Il pleut à Londres lorsque le soir tombe enfin. Sévastian remonte les bords de son blouson de cuir afin de se préserver au maximum de la météo, cheveux plaqués sur son front par l'assaut incessant des gouttes. Il n'y fait pas attention. Non, le jeune homme est concentré sur tout autre chose : la mission incroyablement vague et compliquée qu'on vient de lui confier, d'abord, mais aussi le partenaire incongru qu'on lui a collé pour l'accomplir. A peine il le voit approcher, silhouette sombre et massive derrière le rideau de pluie, qu'il doit retenir un pincement mécontent de saisir ses lèvres.

Kesabel Greyback. Une bête sauvage, un prédateur féroce et impitoyable dont seul l'égo rivalise avec la violence. Sévastian l'observe d'un œil critique, retenant son plaisir à la vue de son "partenaire" dans une tenue moldue, puis hoche la tête en guise de salut.

"Greyback."

Ses doigts s'enroulent autour de sa cigarette électronique et il expire avec une fausse tranquillité la vapeur blanche de son addiction. Ses yeux ne quittent pas ceux de son interlocuteur. Un silence pesant s'installe entre eux tout d'abord, parce que Sévastian se méfie, parce qu'il a plus la sensation de faire face à un ennemi qu'à un collègue, parce que son instinct hurle de fuir ou de se battre lorsqu'il se tient devant cet homme avec lequel il va pourtant devoir collaborer.

"Quelle est votre démarche préférée pour trouver le papier ?"

Il retient de justesse la remarque cinglante, le Je me doute que ne pas tuer vous pose quelques difficultés qui voudrait lui échapper. Au lieu de ça, le jeune homme croise les bras.

"Le plan n'étant pas particulièrement précis, on ne peut pas être sûrs de sa fiabilité et il y a un risque réel pour que le document ne se trouve pas précisément là où on le pense. Il faudrait qu'on prévoit des solutions de secours, ou comment déterminer précisément la salle et comment y accéder sans élever les soupçons. Qu'en pensez-vous ?"

Ca lui troue l'estomac de demander son avis à cet espèce de monstre, mais Sévastian serre les dents contre le mépris que lui inspire son interlocuteur et tente de jouer la coopération. On verra où cela les mène.  

Greyback pose ses yeux sur lui et ce seul geste lui donne envie de le tarter. C'est épidermique : l'attitude de son vis-à-vis l'insupporte, que ce soit dans son dédain, dans son mépris général de la vie d'autrui ou dans ce sentiment de supériorité dont il dégouline... Un soupir lui échappe tandis qu'il serre la mâchoire. Que lui importe que le loup le juge ? Kesabel n'est pas exactement à sa place pour tenter de le rabaisser. Il ne vaut pas mieux que lui, n'a jamais valu mieux que lui, et il peut se carrer ses opinions là où le soleil ne brille jamais.

Mais la colère sourde qui brille dans son regard ne franchit jamais la barrière de ses lèvres. Coopérer. Ils sont là pour coopérer. Plus encore, ils sont là pour compter l'un sur l'autre. Et si la seule pensée le ferait d'ordinaire frissonner d'effroi, Sévastian n'est pas assez stupide pour ignorer la gravité de la situation. S'infiltrer dans le QG du Blood Circle, c'est avant tout être entouré de personnes qui vous souhaitent un sort pire que la mort - et qui n'hésiteront pas à vous le faire subir. Dans ce contexte, Kesabel Greyback est son seul allié. Et vu la tronche de l'allié, il ne peut qu'adresser quelques prières à Merlin pour leur destin commun.

« Déjà, faudrait pouvoir rentrer. Ces cons ont des badges pour circuler. »

Il hoche la tête en tirant de nouveau sur sa cigarette.

« Il faut qu'on en chope deux sans se faire repérer. Ca va déjà être un joli challenge. »

Leurs regards sont rivés sur le plan vague qu'on leur a confié comme seule directive. Le barman l'observe avec attention, tentant de se remémorer les couloirs qui mènent au cœur de la gare désaffectée qui est ciblée ce soir. Il croit... Il croit s'y être déjà rendu, dans un autre temps, à l'époque où il n'avait rien d'un sorcier et tout d'une ombre. L'idée d'avoir été si proche de ces monstres lui déplait. Une moue mécontente lui tire le visage tandis qu'il engage la discussion, cherchant à établir un plan qui se fait couper aussitôt par son charmant compagnon:

« J’ai pas de boule de cristal Dimitrov...»

Merci, Greyback. Autant pour ses tentatives de converser avec lui. Sévastian lui assène un regard peu amène, retenant la remarque acerbe qui pousse contre ses lèvres. C'est un sourire tendu qui bourgeonne sur ses traits :

« Je m'en doutais. Merci. Pour ce qui est de pénétrer le bâtiment, je... connais des passages. Possiblement. »

Une œillade vers son... partenaire, une inspiration, puis il reprend.

« Certains SDF squattent parfois une entrée d'un tunnel de métro qui se situe vers une porte, par là. C'est galère pour rentrer sans magie, il faut escalader la porte et se glisser entre les barreaux au dessus, mais c'est faisable. Je suis pas sûr qu'utiliser un sort sera une bonne idée. Du tout. Vu le contexte. »

"Certains" pour ne pas dire "je", mais il y a un tas de choses que Greyback n'a pas besoin de savoir et son passif à la rue en fait partie. Il est certain que le loup va déjà se poser trop de questions après son discours, inutile d'insister.

« Le passage mène à l'ancienne salle des moteurs, après il faudra emprunter un ascenseur de service ou des escaliers, clairement. Ce sera un dédale mais on peut pas faire mieux que ça. »

Parce qu'effectivement, même si ça lui coûte de donner raison à son interlocuteur, ils n'ont simplement aucun moyen de prévoir la suite. Et ça le fait chier.