh…
*Je relève le regard, pour le regarder dans les yeux, les joues toujours très roses, même si je suis parvenue à me calmer vaguement.*
Tu accepterais de le rencontrer et de lui montrer ? J’imagine que… Tu as autre chose à faire, bien sûr. Mais c’est… Je pense que ça lui plairait.
*Il retrouve cette Rachel, celle qui pense aux autres, qui prend soin des autres. A commencer par ces enfants, dont j’avais pris soin dans les pires conditions, et dont je continuais de prendre régulièrement des nouvelles, de tous, comme je le pouvais, souvent grâce aux familles d’accueil, parfois même directement quand c’était possible. Je joue avec mes mains, en signe d’anxiété, mais cette fois, je le regarde dans les yeux, pour lui demander ce service.*
Il était vrai que ce n’était qu’une fois que j’avais posé ma main sur son épaule, remarquant les proportions gigantesques de mon corps par leurs différences avec celles de la lionne, que je me rendis compte que mon geste pouvait être perçu comme inapproprié. Seulement je n’avais pas réfléchi, moi, avant d’agir. J’avais juste suivi mon instinct qui voulait obéir bien docilement à l’infirmière en gardant la jeune femme en ce lieu jusqu’à son retour afin de la prendre en charge. Ce qui n’était pas mon genre habituellement. J’étais peu enclin à suivre les règles. Enfin non, peu enclin à suivre les règles si elles n’étaient pas en accord avec mes propres principes et valeurs. Et puis, pour ce que je la connaissais, Rachel n’était pas du genre à désobéir à un membre du corps médical. Aussi peut-être que je lui avais fait une fleur, en réalité, en lui rappelant ce qu’il était bon de faire à cet instant précis. C'est-à-dire d’attendre patiemment, sagement je dirais même. C’était donc pour justifier mon geste, et briser le silence pesant qui venait de se dresser entre nous après que la jeune femme ait arrêté de balbutier incessamment, que je m’exprimais en premier lieu. Mais également pour essuyer par mes paroles la gêne qui tentait de m’envahir, et bien que je la ressentis, je n’étais pas du genre à la laisser prendre le contrôle. Contrairement à Rachel, enfin c’était ce qu’elle m’avait laissé deviner par sa prise de parole précédente.
C’est également à cause de cette présupposition que je pris un peu les devants en lui ordonnant quoi faire. Elle n’était pas obligée de m’obéir, après tout, mes paroles pouvaient tout aussi bien être prises comme un simple conseil, une remarque avenante. Mais malgré cette image de connard d’harceleur qu’elle devait avoir de moi, malgré mon bras gauche en écharpe, malgré tout cela, la Gryffondor finit par suivre ma requête. La brune ne releva pas le regard vers moi cependant, certainement bien trop gênée par les quelques dernières secondes, sa prise de parole confuse, sa tentative de fuite et mon geste ferme. Je n’en étais pas sûr, car ne pouvant le vérifier clairement, mais j’étais certain que son visage déjà bien pourpre avait dû prendre une à deux nuances de rouge de plus. Puis elle m’expliqua enfin la situation avec plus de clarté, comme si elle était enfin parvenue à remettre l’histoire dans le bon ordre, les pièces du puzzle à leur place. Elle avait fait tourner sa langue sept fois dans sa bouche cette fois-ci, comme dirait les plus vieux sorciers, les plus sages.
Puis son regard croisa à nouveau le mien pour effectuer sa requête. C’était impressionnant, je le remarquai quand elle me fixait, à quel point on a tendance à regarder partout sauf notre interlocuteur quand on discute, la plupart du temps. La pureté et l’altruisme qui se dégageaient de sa demande rendaient son regard d’autant plus dur à soutenir, d’autant plus intense, mais je ne bronchai pas et le soutint. Face à ce regard suppliant, regard qui traduisait tout l’espoir d’un jeune qui avait été aussi désespéré qu’elle de croire en la beauté de la magie malgré les horreurs qu’elle leur faisait subir indirectement, j’étais prêt à lui dire, à faire n’importe quoi pour qu’elle cesse de jeter ce regard terriblement bleu sur moi. Il n’avait que neuf ans ? Il n’avait donc pas encore l’âge d'entrer à Poudlard, et ce pas avant bien deux ans. Le pauvre devait se languir de découvrir ce que c’était que de voler. Une sensation que j’avais le privilège de goûter presque tous les jours, tant et si bien que j’en avais presque oublié l’euphorie qui m’avait envahi la première fois que je m’étais élevé haut en dessus du sol.
Ce témoignage me frappa, me faisant me rendre compte de la chance que j’avais de faire partie de l’équipe de Quidditch de Serpentard. C’était un privilège dont je me rendais bien compte, je le savais parfaitement. Nous n’étions que sept joueurs pour toute la maison Serpentard, pour les sept années d’école. Soit seulement vingt-huit personnes étaient dans la même position que moi. D’autant plus que j’avais l’honneur d’être capitaine, et cela nous n’étions que quatre. Quatre personnes sur toute l’école qui avaient le droit de voler à peu près quand cela nous chantait. Usuellement, ce privilège se traduisait par une certaine célébrité dans les rangs de l’école, par le fait que nous étions souvent le sujet de rumeur et de gossips entre les élèves. Mais ce privilège, et je m’en rendais compte grâce à un petit garçon avec qui Rachel partageait des lettres, s’étendait plus que ce que je voulais admettre. Je le savais, mais en même temps je ne le réalisais que pleinement de temps à autre. Comme maintenant.
– Je pourrais le faire, bien sûr. Ça peut s’organiser, répondis-je à ma camarade. L’amour du vol est contagieux, il faut bien quelqu’un pour lui montrer, tout en sécurité.
Je baissai ensuite le regard sur mon bras, comme si je réalisais à nouveau à quel point il était encombrant comme ça, immobilisé. A son retour, l’infirmière pourrait sûrement déjà me libérer, si l’os s’était déjà ressoudé. J’ouvrais et fermais la main lentement, pour évaluer la gêne que je pouvais toujours ressentir. Mes muscles pouvaient déjà se mouvoir normalement, la seule sensation dérangeante qui résistait était comme une vulgaire crampe, assez supportable pour reprendre un train de vie normal, en arrêtant les entraînements bien une semaine au minimum, bien entendu.
Je me laissai tomber assis sur le lit dans lequel j’avais été installé plus tôt, mais le choc m’arracha une nouvelle inspiration aiguë. Mon dos, quant à lui, était encore bien douloureux. Il avait pris une bonne partie de mon plongeon, je devais le ménager.
– C’est rien, dis-je très rapidement pour rassurer la brune face à moi, juste un immense bleu entre les omoplates, à cause de l’impact.
Je ne parvenais pas à afficher plus qu’un sourire très fatigué. Même si je ne voulais pas l’admettre, je venais de traverser gros, et je puisais à présent dans mes dernières ressources d’énergie. J’avais hâte de retrouver mon lit. Un long sommeil réparateur ne serait pas de refus.
*Il était surprenant de voir comme une personne pouvait se montrer tantôt docile et tantôt sauvage. J’étais les deux à la fois. Un véritable chat, capable de tendresse, de douceur, de sociabilité, comme de sortir les griffes ou de m’enfuir si je jugeais que la situation ne tournait pas en ma faveur. Je ne fuyais jamais quand cela concernait les autres, mais quand cela me concernait, moi, directement… Les choses étaient différentes.
Très honnêtement, ma santé se portait mieux qu’avant. Et je détestais les rendez-vous médicaux. J’en avais eu tellement après cette longue année. Mais rien ne me rappelait plus les longs couloirs tortueux et les hurlements de douleur que les corridors blancs à l’odeur de désinfectants des hôpitaux ou des infirmeries. Je n’y étais pas vraiment à mon aise. Mes souvenirs étaient plus piquants, presque omniprésents, et chaque fois, mes cauchemars étaient pires encore que d’habitude.
Bien heureusement, aujourd’hui, la présence de Björn rendait les choses un peu différentes. L’ambiance n’était pas la même, j’aurais presque pu ignorer le fait que nous soyons là, tous les deux, à l’infirmerie de Poudlard. La dernière fois que je m’étais retrouvé là, mes sensations avaient aussi été amoindries par la présence d’Anatasiya qui m’avait permis de relativiser, et d’échanger, sans être seule, peut être pour débriefer un peu cet événement improbable et ce qui en avait découlé.
Cela ne m’empêche absolument pas de vouloir fuir, très loin, sans trop réfléchir à ce qu’a dit l’infirmière. Honnêtement, si je pouvais me passer de soin, je le faisais. Je n’avais plus de nausée, mon nez ne saignait plus régulièrement, les désagréments majeurs de “ma condition” n’étaient plus réduits qu’à des moments brefs ou après trop d’effort physique ou magique. Mais plusieurs semaines après le tournoi, j’étais de nouveau sur mes deux pieds sans trop de soucis de santé, du moins, pas physique. Je savais que je devrais sûrement fréquenter un psychomage plus fréquemment. Mais je n’aimais pas l’idée de parler de moi, et uniquement de moi à quelqu’un. J’avais, évidemment, dû le faire à l’hopital. Mais je n’étais pas à l’aise. Je n’aimais pas parler de mes émotions, très, voire trop nombreuses, et sur lesquelles j’avais énormément de mal à mettre des mots. Qu’elles soient positives ou négatives, je préférais taire mes sentiments, et me concentrer sur ceux des autres.
Emmy, Naomi, Sybil et globalement l’ensemble de mes amis m’avaient souvent dit que je devrais me diriger en psychomagie : à l’écoute, observatrice et empathique, je savais apaiser les personnes en proie à de fortes émotions. Ce qui était risible, puisque j’étais moi-même très peu à même de gérer mes propres sentiments. Mais peut être avais-je justement besoin de gérer celles des autres pour éviter de réfléchir aux miennes.
Et d’ailleurs, en réalisant cela, je réalise que ma relation avec Björn est très différente de toutes mes autres relations. Bien sûr, il y avait une certaine bienveillance entre nous. Je l’avais réalisé quand, au lieu de commencer déjà à me rabaisser, Björn avait préféré prendre des nouvelles de moi. C’était sûrement cela, de la part d’une personne dont je ne m’y attendais pas, qui provoquait de telles bêtises en moi. Ce n’était, de toute façon, que provisoire. J’avais au moins conscience de mon état d’adolescence, alors je savais aussi que je m’emballais facilement, et pour rien. Autant ne pas y prêter attention.
Voilà pourquoi je devais effacer de ma tête la sensation de sa chaude paume qui se pose sur la peau de mon épaule, qui l'agrippe et l’enlace même, de toute sa puissante et imposante taille. La sensation, pourtant, persiste, alors même que sa main a quitté mon épaule, et que son regard a quitté le mien. Je suis assise, là, et je reprends mes esprits. C’est gênée, mais avec un peu plus de réflexion que je laisse les mots quitter mes lèvres, jusqu’à cette demande, que je lui fais, en plongeant mes yeux dans les siens.
