Les moldus et élèves de Poudlard du forum se sentent cruellement seuls au milieu de tous ces sorciers adultes, alors pensez à les privilégier pour vos personnages
Hier, une fine pluie avaient humidifié l’atmosphère, caressant faune et flore aux alentours de l’immense école de magie. Ces jours-là, je préférais me réfugier dans la bibliothèque ou dans le salon de ma maison. Là-bas, je lisais, discutais calmement avec mes amis, ou prenais un peu de temps pour moi. Ce jour-là, ce fut la première option que j’avais choisi, comme presque toujours depuis le début de ma sixième année.
J’avais encore tant de lacune à rattraper que je ne savais pas encore si tout cela était possible. Etudier pour la cinquième et la sixième année dans le même laps de temps était loin d’être simple. Heureusement, pendant mes trois mois d’été, et grâce aux Slughorn et à tous ces cours particuliers que j’avais pu prendre, j’avais presque rattrapée la moitié de mon année. D’une nature déjà studieuse et concentrée, je m’étais donné corps et âme dans ces leçons pour avancer le plus vite possible. Et si j’avais été plutôt fière de moi à la fin de l’été, je réalisais que c’était bien loin de suffire. Je n’étais pas autant largué que j’aurais dû l’être. Mais j’étais loin d’atteindre le niveau scolaire que j’avais avant... Avant l’année précédente.
Puisque j’avais passé la journée d’hier à réviser et qu’aujourd’hui, le soleil brillait au dessus de Poudlard, j’avais décidé de prendre un peu de temps pour faire ce que j’aimais. Je ne pouvais pas étudier vingt-quatre heures par jour : j’avais essayé, et j’avais moi-même constaté que j’étais rapidement beaucoup moins efficace si j’étudiais pendant plus de 10h dans une même journée. Alors, pour une fois, je m’étais accordée un jour de repos. Après tout, ce temps, que je passais pour moi, était aussi utile pour mes études, et peut être même pour mon futur. J’avais encore un peu de temps pour m’orienter, mais il n’était pas improbable que je finisse par choisir le soin aux créatures magiques pour mon avenir… Ou peut être les potions ? Cette passion là n’était apparue que cette été, mais Monsieur Slughorn était si passionné qu’il m’avait fait plonger dans ce monde qui me plaisait énormément. Ou peut être encore la médico-magie ? Très jeune déjà, j’avais montré de très bonnes disposition à la magie de guérison. Aider les autres était dans ma nature, alors pourquoi pas ? Tout cela était encore très flou. Mais même si je me tournais vers les deux autres options, je savais que je ne pourrais jamais tourner le dos aux créatures qui m’émerveillaient chaque jour un peu plus depuis que j’avais découvert que leurs existences n’étaient pas un mythe, mais une réalité. Les dragons, les licornes et autres créatures étaient des êtres majestueux, qui me fascinaient pleinement.
Voilà pourquoi, dès mon arrivée à Poudlard, il y a maintenant 6 ans, je m’étais rapidement dirigée vers cet endroit. D’abord, simplement pour venir les observer. Je pouvais y passer des heures. J’avais fini par proposer, très timidement, mon aide, et commencé à donner un coup de main, par-ci, par-là. Vider un box, nourrir des animaux, ou simplement les surveiller pendant leur sortie. Finalement, un jour, j’avais amené mon matériel à dessin. Au début, mes dessins n’étaient pas parfait. Les proportions n’étaient pas idéales, les ombrages aléatoires, les mouvements encore flou. Avec le temps, et grâce à l’aide de Mme Macfusty, je m’étais amélioré. En dessin, encore plus qu’ailleurs, « le diable est dans les détails ». Le moindre traits de travers pouvait rendre un dessin complètement faux. Je ne savais pas si Nietzsche dessinait, mais pour moi, c’était bien là que sa citation s’appliquait le mieux.
Depuis le début de l’année, je m’étais rarement accordé ce plaisir que je prenais pourtant tous les jours, ou presque, avant cela. J’avais tant à faire pour rattraper mon retard… Mais à cet instant, je ne voulais pas y penser. Bien emmitouflée dans ma cape, mon écharpe rouge et or, et mon collant en laine, une sublime sacoche en cuir pendait et venait régulièrement cogner ma hanche, au rythme de mes pas pendant que je descendais les marches qui menaient jusqu’à ces créatures que j’aimais tant. L’air était frais, le mois de Novembre venait de commencer, et mon souffle se transformait en petit nuages qui s’envolaient vers leurs congénères, très haut dans le ciel clair.
Une fois arrivée près des enclos, je m’approche pour venir observer les merveilles qui s’y trouvent. Un sourire aux lèvres, je m’installe juste au niveau de l’enclos et sors mon carnet et quelques crayons. Appliquée et l’oeil rivée sur les créatures qui sont allongés-là, les traits sur la feuille blanche se transforme petit à petit en un portrait réaliste des deux animaux qui dorment tranquillement devant moi. Je me sens apaisée. Tout ici est parfait : le calme, les créatures, la nature.
Mais j’aurais pourtant dû me douter que ce moment paisible n’aurait pas su durer éternellement. Pourtant, concentrée dans mon dessin, je n’entends pas les pas lourds du Serpentard que je n’avais que brièvement croisé dans les couloirs, depuis la rentrée. Les rares fois où j’étais venue jusqu’ici, je n’y étais sûrement pas resté assez longtemps pour le croiser. Et pourtant, ce garçon-là, à force, je le connaissais bien. Il avait dû faire parti de ceux qui avait remarqué mon absence, puisqu’il n’avait plus sa petite gryffie à embêter en venant voir les créatures magiques et donner un coup de main aux professeurs. Et même s’il m’agaçait, il avait réussi à me manquer. En même temps, même le pire type de Poudlard m’aurait terriblement manqué pendant tous ces mois. Et Bjorn n’était pas le pire. Il était irritant, agaçant, et tous les synonymes que vous pouvez trouver. Mais il n’était pas non plus… Comment dire, je ne pensais pas qu’il ait véritablement un mauvais fond.
Pourtant, en sentant une présence dans mon dos, un frisson de peur me parcourut, et je me redressais immédiatement, la main sur ma baguette. La dernière année m’avait laissé des marques, sur mon corps, évidemment, mais aussi, et surtout, dans mon esprit. Mon élan de peur s’achevait quand je découvrais les cheveux blonds qui encadrait un visage, d’apparence tendre, couvert de petite tâche de rousseur. Un petit démon avec une gueule d’ange, voilà ce qui décrivait le mieux le serpentard.
Je soupirais, et rangeais ma baguette, avant de murmurer.*
Ce n’est que toi. Salut.
*Je ne comptais pas lui dire qu’il m’avait fait peur. Déjà, parce qu’il l’avait bien vu. Et ensuite, je ne tenais pas à ce qu’il se moque de cette réaction. Et je savais qu’il était suffisamment taquin et provocateur pour que je ne lui tende pas une perche de plus.*
Je peux faire quelque chose pour toi ?
*Je ramasse mon carnet et mon crayon qui se sont envolés de mes genoux quand je me suis redressée d’un bond, avant de me tourner vers le blond, mon carnet serré contre mon coeur, comme si, à travers le tissu, on pouvait voir La Croix qui ornait ma poitrine de sa marque terrifiante, une marque que je détestais. Et je ne voulais pas que Bjorn puisse en entendre parler. Je savais bien à quoi rimait le petit jeu auquel il jouait depuis mon arrivée ici. Et je savais aussi que j’étais moins effacée, moins silencieuse, maintenant que j’étais revenue. Alors je n’étais pas certaine de pouvoir ne pas réagir, cette fois, à ses provocations. Mais je ne voulais pas lui donner cette satisfaction, ce serait trop facile. Beaucoup trop facile.*
Ce jour-là, je m’étais levé aux aurores. Le soleil ne s’était même pas encore levé quand je sortis du château, encore une tartine à la main et les yeux encore un peu bouffis de sommeil. J’avais décidé que je passerais la journée à m’entraîner pour la saison de Quidditch, et peut-être trouver des idées d’exercices nouveaux à montrer au reste de mes coéquipiers. Je vous ai déjà dit que j’étais quelqu’un de borné ? Non ? Bah maintenant vous le savez. Quand je me fixe un objectif, j’y parviens, et je mets tous les moyens nécessaires en œuvre pour y parvenir. S’il me fallait me lever à six heures du matin un jour de repos pour passer la journée à m’entraîner, je le faisais.
Bref, où en étais-je ?… Oui ! Je me mis en marche, engloutissant la fin de mon petit-déjeuner sur le pouce, en direction du terrain de Quidditch qui, normalement, était inoccupé ce jour-là. En même temps je pense qu’à cette heure-ci, peu de gens devaient y traîner, ou plutôt personne. L’air encore humide me piquait les joues et le bout du nez, comme si mes taches de rousseur prenaient feu. C’était le temps idéal pour les entraînements intensifs, ne pas mourir de chaud durant l’effort, mais une plaie lors des moments de repos. Il était aussi très traître lorsqu’il s’agissait de rester bien hydraté, dissimulant la sensation de soif.
Comme je m’y attendais, et comme c’était prévu selon le planning d’occupation du terrain auquel j’avais jeté un œil rapide la veille, juste au cas où, aucun balais ne volait au-dessus de l’ovale de sable, et aucune robe colorée ne courait autour de celui-ci. J’avais le lieu pour moi tout seul. Et j’en profitai du mieux que je le pouvais, tout y passa durant cette longue journée : renforcement musculaire, parcours en balais, travail de la vitesse de vol et même esquive de cognard ! Quand je dis tout, c’est tout !
Je n’ai jamais vraiment su pourquoi je m’acharnais toujours tant à devenir le meilleur en tout ce que je faisais, et particulièrement au Quidditch. Je n’avais pas prévu de devenir joueur pro, mon chemin étant tout tracé dans les pas de mon père avant moi, en magizoologie, d’autant plus que contrairement à Magnus, j’adorais cette matière. Rien ne me forçait à continuer le sport, mes parents avaient même été plutôt contre avant d’apprendre que cela me maintenait en forme physiquement pour mieux tenir face aux équidés. Et puis je ne pouvais vraiment pas me contenter d’être second ou PARMI les meilleurs, je devais être LE meilleur. Comme dans tous les autres aspects de ma scolarité à Poudlard d’ailleurs. Owen et Aslang m’avaient toujours poussé à me surpasser, certes, mais pas à ce point. Qu’est-ce qui me poussait à me donner tant ?
C’est donc cette question qui m’embrumait l’esprit, comme les traînés que ma monture laissait derrière moi sur mon chemin au-dessous des nuages, pendant une bonne partie de la journée. Tant que je ne remarquais pas la course effrénée du soleil au-dessus de moi, qui indiqua rapidement le début de l’après-midi. C’est le souffle court et les muscles meurtris par le premier entraînement le plus intense de cette septième année scolaire que je me posai lourdement au sol, que dis-je, que je m’écrasai genoux à terre contre le sable jaune et collant d’humidité. Je ne savais combien de minutes, d’heures même, j’avais passé en l’air sans me poser une seule fois, mais mon arrière train endoloris ne m’en félicitait pas, lui. Et je restai là un instant, à reprendre mon souffle qui s’échappait en gros amas de minuscules gouttelettes d’eau qui s’éparpillaient dans l’air et montraient la direction de celui-ci devant mon visage. Je sentais mes mèches blondes humidifiés par les vents de Novembre qui m’avaient ballotés dans tous les sens quelques mètres plus haut tomber en arrière sur mon crâne, chatouillant ma nuque, le visage alors tourné vers le ciel gris mais éblouissant. C’était une sensation exquise que de laisser la tension quitter mes membres, en admirant les nuages si denses qui ne parvenaient pourtant pas à dissimuler l’astre solaire, comme l’espoir ne peut pas réellement être caché par tous les doutes qui peuvent parfois nous envahir.
Après de longues secondes qui me paraissaient presque être des minutes, je trouvai la force de me relever et de trimballer le matériel à sa place. La seule chose dont j’avais la flemme à cet instant fut de changer de tenue, j’appréciais beaucoup trop le confort du gros pull en laine aux couleurs des serpents pour le quitter, d’autant plus si c’était pour revêtir une chemise qui me serrait et m’empêcher parfois de respirer, à moins que ce ne soit qu’un tour de mon esprit pour m’empêcher de fermer le bouton du col. C’est donc pour cela que je décidais juste de ranger mes protections aux vestiaires, bien trop encombrantes pour être portées pour le fun, et de laisser mes pas me guider. J’avais toujours l’esprit encombré de nombreux questionnements, d’autant plus que cela faisait déjà quelques semaines que mes certitudes tombaient en miettes : voulais-je vraiment de l’avenir qui m’était réservé ? Étais-je prêt à sacrifier ma liberté pour atteindre la validation et les attentes de mes parents ? Étais-je prêt à me taire à jamais, plutôt que de parler maintenant ?
Paradoxalement, je me retrouvais ensuite vers l’objet de tous mes doutes : l'enclos où avaient lieu les leçons de magizoologie. En plusieurs semaines, tout comme mes plans d’avenir s’étaient colorés de doutes, le parc s’était coloré de notes chaudes, flamboyantes, contrastant avec les températures qui ne faisaient quant à elles que chuter. Et c’est là que je vis un écho du passé, un fantôme que je pensais disparu pour de bon. Sa chevelure brune qui tombait en cascade sur son écharpe rouge et or, l’opposée polaire de mon pull vert et argent, ne pouvaient pas me tromper. Je n’étais même pas à deux mètres lorsqu’elle se redressa, pointant sur moi une baguette que je ne reconnaissais pas. Je levai donc instinctivement deux mains innocentes à la hauteur de mon visage, pétrifié devant une expression nouvelle, que je ne lui connaissais pas. Des sourcils froncés scrutateurs, ses lèvres pliées en une moue de défi, à moins que ce ne soit de l’hostilité, mais surtout une peur. Une peur dans ses prunelles, qui voilait l’éclat habituel de son regard. Mais elle ne resta même pas une seconde, le temps de reconnaître la cible de son arme. Après un soupir, qui camoufla le mien, elle brisa le silence qui pesait entre nous.
- Ce n’est que toi. Salut. - Heu salut, répondis-je piteusement, encore secoué par cet accueil. - Je peux faire quelque chose pour toi ?
Face à une telle démonstration de terreur, qui devait cacher de bien plus gros traumatismes, ce qui confirmait un peu les rumeurs que j’avais entendues, je ne savais pas si je pouvais être aussi pauvre en tact que la dernière fois que je l’avais vue. Mais parfois, et je l’avais bien appris après avoir grandi dans une famille comme la mienne, prétendre et faire comme si de rien n’était était la meilleure solution. Je ne savais pas si c’était le cas ici, mais je pouvais tenter le coup, après tout.
- Je sais pas … me dire où tu as disparu tout ce temps ?
Je me surpris moi-même à être aussi sincère, et décidai de m’accroupir en face de la barrière, comme si le fait qu’elle me réponde ou non ne m’importait pas. Au fond, cela m’importait. Je m’étais inquiété de sa disparition, et pendant un moment j’avais bien eu l’impression d’être le seul à en avoir eu quelque chose à foutre de Rachel White, alors que j’étais censé être un simple bully. Alors j'ajoutai pour faire bonne mesure en tant que connard attitré de la gryffondor :
- T'avais perdu le chemin jusqu'au château ou plus d'argent pour le billet de train ?
*La peur est une sensation qui vous tord les boyaux, vous bloque le souffle et vous coupe la gorge. Chez moi, la peur n’était né que bien tard. Oui, bien sûr, avant, j’avais déjà eu des petites frayeurs. J’avais failli tomber de mon balais, au premier cours. J’avais raté une potion, qui avait explosé sur ma robe de sorcière… Elle avait été irrécupérable, teinte dans un jaune fluo particulièrement immonde. J’avais oublié un carnet de cours quelques temps avec l’idée de perdre toute mes notes. J’avais crains que mes parents ne croient plus en mes mensonges.
Des petites frayeurs, rien de plus. Mais la peur, la vraie peur, c’était dans un sous-sol, froid, humide et sombre que je l’avais découverte. Je l’avais découverte, lorsque ma baguette avait été brisé, puis brûlée sous mes yeux, pendant que je suppliais pour qu’on ne la touche pas. Rapidement, mes suppliques ne se tournèrent plus vers un objet tiers. Que valait une baguette face à mon corps ? Les coups, la faim, la soif, le froid, les coupures, la lecture de la bible, en boucle, encore et encore. Il y avait de quoi perdre la tête.
Mais ce supplice-là n’avait pas duré. Je n’aurais pas su dire exactement combien de temps j’avais passé là. Difficile à dire : la seule source de lumière de cette pièce était artificielle. Les temps où j’étais seule m’étaient apparus comme des éternités. Je pensais y avoir passé environ un mois, et lorsque l’on avait pu voir les documents, et d’après mes souvenirs, c’était, à peu de choses près, bien cela : un mois. Un mois, où mes propres parents avaient observer des hommes venir blesser leur fille aînée, installée sur une croix, épuisée, assoiffée, affamée. Ils les avaient regardé faire, sans rien dire, sans écouter une seule de mes prières. C’était peut être cela qui m’avait le plus brisé. Cela, et ce dernier jour de torture, dont la marque resterait gravée dans ma peau pour toujours. Une croix, La Croix du christ, la même que celle sur laquelle j’avais été installé, dont on m’avait à peine descendu quelques heures pour me nourrir et me donner à boire, pour ne pas perdre mon corps.
Et puis, on m’avait emmené ailleurs. J’étais trop faible, beaucoup trop faible pour lutter, pour m’enfuir, pour user de ma magie.
Au centre des Terry, j’avais découvert une nouvelle chose. Quelque chose d’intensément puissant. L’espoir. L’espoir, oui, celui de parvenir à s’échapper, celui d’être retrouvé. Seule, dans une cave, qui pourrait me retrouver ? Mais ici, je n’étais pas seule. Personne n’abandonnerait des enfants à un sort pareil. Et moi, encore moins.
C’était aussi là bas que j’avais découvert pourquoi le choixpeau m’avait dirigé vers Gryffondor. Moi, la petite brune, discrète, presque effacée… J’avais eu l’impression de ne pas avoir ma place, au milieu de tous ces gens au caractère si fort, au charisme étincelant et au leadership indiscutable. Moi, je n’étais pas une dirigeante. J’étais plutôt une suiveuse.
En tout cas, c’était ce que je croyais. Comment aurais-je pu savoir que je m’étais trompée ? Je n’étais pas faite pour diriger et mener un groupe d’égal, c’était vrai. Je n’avais pas assez confiance en moi pour ça, et je préférais mettre tout le monde sur un pied d’égalité quand c'était le cas. En revanche, lorsque je sentais que l’on avait besoin de moi, alors je ne reculais pas. C’était exactement ce qui s’était passé au centre des Terry. Comment aurais-je pu laisser tous ces gens, ces enfants, dont les grands yeux me rappelaient ceux de mes frères et soeurs, sans leur tendre la main ? A mes yeux, je n’avais pas fait grand chose. Distribuer des sourires, raconter des histoires, me porter volontaire pour épargner les douleurs les plus insoutenables aux enfants… Autant de choses qui n’avaient été qu’une évidence, pour moi.
Ces mois-ci avaient été longs, mais si la douleur physique avait été très difficile, psychologiquement, il m’avait été étonnement plus simple de supporter d’être le rat de laboratoire d’inconnu que la poupée sans âme devant les deux êtres qui m’avaient donné la vie, qui m’observaient la perdre doucement sans piper mot. Mais j’avais survécu. J’avais survécu, mais à quel prix ?
Je ne serais plus jamais la même. Si ma vie avait repris un semblant de normalité, que les Slughorn avaient été un phare dans l’obscurité, que de me concentrer sur mes études avaient été véritablement un moyen de tenir, il y avait des choses qui avaient changé. J’étais plus méfiante. Pas forcément sur les sorciers. Au contraire, même. Je faisais plutôt confiance aux sorciers. Même ceux dont les ambitions étaient fortes et la notion de pureté de sang essentielles n’oseraient jamais traiter les leurs comme les moldus du Blood Circle l’avait fait. En revanche, pour les moldus, c’était autre chose. Là où je n’avais aucun problème à me promener en ville avant, je refusais fermement de mettre un pied dans une zone moldus, surtout seule. Accompagnée, peut être. Mais seule ? C’était hors de question. Comment savoir lesquels étaient des partisans du Blood Circle ? Si même mes propres parents m’avaient vendu à eux, en qui pouvais-je avoir confiance ? Certainement pas en tout ces inconnus.
Outre la méfiance, il y avait toujours cette peur lancinante. Même à Poudlard, je ne me sentais plus forcément en sécurité, et la moindre surprise pouvait me crisper, et me faire me mettre sur mes gardes, surtout dans un coin un peu isolé comme celui-ci. Pourtant, je savais que je n’avais rien à craindre ici. Mais c’était plus fort que moi. Aggriper cette baguette, la serrer entre mes doigts fins, au point d’en faire blanchir les jointures de mes paumes, me permettait d’avoir l’impression de pouvoir me défendre. Ma magie était enfin revenue, après des mois et des mois sans pouvoir l’utiliser. Ca avait été si long. Un peu plus de quatre mois, et ce, sans parler de tous les effets secondaires du sérum. Les saignements de nez, les vomissements, les nausées, les douleurs, les évanouissements. Et tout cela, en même temps que mes leçons et le temps d’adaptation à mon nouvel environnement et ma nouvel famille. En tout cas, aujourd’hui que ma magie était revenue, je me sentais tout de même un peu plus en sécurité. J’avais appris juste les sorts basiques. Enfin, j’en avais un. Mais c’était déjà ça. Et je pensais demander à ma directrice de maison de me donner des cours particulier, elle était, après tout, professeurs de sortilèges. Mais pour l’instant, je n’avais pas trop osée…
La baguette dégainée, le regard méfiant mais surtout empli de peur, les lèvres plissées, prête à balancer le sort de défense que je connais, je reconnais le visage de Bjorn, et je soupire, en me redressant, avant de ranger ma baguette. La suite se déroule vite. Il baisse les bras qu’il avait levé en signe d’innocence. Moi, je ramasse ce que j’ai fait tombé, en lui demandant si je peux l’aider. Mais sa réponse me fige. Je ne m’y attendais pas. Pas du tout. Surtout pas de sa part, à lui. Bjorn était plutôt du genre à me lancer des piques, me provoquer, me piquer mon carnet pour regarder mes dessins et s’en moquer. Le genre de bully dont on se passerait bien. Néanmoins, Bjorn n’allait jamais non plus trop loin. Il ne s’était jamais montré véritablement insultant, ne prenait pas fierté de son sang pur ou de mon statut « inférieur », pour certaines personnes de son rang. Il m’embêtait, oui. Mais il n’étais pas… horrible.