Était-ce exagérée que de faire cette demande à quelqu’un que l’on connaît si peu, que l’on croise parfois, dans les couloirs ou les jardins ? Quelqu’un qui, au fond, n’appréciait chez moi que cette capacité à résister à ses “taquineries” et à ses pics. Peut être. Mais le bonheur de Jack serait si intense, que cela vaut sûrement le coup.
Il me répond, par la positive qui plus est. Il m’arrache un sourire, à la fois soulagée et bienveillant. J’imaginais déjà le sourire du petit garçon qui lirait cela dans ma prochaine lettre.*
C’est promis ?
*Demandais-je, soudainement un peu plus enfantine, comme s’il m’avait fait la promesse de me faire un cadeau. C’est un peu le cas. Vivre de telles horreurs rapprochent forcément ceux qui ont la chance de survivre. Jack, et l’ensemble du petits groupes, était à mes yeux, mes petits protégés, et ne plus les voir autant que pendant les vacances d’été avait tendance à un peu m’inquieter. Mais nous nous étions promis de nous voir à toutes les vacances, et c’était bien le plus important.
Dans tous les cas, les mots de Björn me faisait vraiment plaisir. C’était comme s’il me promettait de rendre un service à mon petit frère. Ainsi, mon regard est doux, et mon sourire sincère.
Mais alors qu’il se laisse tomber sur le lit, son souffle se fait aigüe et la douleur se lit sur ses traits. Je me lève alors, précipitamment, pas pour m’enfuir cette fois, mais pour m’approcher de lui. En une fraction de seconde, mon visage était passé d’un sourire reconnaissant à une inquiétude à peine dissimulée. Il me dit que ce n’est rien, et j’inspire un grand coup, avec une petite moue. Il a l’air fatigué. C’est fou que je ne l’ai pas remarqué avant. Alors, je viens l’aider, doucement, et remonte la couverture qui était au bord du lit avec un sourire, plus petit, un peu inquiet, mais aussi frustré, frustré de ne pas pouvoir faire plus.*
Tu as l’air fatigué, je me demande comment je ne l’ai pas vu avant. Tout cela a dû consommer une grande partie de ton énergie, reposes toi. Promis, je reste là.
*Je disais plus cela pour l’infirmière, mais au fond de moi, je ne peux pas m’empêcher de retrouver ce comportement presque maternant que j’avais eu à l’époque, et même bien avant avec ma fratrie, ou encore que j’avais à chaque fois que l’une de mes amies était malade. J’étais comme ça, voilà tout. Alors avec un sourire léger, je me rassieds sur le lit d’à côté, pour le veiller, et détourne le regard pour ne pas le gêner, en attendant l’infirmière en silence, pour le laisser se reposer vraiment. Mais avec ce silence qui s’installe, l’infirmerie reprend la forme difficile qu’elle avait sans les discussions avec autrui. Je ferme les yeux, pour respirer calmement. J’avais pu vivre pendant des mois dans une pièce à attendre qu’on vienne me chercher pour me torturer, je pouvais bien encore passer 10 minutes à attendre une infirmière qui s’inquietait juste de mon état de santé. Pourtant, après cinq petite minute, je tourne le regard vers Björn, en me demandant s’il a réussi, si ce n’est à s’endormir, au moins à s’endormir. Doucement alors, j’ouvre enfin les yeux, tourne doucement la nuque, craignant de faire grincer le lit sur lequel je suis assise, pour observer le blond à mes côtés.*
Alors que je venais d’accepter sa requête, la jeune gryffondor n’y crût d’abord pas, quémandant une confirmation, une promesse. Au fond, je crois que moi non plus je n’y aurais pas crû, à sa place. Qui aurait crû un serpentard ? Un individualiste, ambitieux et rusé serpentard ? Hé bien, personne, me direz vous, et vous auriez de bonnes raisons de vous en méfier. Je vous l’accorde. Mais j’étais bien sérieux. J’étais prêt à faire ce genre de petit geste qui ne changeait que peu mes journées mais qui allaient changer la vie de quelqu’un d’autre. Comme je l’avais dit, l’amour du vol, comme l’amour de beaucoup de sports, moldus ou sorciers, était contagieux, et si je pouvais en infecter un petit garçon comme d’autres l’avaient fait pour moi, je serais le plus heureux des joueurs. Rachel s’enquérit donc face à ma réponse positive.
« Promis, » dis-je pour affirmer une fois de plus que j’étais prêt à lui rendre service.
Je ne sais pas si c’est la fatigue physique et mentale qui m’avaient envahies, l’apaisement procuré par les anti-douleurs ou simplement l’expression de joie intense que provoquait ma réponse chez la jeune femme, mais je n’étais pas prêt à lui refuser quoi que ce soit à cet instant. Elle aurait pu me soutirer toutes les informations qu’elle le voulait je ne l’aurais peut-être même pas remarqué avant le lendemain, lorsque j’aurais décuvé des émotions de la chute, des effets de toutes les potions que j’avais ingérées et que la douleur m’aurait rattrapée. Et puis après tout, ce petit Jack n’était pas encore à Poudlard, donc il avait des chances d’arriver à Serpentard ? Les étudiants de l’université avaient toujours le droit de faire partie de l’équipe de Quidditch, donc si je continuais sur cette voie, et qu’il attrapait la fièvre du sport, je pourrais le faire devenir un excellent joueur. Comme Septima qui était venue chercher mon aide.
Ah, Septima. C’était quand même quelque chose, cette Septima. Tout ce qu’il y avait de plus Serpentard, dans le bon sens du terme à mes yeux, on s’entend. La petite brune s’était mise en tête d’entrer dans l’équipe de Quidditch et était venue me demande, de but en blanc, qu’on s’entraîne ensemble pour qu’elle puisse avoir le niveau nécessaire pour faire partie de l’équipe. Ce que je peux dire, c’est que sa place elle l’avait bien méritée, après tous les efforts qu’elle avait fourni durant nos mois d’entraînement.
Au travers de sa réaction, on pouvait voir toute l’affection que Rachel portait pour ce garçon, et cela faisait chaud au cœur. Sans que je me rende compte, un sourire touché germa lentement sur mon visage, en miroir du sien. Il était rare que je perde le contrôle de mon langage non-verbal, c’était plutôt le cas lorsque j’étais complètement absorbé dans la contemplation de quelque chose, ou de quelqu’un à cet instant. C’était quelque chose, de voir un visage s’illuminer de joie. En effet, c’était quelque chose.
Mais suite à cela, mon visage se tordit dans une expression de douleur. Ouch. J’avais oublié l'ecchymose qui se formait déjà entre mes épaules, sur laquelle je venais de me laisser de tomber allongé. Je rassurai rapidement Rachel qui se jeta debout devant moi face à ma respiration sifflante, mais je me rassurai moi-même au passage. C’était juste l’hématome. Je reconnaissais la sensation. Rien n’avait été cassé malgré la violence de l’impact, malgré la hauteur de la chute, malgré la dureté de l’atterrissage, et malgré un millier d’autres paramètres que je ne citerais pas. J’aurais pu finir dans un état tellement pire que maintenant, je m’estimais presque heureux de n’avoir que mon avant bras cassé.
Les yeux clos, je ne vis pas la brune se pencher au-dessus de moi pour tirer la couverture sur moi. Mais je les rouvris prestement pour l’observer avec une expression confuse, les sourcils froncés, la laissant terminer son action, tout de même. Ses paroles traduisirent une douceur et une bienveillance que je lui connaissais, mais jamais envers ma personne. Malgré le besoin d’attention que nécessitait mon état, ceci me mit plutôt mal à l’aise. Jamais en temps normal elle ne me traiterait ainsi. J’étais Björn Shafiq après tout, son bully, le petit con qui lui menait la vie dure depuis son arrivée à Poudlard, dans la maison rivale à la mienne. Le masque de sarcasme reparut un instant sur mon visage, malgré la fatigue avancée, pour remettre cette distance à laquelle nous étions habitués entre nous. « Ça va, je suis capable d’évaluer mes besoins moi-même. On n’est pas tous incapables de les communiquer ici. »
Cette pique là était peut-être trop violente, malvenue et la prendrait sûrement par surprise après la douceur dont j’avais fait preuve plus tôt, mais tant pis. Elle était le symptôme d’un mécanisme de défense qui s’était activé tout seul. Je n’aimais pas être regardé avec pitié, et c’était l’impression que la lionne m’avait donné. J’étais celui qui regardait les gens de haut, par ma taille, par ma position sur un balai, par mes notes impeccables, pas celui sur lequel on veillait. Mais je ne le notai pas outre mesure. Le silence qui suivit ma remarque se fit lourd, conséquence d’un grand malaise qui régnait à présent dans l’infirmerie. Après tout, nous étions les seules présences en ces lieux, les seuls êtres qui brisaient le silence de ce lieu de repos. Mais là, le silence n’était pas reposant, mais écrasant.
Je n’aurais, bien entendu, jamais réussi à m’endormir dans un tel climat. J’avais beau fermer les yeux autant je le voulais, cela n’y aurait rien fait. D’autant plus qu’après quelques secondes, je pouvais sentir un regard sur moi, grâce aux picotements caractéristiques sur ma nuque. Étant la seule autre personne dans la pièce, ce ne pouvait qu’être Rachel qui m’observait. J’ouvris lentement les yeux et tournai la tête dans sa direction pour vérifier mon impression et j’avais raison. Je surpris son regard bleu sur moi, et cela fit naître en moi un sentiment confus. J’étais à la fois surpris, mal à l’aise comme lorsqu’elle avait été douce envers moi, mais d’une certaine manière c’était agréable aussi.
« Je sais que je suis beau gosse mais c’est bizarre d’observer les gens quand ils s’endorment, tu sais ? » dis-je avec le même ton sarcastique, mais empreint d’une certaine fatigue que je ne parvenais plus à dissimuler dans ma voix.
Plus le temps passait, moins je parvenais à avoir le contrôle sur mes actions verbales et non-verbales. Ça avait le don de m’énerver, étant trahi par mon propre corps, mais c’était comme ça. Je ne pouvais rien y changer. J’avais pris de longues années à dompter tous les aspects de ceux-ci, de mes tics manuels, de la gamme de ton que ma voix pouvait emprunter jusqu’à mes expressions faciales. C’était horrible pour quelqu’un de perfectionniste et maniaque du contrôle comme moi, du contrôle des images que les gens ont de moi mais aussi du contrôle de chaque aspect de ma vie sociale et scolaire, de ne pas réussir à garder le contrôle dans un moment de faiblesse pareil. Mes paupières se faisaient lourdes, mes yeux piquaient de fatigue, mes pensées ralentissaient et se faisaient plus confuses dans mon cerveau, et c’est pourquoi chaque stimulus se faisait exténuant, c’est pourquoi j’étais affaibli et me laissait aller. Je détestais cela.