Pour autant, je n’aurais pas non plus pensé qu’il me demanderait où j’avais disparu. Et cette surprise fait très légèrement monter le sang jusqu’à mes pommettes, qui rosissent sous son attention. Heureusement pour moi, il s’est déjà tourné vers l’enclos, où il ajoute une pointe d’humour. Déjà, ça lui ressemblait un peu plus. Alors, je camouflais mon léger rire dans une petite toux, avant de soupirer. Je me mords ensuite la lèvre, en observant le blond, dos à moi. Mon carnet tout contre mon coeur, je baisse les yeux, et puis, je m’assieds de nouveau, là où j’étais assise l’instant d’avant son arrivée.*
« Tu as dû entendre les rumeurs, non ? »
*Demandais-je, en m’installant en tailleur, avant de resserer les pan de ma cape autour de moi, avant de rire jaune, en observant le sol. Je n’étais pas naïve. Evidemment, il y avait des rumeurs. Bien sûr qu’il y en avait. Une élève disparaît un an, et réapparaît quand un centre de torture des sorciers des BC est découvert et les sorciers captifs libérés… Sans parler de sa proximité avec les Slughorn, qui s’était porté volontaire pour servir de famille d’accueil : un scandale chez les sangs-purs. Une famille comme les slughorns qui accueillent une née-moldue ? Incompréhensible ! Et puis… Une nouvelle baguette, un peu de difficulté à utiliser la magie, des saignements de nez, un changement de comportement…
Trop de petits indices pour que les étudiants de Poudlard ne parlent pas. Alors Bjorn en avait sûrement entendu parler. C’était évident. J’inspire, profondément. Pourquoi nier après tout ? J’avais survécu. Ce n’était pas une honte. C’était une fierté. Pourtant, l’émotion me gagne à y repenser, surtout à penser en parler. Je ferme les yeux, un instant, et puis, je les rouvre. Le bleu azur de mes iris est humide, mais aucune larme ne coule sur ma joue. Trop ont déjà coulé. Et puis… Face à Bjorn, je ne peux pas m’empêcher d’avoir une petite fierté, malgré tout.*
C’est vrai, j’étais là-bas. Mes parents m’ont vendu au Blood Circle.
*Et puis, j’expirais un grand coup, et un petit sourire se glissait sur mes lèvres.*
Alors comme ça... Je t'ai manqué ?
*Je ne répliquais jamais par l’humour, avant. Pas à Bjorn, en tout cas. A d’autres, à des amis, oui. Mais je ne considérais pas Bjorn comme un ami, plutôt comme… Disons le franchement, un emmerdeur. Pourtant, aujourd’hui, il me paraissait doux comme un agneau. Mais peut être était-ce en comparatif à ce que j’avais connu. Ou peut être était-ce cette question inattendu, qui, contre toute attente m’avait réchauffée le coeur. Peut être, finalement, que pendant tout ce temps, il y avait au moins une personne qui se demandait ce que je devenais ? Au moins, il avait remarqué mon absence, ce que je ne manquais pas de lui rappeler, avec un léger sourire taquin, qui était si différent de ce que je pouvais lui offrir il y a deux ans.*
Oui je m’étais inquiété pour elle. Mais ce fut d’autant plus vrai après son retour, quand les rumeurs commencèrent à circuler. D’autant plus que la date de son retour coordonnait drôlement avec le démantèlement d’une base du Blood Circle. Et puis on disait à son sujet qu’elle avait passé des mois à se faire torturer et à être l’objet d’expériences traumatisantes, des choses horribles qui ne reflétaient sûrement même pas un tiers des atrocités qu’elle avait dû subir réellement. Et puis il y avait aussi des rumeurs sur les circonstances de son retour, comme le fait qu’elle avait été accueillie par une famille de sang-purs, cela avait fait jaser parmi les gens comme mes parents. “Comment peuvent-ils accueillir une sang-de-bourbe chez eux ? Quelle honte !” J’avais serré les dents et baissé la tête, comme d’habitude. Je ne pouvais pas me permettre de montrer que je ne pensais pas comme eux, même au sein de l’école je ne me donnais pas vraiment le droit d’affirmer mon avis, par peur des représailles si on leur en touchait un mot. Et puis, avant même de poser ma question, j’avais déjà eu des indices confirmant ces rumeurs qui m’avaient donné froid dans le dos : cette grande méfiance et ces réflexes accrus par la peur, ce regard empli de terreur, cette baguette que je n’avais pas reconnue. Je me demandais d’ailleurs si c’était le même cœur que son ancienne baguette, où si un autre type de baguette l’avait pris sous son aile. Peut-être qu’une baguette attendant quelqu’un de particulièrement fragilisé n’attendait qu’elle. Cette pensée était une petite consolation après avoir entendu confirmation de sa propre bouche.
J’aurais voulu protester, mais contre quoi au juste ? Contre ceux qui ne peuvent pas accepter que des gens aient un autre mode de vie que le leur ? Contre les extrémistes seulement ? Contre les moldus qui veulent détruire toute forme de magie ? Ou même contre ceux du même rang que moi qui utilisent leurs “privilèges” pour tenter de détruire les moldus, qui ne valent sûrement pas mieux ? Un mélange confus de tout ça, mais c’était un ressenti si fort, des couleurs si diverses au fond de mon cœur, que je ne serais jamais parvenu à les exprimer par des mots, outils qui me paraissaient si ternes et mornes à cet instant. Et je ne savais pas vraiment ce que cela faisait d’être vendu par ses parents. Parlait-elle littéralement, dans le sens où ils avaient reçu une compensation financière pour l’avoir vendu aux membres du Blood Circle, ou signifiait-elle qu’ils l’avaient dénoncée ? Aucune de ces deux perspectives ne me paraissait plus réjouissante l’une que l’autre, et attisait d’autant plus ma colère et mon envie de protestation. Mais qu’est-ce que je pouvais y faire au fond ? Rien du tout. Exprimer cette colère au fond de moi ne changerait en rien ce qu’elle avait dû endurer tout ce temps au Blood Circle. Et puis ce n’était pas le rôle qui était attendu de moi non plus, sauf peut-être en tant que camarade sorcier, potentielle victime de cette organisation sectaire un jour. Avant que j’aie l’occasion de m’excuser pour ce qu’elle avait vécu, ce qui semblait être la réaction attendue dans ce genre de situation, même si je n’étais pas du tout le fautif dans cette histoire, la sorcière prit la route de l’humour comme pour alléger l’ambiance. C’était une manière très commune de parler de ses traumatismes, ça, l’humour.
– Si tu m’as manqué ? Je n’avais plus mon paillasson sur lequel essuyer mes chaussures, bien sûr que tu m’as manqué ! répondis-je du tac au tac.
Et nous voilà revenus sur le chemin des piques et des remarques désobligeantes. En même temps, cela faisait des années que c’était notre moyen de communication privilégié, enfin, le mien avant tout. La gryffondor ne m’avait rejoint sur le chemin du sarcasme que très récemment, peu avant sa disparition. À moins que ce ne soit après ? Pourquoi tout me ramène à cette période, enfin ? Elle est de retour, par la barbe de Merlin ! Une autre remarque, bien plus violente, me vint assez rapidement. Je n’eus pas le temps de la réprimer que, ancien réflexe, elle passait déjà la barrière de mes lèvres.
– J’espère que tu valais plus chère qu’une mornille, sinon ça ne valait pas le coup que tu disparaisses tant de temps.
Gros silence. D’autant plus que cette remarque avait laissé une saveur sucré-salée sur son passage dans ma gorge. D’un côté elle était très méchante, sous-entendant qu’elle n’avait pas beaucoup de valeur (mais cela n’avait rien à voir avec son niveau, son genre ou son statut de sang) et de l’autre, si elle avait bien perçu mon ton, elle exprimait de la tristesse, du dépit même, à l’idée qu’on ait pu la vendre comme ça. Que sa vie n’en valait pas le coup, l’inverse de ce qui pouvait se lire textuellement dans ma phrase donc. Je me mordis les lèvres presque immédiatement après l’avoir prononcée. Heureusement, un peu plus en avant près de la barrière par rapport à la jeune femme, elle ne put pas voir ce geste de honte et de replis. Je ne devais pas laisser croire que j’en avais quelque chose à faire de l’effet que mes paroles pouvaient avoir sur elle. Mon objectif était de la sortir de ses gonds après tout. Et je ne pouvais pas y parvenir sans la blesser…
Depuis des années, je la traitais mal, sans pour autant la rabaisser sur des trucs aussi évidents que l'impureté de son sang. Ce que je ne comptais pas faire, ni à l’avenir ni dans le présent. Je ne sais plus vraiment pourquoi je me suis fixé cet objectif. Mais vous le savez maintenant, je suis quelqu’un de borné. Je ne lâche pas tant que je n’ai pas atteint les objectifs que je me suis fixé, et je me donne toujours les moyens d’y parvenir. Mais pour une fois, plus j’apprenais à connaître ma cible, moins l’envie me venait de l’atteindre, ce précieux objectif. Enfin, paradoxalement j’en avais d’autant plus envie. Je m’explique.
La colère est une émotion primordiale. C’est un signal de notre cerveau pour nous signifier “Je n’aime pas ce qu’il se passe : on dépasse mes limites !”, ce qui la rend très importante et à ne surtout pas réprimer (comme toutes nos émotions, au final, j’ai envie de dire). Aussi, depuis que je connais la née-moldue, je ne l’ai jamais vue se mettre en colère ou oser exprimer ses besoins et limites. Je sais, c’est malsain. Mais je ne sais pas pourquoi, quand j’ai remarqué cela je me suis mis en tête de me donner le mauvais rôle pour l’aider à oser les exprimer, ses limites et ses besoins. C’est moche, mais c’est comme ça.
*Depuis mon retour, et malgré ma discrétion, j’attirais bien plus les regards qu’avant. Et ce, même avant de revenir à Poudlard. A l’hôpital, déjà, les médecins et les infirmières nous regardaient tous avec pitié. On entendait, dans les couloirs, des expressions comme « les pauvres gamins ». En sortant, on lisait dans les regards tout ce que les gens pouvaient s’imaginer. Et pourtant, pour une fois, ils ne pouvaient pas imaginer. Personne ne pouvait imaginer de tels traitements pour des enfants. Comment imaginer que l’on cherche à pousser un corps à bout, pour s’assurer qu’il ne reste pas une once de magie ? Comment s’imaginer que l’on puisse affamée, assoiffée, ou empêcher de dormir des enfants suppliants, pour savoir si le sérum était plus ou moins efficace selon l’état physique du sorcier ? Non, on ne pouvait pas imaginer tout cela. Les gens imaginent ce qu’ils peuvent, et cela suffit à attirer la pitié.
Chez les Slughorn, les regards de pitié s’étaient changé en regard de tendresse, et par la barbe de Merlin, comme cela avait été agréable. Plus de pitié, seulement de la douceur, l’envie de m’aider, sans avoir pitié de moi. Et c’était exactement ce dont j’avais eu besoin. Pendant presque une année, j’avais été regardé comme un monstre. Et puis, ensuite, j’avais été une bête de cirque, la fille qui avait été vendu au Blood Circle, celle dont les parents avaient tenté de l’exorciser. A côté de cela, et même si les Slughorn avait tenté de me préserver au mieux, je n’étais ni idiote, ni sourde. J’étais devenue, alors, la sang-de-bourbe, celle dont personne ne comprenait le sens de la présence au sein d’une résidence de sangs-purs, qui semblaient, en prime, l’avoir accueilli comme l’une des leurs. Ah, cela aussi, je l’avais entendu. Ces mots, susurrés suffisamment doucement pour laisser croire qu’ils étaient dit à voix basse, mais suffisamment fort pour que je les entende.
A Poudlard, de nouveau, les regards de pitié avaient commencés à affluer, au fur et à mesure que les rumeurs se propageaient. Et je détestais cela. Je détestais me faire remarquer, mais surtout, je détestais cette pitié. Ce sentiment, chez les autres, me donnait l’impression d’être une pauvre petite chose, victime de son destin. Oui, bien sûr, j’étais une victime, et ce que j’avais vécu était abominable : je ne pourrais pas même le souhaiter à ceux que je haïssais le plus dans ce monde. Mais je ne voulais pas de pitié pour autant.
Mais Bjorn n’était pas du genre à donner de la pitié. Non, Bjorn, c’était celui qui mettait un coup de pied dans la fourmilière. Pourquoi moi ? Aucune idée. Sûrement parce qu’il aimait le défi. Quel est l’intérêt de chercher à embêter quelqu’un qui prend tout pour argent comptant, qui part au quart de tour au moindre mot de travers ? Il n’y a aucun challenge. Et ce n’était pas ce que le capitaine de l’équipe de Quidditch des verts et argents voulait. Non, j’avais fini par cerner au moins ce côté là de Bjorn : il aimait les défis. Il voulait être le premier, partout, tout le temps. Moi, je me contentais toujours d’être dans moyenne : je ne m’y faisait pas remarquer, c’était parfait. Mais lui, lui, il voulait toujours briller. Et d’une certaine façons, j’admirais cela. J’admirais sa determination, son acharnement et la force qu’il mettait au travail. Certaines mauvaises langues ne pouvaient pas s’empêcher de dire qu’il avait ce qu’il avait grâce à son sang, grâce à ses parents. Ces gens-là ne l’avaient jamais vu, sous la pluie, la neige ou le vent, sur son balais, pour s’entraîner. Jusqu’à des heures improbables aux enclos ou à étudier.