*Il me répond d’une voix calme et posée, un simple mot, qui aggrandit très largement le sourire sur mon visage. A tel point que j’en ferme les yeux et ris un peu, en prononçant à mon tour un unique mot, tout aussi puissant que le sien : *
Merci !
*Oui, un merci, pour ce qu’il acceptait de faire pour un inconnu. Une promesse qui comptait beaucoup à mes yeux. Une promesse que je n’oublierais pas de sitôt, ça, il pouvait en être sûre. Ce n’était pas pour moi, alors, à l’instar de l’audace dont j’avais fait preuve en lui demandant cela, je me permettrais peut être l’audace de lui demander des détails pour tout organiser. Car bien sûr, je voulais voir ça. Evidemment, je voulais voir ça. Comment louper la première séance de vol de Jack ? Impossible ! Il m’en avait tellement parlé, rêvant de ce jour… Oh j’avais presque envie d’aller lui annoncer directement, en face. Mais même si j’étais majeure, obtenir une dérogation pour quitter Poudlard, même le weekend, ce n'était pas si évident. Surtout pour une raison aussi “mineur”, au yeux de l’administration. Même si ce n’était pas, mais alors absolument pas, mineur pour moi. Au contraire, même. C’était une promesse puissante, celle de réaliser un rêve, le rêve d’un petit garçon que j’aimais avec tendresse.
Peut-être, après tout, pourrait-il créer une vocation chez le jeune garçon ? Je n’en doutais pas. Malicieux et plein de vie comme l’était petit Jack, je n’avais aucun mal à l’imaginer sur un balais, dans ce jeu où je ne comprenais pas tout ce qui se passait, mais où tous ceux qui le voulait vraiment pouvaient trouver un rôle. Et j’espérais que, s’il le désirait, Jack en aurait la force, le courage et la capacité.
Juste après cette promesse, Björn se glisse à nouveau contre le mur, mais les traits de son visage se tirent, et les miens se crispent aussi vite que mes jambes bondissent. En moins de temps qu’il fallait pour dire “oops”, j’étais debout, à côté de lui, l'inquiétude maquillant mes traits doux. Il tente de me rassurer, mais ses yeux fermés me confortent dans l’idée que les choses ne vont pas aussi bien qu’il voudrait le montrer. Il n’y a pas grand chose que je peux faire, alors, attentionnée, je remonte la couverture sur ses genoux, tendrement. Je ne peux pas faire mieux, à l’instant. Il a simplement besoin de se reposer, et pour ça, de bénéficier de tout le confort possible. Un 27 novembre, en Ecosse, le fond de l’air est bien frais. Un peu de chaleur ne pourrait que lui faire du bien.
Pourtant, Björn ouvre les yeux, et semble surpris. Il m’offre même l’une de ses petites phrases cinglantes pleine de gentillesse, ce qui me fait froncer les sourcils. En un instant, il a totalement basculé, c’est surprenant. Et puis, de toute façons, il pouvait bien me dire ce qu’il voulait, même si, appuyer sur ma honte d’il y a encore quelques minutes fait rosir mes joues et me fait faire une petite grimace, je me contente de hausser les épaules, et de murmurer.*
Oui, oui, Björn. Si tu veux. Gardes ton cynisme pour plus tard, et pour une fois, contentes-toi de laisser quelqu’un… T’aider.
*J’allais dire “prendre soin de toi”, mais je me doutais que ce serait encore pire. Et puis, qui étais-je pour prendre “soin de lui” ? J’étais juste une camarade, d’une maison rivale, qu’il s’amusait à gentiment persecuter. Enfin, qu’il s’était amusé à persecuter, les années précédentes. Car notre rapport à l’autre avait bien évolué. Ou peut être m’étais-je endurcie et ses remarques ne m’atteignaient plus autant ? A une époque, je me serais assise sur mon lit, honteuse, la mine basse, à ses mots, en m’excusant. En le réalisant, je me dis que, malgré les apparences, mon caractère s’était un peu endurci. Oui, ma tolérance à ses pics avaient probablement augmenté d’un niveau, mais j’avais aussi l’impression qu’il m’en lançait moins. Peut être était-ce simplement le fait d’avoir grandi et pris chacun en maturité qui rendait nos relations plus… Cordiales, dirons-nous. Je n’irais pas jusqu’à dire aimable. Mais oui, cordiale, c’était le bon mot. De toute façons, il n’y avait pas beaucoup de monde que je detestais sur cette terre, et il m’en fallait beaucoup pour ça. Björn n’était même pas dans le top 50 des personnes qui m’avait le plus blessés, même si, pendant mes premières années, j’avais été à plusieurs reprises heurtée par ses mots. A l’époque, je n’avais rien laissé paraître, de toute façons. Ce n’était pas mon genre, d’étaler ainsi mes émotions. Quoi que, en y réfléchissant, j’étais pourtant souvent un livre ouvert. En réalité, à cet instant, je me demandais si ma façon d’agir et ma capacité à cacher mes émotions dépendaient de la personne en face de moi, voir des situations. Et parfois, ce n’était même pas logique. C’était seulement… Dû à mes humeurs, probablement. Aux autres émotions qui m’emplissaient. Oui, un trop plein d’émotions et de pensées me rendaient plus frêles, plus… Plus évidentes. Difficile de savoir comment calmer tout ce qui se passe dans votre tête et de le cacher en même temps. Face à Björn, autrefois, je n’avais pas grand-chose d'autre en tête, alors le cacher n’était pas si complexe. C’était lorsque je débordais déjà d’une autre émotion qu’en cacher une autre était compliqué, comme tout à l’heure. Il y avait probablement trop d’inquietude en moi pour que je puisse cacher toute la gêne que je ressentais face à lui. En tout cas, c’était la seule raison plausible et valable que je trouvais à cet étrange fait qui me sautait aux yeux, à cet instant.
Interrompant le fil de mes pensées, en tentant de ne pas me concentrer sur l’atmosphère un peu glauque d’une infirmerie quasiment vide, je me tourne vers Björn. Il a les yeux fermés. J’observe son torse, pour voir si le rythme de sa respiration est régulier comme celui d’un jeune homme qui s’est endormi. Mais sa voix se fait entendre, et je sursaute légèrement, en rougissant un peu.*
Mais n’importe quoi, je voulais juste voir si tu t’étais endormi. De toute façon, même si je sais que t’aimerais bien, tu n’es pas du tout mon type.
*Oh, mais c’est mal de mentir, ma petite Rachel. Les grands blonds aux yeux bleus, c’est clairement mon type. Mais je n’allais pas lui donner la satisfaction de le croire, ou même de supposer que ça pouvait être le cas. Ca, c’était hors de question, clairement !*
Je ne sais vraiment pas ce qui fit grandir le malaise en moi lorsque Rachel fit ce geste avenant envers ma personne, enfin envers mes genoux refroidis surtout (mais jamais je n’allais lui avouer que ce fût utile ou la remercier, ah ça non !). Et je détestais ne pas comprendre, d’autant plus ne pas comprendre mon propre fonctionnement. C’était peut-être le tempérament de Serdaigle de ma sœur aînée, Freya, qui déteignait sur moi par moment. Ce besoin de comprendre découlait surtout de mon besoin de contrôle je crois, contrôle sur ma personne, contrôle sur ma réputation. Un vrai petit Serpentard, et je n’ai pas honte de le dire.
D’autant plus que Rachel White, celle qui m’avait mise mal à l’aise donc, en rajouta une couche en me répondant avec la patience caractéristique dont elle était capable. J’avais envie de protester, de me faire d’autant plus méchant, touché dans mon ego de devoir avouer ma faiblesse, mais je n’y fis rien. Honnêtement ? J’avais juste la flemme. Flemme de continuer cette discussion, flemme de devoir penser à ma faiblesse, de devoir la regarder en face et ne pas pouvoir lui tenir tête. Flemme d’être un humain lambda, concrètement. Ah, complexe de supériorité quand tu nous tiens.
Et puis bon, non seulement je ne voulais, non, ne pouvais pas me permettre de laisser ma faiblesse transparaître devant la jeune femme à cause de la fierté nourrie par mon ego, mais aussi parce que ce n’était pas dans le script de mon rôle. Dans mon cahier des charges de harceleur, il n’y a nul part d’écrit “se faire dorloter et chouchouter par sa victime” ni même “apparaître vulnérable et donner des outils contre soi-même à sa victime”. Enfin si c’est le cas je vous laisse me le montrer car ça doit m’être sorti de la tête. Bref, Rachel n’avait pas à se comporter ainsi avec moi. Ça ne faisait aucun sens. Bien que depuis son retour j’avais tenté d’être plus subtil et bien moins méchant, bien qu’il me semblait de plus en plus compliqué de tenter de la pousser à bout parce que sa patience avait grandi et parce que je mettais de moins en moins le cœur à la tâche, malgré tout cela, cela ne faisait toujours aucun sens que Rachel soit aussi douce et avenante envers moi. Enfin si, cela en faisait pour les gens la connaissant assez, car la lionne était toujours d’une bienveillance sans borne. Mais tout de même. Cela ne faisait pas sens. Après tout, je n’étais que Björn, alors elle ne pouvait pas se montrer aussi gentille envers moi, même si c’était littéralement dans sa nature et dans les caractéristiques les plus profondes de sa personnalité. Je ne voulais pas qu’on m’aide, encore moins si c’était elle. Mais en même temps, je n’étais pas tout à fait honnête envers moi-même à cet instant. Si je quittais mon déni l’histoire de quelques secondes, je comprenais parfaitement ce qui m’avait poussé à la rejeter ainsi. Ce qui m’avait mis mal à l’aise, c’était le fait que je trouvais un certain plaisir à ce que la gryffondor me donne de l’attention. J’appréciais cela mais j’en avais honte. Et c’est cette honte qui repoussait donc les conséquences agréables de son geste sur ma psyché dans mon inconscient.
Mais les yeux fermés sur mon lit, je n’y songeais pas, encore bien trop profond dans mon ignorance. Ce n’est que lorsque j’ouvris les yeux pour surprendre son regard sur moi que je ressentis une étincelle de ce sentiment agréable d’avoir son attention sur moi, l’espace d’une seconde, même pas. Je lançai ma remarque sans plus parvenir à dissimuler mon éreintement, l’accompagnant d’un sourire moqueur pour la jeune adolescente allongée sur le lit voisin. Je ne me gêneai pas de la détailler un instant du regard, vu qu’elle l’avait sûrement fait de même tandis que je tentais de m’abandonner aux bras de Morphée, le Dieu des rêves et du sommeil. Sa réponse m’arracha un rire narquois. Comment ça je l’aimerais bien ? Si c’était ce dont l’adolescente était persuadée, elle devait se méprendre complètement sur la nature même de notre relation.
– « Si tu t’imagines que je souhaites te plaire, tu connais très mal mes goûts. Les petites groupies pleureuses au bord du terrain, ce n'est pas mon style. »
J’avais détourné le regard pour fixer le plafond de pierre de l’infirmerie avant de lancer cette phrase, mais je parvenais parfaitement à imaginer son visage rougir à mes propos. Ce n’était vraiment pas difficile, après tout, d’imaginer le contraste entre son regard bleu et la teinte rouge pivoine que devait prendre ses joues, encadré par ses délicates boucles brunes. Ou la manière dont elle fronçait légèrement le nez en tournant son visage vers les pointes de ses chaussures lorsqu’elle était gênée, pour dissimuler l’embarras qui se lisait si facilement sur son visage.
Depuis que je la connaissais, Rachel White était comme un livre ouvert, mon parfait opposé lorsqu’il s’agissait de contrôle de soi. Si je n’étais pas forcément très à même de dissimuler mes émotions et états d’âme actuellement à cause de la fatigue, ce n’était rien face à l’expressivité naturelle de l’adolescente. C’était aussi ça qui m’avait donné le goût de continuer à l’embêter. C’est que même si elle souhaitait le cacher du mieux qu’elle pouvait, j’arrivais à lire l’inconfort dans ses yeux, l’envie d’exprimer à voix haute sa gêne, sa colère contre moi tandis que je renchérissais encore et encore. Après tout, c’est ce que je cherchais à faire depuis longtemps, non ? La voir exprimer ses limites, et même si elle ne l’avait jamais fait à voix haute, gardant pour elle toute plainte, son corps ne pouvait pas mentir et l’exprimait déjà de manière non-verbale, en quelque sorte. Je viens de décrire son expression lorsqu’elle était gênée, mais j’aurais tout aussi bien pu parler des fois où elle avait canalisé sa colère. Dans ses moments, ses mâchoires se contractaient et ses pupilles rétrécissaient légèrement et elle se paralysait sur place. Ce qui était marrant parce que moi, contrairement à elle, la colère me donnait envie de sortir de mes gonds, alors souvent je devais me mettre à bouger énormément pour évacuer le surplus d’énergie que cette émotion me procurait. C’était peut-être pour ça que je m’entraînais aussi souvent. Parce que j’éprouvais une colère constante. Contre qui, contre quoi, je ne le savais pas encore consciemment, par contre.
*Bien des choses avaient changé depuis mon retour. Moi, pour commencer. Moi, j’avais changé. Je n’étais plus aussi passive que j’avais pu l’être. Si ce n’était toujours pas très évident d’un point de vue extérieur, je m’étais aussi affirmée. J’avais découvert bien des choses sur moi, également.
Évidemment, lorsque vous êtes enfermée pendant des mois et des mois, vous avez beaucoup de temps pour réfléchir, penser, analyser, décrypter. Si j’avais une grande curiosité naturelle, je n’étais pas avide de savoir comme les serdaigles. En revanche, je ne voyais, en moi, aucune caractéristique que l’on prête aux Serpentard. Ni ambitieuse ni control freak, ni même fière ou spécialement rusée, ni les qualités ni les défauts des verts et argents ne semblait me ressembler, de près ou de loin. En revanche, et si je devais être parfaitement transparente, en découvrant les caractéristiques qui sient à chaque maison, c’était dans celles des Poufsouffles que je m’étais le plus reconnue à l’époque. La patience, la tolérance, l’altruisme, la modestie et l’amour de la nature, et même une certaine forme parfois de passivité, cela me décrivait plutôt bien, à mes yeux. Mais l’audace ? La bravoure ? La force ? La chevalerie ? C’était bien loin de la petite Rachel de 11 ans sur la tête de laquelle on avait déposé le choixpeau.
Mais je m’étais pliée à ses ordres, et étais accueillie par les rouge et or avec un enthousiasme débordant. Ah, parfois, même pour moi, il était compliqué de tenir le rythme éprouvant des membres de ma maison. Même si je les adorais, ils débordaient d’une energie folle et parfois épuisante. Mon petit groupe d’amies s’amusaient à me décrire comme “la force tranquille” du groupe. Le roseau qui plie mais ne se brise pas. Et je ne savais pas à quelle point elle avait pu avoir raison avant l’année dernière.
Mon courage, ma force, mon audace n’était pas la même que celle de mes camarades. Je ne savais pas si elle était innée, mais je savais, en tout cas, qu’elle ne se manifestait pas à chaque instant de ma vie. Non, toute cette force et cette bravoure en moi n’existait que pour une chose : protéger, aider et soutenir autrui, quitte à m’oublier dans l’équation. C’est ainsi que j’avais été forte, j’avais dû l’être, pour tous ceux qui avaient partagé ma cellule, pour tous ceux qui comptaient sur moi, sur tous ceux qui s'inquiétaient à coup sûr de ma disposition. Pour les enfants du centre, pour Sybil, pour Simon, pour tous ceux qui m’attendraient au bout du tunnel.
Ce tunnel, dont j’avais perçu la fin avec une satisfaction qui n’était même pas inexplicable. Je n’avais pas eu peur, lors de l’attaque du QG par les sorciers. Après plusieurs mois, certains d’entre nous étaient déjà arrivés à leur limite, et je savais que j’en approchais à grand pas. Ma santé se détériorait à vue d’oeil, mon poids, déjà pas très élevé, était devenu ridicule à force de nausée et de malnutrition. L’extrême fatigue n’était que peu compensée par ces nuits absolument pas reposantes sur des matelas aussi fins qu’une feuille.
Tout cela me paraissait maintenant si lointain. Comme un autre monde. Et pourtant, chaque nuit, cette cellule revenait et devenait le décor privilégié de mes cauchemars les plus terribles.
De tout ce temps, j’avais gardé les liens forts que j’avais tissés au cours des mois, bien sûr. Lorsque l’on frôle la mort ensemble, on est sûrement bien plus enclin à continuer à se côtoyer, ne serait-ce que pour se serrer les coudes, pour savoir que nous n’étions pas seuls, que quelqu’un, proche ou loin, pouvait nous comprendre. Et puis, il y avait cette patience, qui avait été étirée à son maximum. La force d’esprit et de caractère. La perte de mon innocence. Mais aussi, et surtout, un grand recul sur la vie en général. Pourquoi s'énerver face au cynisme du blond qui est assis là, sur ce lit ? Björn est un Serpentard. Il n’était pas difficile de deviner qu’il détestait perdre le contrôle de ce qui se passait, ou pire, le contrôle sur les gens. Un contrôle qui l’avait eu sur moi, et sur mon humeur, pendant des années. De simples mots, qui pouvaient me frustrer, m'énerver, m’attrister, me désespérer même parfois. Mais aujourd’hui, son cynisme ne m’empêche pas de bien positionner cette couverture sur lui, pour ne pas qu’il ait froid, et qu’il se sente bien à l’aise, aussi confortablement installé que possible, dans cette couverture.
Il ne me répond pas, et je ne peux m’empêcher d’afficher un petit sourire satisfait. Est-ce que, pour la première fois en 6 ans, je venais de lui clouer le bec ? Sans l’ombre d’un doute. Dieu que c’était agréable ! Je n’étais pas du genre à vouloir avoir le dernier mot, mais je comprenais maintenant bien mieux tout ceux qui insistait toujours pour l’avoir !
C’est avec ce petit sourire satisfait que je retourne m’asseoir sur le lit d’à côté, attendant un peu, en observant l’endroit. Le malaise qui m’avait repris dans ce lieu me rappelant des souvenirs que je préférerais oublier me fait tourner la tête vers le blond, pour m’assurer qu’au moins, lui, dormait.
Mais Björn rouvre les yeux, et me fait une nouvelle remarque cinglante. Je détourne le regard, et tente de me lancer dans son domaine : le cynisme. Je lève les yeux au ciel à ses premiers mots. De toute façon, je ne parlais pas de moi, mais des filles en général. Björn était un noble au sang-pur, Serpentard qui plus est. Son égo et son poste de capitaine devait le pousser à croire que toutes les filles étaient à ses pieds. Mais son petit ton et son regard dédaigneux me déplaisait tout particulièrement.
Mais c’est la suite de sa phrase qui me fait me tendre. Je me redresse sur le lit, posant mon bras gauche au bord de celui-ci pour me pencher avant de dire, d’une voix sûrement plus forte que ce que j’aurais aimé, et de façons beaucoup trop spontanée pour être réfléchie :*
JE NE PLEURAIS PAS !
*Mes joues se parsèment de rouge, et je me redresse, pliant mes jambes pour venir appuyer mon menton sur mes genoux d’un air boudeur. D’une voix plus calme, je reprends.*
Je ne pleurais pas. Et je ne suis pas une groupie, j’étais juste curieuse pour Jack. Tu devrais dormir au lieu de dire des bêtises. Ça s'entend que tu es fatiguée juste quand tu parles.
*Je ne l’avais pas regardé, mais il n’avait pas vraiment tort dans l’image qu’il se faisait de moi à cet instant, les joues rosies par la honte, contrastant avec le bleu de mes yeux bougon et encadré par les ondulations incontrôlables de mes cheveux trop clairs pour être brun, mais trop foncés pour être chatain. Oui, une adolescente de 17 ans pouvait se trouver bien des défauts. Mais celui-là, au moins à mes yeux, était bien moindre. Je préférais avoir mes cheveux et mon tempérament plutôt que les jolies boucles blondes qui rebiquaient sur sa nuque et le comportement insupportable du serpent à mes côtés. Et dire que je trouvais qu’il était une moindre peine. C’était fou de constater comme un peu de vexation et de mauvaise foi pouvait vous faire changer d’avis si vite sur un sujet…*
Je n’avais, plus tôt, pas la certitude concrète que cela avait été Rachel, cette Rachel, ma Rachel, qui se trouvait sur le bord du terrain tandis qu’on m’amenait juste ici pour être soigné. Mais face à sa réaction, non seulement j’en avais la certitude et j’avais même gagné quelque chose sur lequel je pourrai l’embêter à ma guise. Son cri m’aurait sûrement fait hurler de rire si j’en avais eu la force, mais faute de quoi c’est des gloussements qui se transformait parfois en plainte de douleur qui s’échappèrent de ma gorge, les tremblements créant une pression régulière sur l’ecchymose au milieu de mon dos. Durant quelques courtes secondes, mon visage affichait un mélange de rire et de douleur, la bouche barrée d’un immense sourire mais les sourcils froncés au-dessus de mes yeux clos. Heureusement je repris rapidement mon sérieux, après un sourire, pour observer la jeune femme tandis qu’elle continuait de se confondre en explication.