Je ne voulais pas défendre Bjorn, je ne l’avais jamais fait. Après tout, il ne faisait que m’emmerder, chercher à me pousser à bout, à m’exaspérer. Souvent, il réussissait, même si je ne lui donnais pas le plaisir de le voir. Je n’étais pas une fille très colérique, et souvent, la frustration ou l’énervement qu’il faisait naître en moi disparaissait après quelques temps à me calmer. Mais même si je ne le défendais pas contre les mauvaises langues, et même si je le trouvais insupportable, je ne pouvais pas lui retirer ça. Tous les gens que je connaissais avaient des bons et des mauvais côtés… Du moins, si on ne comptait pas l’année écoulée. Même chez les sangs-purs, qui m’avaient traités de sang-de-bourbe, j’étais certaines qu’il y avait de bonnes choses à tirer d’eux. Le meilleur exemple qui me venait en tête était Phoebus Malefoy, le cousin de Nepenthéo. De prime abord, il avait été odieux, totalement. Misogyne, hautain, me traitant ouvertement de sang-de-bourbe. Mais au moins, contrairement aux autres, Phoebus avait eu le courage de me le dire en face. Alors je m’étais contenté de sourire, et de le saluer poliment. Il avait semblé surpris, presque perturbé. Il avait dû me croire stupide. Mais je voulais croire qu’il y avait quelque chose en lui de bon. Si je ne me rattachais pas à cet espoir, après tout, que me restait-il ? Je ne pouvais pas craindre chaque être qui croiserait ma route, je n’étais pas faite pour la solitude, pas au quotidien. Être seule, parfois, oui. Souvent, même, j’avais besoin d’un peu de temps pour moi, pour dessiner, pour respirer. Mais je ne pouvais pas craindre tous ceux qui m’entourait. Non, ce n’était pas viable. Alors je me raccrochais à cet espoir, celui qu’il y a, en chaque sorcier, suffisamment de bon et de compassion pour que jamais l’un d’entre eux ne me fassent subir ce que j’avais déjà vécu.
Alors, ce pique, ce n’est pas grand chose, finalement. Il me fait même lever les yeux au ciel. Auparavant, j’étais beaucoup moins démonstratrice. Mais ça, il ne le sait pas encore, il ne se retourne pas vers moi, reste face à la barrière. Je continue à sourire, et hausse les épaules.*
Oh, je suis sûre que tu as trouvé un autre moyen de nettoyer tes chaussures.
*Je n’étais pas essentielle, je le savais. Mais au moins, il avait pensé à moi, même si c’était pour m’embêter. Je préférais subir Bjorn toute ma vie qu’une autre semaine au centre des Blood Circle. Il continue sur sa lancée, et c’est un peu plus méchant. Si bien que cela a l’effet presque contraire de celui attendait. Alors que j’usais de l’humour, plutôt amusée, je me renferme un peu. Physiquement, cela se devine aussi, en observant mes épaules, qui se baissent un peu. Parlait-il de mon sang ? Ce n’était pas dans ses habitudes. Il se moquait de beaucoup de chose, mais pas de notre différence de statut. Pourtant, au fond, il n’avait pas tort. Je n’étais qu’une sang-de-bourbe. Et je ne pouvais même pas vraiment dire que j’en étais fière. Pouvais-je encore seulement considérer Ruth et David comme mes parents après tout ça ? Non, c’était évident. Alors, je soupire, pose mon menton entre mes mains. D’une voix calme, j’affirme.*
Bah tu vois, le pire, c’est que même pas. Une délation gratuite, il n’y ont pas gagné un centime. Je vaux pas moins qu’un paillasson pour tes chaussures, tu vois.
*Je souris, mais mon sourire est vide, comme mon regard. Je ne suis pas fâchée. Non, je suis triste. Triste que certains pensent réellement ça. Triste de l’avoir pensée, moi-même, parfois aussi. Je n’y croyais plus vraiment, aujourd’hui. Non, je voulais vivre, je voulais être utile, pour ce monde, pour les autres. Je me l’étais promis. Ce n’était pas aujourd’hui que j’étais libre que je devais perdre espoir, pas vrai ?
Mais en attendant, ces mots ressemblent presque à une confession. Et je ne sais pas pourquoi c’est à lui que je le dis. Pourtant, j’avais du mal à en parler. Mais avec Bjorn, sur le ton de l’humour, c’est facile, c’est fluide, c’est simple. Même si je ne suis pas en colère, cet échange me fait bizarrement du bien. J’hésite presque à le remercier. Il pense se donner le mauvais rôle. Mais au final, il était le premier à ne pas me traiter comme une petite chose fragile depuis avril, et cela me faisait un bien fou.*
Vois le côté positif des choses : tu as eu un an pour réfléchir à toutes les choses sympathiques que tu pourrais me dire, je suis sûre que tu as tout un stock d’amabilité pour moi. Par contre, tu n’oses plus me les dire dans les yeux ? Aurais-tu perdu de ton impertinence pendant mon absence ? C’est fort dommage, je crois que moi, j’en ai gagné.
*Oh oui, ce n’était qu’un euphémisme. L’année d’avant, jamais, ô grand jamais, je n’aurais osé répliquer ainsi. Mais une année à faire face à ceux qui pouvaient prendre ma vie à chaque instant pour ces enfants que je voulais protéger m’avait rendu plus… Ou peut être moins réservé ? Non, non, pourtant, face aux autres, j’étais toujours aussi calme. Et si quelqu’un d’autre pointait le bout de son nez, j’étais certaine de retrouver mon habituel silence. Ou peut être était-ce juste un sursaut de courage puisqu’il était dos à moi. En réalité, je me surprenais moi-même. Mais… Bizarrement, c’était plutôt une bonne chose. La tristesse est toujours là, mais je la cache, je la camoufle, je la défends avec quelques mots bien trouvé et un peu d’humour légèrement sombre. Parce qu’étrangement, c’est la première fois que j’en parle, comme ça, sans y être « forcée », sans que ça ne soit pour aider autrui, pour aider ceux qui voulaient nous aider à comprendre, à en savoir plus. J’en parle, juste parce que ça me fait du bien. Et c’est d’autant plus étonnant que j’en étais parfaitement incapable avec mes amis. Mais qu’avec Bjorn, j’y arrivais, naturellement.
Non je n’étais pas du genre à donner de la pitié, ni de la tendresse d’ailleurs. J’étais le genre de personne qui vous donne une catharsis, une raison concrète, ou plutôt une personne dans ce cas de figure, contre qui déverser votre colère, votre tristesse ou votre frustration. J’étais là pour vous donner du répondant, pas des regards larmoyants. Je me comportais comme ça parce que vous étiez toujours en vie et qu’il fallait donc vous traiter comme si c’était le cas. A quoi bon se morfondre sur un destin tragique qui aurait pu vous arriver quand vous l’aviez évité, même si c’était de justesse, des mois auparavant ? C’était à cause de cette tendance à se morfondre que les gens avaient qu’il fallait des gens comme moi, prêts à avancer, à faire le premier pas, à montrer la voie vers la guérison, le progrès ou juste le deuil. Des gens qui prennent les devants même dans les aspects plus compliqués de la vie. Seulement, parfois mes stratégies pour faire avancer les autres échouaient. Ce fût le cas de ma dernière remarque, qui devait être allée trop loin. L’équilibre entre la méchanceté et la précision est parfois difficile à atteindre, il y a toujours des ratés. C’est ce que je constatai quand je tournai la tête dans sa direction, mes épaules toujours dirigées vers la clôture, comme pour signifier avec mon corps “ouais ouais, je t’écoute mais au fond tu ne m'intéresses pas tant”. Je faisais toujours attention à mon langage non-verbal, tout comme je lisais attentivement celui des autres. Il pouvait nous trahir si facilement, et le faisait si souvent. Et puis, je devais particulièrement faire attention, en présence d’autres mangemorts pour ne pas leur laisser savoir mon aversion pour leur idéal, je me devais de paraître aussi hautain et élitiste qu’eux ; en présence d’autres élèves aussi, pour maintenir en place cette image d’élève surdoué, excellent, indétrônable, pour ne pas laisser deviner mes doutes, mes angoisses et mes douleurs quant à cette couronne de ronces qu’on m’a enfoncé sur le crâne. Je me devais de garder la tête haute et le torse bombé malgré les gouttes de pourpre coulant le long de ma nuque, le résultat de ce couvre-chef qu’on m’avait imposé.
Je constatai donc nettement l’affaissement de ses épaules, et au travers de cela l’échec de ma remarque à tenter de la faire s’exprimer, sortir toutes ces émotions négatives bloquées en elles depuis son retour. J’aurais aimé gérer ses émotions, comprendre la manière dont elle l’avait interprété, car je ne voulais vraiment pas passer pour le serpentard sang-pur de base avec ma remarque. Surtout pas devant elle, qui devait en être la cible régulièrement, de discriminations du sang. Je ne comprenais pas les gens qui pouvaient autant s’attacher à ce genre de futilités, ils devaient être très peu sûrs d’eux-mêmes pour considérer d’autres personnes inférieures pour ce genre de choses. Les meilleurs sorciers ne sont pas toujours sang-purs, tout comme les pires ne sont pas toujours né-moldus. Mon opinion en était de même avec les moldus qui persécutaient les sorciers d’ailleurs. Je me rendais compte que la gryffondor était dans la pire position, ayant vécu les flammes des deux extrêmes de cet échiquier politique. Elle était un pion gris, renié tant par les blancs que les noirs, attaquée par les deux côtés de ce plateau. De ce que je savais, la lionne n’avait pour seule solution que de se refermer sur elle-même, comme elle le faisait à présent, avant de se rouvrir comme un bouton de fleurs devant moi, partageant d’autant plus sur ce qu’elle avait vécu.
Son aveu nourrit en moi une flamme de colère déjà bien allumée. Ils étaient donc si enfoncés dans leurs idéaux, pour vouloir détruire leur fille comme ça ? Ces déchets n’avaient donc même pas le luxe d’avoir une excuse pécuniaire à leur acte infâme. Mon regard se fit noir, froid, haineux par-dessus mon épaule, mais ce n’est pas elle que je visais. Au travers d’elle, je visais ses géniteurs. Et pour me surprendre, elle s’ouvrit d’autant plus, révélant des pétales d’humour que je ne lui connaissais que de très récemment. Un humour douloureux, pour cacher la tristesse, et pour faire face à la violence subie, la violence qui a laissé des traces sur son esprit et sûrement, mais je priais pour que ce ne soit pas le cas, sur son corps. Étrangement, je comprenais ces réactions, et cet usage de blagues, pourtant je n’avais pas vécu un dixième de ce qu’elle avait vécu. Mais je n’eus pas le temps d’y songer plus, je devais répondre quelque chose de cinglant, de bien mesuré cette fois-ci.
– Tu n’as en tout cas pas gagné en discernement si tu penses que j’ai donné tout ce que j’avais à revendre. Nous autres possédons des langues de vipères, en témoigne notre emblème.
Je n’aimais pas parler de ma maison en mal, ayant déjà une image peu reluisante à cause de sa réputation de foyer à mangemorts et nouveaux partisans de l’Augurey. D’autant plus que dans l’œil du public, je contribuais sûrement à cette image de pureté. Enfin, je ne devais pas être le premier nom qui venait en tête lorsqu’on associait mangemort et serpentard dans notre recherche mentale, notre famille s’étant faite discrète depuis la chute du Seigneur des Ténèbres. Mais personne n’était dans ma tête ou dans mon cœur, personne ne pouvait lire toutes ces choses que je gardais bien cachées au fond de moi, toutes ces opinions qui mettaient ma vie en péril. Être un traître aux ténèbres, un traître à sa famille, un traître à son sang, c’était mener une vie périlleuse, dans la peur de se voir achevé d’un sort dans la nuque après vous avoir fait mordre la poussière. Et je n’étais pas sûr d’avoir la force de mener une vie pareille, loin de mes frères et sœurs, loin de ceux avec qui j’avais grandi et surtout loin de ceux que j’aime. Car cela signifie aussi mener une vie seul, pour ne pas mettre d’autres personnes en danger, ne pas les entraîner dans notre chute. Je dépendais bien trop du regard que les autres portaient sur moi pour oser mener une vie pareille.