C’était quelque chose de marrant que j’avais remarqué chez beaucoup de personnes qui ont des problèmes de confiance en eux : ils s’excusent et s’expliquent tout le temps, à la moindre occasion. Sûrement parce qu’ils avaient peur de ne pas être compris, alors qu’en réalité, la plupart du temps, on les taquinait juste et on comprenait parfaitement le sens de leurs actions ou de leurs paroles. C’était également le propre des personnes traumatisées, maintenant que j’y pensais. Bref. Et puis bon, on ne va pas se mentir entre nous mais sa réaction me paraissait disproportionnée. Maintenant que j’avais repris mon sérieux, j’étais prêt à la rassurer, car ce n’était pas la Rachel que je connaissais qui se trouvait face à moi à cet instant. C’était une Rachel qui passait ses journées enfermées contre sa volonté, aux mains de personnes malveillantes qui souhaitaient “guérir” quelque chose en elle et qui lui faisaient vivre des atrocités inimaginables pour tenter de la former à l’image de leur idéal. C’était la Rachel de quinze ans, presque seize ans, celle qui tentait de garder espoir pour l’insuffler dans les autres personnes emprisonnées avec elle.
Dans cette position boudeuse, les genoux sous le menton, on aurait dit qu’elle régressait de plus qu’une année, comme si son corps souhaitait revivre une enfance à laquelle on l’avait privé. C’est ça qui me fit réaliser l’horreur de mon comportement. Si parents avaient été capables de la dénoncer au Blood Circle pour lui faire subir des batteries de tests ignobles, ils lui avaient sûrement fait vivre une enfance horrible rien que pour sa différence. Poudlard avait dû être son seul véritable refuge, l’endroit où elle pouvait être elle-même. Et le petit Björn Shafiq avait été là pour l’emmerder au sein de ce refuge même. C’était horrible de se rendre compte de la gravité de nos actions bien des années après. Mais maintenant je ne pouvais plus rien y changer, alors ce n’était pas l’heure des remords.
Mais la Rachel face à moi à cet instant, je pouvais être plus compatissant avec. Mais est-ce qu’après toutes ces années cela ne passerait pas pour une méthode de manipulation complexe pour lui faire baisser ses gardes et la frapper au moment opportun ? J’étais donc piégé dans ce rôle que je m’étais donné il y bien cinq ans, je ne pouvais plus changer de costume. Mais je pouvais montrer de l’empathie face à l’adolescente dont j’avais enclenché, sans vraiment le vouloir, les réflexes post-traumatiques. « Tu n’as pas besoin de t’expliquer, Rachel » dis-je d’une voix adoucie, presque inaudible à cause de la fatigue qui m’emportait clairement. « C’était une blague. » Oui, je venais complètement d’ignorer sa remarque quant au fait que je devrais me reposer. En même temps, lorsque mon corps me lâcherait totalement je n’y pourrais plus rien. Je frottais mes paupières de ma main valide un instant, car ceux-ci commençaient sévèrement à me piquer et à vouloir se fermer lourdement. « Arrête de ne penser qu’aux besoins des autres, tu vas finir par t’oublier complètement et t’effacer » continuai-je. J’étais sur ma lancée, alors autant expliquer le fond de la pensée qui m’avait mené à mon premier conseil. Je ne sais pas si elle allait le prendre littéralement, et je ne sais pas si c’était ce que j’avais signifié. La jeune lionne n’allait pas s’effacer littéralement de l’existence si elle ne prenait pas la peine de penser à ses besoins et à remettre de l’ordre dans ses priorités. A moins que le sort que pouvait lui réserver le destin la ferait s’effacer littéralement. Après tout, ceux qui se sacrifient complètement au service des autres meurent, et c’est une manière de s’effacer du monde.
Une chose paradoxale, avec la fatigue, enfin en tout cas pour moi, c’était que mon cerveau tournait d’autant plus vite. Mais c’était rageant car mes pensées n’arrêtaient pas de se succéder dans mon esprit alors que mes lèvres ne pouvaient pas les prononcer assez vite pour que cela soit clair pour mes interlocuteurs.
*Si j’avais été méchante, j’aurais presque pu dire “bien fait”, quand ses gloussements se mêlait à quelques grimaces de douleurs. Très honnêtement, je n’étais pas bien loin de le penser. Mais non, je ne pouvais quand même pas souhaiter à quelqu’un de souffrir, même si c’était en riant pour se moquer de moi.
D’autant que c’était vrai, je n’avais pas pleuré. Tout de même, je n’avais pas été jusque là. Je ne pouvais pas dire que le jour où je verserais une larme pour Björn n’arriverait jamais : je pouvais pleurer plutôt facilement. Mais surtout seule, cachée au fond de mon lit ou de la forêt. Je n’aimais pas pleurer en public, j’avais l’impression de me donner en spectacle. Et je détestais ça. Les larmes n’étaient vraiment qu’un dernier recours pour mon coeur, lorsqu’il débordait de bien trop de tristesse et d’autres sentiments négatifs pour les contenir dans mon trop petit corps.
Se justifier, c’est ce que je fais. C’est ce que je fais toujours. Je le faisais déjà bien avant toute cette histoire. Ce n’était un secret pour personne, je ne débordais pas d’une grande confiance en moi. La preuve, le simple fait de me défendre et d’ôter la vie d’araignées géantes qui, je le rappelle, voulait faire de mes camarades et moi leur goûter, me faisait me questionner sur moi-même, ma soit-disant “bienveillance” et mon “altruisme” qui était alors selectif ? Je privilégiais ma vie à celle de ces créatures, au fond, c’était assez égoïste, surtout quand je savais que certaines créatures, à Poudlard, étaient elles-aussi carnivores, mais qu’elles, je les nourrissais. D’accord, un hippogriffe était… Esthétiquement plus gâtée qu’une immense araignée poilue, pleine d’yeux et de mandibules. Mais c’était aussi une créature carnivore qui pouvait facilement attaquer un humain s’il se sentait en danger. Etait-ce juste, alors, d’admirer les hippogriffes et de tuer les acomantules ?
Beaucoup de questions et de justifications saugrenues pour justifier un manque de confiance en moi et en tout ce que je croyais être. Alors oui, pour cela comme pour le reste, je me sentais obliger de m’expliquer. Pourtant, il fallait bien être conscient du fait que je m’étais contenté de le contredire, et d’une brève phrase, quand j’avais, dans ma tête, préparé tout un argumentaire détaillé, construit et organisé pour lui justifier que, non, je n’étais pas “une groupie pleurnicharde”. Pleurnicharde, je pouvais l’être, mais groupie, certainement pas !
Je ne sais pas pourquoi, naturellement, j’en étais venue à cette position. En réalité, elle correspondait à une position protective, pour empêcher à tous d’atteindre mon corps, prête à cacher mon visage dans mes genoux. Mais pas cette fois. Non, cette fois, mon visage reste là, droit et fier, malgré l’empourprement de mes pommettes.
Cette fois, c’est lui qui me regarde. Je le sens, je sens ses yeux clairs et perçant détailler ma position, comme s’il cherchait à me sonder, à découvrir ce que je pensais. Björn serait-il devenu Legilimens pendant le temps où j’étais partie ? Non, non, c’était ridicule de penser cela, c’était un art, qui prenait bien des années à être perfectionner, encore et encore. Il n’avait pas pu l’apprendre comme ça. Il ne valait mieux pas pour moi, d’ailleurs, au vue de mes nombreuses pensées qu’il aurait pu mal, très mal interpréter.
Toujours est-il que Björn reprend la parole. Et cette fois, il est moins piquant, moins moqueur. Il semble.. Compatissant, presque gentil. Les potions devaient lui monter à la tête. Non pas qu’il soit de nature vraiment méchante… Mais je n’irais pas non plus jusqu’à dire qu’il était gentil. Je le regarde, sourcils froncés, un peu perdue. Est-ce qu’il attendait un nouveau moment de faiblesse pour me lancer un autre pic ? Mais en même temps, il semblait tellement fatigué qu’il ne devait pas vraiment avoir la force de se battre, aujourd’hui. Il se frotte les yeux, et j’y vois le signe du drapeau blanc. Je n’étais pas très bagarreuse, pas même sur les mots, mais je ne pouvais que l’être encore moins face à un partenaire de combat si peu vif. Je soupire, un grand coup, et lève -encore- les yeux au ciel.*
Ce n’était pas drôle.
*Affirmais-je, en réponse à son petit “c’était une blague”. Mais ma voix est moins dure que lorsque je lui ai répondu la première fois. La sienne était légère, à peine audible, si on ne tendait pas bien l’oreille, on aurait pu croire qu’il ne s’agissait là que d’un souffle.
Et puis, il reprend la parole, et cette fois, il me surprend d’autant plus. Il me donne un conseil. Björn Shafiq, ce type pénible qui passait son temps à chercher à me sortir de mes gonds, venait de me donner un conseil.
Un conseil que j’avais souvent entendu. De mes amis, de ma fratrie, de ma famille d’accueil, même du personnel de Ste Mangouste. Oui, à force de trop penser aux autres, on s’oublie soi-même. Mais si, autrefois, je le faisais sans réfléchir, aujourd’hui…. Pour ne plus penser à moi et à tout ce que je ne voulais pas affronter.*
Je sais. C’est peut être pour ça que je le fais.
*Je l’avais prononcé à voix haute, comme pour y réfléchir en même temps. Je me mords la lèvre, avant de tourner la tête. Je le regarde dans les yeux,en posant ma tempe sur mes bras qui entourent mes genoux, la tête penchée dans un drôle d’angle.*
Et puisque nous en sommes aux conseils… Si tu continues à traiter ainsi ceux qui s'inquiètent pour toi, tu finiras tout seul. La plupart des gens ne sont pas aussi patients que moi, tu sais.
*J’avais conscience, évidemment, de cette patience à toute épreuve qui était la mienne. Et c’est d’un air sérieux que je lui dis cela. Être populaire ne faisait pas tout. Je me demandais, à présent, si Björn avait un ami. Un véritable ami. Pas juste des connaissances, des potes, des gens avec qui il traînait, ou des groupies. Mais des amis. Des personnes qui connaissaient ses défauts, mais qui l'appréciaient comme ça. Qui l’adoraient dans ses bons jours, qui le soutenaient dans les mauvais. Sans parler de la famille, car je ne doutais pas que Freya était cela pour son petit frère. Je me demandais maintenant qui était la “Sybil” de Björn, son ou sa meilleure amie, la personne à qui il pouvait confier ses parts les plus sombres, ses doutes les plus lourds, ses secrets les plus durs. Y avait-il seulement une personne qui connaissait véritablement Björn Shafiq ? Et lui, se connaissait-il vraiment lui-même ?*
Après bien cinq minutes de discussion, durant lesquelles j’étais parvenu à dissimuler mon état interne par je ne sais quel miracle, je ne parvenais plus du tout à cacher quoi que ce soit. Ma fatigue me donnait une honnêteté déconcertante, si bien que je me permis un conseil avisé pour la jeune femme, mais sa réponse fut d’autant plus déconcertante encore que ma prise de parole. Comment pouvait-on vouloir disparaître ? Être à ce point altruiste ou désintéressé, au point même de vouloir s’effacer dans le décor. Plus que cela même, s’effacer complètement.
En fait, j’étais malhonnête. Il y avait bien des moments où je la comprenais, des moments où je souhaitais disparaître, des moments où je souhaitais de tout mon être que le sol s’ouvre sous mes pieds et m’avale, ne laissant plus aucune trace de mon existence, de mon passage sur terre. Souvent, c’était lorsque je ressentais le poids des choix de vie de mes parents, lorsque le fait de devoir suivre leurs convictions ou risquer d’être complètement renié de la famille me pesait lourd sur les épaules. Ils m’avaient sculpté, même si ce n’était pas dans la forme qu’ils avaient espérée à ma naissance. C’était de leur faute si j’avais une obsession pour le contrôle de mon image, le contrôle de ma réputation et surtout le contrôle de moi-même. Je ne devais rien laisser paraître, je ne pouvais rien laisser transparaître. Je pouvais donc comprendre son envie d’invisibilité. Celle-ci pouvait être nourrie par deux choses : la peur ou, et c’était malheureusement sûrement plutôt ça, la dépression. Je n’avais pas encore conscience de cette deuxième possibilité à cet instant, car j’avais réalisé la peur viscérale que je ressentais en présence de mes parents, plus particulièrement de mon père, qui nourrissait le plus la haine envers ceux qu’il considérait comme inférieur, celui qui prêchait le plus la pureté du sang. La peur était l’une des choses qui nous rendaient le plus profondément humain, et j’aurais bien préféré être un automate, ou un dieu. La peur me paralysait, m’empêchait d’être moi-même, de vivre pleinement. Elle m’empêchait de faire confiance, d’avoir une personne à qui je pourrais parler sans ce masque qui commençait à peser lourd sur mon visage. Elle m’handicapait, m’empêchait de faire bien des choses que je ne savais même pas être saines, que je ne savais pas m’être nécessaires.
Et cette réalisation me frappa d’autant plus fort lorsque ce fut au tour de la jeune lionne de me gratifier d’un conseil avisé. La réalité m’écrasa de tout son poids. Rachel se trompait lourdement : je n’allais pas finir tout seul, j’étais déjà tout seul. Je n’avais personne sur qui compter, personne pour m’accepter tel que j’étais au fond de moi, dans les recoins que je devais cacher pour être accepté de tous. Moi-même je ne pouvais compter sur moi, car je ne me connaissais pas. Je maîtrisais tellement l’art de plaire, j’avais appris à jouer tous les rôles qui plaisaient à mes interlocuteurs, tant et si bien que dans cette collection de masques et de maquillages, je ne savais plus où était le vrai Björn. Cela doit déjà être déchirant pour vous, chanceux de n’avoir qu’un regard extérieur sur la situation, alors imaginez donc pour moi. La solitude était comme un bassin gelé dans lequel on venait de me jeter et j’avais beau me débattre je ne pouvais pas en sortir sans la main d’un sauveteur. Et comme le disait bien l’adolescente en face de moi, je repoussais les quelques mains qui se tendaient dans ma direction. Je ne savais pas pourquoi je persistais à tenter de garder la tête à la surface seul. Je n’aimais pas paraître vulnérable, et pourtant je ne l’avais jamais été autant que maintenant, alors même que je n’avais pas la force de le dissimuler au regard de Rachel.
À cet instant, plus encore que lors de la dernière demie heure que je venais de vivre, j’aurais souhaité être seul. J’aurais souhaité embrasser complètement le sentiment inconfortable et oppressant ma poitrine qui m’envahissait. J’aurais souhaité me perdre à la tristesse, au désespoir, qui empoisonnait mon cœur et rendait ma respiration plus difficile. Mais je ne devais pas, non, je ne pouvais pas. Pas maintenant. Pas en sa présence.
Mais la fatigue m’empêchait de le dissimuler complètement, je sentais déjà mon regard se voiler, l’indice le plus flagrant de ma souffrance tentait de se frayer un chemin jusqu’à mes paupières. Non. Non ! Non non non non non. Pas maintenant. Pas ici. Je serrai fort les paupières. Non non non ! Mais je ne pouvais plus les réfréner, les salops de sillons aqueux qui allaient bientôt briller sur mes jeux. Je ne pouvais que tenter de les dissimuler en enfouissant mon visage dans le creux de mon coude, feignant de vouloir éviter la lumière éblouissante et froide qui agressait mon regard clair. Je devais répondre, aussi. Et peu importe ce que je répondais, que ce soit d’un cynisme d’occasion, que ce soit une pique d’un caractère à me protéger, ou que ce soit la vérité, ma voix trahirait parfaitement toutes les émotions qui ne traversaient à cet instant. Elle trahirait ma fatigue, comme plus tôt, mais également le craquage interne qui se déroulait juste devant les yeux de la jeune femme, qui l’ignorait pourtant encore. J’ouvris la bouche une seconde, mais la referma aussitôt. Seul le bruit de ma respiration trahit cette tentative avortée, mais je savais que, dans le silence de l’infirmerie, la jeune femme l’avait parfaitement entendu. Alors avant qu’elle n’ait l’occasion de faire la moindre remarque ou de me poser cette fameuse question qui faisait craquer quelque personne à qui on la posait sérieusement, de me demander “Ça va ?” avec toute la bienveillance naïve dont elle était capable, je me jetai à l’eau et retentai aussitôt.
« Je sais » commençai-je avant que ma voix ne se casse dans un gloussement nerveux qui trahit l’effort mental dont je devais faire preuve à l’instant. « C’est peut-être pour ça que je le fais. »
Ce que je pouvais être idiot, stupide, abruti et tous les noms d’oiseau qui signifiaient la même chose, que j’étais profondément bête. Le pire, c’est que cela m’était venu naturellement, et c’était un peu ça qui m’avait fait rire au milieu de ma phrase. C’est qu’après avoir répondu « je sais », l’opportunité de faire écho à sa réponse à mon conseil était bien trop grande, bien trop évidente. Nous avions tous les deux conscience de nos défauts, mais nous étions bien trop bornés ou bien trop traumatisés et effrayés pour faire quoi que ce soit pour changer.
Je serrai fort les dents après ma prise de parole. J’avais beau me cacher le visage sous mon bras valide, je pouvais sentir son regard sur elle, l’air alourdi par nos aveux. Mes dents grinçaient doucement entre les muscles de ma mâchoire, mais le bruit résonnait plus fort dans mon crâne. Si elle posait son regard azur sur moi, la gryffondor devait sûrement voir les contractions de mes joues mais j’étais le seul à percevoir les grincements de l’ivoire dans ma bouche.
Le silence était lourd, il enserrait mon cœur tout aussi fort que la tristesse qui avait glissé ses doigts noirs pétroles autour de mon organe et ma gorge. Je savais que nous voulions tous les deux le briser, mais en même temps, cet inconfort qui m’oppressait était rassurant, il me rappelait que j’étais capable de ressentir des choses, que je n’étais pas une simple poupée créée pour satisfaire les gens autour de moi. Je priais pour que l’infirmière arrive à ce moment-là, que ce soit elle qui brise ce silence assourdissant, qu’elle prenne Rachel en charge et qu’elle brise ce moment de connexion qui se créait entre nous. Car je ne voulais pas me sentir lié à quelqu’un, je ne voulais pas que quoi que ce soit me rattache à la réalité, je ne voulais pas avoir une excuse pour devoir rester.
Seulement ce souhait m’ancrait d’autant plus dans cette situation extrêmement violente que j’étais seul. Je n’avais personne. Et vouloir fuir cette réalité me rendait d’autant plus esseulé. D’une manière je ne voulais pas y faire face mais en même temps je souhaitais avec désespoir que l’on me sorte de cette solitude. J’aurais pu pas prier tout mon soûl pour que quelqu’un regarde plus loin que les multiples façades que j’avais créées. Mais c’était demander l’impossible, c’était demander un miracle. J’avais besoin d’un miracle.
*En réalité, ces mots-là sont égoïstes. Je le sais, je me devais de célébrer le simple fait d’être en vie. Et je le faisais, chaque jours, l’un après l’autre, je vivais, je souriais, riais, profitais de tout ce temps que j’avais de moi pour voir mes amis, apprendre, faire ce que j’aimais. Et c’était une chance. Une chance que d’autres n’avaient pas eu. Comme une promesse sans mot, je me souvenais chaque jour que j’étais celle qui avait vécu. Et je ne comprenais pas toujours pourquoi. Mon corps paraissait pourtant bien plus fébrile que celui de Dean, plus fort, plus résistant… Mais c’était pour ses yeux qui s’étaient fermés pour l’emporter dans un sommeil éternel.
Oui, j’étais chanceuse d’être sortie de là vivante. Cela ne m’empêchait pourtant pas de peu et mal dormir, d’être sans cesse pourchassée par ces cauchemars ou par ces souvenirs qui me rendait peureuse, paranoïaque, parfois même sur les nerfs. Un bruit sourd suffisait à me faire porter la main sur ma baguette, l’idée même d’être entourée de moldus me terrorisait, et ma vie quotidienne en était lourdement impactée. Ne serait-ce que pour la peur constante qui me tordait les boyaux d’être effacée de la mémoire de ma fratrie au grand complet. Mes frères et sœurs avaient été bien plus que cela : ils avaient été des amis, des complices, des piliers… L’idée même de disparaître de leurs esprits me brisait le cœur.
Alors, prendre soins des autres était un peu pour moi un moyen d'effacer tout cela, de faire passer les soucis des autres avant les miens, sûrement pour ne pas me confronter aux miens, m’effacer, en quelque sorte. Ainsi, finalement, on pouvait dire que mon altruisme n’était pas inintéressée et cela me faisait vraiment mal au cœur de l’admettre. Je n’étais pas la si gentille petite Rachel que tout le monde voyait… Et j’en avais honte. Voilà bien une raison de plus pour totalement m’effacer, quitte à en disparaître. Oui, si je ne pouvais plus être qu’une coquille capable d’aider et soutenir les autres, je m’en contenterais. Si je pouvais faire disparaître mes peurs, mes angoisses et mes cauchemars, sans pour autant effacer de ma mémoire tout l’amour et toute la tendresse qui étaient nés dans ces jours bien trop sombres, je l’aurais fait.