– Vous autres, les lions, vous vous pavanez au soleil comme des gros bébés en manque d’attention, vous ne savez que rugir. Regarde ! Rien que la coupe des quatre maisons : vous nous avez entraînés dans votre chute mais vous vous dépatouillez pour rester troisième.
En fait, je n’aimais pas trop parler en mal d’aucune des quatre maisons. Chacune avait ses qualités et ses défauts, et aucune ne méritait d’être tirée vers le bas. Aussi je décidai de changer de sujet, de manière pas très subtile, je veux bien l’avouer. Je me tournai cette fois-ci vers elle en me relevant, la dominant de toute ma longueur. Sur mon visage siégeait déjà un sourire taquin, en anticipation de ce que j’avais décidé de faire. Une main souple et rapide se glissa devant elle, chapardant le nouveau carnet que je ne lui avais encore jamais volé, depuis qu’elle était revenue. Anticipant sa réaction cette fois-ci, mon autre main se posa sur son épaule, pour retenir une potentielle attaque pour le récupérer. De mes longs doigts épais, j’ouvris le carnet en marmonnant :
– Par contre est-ce que tu as progressé en dessin depuis la dernière fois ? Voyons voir cela.
Les pages qui se succédèrent devant mon regard clair, avide de nouveauté, étaient noircies par la craie. Des traits bien plus précis que le souvenir que la jeune femme m’en avait laissé il y a bien des mois en arrière. Je pouvais nommer chacune des créatures, et on reconnaissait même les différentes sous-espèces, sans les confondre. Les plumes, les poils, les griffes, les becs, les museaux, chaque partie avait gagné en beauté sous les coups de crayons de la sorcière, on pouvait sentir la sensibilité de son regard au travers de ses œuvres. Sensibilité bien disparue tandis qu’elle se débattait pour reprendre ce qui était sien, que je devais donc lever bien haut au-dessus de nos deux têtes pour l’observer encore un peu. D’autant plus qu’elle n’était pas grande, je la dépassais bien d’une tête et demie la pauvre. Mais même comme ça je pouvais sentir son odeur, par-dessus celle de ma transpiration à laquelle je m’étais habitué. Son parfum était un mélange subtil de fruits rouges et du fusain qu’elle avait sûrement utilisé pour griffonner les pages du précieux que je tenais haut au-dessus de sa tête, maintenant fermé puisque j’avais fini de l’inspecter. À présent, je ne continuais à l’embêter que par pur plaisir, que pour tenter une fois encore de lui arracher une réaction, ce qui réussissait plus que ce que j’avais pu imaginer, étant habitué à de l’indifférence ou à énormément de patience de sa part.
*Je ne savais pas ce qui faisait un bon sorcier. Le travail, le talent, la patience, tout cela en même temps ? Mais était-ce bien cela aussi qui faisait une bonne personne ? Il y avait des sorciers excellents qui étaient des personnes affreuses, et inversement. Personnellement, je préférais avoir une mauvaise magie mais une bonne âme. Pour d’autres, cela paraissait ridicule. Lorsque l’on a tant été trahie et blessée, ne devait-on pas en vouloir au monde entier ?
Mais qu’y pouvait le monde ? « C’est une folie de haïr toutes les roses parce qu’une vous a piqué », disait le Petit Prince. Je ne pouvais pas m’empêcher de craindre les moldus et leurs réactions imprévisibles. Mais je savais aussi avec un peu de patience, comme le renard, je pourrais être apprivoisée, surmonter mes peurs. Aujourd’hui, presque tous les Hommes, sorciers ou moldus, se ressemblaient. Il fallait du temps, beaucoup de temps, pour soigner un coeur meurtri, pour l’ouvrir aux autres, et comme le dit si bien St Exupéry, « c’est le temps qu’on perd pour les autres qui les rendent si spéciale ».
Et à cet réflexion, je lance un regard à Bjorn. N’est-ce pas là tout le temps perdu à venir m’embêter, moi, spécifiquement, qui lui avait fait réalisé que je n’étais plus là ? Il paraissait totalement indifférent, la tête tournée vers moi, mais le reste du corps vers l’enclos, comme si ce n’était pas si important. Jusque là, j’avais toujours écouté ce langage non verbal, assez naturellement. Lorsque l’on dessine, on devient observateur, on voit chaque détail. Bjorn ne laissait jamais rien échapper et pourtant, il y a, dans le fond de son iris azur, un éclat de colère. Je me demande si celle-ci est tournée vers moi. Elle est discrète, pourtant, on ne la distingue que si on y prête attention. Il reste impassible, et je dois admettre que je ne sais pas si je me fais des idées, ou si j’ai décelé une chose qui ne m’était jamais apparu jusqu’à aujourd’hui.
Non, je devais sûrement me faire des idées. Pourtant, il est bien là, comme le petit prince qui s’approche chaque jour un peu plus du renard, à me balancer ses piques, qui sont bien plus proche de nos échanges habituels que sa première phrase, qui me rappelle un passé où tout était plus simple. Je me sens bien, là, comme de retour à cette époque où le vert et argent était mon seul soucis, la seule véritable difficulté dans mon quotidien plutôt simple. Une époque où personne ne me voyait, et où cela m’allait parfaitement bien. Quelques amis, des résultats corrects, ni mauvais ni excellent, un endroit où je me sentais chez moi, et une famille sur laquelle je pensais pouvoir compter. Avec quelques feuilles et des fusains, voilà qui suffisait bien à mon bonheur.
D’ailleurs, cette part là n’avait pas changé. Il me suffisait toujours de cet endroit, paisible et calme, et de quoi dessiner, pour apaiser mon esprit meurtri. Et finalement, un peu de piquant de la part d’un serpent n’était pas non plus une mauvaise chose.*
Je n’en doute pas, tu portes le vert à la perfection. Le serpent te va à ravir.
*Un sang-pur aux écussons du seigneur des ténèbres, celui qui avait voulu éradiquer les sorciers de mon genre… Mais pas Bjorn. Non, comme toutes les autres maisons, les Serpentards avaient leur défaut, mais aussi leur qualité. Ce manque d’expressivité dont j’avais parlé plus haut était, finalement, l’un des traits caractéristiques des membres de sa maison. Quant à moi, si je n’étais pas aussi orgueilleuse, mais surtout pas aussi charismatique que les autres Gryffondor, j’avais fini par comprendre que j’avais bien ma place dans la maison rouge et dorée, que j’étais une lionne. Calme et discrète, mais pouvant montrer les crocs lorsque les siens était en danger, parfois avec témérité.
D’ailleurs, cet élan d’orgueil, si commun pour ma maison, et pourtant si rare chez moi, se traduit par un sourire.*
Si cela te fait plaisir de penser cela. Les lions ont trop de fierté pour plonger dans ces reproches.
*Affirmais-je, calmement, avant de l’observer se lever, en fronçant les sourcils. Et puis, il attrape mon carnet, pendant que je lâche un « hééé » de frustration. Je me lève à mon tour, mais en plus d’être bien plus grand que moi, Bjorn est aussi beaucoup plus fort. Sa main sur mon épaule lui permet à elle seule à me maintenir à distance, et mes bras me paraissent alors incroyablement court, mon carnet à une hauteur impossible à atteindre pour moi. Je me sens comme une enfant, et je déteste me sentir aussi impuissante, surtout depuis… L’année dernière. Finalement, tout revenait à cela, toujours.
Je lui demande poliment de me rendre mon carnet, tentant de rester calme. Ne t’enerves pas, Rach, c’est tout ce qu’il cherche. C’était ce que je devais me répéter en boucle pour ne pas lui ordonner de me rendre mon carnet. Et dire que je ne me trouvais pas si orgueilleuse que cela…*
Bjorn, rends moi ce carnet. Tu as vu ce que tu voulais voir, non ?
*Ce carnet était un cadeau des Slughorn. Je ne voulais pas qu’il l’abîme. Alors, je rajoute, en remuant le nez avec une moue un peu dégoutée.*
Surtout que tu empestes, tu ne t’es pas douché depuis la dernière fois que l’on s’était vu ?
*Affirmais-je, en refusant d’admettre qu’un léger parfum de lavande et du blé dorée ondulant en été se devinait malgré le temps qu’il avait dû passé à s’entraîner avant de passer ici. Je finis par reculer d’un pas, pour ne plus sentir sa main sur mon épaule. Je devais admettre que je n’étais pas une grande fan des contacts physiques depuis mon retour. Pas parce que j’avais peur qu’il me blesse, non, bien d’autres gens m’avaient touchés pour m’aider, me soigner, guérir mes plaies. C’était bien là le soucis. Ce n’était pas réfléchi, mais je craignais surtout qu’il puisse sentir, sur ma peau, ces petits monticules, des cicatrices, impossible à faire disparaître maintenant que la plaie s’était -difficilement- refermée, parfois des mois après avoir été ouvertes. C’était cela, que je détestais maintenant, sur ma peau, sur mon corps. Alors je m’étais reculais, et tendais maintenant simplement la main, avec un regard plus froid et autoritaire que celui que je pouvais avoir auparavant.*
Rends le moi, et rentres te doucher. Tu ne peux pas infliger ça à des créatures à l’odorat plus subtile le mien. Aller.
*Lui demandais-je, en restant calme, mais surtout plus présente qu’avant. Je n’aimais pas me faire remarquer, cela n’avait pas changé. Mais lorsque, de toute façons, on me voyait, et que l’on cherchait à me « nuire », je ne resterais plus les bras croisés. Ca aussi, je me l’étais promis.*
Ce que Rachel et moi avions comme lien, plus loin que simplement le fait que j’aie décidé de lui mener la vie dure il y a quelques années de cela, c’était ce lieu, le parc. Durant les périodes les plus dures moralement pour les élèves, je pouvais être certain de la croiser ici, souvent avec son carnet et son fusain. Les rares fois où je la croisais sans ses outils fétiches étaient lors de visites impromptues, comme celles que je faisais maintenant. Ce genre de moment où une question, un dilemme ou juste le besoin de s’éloigner de la pression sociale un instant nous attrape, mais que la solitude nous paraît bien trop austère. Peut-être qu’avec le temps, j’ai aussi pris l’habitude de venir simplement à cause de cette certitude de trouver la gryffondor sur place, et quand il se trouvait que j’avais tort, ma déception était étonnement grande. Je ne m’en rendais pas encore compte, mais bien plus de choses que ce lien qui me paraissait très superficiel nous unissait, Rachel White et moi, Björn Shafiq.
La rencontre d’aujourd’hui m’avait d’ailleurs bien fait oublier les tracas qui m’avaient donné une raison de venir d’ailleurs. Toutes ces questions liées à mon avenir, qui nourrissaient la pierre dans ma gorge, juste au-dessus de mon cœur. Cette pierre, j’ai l’impression qu’elle a toujours été là, mais que je ne la sentais pas à l’époque. Il y a des moments où elle se fait toute petite, dans la naissance de mon œsophage, presque chaleureuse, elle enlace mon cœur pour l’empêcher de parler, pour me rendre bien docile auprès des personnes qu’il faut. Et dans des moments bien plus sombres, elle s’étend et prend toute la place que mon cou est capable de lui donner, devenant un poids insupportable dans ma poitrine, un obstacle à mes poumons. Aborder certains sujets sensibles, comme la disparition de mon grand frère Magnus, les conflits entre sorciers et moldus, ou encore pire, ce que je souhaitais vraiment faire de mon avenir, chauffait cette pierre comme de l’ardoise sur laquelle on fait griller des steaks dans certains restaurants, et la chaleur étouffante se diffusait dans tout mon œsophage, me rendant muet de douleur mais surtout d’angoisse. Mais comme à mon habitude, je ne la percevais presque même plus depuis que j’avais approché de l’enclos, car les cours de soin aux créatures magiques m'apaisaient tant que rien que le lieu et l’anticipation de mon cerveau conditionné m’aidaient déjà à me sentir mieux.