Mais je ne voulais pas oublier. Non, oublier, c’était fuir lâchement le problème d’une manière bien trop définitive pour que mon esprit l’accepte. C’était aussi renier l'existence de Dean, mais aussi de Jack et de tous les autres enfants dont j’avais partagé les jours pendant de longs mois, toujours avec la peur au ventre, la peur que ce jour-là puisse être le dernier. Oublier, c’était lâche. Mais prendre soin des autres, c’est une bonne cause. S’oublier en se tournant vers autrui, c’était un peu lâche aussi, mais c’était au moins bien pour certaines personnes.
Enfin, difficile d’expliquer tout cela, difficile de parler plus. Ainsi, c’est peut être une énigme que j’offre à Björn, que je lui tends sans crier gare, bien trop facilement pour que ce soit anodin. Pourtant, je me contente de songer qu’il est étonnamment simple de se confier au blond, refusant d’admettre que je viens de lui tendre la perche pour qu’il me batte. Après tout… Björn n’usait pas de mes “vrais” faiblesses pour me faire mal. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il n’ait jamais cherché à me blesser véritablement. Plutôt à me faire sortir de mes gonds.
Finalement, je me tourne vers lui, d’un air calme, pour proférer à mon tour un conseil au blond. Le regard posé sur lui, je le vois presque immédiatement se contracter, se crisper, comme s’il tentait de se faire plus petit. Je fronce les sourcils, surprenant ce geste étonnant chez Björn, qui provoque chez moi de nombreuses émotions indescriptibles, mais surtout, qui fait naître un désir absolu de lui tendre la main, et de prendre la sienne dans la mienne, fermement, pour ne plus la lâcher. Il me répond, mais sa voix est tremblante. Un très léger sourire triste s’affiche sur mes lèvres alors que ses paroles sont le miroir des miennes. Pourtant, je vois bien que ce n’est pas le cas. Il ne veut pas le montrer, surtout pas à moi, moins qu’à n’importe qui d’autre. Pourtant, je suis bien là, à voir sa détresse, à entendre ce souffle caractéristique d’une personne se retenant de craquer. La fatigue et les potions devaient le rendre beaucoup moins capable de camoufler ses émotions, comme il le faisait toujours. Alors, pour commencer, et sans un mot, je déplie mes jambes, et pose mes pieds nus sur le sol froid. Je penche alors mon torse, tend ma main, pour la poser sur la sienne qu’il a reposée au bord du lit. Sa main est froide, quand la paume de la mienne, paraissant ridiculement minuscule contre la sienne, est chaude et douce. J’attends qu’il redresse le regard sur moi, car il le ferait. Mon visage est orné d’une bienveillance tendre, à l’instar de cette main doucement posée sur la sienne. Un sourire délicat orne mes lèvres et le bleu de mes yeux semble s’être réchauffée. C’est ainsi, d’une voix calme et douce que je murmure : *
Tu sais… Tu as le droit de ne pas toujours être fort.
*Je retire ma main, car je connais l’égo du blond, mais je reste penchée vers lui. Je repose cette petite main au bord du lit, mais ne perds pas mon sourire. Björn était peut être le garçon qui m’avait embêté pendant des années, mais pour commencer, il n’avait jamais fait de mon quotidien un enfer. Si ça avait été le cas, je ne serais simplement plus retournée aux enclos seule et la solution était toute trouvée : preuve qu’il ne m’embêtait donc pas tant que cela. Enfin, toujours est-il qu’il avait beau être ce garçon, et malgré toutes mes pensées sur l’égoïsme qui me poussait parfois à agir ainsi, je ne pouvais tout simplement pas le laisser comme ça sans rien dire, sans rien faire. Je n’étais pas du genre à ignorer la détresse de quelqu’un. Et aujourd’hui, pour la première fois, Björn avait laissé échapper un peu de tout ce qui semblait le travailler… Et je me sentais coupable d’avoir peut-être mis le doigt sur quelque chose de difficile pour lui.
Je finis par me redresser et lui offrir un petit sourire.* Et oui, je sais, tu vas encore vouloir me sortir une réplique cinglante. Mais gardes tes forces pour ça plus tard, et reposes toi, en attendant. L’infirmière ne devrait plus tarder maintenant.
Je ne l’aurais jamais avoué à voix haute, même si cela devenait évident, même si mon corps le démontrait de toutes les manières possibles, même si j’avais été sous la menace, mais ce que venait de me dire Rachel White, l’insupportablement bienveillante et douce Rachel Eve White, venait de m’ébranler au plus profond de mon être. La douleur était sourde, lente, insidieuse. Elle m’avait dévoré lentement, me faisant d’abord croire qu’elle serait supportable, avant de s’asseoir lourdement sur moi, tel un incube, et de rendre ma respiration difficile, exténuante, presque anxiogène. Je maudissais mes origines scandinaves qui m’avaient prodigué cette taille de géant à ce moment précis, car j’aurais aimé me faire tout petit et disparaître dans les replis du matelas. Oh ce que j’aurais donné pour disparaître dans l’air de novembre, comme la vapeur du souffle d’un animal au sang chaud se dissipe gentiment dans l’air. La tristesse se ressentait non seulement par la fébrilité soudaine de ma respiration et le fait qu’inconsciemment mon corps tentait de se recroqueviller le plus afin de prendre le moins d’espace possible dans le lit déjà trop court pour mon corps bien trop allongé. Elle se manifestait également dans mon corps par des frissons similaires à ceux que je ressentais avant d’entrer sur le terrain, mais bien plus piquants et froids, comme l’étreinte de l’hiver sur la peau nue. Ces palpitations remontaient jusque dans mes épaules, comme des douleurs fantômes, des manifestations physiques de mon désespoir.
Plus tard, j’apprendrai que c’était une crise d’anxiété. J’avais déjà vécu des crises comme celle-ci par le passé. Juste que je ne savais pas que c’était quelque chose. Je ne savais pas que d’autres personnes pouvaient vivre la même chose, comprendre ce que je traversais. Je me croyais aussi seul que ce que mon cerveau voulait me laisser croire. A mes yeux, ce genre de chose était anecdotique, juste une grosse émotion passagère. J’avais tort.
Tandis que je me laissais envahir par la détresse, bien que je parvins à répondre à la brune avec un cynisme triste à son conseil, ma phrase coupé par un rire nerveux qui traduisait également mon état mental, une main chaude se posa sur la mienne, presque brûlante. Elle fit disparaître les fourmis qui traversaient mes doigts par sa douceur et sa chaleur, et ce contact était la main tendue dont j’avais besoin pour sortir de ce bassin gelé dans lequel on m’avait jeté.
– « Tu sais … Tu as le droit de ne pas toujours être fort. »
Ses mots étaient doux comparés aux précédents. Et pourtant, non, je n’en avais pas le droit. Je ne pouvais pas me donner ce droit. Ma mère croyait en la puissance des noms, en le pouvoir que pouvait avoir leur signification. Elle m’avait nommé Björn, ce qui signifiait Ours, parce que je me devais d’être aussi féroce que cet animal, aussi puissant et fort que l'ursidé. Je me permis enfin d’ouvrir les yeux, même si j’ouvrai les écoutilles qui permettraient à mes larmes de s’échapper par la même occasion, pour tenter de capter son regard aussi bleu que le mien, pour le soutenir malgré la vision troublée par les perles salées. Lorsque je trouvais enfin la force de répondre, sûrement quelque pique bien sentie pour remettre de la distance entre nous, bien que je n’avais pas du tout envie de repousser la main qui me tirait à présent de l’eau glacée qu’était mon anxiété, la lionne se redressa et continua alors que j’entrouvrai à peine les lèvres.
– « Et oui, je sais, tu vas encore vouloir me sortir une réplique cinglante. Mais gardes tes forces pour ça plus tard, et reposes toi, en attendant. L’infirmière ne devrait plus tarder maintenant. »
Premièrement, elle avait raison. Cela faisait bien entre dix et quinze minutes que l’infirmière était partie en me confiant la mission de garder la gryffondor sur place jusqu’à son retour, ce que j’avais réussi à faire jusque-là. En même temps, nos échanges avaient été comme des montagnes russes, je n’avais même pas vu le temps passer. Et je crois bien que c’était de même pour ma camarade. Ce n’est que redressée, bien droite à côté du lit, que je me rendis compte réellement qu’elle m’observait dans toute ma faiblesse. Je me redressai rapidement pour m’asseoir en tailleur sur le lit, les épaules voûtées en avant sur mon bras blessé, ma position signature. D’une main encore tremblante, j’essuyais les sillons humides qui s’étaient dessinés quelques secondes plus tôt sur mes joues jusqu’à mon menton.
Je ne lui répondis pas. Non pas parce que je voulais lui obéir, lui faire plaisir ou quoi que ce soit. Seulement parce que j’étais bien trop fatigué par la journée entière, la blessure et la crise que je venais de traverser, qui avait toujours quelques effets sur mon corps et ma psyché à cet instant. Mon esprit était ralenti, alors qu’il tournait usuellement à mille à l’heure, et mes membres et mon buste étaient encore traversé de soubresauts irréguliers. Quelques longues secondes de silence où j’observai mon bras, penché au-dessus de lui, avant d’oser reprendre la parole. J’aurais changeai de sujet rapidement si je n’avais pas été assommé par les potions dont les effets se faisaient ressentir de plus en plus, peut-être parce que je n’assumais pas d’avoir perdu le contrôle, d’avoir osé montrer l’une de mes plus grandes faiblesses.
– « Merci » dis-je pour clôre avant de continuer. « Mais tu as tort. »
Comme je l’avais dit plus tôt, je ne pouvais pas me montrer faible. Je ne pouvais pas me laisser avoir des failles. Elles auraient pu me mettre en danger face à d’autres. Face à ceux qui en auraient profité pour savoir ce que je pensais vraiment, ceux qui voulaient savoir les couleurs de mon cœur. Mais heureusement, ce n’était que Rachel qui m’avait vu dans cet état. L’innocente petite Rachel qui ne serait jamais aller répéter quoi que ce soit à d’autres mangemorts, qui ne savait sûrement pas que j’étais destiné à en devenir un, qui n’aurait jamais pensé à sonder mon cœur et mes pensées.
Mon visage affichait un sourire triste et fatigué. La pauvre, elle ne savait pas ce que mon ego blessé lui réservait. Mon inconscient ne me permettrait pas de lui montrer du soutien pendant bien quelques semaines, peut-être des mois même. Je n’étais pas fondamentalement méchant, mais mes défauts reprennaient le dessus lorsque l’on mettait en danger cet ego déjà fragile.