Bref, il y a bien d’autres choses à raconter à cet instant. Comme par exemple le fait que je tenais toujours fermement le carnet de la jeune femme en l’air, bien haut au-dessus de nos têtes. Au vu de son aspect très propre et la grande qualité du papier et de la couverture en cuir, il était facile de deviner, en tout cas pour une personne qui connaissait assez l’adolescente et sa qualité de vie avant d’être accueillie par les Slughorn, que c’était un cadeau de la famille sorcière envers elle. Oh. Je comprenais donc tout de suite mieux les notes de peur dissimulées sous ses supplications. Puis l’esquive sur mon odeur. A quoi elle s’attendait, celle-là ? À ce que j’arbore une odeur sucrée et douce comme la sienne alors que je sortais à peine d’une longue matinée d’entraînement ? Je savais que j’étais une personne exceptionnelle mais pas encore au point d’arrêter mes fonctions corporelles sur demande.
– Oh oui bien sûr, mais tu sais ça demande de l’effort et donc de la transpiration de s’améliorer, d’autant plus quand on est déjà très bon, répondis-je en mettant l’emphase sur certains mots. Tu devrais le savoir, vu les progrès que je viens de constater là-dedans, ajoutai-je en baissant l’objet de sa convoitise au niveau de mon visage, mais le poignet toujours plié dans ma direction.
Face à sa petite main aux doigts fins, je me décidai enfin à y déposer le carnet, espérant que ma dernière remarque démontre que ma répartie n’était pas seulement utile à rabaisser les gens, mais aussi à les remonter à mon niveau. Par contre, il fallait quand même que je me défende, mon honneur ne pouvait pas être attaqué comme ça et comparé avec des créatures magiques, par le slip de Merlin !
– Comme si elles sentaient mieux que moi, je pense qu’elles sont habituées à bien pire, surtout si tu t’es remise à leur rendre visite régulièrement.
Je ponctuai ma réplique d’un sourire mutin, relevant seulement le côté gauche de mes lèvres, et la tête légèrement penchée en arrière pour la regarder de haut, me redressant fièrement de toute ma longueur après lui avoir redonné son précieux. Je me tenais déjà droit naturellement la plupart du temps, ayant depuis tout petit pris cette habitude pour apparaître moins petit aux côtés de Magnus et de Freya. A présent, cette habitude me faisait paraître d’autant plus grand qu’elle, surtout depuis que je l’avais dépassée entre deux poussées de croissance. La pauvre Freya. Mais aussi la pauvre Rachel qui se mélangeait bien au milieu des sixième années malgré son “redoublement”. Quand on y pense, c’était comme si le Blood Circle l’avait cueillie et nous l’avait rendue un an plus tard, vieillie mentalement, mais sans qu’elle ait grandi. En même temps, je n’imagine pas les choses horribles qu’ils ont dû faire pour traumatiser son corps et l’empêcher de grandir comme il l’avait prévu avant que l’on tente de l’aliéner. Cette pensée lança un frisson tout le long de mon échine.
Je ne le montrai pas, faisant passer mon geste pour la fin de mon intérêt pour son carnet et en cette occasion de l’enquiquiner, mais j’avais clairement senti l’inconfort de la lionne au contact de ma main, et je ne savais pas du tout comment l'interpréter. Je ne savais pas si c’était lié à moi ou à quelque information qui m’échappait encore, mais un sursaut inconscient, et donc incontrôlable, lui avait traversé l’épaule au contact de ma main. Mais je balayai vite cette pensée de mon esprit. C’était normal en même temps : je l’avais prise par surprise en lui volant son carnet à dessin. D’autant plus que dans tout ça, elle avait à nouveau fait tomber son fusain par ma faute. Je me baissai donc rapidement, pliant les genoux avec souplesse, pour le récupérer entre mon pouce et mon index, souhaitant le moins possible salir mes doigts à la peau couleur de porcelaine.
– Hé bah dis donc, t’es vraiment pas douée pour ne pas faire tomber des trucs aujourd’hui, manquerait plus que tu sois capable de faire tomber ta tête de tes épaules, lui fis-je comme remarque en me relevant et en tendant l’outil dans sa direction.
Pour faire bonne mesure, je le mis hors de portée de sa main lorsqu’elle la tendit pour l’attraper une première fois, mais le glissa bien rapidement entre ses doigts lorsqu’elle la tendit à nouveau. Fallait bien l’emmerder jusqu’au bout, non ? Car tant qu’elle ne se plaindrait pas de ce genre de petites blagues pas ennuyantes pour deux sous, je ne les arrêterai pas. J’avais décidé de lui apprendre à exprimer ses limites et à les imposer par elle-même, ce n’était pas pour lui mâcher le travail dès que je percevais son malaise.
*Si on me demandait de décrire Bjorn Shafiq, j’aurais probablement bien du mal à mettre des mots sur ce type. Partagée entre son côté emmerdeur et le modèle qu’il pouvait être sur le côté du travail. En y réfléchissant un peu plus, pourtant, il n’aurait pas été vraiment difficile de comprendre que tout cela, en plus d’être naturellement assez bosseur, il y avait aussi la pression familiale. Ah ça, l’avantage d’être née-moldue, c’était bien que ma famille n’avait aucune attente quant à ma magie. Enfin, si ce n’est qu’elle disparaisse. Un détail. Et à défaut de me voir retirer ma magie, je préférais encore que l’on me retire « mes parents », si tant est que je puisse encore les appeler ainsi. Même le terme « géniteur » me faisaient grincer des dents. Je ne connaissais pas un seul animal qui traitait aussi cruellement ses enfants. L’homme se disait civilisé, et voilà ce que la civilisation avait créé. La guerre, la torture, les armes. Ah, quand il s’agit de blesser son prochain, l’Homme était, à coup sûr, la créature la plus douée.
D’ailleurs, Bjorn essayait sûrement de s’amuser sur ce terrain. Mais au moins, dans ma petite vie de née-moldue, il n’y avait guère que lui qui venait m’embêter. Et encore une fois, s’il essayait de me pousser à bout (sans avoir réussi… Du moins, pour l’instant), il n’était pas insultant. Beaucoup de types se seraient contenté d’insultes, de me parler de mon sang, ou de ce genre de choses. Bjorn, au moins, était un peu plus original que ça. Et puis… Et puis, avec lui, je constatais que j’étais plus ouverte. C’était étonnant, mais peut être moins que le fait que je venais de le remarquer seulement aujourd’hui. Ou peut être était-ce différent avant ?
C’était si lointain, une vie qui me paraissait en être une autre. Une vie si calme, si innocente. A cet époque, le monde me paraissait plus doux. C’était comme si on avait retiré de mes yeux un filtre qui attendrissait le monde. Mais en réalité, ce que l’on m’avait retiré, c’était cet innocence enfantine, qui avait disparu dans un sous-sol humide, qui m’avait été volé. Qu’avais-je fait pour mériter ce que j’avais subi ? Rien. Alors, même si je voulais encore croire qu’il y avait du bon en chacun, je savais maintenant qu’il y avait aussi beaucoup de mauvais dans ce monde. Beaucoup trop.
Alors, si je devais classer Bjorn, ça aurait été compliqué. Déjà, avant, simplement armée de mes souvenirs, cela l’aurait été. Mais aujourd’hui ? C’était encore pire. C’était pire, parce que la première chose qu’il avait dite, les premiers mots qu’il avait prononcé, m’avait prouvé qu’il s’était rendu compte de ma disparition. Peut être même s’en était-il inquiété ? Ou peut être n’avait-il plus son bouc-émissaire préféré, comme il l’affirmait. Malgré tout, je ne pouvais pas m’empêcher de penser que, des bouc-émissaires, on pouvait en trouver un peu partout. Peut être pas ici, à cet endroit exact, où il me retrouvait à chaque fois.
Et en pensant cela, un éclat d’esprit me traversait. Pourquoi continuais-je à venir ici, en sachant pertinemment que Bjorn viendrait m’y trouver pour venir me pousser à bout ? C’était idiot, quand on y pensait. Limite masochiste, non ? Il aurait suffit que je me trouve un autre coin, où le vert et argent ne se trouverait pas. Mais non, je m’étais entêtée à venir ici. Je savais que, malgré les apparences, je pouvais me montrer têtue. Mais quand on voulait quelque chose qui m’importait peu, je cédais ma place, et j’allais voir ailleurs. Cet endroit, je l’aimais beaucoup. Mais j’étais certaine qu’en fouillant un peu, je pourrais trouver un autre endroit qui me plairait, non ? Qu’est-ce que je foutais, alors, à venir ici ? Surtout qu’en y repensant bien, j’avais été surprise que Bjorn ne vienne pas les premières fois que j’étais revenue ici. Non pas qu’il vienne tous les jours, mais quand même. Il venait souvent. Et quand il ne venait pas, je le remarquais. C’était quand même vraiment bizarre, ça.
En attendant, il était bien là, aujourd’hui, debout devant moi, me dépassant de plus d’une tête, gardant mon carnet trop haut pour que je puisse l’atteindre. Je dévis son attention de mon carnet, en parlant de ses odeurs corporelles -gardant bien pour moi celle, entêtante, de lavande, et celle, plus douce, des blés, et il me répond quelque chose qui me surprend et me fais froncer les sourcils.*
Les gens bien éduqués prennent une douche en sortant d’un entraînement, avant de retourner en société. Tu sais, quand il y a de l’eau qui coule, et que tu frottes ta peau avec du savon ? Et puis, ne te fais pas plus idiot que tu ne l’es, on ne transpire pas quand on dessine. Surtout en novembre.
*Affirmais-je, en lui faisant remarquer qu’il faisait bien froid. D’ailleurs, porter une jupe, au début, n’avait pas été simple à ces périodes. Dieu bénisse celui qui avait inventé les collants en laine. Ce n’était peut être pas le plus esthétique, mes jambes étaient un peu trop fine, même si elles n’étaient pas droite comme des bâtons, je ne pouvais pas m’empêcher de ne pas trouver ça si beau. Beaucoup d’autres filles les portaient bien mieux que moi. Mais ils me tenaient chauds, et c’était tout ce que j’exigeais de mes collants, surtout à l’heure actuel.
Je fais la moue quand il ajoute que les créatures sont habitués à leur propres odeurs, mais surtout à la mienne, en levant les yeux au ciel, en reprenant mon carnet pour, de nouveau, cacher ma petite poitrine, mais surtout, La Croix qui se cachait sous les couches de tissus. C’était idiot, pourtant, de la protéger comme ça. Mais je ne voulais que personne ne sache, personne ne voit. Et surtout pas lui. Même si je ne savais pas trop pourquoi.*
Merci de te préoccuper de mon odeur, mais je crois qu’elle se porte très bien.
*Lui affirmais-je avec un sourire très faux, avant de soupirer, prête à me baisser pour ramasser mes fusains. Mais il s’en occupe, et les attrape, comme s’ils allaient lui transmettre je ne sais quelle maladie, et je ne sais pas pourquoi, cela me vexe. Alors quoi, il ne voulait pas tenir les choses que je tenais. Et puis, je tendais la main pour les récupérer, et observais quelques traces noirs de mes fusains. Bon. Ok. C’était peut être plutôt pour ça qu’il ne voulait pas les prendre à pleine main. Pour ne pas se salir. Pas vrai ?
Je soupire, agacée, et constate alors que je suis vraiment beaucoup moins patiente que deux ans auparavant. Je soupire encore en tentant de me calmer un peu, et grommelle.*
La faute à qui ?
*En récupérant mon matériel la deuxième fois qu’il me le tend, en le regardant d’un air un peu blasée la première fois qu’il les retire de ma portée au lieu de me les rendre. Finalement, j’attrape mon sac, et plonge carnet de fusain dedans, un peu rapidement, avant de fermer la besace en cuir, elle-aussi, nouvelle. Il fallait dire que, de ma vie d’avant, il ne me restait rien. Pas un vêtement, pas un carnet, même pas ma baguette. Les Slughorn m’avait tout racheté, et ils n’avaient pas fait les choses à moitié. Dire que j’étais reconnaissante était un euphémisme. Mais en attendant, ce n’était pas eux, mais bien Bjorn qui me faisait face.*
« Bon, pourquoi tu es là, Bjorn ? A part pour me faire chier, je veux dire. »
*Elle était loin, la Rachel polie et patiente. Enfin, non, elle était toujours là. Mais elle ne se laissait plus marcher sur les pieds. Alors, face à Bjorn, pour la toute première fois, je suis un peu moins gentille que d’habitude. Je ne suis pas énervée pour autant, non. Ma voix est calme, comme mon regard, qui s’est radoucie entre temps. Il lui en faudra bien plus pour véritablement me faire sortir de mes gonds. Vraiment beaucoup, puisque, dans mes souvenirs, je ne m’étais jamais véritablement énervée. Ce n’était pas aujourd’hui que j’allais commencé, encore moins devant lui, qui n’attendait que cela depuis si longtemps maintenant. Ooooh, non, jamais je ne lui donnerais cette satisfaction là. Jamais.*
A la base, je ne venais plus à l’enclos car je n’en avais plus le temps. Entre les devoirs, les cours, les entraînements et les recherches sur les cursus post-obligatoires et universitaires, je n’avais plus autant de temps que je le souhaitais pour rendre visite aux petits monstres à bec ou à poils que j’affectionnais tant. Ensuite, il y avait aussi qu’à force, après un an à espérer retrouver la petite brune assis là à croquer les créatures les plus proches, en voyant toujours mes espoirs piétinés comme des flaques de boues sur le bas côté, j’avais cessé même d’espérer. Et puis, je n’avais pas le temps pour venir, mais je n’avais pas non plus le temps de penser, de réfléchir pour de vrai. Cela parait stupide, dit comme ça, mais avec toutes les choses que j’ai enchaîné dans ma vie durant cette période, que ce soit la disparition de Magnus, le départ de ma sœur pour l’université, la pression de mes parents pour reprendre l’affaire familiale après la disparition de mon frère et même juste la pression de devoir choisir sa voie, même si je suivais des rails déjà installées et bien usées par de nombreux membres de ma famille avant moi, je n’ai jamais eu le temps de me poser avec moi-même et de me parler. Je ne parle pas de littéralement me parler à moi-même, mais de prendre du temps pour m’écouter, écouter ce que mon cœur et mon corps tentent de me dire. Il y a tant de choses que j’ignorais encore sur moi-même. Qui j’aime ? Qui m’attire ? Est-ce que je suis à l’aise avec mon corps ? Avec l’image que j’ai de moi-même ? L’image que les autres me renvoient de moi-même ? C’était la première fois depuis des mois que je me permettais un crochet pour tenter de mettre au clair mes pensées, de dissiper le brouillard dans mon tortueux cerveau, donc bien sûr que je ne m’attendais pas à croiser la jeune femme. Encore moins après toutes ces rumeurs sur elle et les choses qu’elle avait vécues.
– Ah ah, fis-je sarcastiquement, c’est marrant de vouloir parler d’éducation à un noble. Mais tu n’es pas tout à fait ce que j’appellerais la “société”, en tout cas pas civilisée, ça pour sûr. Et puis si tu transpires jamais c’est que tu dois être un fantôme ? Tu serais étonné des litres de transpi que l’on peut perdre rien qu’en restant debout. Surtout en novembre d’ailleurs, puisque ton corps perd plus d’énergie à te garder au chaud.
Fallait pas croire comme ça, avec mes airs de sportif colérique de presque deux mètres, mais je m’y connaissais un minimum en biologie, surtout sur le corps humain. Je n’étais pas un excellent joueur de Quidditch pour rien, après tout.
Je me baissai donc pour ramasser la petite branche de saule carbonisée, effectuant le moins de contact possible entre la matière très salissante et ma peau, et le lui tendit d’un geste gracieux du poignet après une première feinte. Je perçu un léger plissement des sourcils, comme si elle était légèrement en colère à propos de mon geste, puis cette émotion disparut aussitôt qu’elle ouvrit les doigts pour récupérer l’outil scripteur. Je ne compris pas vraiment ce qu’il devait s’être passé dans sa tête, et décidai de laisser couler. Elle avait beaucoup trop de raisons d’être en colère contre moi pour que je tente d’en investiguer celle de cet instant précis. Je lançai donc ensuite ma remarque sur sa maladresse répétitive des cinq dernières minutes, et celle-ci semble faire mouche. La lionne me répondis avec un certain agacement qu’elle n’aurait jamais laissé transparaître un an plus tôt. J’affichai un sourire satisfait et victorieux suite à ce grommellement, je venais de faire un petit pas dans la bonne direction. En effet, Rachel était moins patiente qu’auparavant, accepterait-elle de se laisser marcher sur les pieds encore longtemps, ou n’était-ce qu’une question de temps avant qu’elle ne quitte le confort de son rôle de jeune fille bien conciliante et effacée ? Je n’y songeai pas bien longtemps, bien trop surpris par la question qui vint. Oh, elle attaquait donc enfin de front ? Je venais donc de faire deux petits pas dans la bonne direction. En voilà du progrès après une ellipse d’un an dans nos querelles. Une idée germa dans mon esprit alors que je réfléchissais à une remarque cinglante que je pouvais bien lui balancer. Qu’y avait-il de plus agaçant et de plus perturbant que l’ambiguïté ? Le fait de sortir des cases qui nous ont été attribuées, de casser le personnage que l’interlocuteur s’attend à voir répondre. J’allais donc casser cette image du Björn, brute du premier jour, qui me suivait depuis le premier septembre 2014, date de mon entrée à la prestigieuse école de sorcellerie britannique.
Ce que je ne savais pas encore, c’est que cette pensée c’était mon inconscient qui me l’avait envoyé en courrier express, comme première occasion pour arrêter de jouer le rôle qu’on m’avait attribué, et me lancer dans la recherche du vrai moi caché sous toutes les attentes de Owen et Aslaug Shafiq. Mais chut, vous n’avez rien entendu, faites comme si de rien n’était.
Pourquoi j’étais là ? Il y avait donc la réponse qu’elle attendait : une remarque frappante pour lui rappeler qu’elle n’était rien à mes yeux et ne méritait même pas mon intention et que je n’étais donc pas là pour l’emmerder à la base. Et il y avait la vraie réponse, celle à laquelle elle ne se serait jamais attendue : parce que j’avais besoin de réfléchir. Parce que j’étais rempli de doutes. Parce que mes parents me poussaient sur une voie qui m’effrayait, parce que l’idée d’avoir à faire partie des partisans de l’Augurey, successeure légitime du Seigneur des Ténèbres, me donnait le vertige et une envie de violence envers moi-même pour me laisser endoctriner aussi facilement, docile comme un bon toutou bien dressé. Bien sûr, je ne pouvais pas lui avouer toute l’étendue de la Vraie Réponse, ne voulant pas révéler des secrets bien sombres sur ma familles, mais si j’en disais déjà un tout petit peu, si je faisais une égratignure sur le portrait qu’elle avait de moi, son petit monde de l’enclos pouvait déjà être violemment ébranlé. Un peu comme Dorian Gray, mais proportionnellement inverse à l’œuvre d’Oscar Wilde, chaque vérité pouvait redorer ce tableau très sinistre qu’elle devait avoir de ma personne. Il n’y a pas plus déstabilisant que de se rendre compte de l’humanité de la personne qui nous fait du mal, de se mettre dans ses chaussures et de ressentir de l’empathie pour elle. Il était là le test ultime pour savoir si la jeune femme était capable d’exprimer ses limites : si elle excusait mon comportement en voyant mes failles et ma fragilité, faisant passer mon ressenti avant le sien, elle n’était pas encore prête. Mais si elle parvenait à m’envoyer paître malgré tout cela, elle parviendrait à coup sûr à envoyer se faire foutre bien pire que moi, des personnes qui ne montreront jamais leur humanité à une personne leur paraissant aussi faible qu’elle. Une proie aussi facile à leurs yeux voilés d’ignorance.
– Tu veux la version rôle du harceleur dont tu as l’habitude ou la vraie ? lui lançai-je donc en dissimulant assez facilement, malheureusement, les émotions sur mon visage.
J’avais depuis longtemps pour habitude de ne jamais laisser aucun indice émotionnel apparaître sur mon visage en famille, hormis avec ma sœur, Freya. Je ne pouvais pas passer pour le benjamin faible et émotionnel de la famille auprès de mes parents, surtout mon père, et encore moins envers mon frère. De toutes façons, il n’était plus là pour me juger.
– On a qu’à commencer par ta zone de confort, vu que t’as de la peine à en sortir : Je suis venu pour voir les animaux et j’en ai rencontré une qui devait avoir fui l’enclos.
Oui, je la comparais à un animal. En même temps ne m’en voulez pas mais y' a pas énormément avec quoi travailler à l’instant précis niveau répartie du tonnerre. On a vu bien pire de la part du camp adverse. J’avais prononcé cette première option de réponse en glissant mes mains dans mes poches, les épaules légèrement tirées en arrière dans un geste un peu dédaigneux, orné d’un sourcil haussé pour couronner cette expression hautaine.
– Et la vraie raison, c’était pour me retrouver seul. Ce que tu faisais sûrement aussi, ce qui rend ta question d’autant plus simple. J’avais besoin de réfléchir, mais dommage je suis tombé sur le sale chihuahua qui tente de me mordre le mollet mais que je peux faire s’envoler en shootant même pas si fort que ça.
Mes comparaisons se précisaient : elle était maintenant devenue un petit clébard bruyant et emmerdeur. En même temps, vu notre différence de taille, la comparaison serait venue naturellement même chez quelqu’un d’autre. Pour cette deuxième partie de réponse par contre, j’avais décidé d’opter pour des indices subtils d’inconfort. Les longs doigts de ma main droite vinrent se poser entre mes deux omoplates, le coude levé comme lorsqu’on se gratte la nuque, hormis que je posai doucement ma main car je ne voulais pas terminer avec une peau rouge et irritée dans le dos, ou en tout cas pas comme ça. Mon geste fut saccadé, comme si je luttais avec mon inconscient pour ne pas paraître vulnérable, sauf que c’était complétement calculé pour donner cette impression, justement. Et cerise sur le gâteau, et c’est dans ces moments-là que je remercie notre mère sang-pur de nous avoir fait hérité de sa beauté et de ses gênes scandinaves, je levai légèrement les sourcils sur mon regard bleu clair, me donnant un air un peu plus perdu, moins confiant.
*Je secoue la tête à ses mots. Comme s’il fallait être noble pour être « bien éduqué ». Pensait-il que, dans les familles non-noble, les enfants font tout ce qu’ils veulent et n’ont aucune pression ? Pour ma part, du côté magique, il n’y avait aucune pression -du moins, pas sur mes capacités, comme je l’avais déjà dit plus tôt, mais cela ne voulait pas dire qu’il n’y avait d’autres poids sur mes épaules. Ce n’était pas parce que j’étais d’une nature docile et altruiste qu’il avait toujours été simple de veiller sur ma fratrie, plutôt que de prendre du temps pour moi. Ce n’était sûrement pas comparable à son éducation, mais pour autant, se doucher avant de risquer de croiser d’autres êtres doués d’un système olfactif était un minimum.*
« Oh, pardon, est-ce que j’étais supposée m’incliner à votre arrivée, monseigneur ? Tu penses vraiment qu’il faut être noble pour connaître les bases du savoir-vivre ? A partir du moment où il y a plusieurs personnes, et plusieurs commencent à deux, on peut considérer que c’est une « société ». Un, deux. »
*Dis-je, en le pointant, puis en me pointant, en insistant sur le deux, avant de me redresser, pour essayer de me tenir le plus droite possible, du haut de mon mètre soixante-dix. Bjorn était vraiment grand. Est-ce qu’il était aussi grand quand j’étais partie ? Non, dans mes souvenirs, il n’avait que quelques centimètres de plus que moi. Aujourd’hui, il me dépassait de plus d’une tête. Et c’était agaçant, vraiment agaçant. Parce qu’il en profitait. Et d’ailleurs, je répliquais aussi, sur la suite.*
Même si je transpire, je doute que mon odeur soit aussi désagréable que la tienne actuellement. Il y a transpirer naturellement et suer comme un porc en faisant du sport.