*La solitude était une vieille amie. Déjà petite, j’avais eu des moments où j’aimais être seule, devant ma feuille. C’était sûrement l’une des premières choses qui m’avait fait commencer le dessin. J’avais l’impression, pour une fois, de ne pas avoir à penser, ni pour moi, ni pour les autres. De juste vivre, un instant, hors du temps. Oui, la solitude était une amie.
Pourtant, il fut un temps où je l’avais haï. Seule, seule face à ces prêtres, face à mes parents, qui avaient brisé ma baguette, mon cœur et mes espoirs. Et puis, je ne m’étais plus sentie seule, ensuite. Beaucoup moins, en tout cas. Jusqu’à la mort de Dean. J’avais eu l’impression que la vie de tous ces enfants reposaient sur mes épaules, je ne partageais plus ce poids avec ce garçon de mon âge, un ami, fait dans les pires conditions, mais un ami tout de même. J’avais même eu parfois l’égoïste pensé qu’il m’avait abandonné, et que j’étais maintenant seule, seule avec l’idée de maintenir à flot tous ces esprits. Mais qui m’aiderait, moi, à me maintenir à flot ?
La solitude m’avait parfois trahie, mais je savais néanmoins qu’elle n’était pas mon ennemie. Elle ne l’était plus, du moins. Parce qu’aujourd’hui, lorsque je la ressentais, c’était un choix.
Et je savais que c’était une chance.
Voilà pourquoi, en voyant Björn ainsi, tremblant, blessé, mal en point, je pose une main, douce, chaleureuse, réconfortante sur la sienne. Je l’y laisse, jusqu’à ce que je sente qu’il se soit un peu calmé, même s’il lève vers moi un regard humide que je ne lui avais jamais vu et qui me brise le cœur. Je me demandais comment il pouvait parvenir à maintenir tout cela en lui, quand quelques mots -alliés à beaucoup de fatigue et quelques potions anti-douleur- avait suffit à le mettre dans cet état. Et pour être honnête, je m’en voulais, j’avais comme l’impression d’être la raison de ses larmes. Et si je n’avais pas su que l’égo de Björn était bien trop grand pour cela, je me serais assise sur le lit avec lui pour l’enlacer, poser sa tête contre mon épaule pour caresser ses cheveux, en lui murmurant des mots doux pour l’aider à se calmer. Mais Björn le prendrait probablement très mal. Alors je me contente de cette main. Elle semble suffire, pour l’instant en tout cas.
Alors je me redresse, alors qu’il se rassied un peu plus “dignement”, ou en tout cas, c’était ce qu’il pensait. Enfin je ne peux m’empêcher de garder un œil vraiment inquiet sur lui. Maintenant que j’avais vu cela de lui… Je savais que rien ne serait plus jamais pareil, entre lui et moi.
Après un instant, il me répond. Il commence par me remercier. Et je souris, tendrement, en hochant la tête, pour lui faire comprendre que ce n’est rien. Mais il ajoute que j’ai tort. Et je soupire. J’inspire un grand coup, reprenant cette position que j’avais un instant plus tôt, celle que j’avais pris l’habitude de prendre dans cette petite cellule où l’espace personnel était une denrée rare.*
You know… I felt that before. Just for few months, but… Yeah, I felt like…
*Se confier à Björn, ce n’est étonnement plus compliqué. C’est évident, même. C’est fluide. Même si je fronce les sourcils. Même si je lui dis des choses que je n’ai jamais dit à personne.*
I had to be strong, for these kids who had no one but me. And then, I went out of this hell, and I realized… All this time, I was just pretending. I’ve never been strong. But that’s okay. What’s important is that… Those who needed to think I was, strong, brave, all this, they believed it. But I don’t have to be strong to everyone. And you don’t have to neither. Not all the time, not with everyone.
*Je soupire, et tourne finalement le regard vers lui, et me mords la lèvre, avant de murmurer une dernière phrase.*
And feeling lonely doesn’t mean you’re alone.
*Après cette dernière phrase, mon regard se pose sur lui. Il est intense. Autant que le sien. Comme le sien, un instant plus tôt, mes yeux ont été envahis de quelques perles salées, que j’essuie avant qu’elle coule sur ma joue. Ma voix, il avait pu l’entendre trembler, en reparlant de tout cela. De ce moment où je lui avoue que je n’ai jamais vraiment été forte. C’était une certaine honte, surtout quand je l’avais réalisé. Réalisé que je n’étais qu’une menteuse, n’était pas simple… Si j’en avais parlé à Sybil, elle m’aurait pourtant affirmé que c’est en prétendant qu’on devient sûre de soi, fort, confiant, courageux. Et que je l’avais été. Pour l’instant, au fond, ce n’est pas vraiment important.
Et c’est encore moins important lorsque la porte s’ouvre, un peu brusquement. Je détourne le regard, et inspire un grand coup, pour cacher l’émotion qui s’était logée au fond de ma gorge.*
“Ah Miss White, you’re still there, that’s great. Sorry, harder case than I thought. Anyway. Please come with me. We should leave Mister Shafiq to get some sleep, now.”
*Elle me sourit, mais je vois qu’elle ne me laisse pas vraiment le choix. Je soupire un peu, et glisse mes pieds dans mes chaussures que j’ai laissées au sol devant moi. Je me lève, et remets mon sac sur mon épaule. Je commence à marcher, alors que l’infirmière se dirige vers une pièce attenante pour l’examen médical en toute intimité… Mais avant de partir, je me tourne vers Björn et lui offre un petit sourire complice, pour lui faire comprendre que tout ce qui venait de se passer et de se dire était… Notre petit secret. Tant pour lui et son moment de faiblesse, que pour moi, mon moment de panique, et ces aveux difficiles.*
Rest well.
*Je hoche la tête, et m’éloigne, non sans jeter un dernier regard en arrière vers le blond, avec ce sentiment d'inquiétude qui ne quitterait pas ma poitrine, appuyé par cet étrange sensation que j’avais ressenti quand son immense main avait délicatement retenu ma frêle épaule et que, pendant quelques secondes, en silence, je m’étais noyée dans l’océan azur de ses iris.*
Après mon ultime réponse, j’étais persuadé que je pourrais camper sur ma position peu importe ce que la gryffondor pouvait bien avoir à me répondre. Mais plus ses mots s’alignaient, plus ses phrases s’allongeaient, moins j’avais cette certitude. Mais j’étais buté, alors je ne le montrai pas, mais au fond de moi les rouages tournaient frénétiquement tandis que je tentais d’avancer dans mon cheminement de pensée pour comprendre son point de vue et compléter le mien.
Elle prétendait pouvoir me comprendre dans un sens, pouvoir comprendre pourquoi je voulais, non devais, apparaître fort et sûr en permanence. Car elle aussi avait dû mettre ce masque de confiance en soi, au péril de sa vie, au péril de celles d’autres. Ce qu’elle ne comprenait pas, c’était que j’étais né avec ce masque, je n’avais pas eu le choix de l’endosser. On m’avait forcé la main, on l’avait posé sur mon visage par le nom que l’on m’avait donné et celui dont j’avais hérité, par la signification de mon prénom et par les implications de l’autre. De ce masque ne dépendait pas seulement ma survie, mais ma vie entière, toute la partie sociale.
Peut-être que si j’avais été moins fatigué, de meilleure humeur et bien plus capable de réflexions poussées, j’aurais pu lui répondre que ce n’était pas vraiment un mensonge, qu’elle n’avait pas pu finir dans la maison sous l’emblème du lion si elle n’était pas réellement brave au fond d’elle, que c’était sûrement une part d’elle enfouie qui s’était exprimée durant ces mois de captivité, qu’avoir peur ne signifie pas qu’on n’est moins courageux. Seulement, je n’avais pas du tout la tête à cela. Je n’étais pas prêt à faire des superbes punchlines inspirantes comme Rachel, je n’avais pas du tout l’esprit assez clair pour ça. Le brouillard des potions et de la douleur commençait réellement à l’emporter sur moi, mes paupières se faisaient lourdes et ma vision se noircissait alors même que j’avais les yeux encore ouverts.
Puis je capte son regard, et c’est la seule chose que je perçois, la seule chose assez intense pour me tenir éveillé. Ce bleu est profond, perçant, aussi froid que l’air qui soufflait fort contre les vitres de l’infirmerie dehors, étant à présent le seul bruit qui brisait le silence pesant sur la pièce. Pendant de longues secondes je ne clignai pas des yeux malgré la sensation piquante que les larmes avaient laissé après les avoir quitté, qui me poussait également au sommeil. La jeune lionne me rendait ce regard, dont elle avait commencé l’échange après tout, et je pu remarquer le seul indice de l’émotion que nous avions partagé, la tristesse, même si elle l’essuya prématurément avant sa chute sur son visage doux.
On serait sûrement resté comme ça encore de longues minutes si l’infirmière n’était pas revenue, seulement, elle revint. La soignante ouvrit la lourde avec fracas, qui claqua après son passage, me faisant sursauter malgré l’étreinte de Morphée qui se faisait de plus en plus insistante sur moi. A cause de mes sens de plus en plus atténués, éteints par mon basculement proche vers le sommeil, je ne compris pas vraiment ce que la femme demanda à Rachel, mais je devinai qu’elle invitait ma camarade a enfin effectué la batterie de tests qu’elle lui avait promis. Ce que je compris parfaitement, par contre, c’est le sens du sourire que ma camarade me jeta. C’était comme si elle m’avait dit “Ne t’inquiètes pas ! Je ne dirais rien à personne !” aussi je tentai de lui sourire en retour malgré mes paupières qui se fermaient presque complètement à présent.
– « Merci ! Toi aussi » je fus capable de lui murmurer en retour, me rendant presque pas compte que je m’endormais debout, enfin assis.
Après quoi, tout est très flou. Je crois bien que je m’endormis très rapidement après cela, mon bras était toujours lourd comme une pierre suspendu à ma nuque par une écharpe, mais au moins il ne me lançait plus comme si un deuxième cœur logé au fond de mon membre battait fort au point de faire exploser mes vaisseaux sanguins. Cette nuit, mon sommeil fût troublé par de nombreux rêves très vivaces, sûrement à cause des potions. Dans la plupart, je continuais cette discussion que j’avais eu avec Rachel, soit avec elle, soit en monologue tout seul. La plupart de ces discussions prenaient lieu là où Madame MacFusty nous donnait les cours de soin aux créatures magiques, à l’enclos, mais il n’y avait pourtant jamais aucune créature s’y baladant.
Dans tous les cas, avec les scénarios qui traversaient mon cerveau et toutes les images et réflexions qui s'enchainaient, cette nuit n’allait pas être reposante. Mais avec les soins que l’infirmière me prodiguait, celle-ci ne me permettrait pas de vraiment reprendre un rythme normal au moins avant le surlendemain de mon accident. Après tout, les blessures s’oublient plus vite dans le monde des sorciers, mais la magie ne fait pas des miracles non plus.