*Avais-je conclu avec un sourire faux.
Et puis, je lui pose LA question. Une question qui semble le pousser à réfléxion, puisqu’il est silencieux un instant. C’était, d’ailleurs, très agréable quand il se taisait. Quand il ne parlait pas, Bjorn était plutôt beau garçon. Grand et fort, un visage couvert de tâche de rousseur étaient encadré d’une chevelure dorée, de la même couleur que ces blés dont il partageait l’odeur. Ses yeux étaient d’un bleu azur très profond, brillant d’une lueur taquine. Oui, il n’y avait pas à dire, en photo, c’était pas mal. En face de soit, c’était autre chose.
Il n’y avait pas que la beauté dans la vie, de toute façons. D’accord, il était sportif et plutôt intelligent. Mais qu’est-ce qu’il était pénible, au niveau du caractère. Ou peut être était-ce seulement avec moi ? Pourquoi, je n’en savais rien. Enfin, je me doutais que, enfant, c’était ma patience et mon renfermement qui l’avait fait choisir sa cible. Il n’était pas « méchant » à proprement parler. Juste chiant. Il essayait de me faire perdre patience, et avant l’année précédente, c’était, très honnêtement, quasiment impossible. J’avais une patience à toute épreuve.
Aujourd’hui, les choses étaient différentes. J’étais peut être moins patiente, mais j’étais terriblement plus résistante. Résistante à tout. Aux critiques, aux regards des autres -même si je détestais toujours autant ça, à la douleur. Bien sûr, après des mois, le corps et l’esprit se renforcent. On créé des mécanismes de défenses, pour survivre. Prendre soin des autres, sans jamais me soucier de ce que, moi, je pouvais ressentir, c’était ça, le stratagème qu’avait trouvé mon esprit. À toujours chercher comment venir en aide aux autres, en s’oubliant, on ne fait pas face à ses propres douleurs, ses propres peines, ses propres angoisses. Voilà pourquoi je détestais autant me confier, et que l’on m’avait convaincu en m’affirmant que mon témoignage aiderait d’autres personnes, d’autres enfants dans mon cas.
Dans tous les cas, lorsque Bjorn brise le silence, je m’attendais à tout, sauf à cette réponse. Le harceleur, ou le vrai lui ? Essayait-il de se dédouaner de tout ce temps à venir m’ennuyer ? Ou avait-il simplement développé ce comportement dans le simple but de correspondre à ce que l’on attendait de lui ? Je ne me sentais jamais trop mal, lorsque l’on parlait de moi en tant que « sang-de-bourbe », quand bien même il s’agissait là de traîner mon nom dans la boue, littéralement. Sang-boueux, sang-sale. Voilà ce que l’on entendait dans cet insulte. Mais le sang de moldu était-il sale ? Ne valait-il pas mieux cela que de se reproduire entre cousin pour éviter que son sang ne soit souiller ? Beaucoup de royauté avaient essayés avant les sorciers, il faut voir là où cela les avaient menés. Enfin bref, il répond, et je soupire, en le regardant d’un air de dire « sérieusement, même là, tu fais des vannes de mauvais goûts ? ». *
« Ha. Ha. Hilarant. »
*Me contentais-je de répondre quand il me comparait à l’une des créatures magiques, ou plutôt, affirmait que j’en étais une. Et très honnêtement, vu ce dont était capable l’homme envers sa propre espèce, finalement, il n’aurait pas été si mal d’être plutôt l’une de ces créatures. Dans la nature, ou ici, elles avaient plutôt la belle vie. Aucune n’envoyaient leur progéniture à une séance de torture parce qu’elle avait une différence.
Oui, cela revenait beaucoup, dans mon esprit. A croire que la trahison de mes parents m’était resté dans la gorge. Evidemment qu’elle y était resté. Comment supporter une telle chose ? Les personnes qui m’avaient vu naître, grandir, apprendre à marcher, à parler, à vivre, qui m’envoyaient au casse-pipe. Ca n’a aucun sens. C’était le genre de chose qui vous fait tout remettre en question. Et aussi discrète que je pouvais l’être, peu importe à quel point je fuyais les émotions que j’avais ressenti, il y a des choses, ainsi, qui ne peuvent tout simplement pas être ignoré ou oublié si facilement.
Je croise les bras, en écoutant la suite, le fixant, de mes yeux aussi azur que les siens. Je suis peut être plus petite, mais cela ne m’empêche pas de me tenir droite, fière, telle la lionne qui était ressorti, comme le phoenix naissant de ses propres cendres. Ses mots m’arrachent un sourire, et même un petit rire. Après les créatures magiques, le chihuahua. De mieux en mieux. D’autant plus que je n’étais finalement pas si petite. En réalité, j’étais plutôt dans la moyenne haute, chez les filles, je l’avais toujours été. Ce n’est pas parce que, lui, il était immense et physiquement plutôt impressionnant qu’il devait se croire tout permis.*
« Ne prends pas cet air de chien battu, c’est toi qui est venu me chercher. Si tu voulais vraiment être tout seul, je pense que Poudlard est assez grande pour tu trouves un coin sans venir déranger les personnes qui dessinent tranquillement sans rien demander à personne. D’ailleurs, tu devrais te méfier des chihuahuas. Il paraît qu’ils ont plus de force dans la mâchoire que leur petite taille nous laisse à croire. »
*Affirmais-je, sans faiblir. Je ne baissais pas les yeux. Qu’est-ce qu’il allait me faire, de toute façons ? Sortir un couteau et graver ma peau ? Allumer un feu et la brûler ? Me balancer au sol et me briser quelque chose ? Non, Bjorn n’était pas violent, pas physiquement en tout cas. Et si l’ancienne Rachel se serait contenter de baisser les yeux, et de s’excuser avant de partir, la Rachel d’aujourd’hui savait qu’elle avait le droit d’exister, le droit de vivre, et elle se battrait pour ça. Même si c’était dans les gestes les plus anodins, comme soutenir un regard. Car, pour Bjorn, et malgré les centimètres qui nous séparaient, c’était probablement la première fois qu’il pouvait voir mes yeux bleus aussi longtemps.
Finalement, je soupire, et décroise les bras. Je passe une main dans ma chevelure cendrée, et penche la tête, avant de l’observer, l’air moins sévère, plus compréhensive.*
« Enfin. En vérité, je comprends. Cet endroit est propice à la réflexion et l’introspection. Il est si calme, si paisible… Enfin, quand il n’y a pas des brutes de joueurs de Quidditch qui se pointent. »
*Affirmais-je, un sourire amusé sur les lèvres. Mon regard dérive, et j’observe la nature qui nous entoure, avec un air… Etonnement apaisée. J’inspire profondément, et souris au monde qui m’entoure, avant de fermer les yeux.*
« Quand on se concentre, on arrive même à entendre le ruisseau qui coule en contrebas. »
*J’ouvre de nouveau les yeux, avant de me tourner vers Bjorn, toujours avec ce petit sourire moqueur. Comme quoi, même sans avoir du sang-pur, un regard azur et un joli sourire suffisent à rendre un visage aussi doux que celui qu’il arborait.*
« Mais encore faut-il avoir la sensibilité de voir tout cela, et se rendre compte de la chance que l’on a d’être libre comme l’air. Il t’en faudra, de la méditation, pour ça. Mais pour l'heure, la nuit ne devrait pas tarder à tomber. Je pense qu’on devrait rentrer. Surtout toi, histoire de te doucher pour ne pas imposer ça aux pauvres autres serpentards pendant le diner. »
Toujours à en faire des caisses et à louper le point de la conversation pour faire des remarques pseudo-pertinentes celle-là ! Je comprenais mieux pourquoi le Björn de douze ans avait décidé de s’en prendre à elle. C’était une sale emmerdeuse elle aussi, dans un sens. Mais autant aller dans son jeu, plutôt que la raisonner, honnêtement.
– Oh tu sais, je ne m’attends à pas grand-chose de ta part, même pas sûr que tu saches faire la courbette ! Et puis on pourrait parler de société mais est-ce que tu comptes vraiment pour un membre de ma société ? rétorquai-je d’un ton un peu plus sec qu’avant.
J’avoue que celle-là devait piquer un peu plus que les précédentes, mais voilà. Je n’avais pas réfléchi et répondu un peu sur le coup de l’émotion. Vexé ? Moi ? Sûrement. Je détestais qu’on me traite comme un ignare ou comme si je ne connaissais pas des choses aussi évidentes. Aussi je posai le bout de mes doigts sur mes tempes, les paupières closes, mimant le fait de recouvrer ma propre patience en prenant une profonde inspiration par le nez. Celle-ci me permit d’ailleurs de déceler une nouvelle fois le parfum sucré de la gryffondor, à mon grand dam. Non pas que ce soit une odeur désagréable, mais je n’avais pas particulièrement envie de sentir son odeur.
– C’est bien normal, avec mon niveau de testostérone entre guillemets “naturel” bien plus élevé que le tiens, soupirai-je, la prenant à mon tour pour une ignorante.
Oui, entre guillemets “naturel” parce que je signifiais celui que mon corps avait été programmé à produire à la naissance et que c’était donc des choses modifiables facilement par la médecine. Je ne sais pas, par exemple, dans le cadre d’un traitement pour ralentir une croissance ou pour des manquements. Oui, je m’y connaissais un minimum parce que j’avais évité de peu un traitement pour ralentir ma croissance. Peut-être que si j’avais grandi dans une autre famille, ou que le business de la famille ne se basait pas sur un commerce nécessitant une forte carrure, j’y aurais eu recours. En tout cas, malgré les recommandations de certains médecins, mes parents avaient refusé tout type d’entrave à ma croissance, et maintenant que j’étais devenu majeur, c’était à moi que la décision revenait. Seulement, moi, je n’avais aucun problème avec ma taille, même si j’avais bien conscience que je n’avais peut-être pas terminé de grandir, ce qui chez les garçons peut continuer jusqu’au milieu de notre vingtaine. Je veux dire, plus un gardien est grand, plus c’est un avantage pour lui, non ? Et puis, au moins je pouvais facilement voir dans les concerts, être repéré dans les foules par mes amis ou juste faire peur aux personnes plus petites que moi qui tenteraient de me chercher des noises. Non ça ne sent pas le vécu non.
A la suite de quoi, elle me posa donc LA question, et je lui donnai mes réponses à choix, un peu comme dans un jeu à embranchements. C’était marrant, car elle se tenait toute droite, comme si elle voulait me rattraper. C’était dans ce genre d’attitude que l’on pouvait reconnaître la fatale fierté que partageaient nos deux maisons. Sa remarque sur la puissance des chihuahuas m’arracha un rire franc, par surprise. Je gloussai une fraction de secondes, la tête penchée en avant et une main posée à plat sur mon abdomen. Nan, c’était trop, comme si la puissance des aiguilles qui leur servaient de crocs pouvait faire quelque chose contre un coup de pied bien placé, hormis m’inciter à shooter d’autant plus fort sous la douleur, pour le coup. Et tandis que je riais, la brune me fixait de son regard marin, comme un reflet du mien.
– Tu sais, commençai-je avec encore un écho de rire dans la voie, reprenant tout de même mon sérieux, après près d’un an ce lieu n’était plus ton exclusivité. Et puis même, on n’est pas les seuls à y venir régulièrement. Fâchement égoïste sur les bords la gonze.
Oops, je venais de penser tout haut ? Dans tous les cas, elle ignora ma réponse pour continuer sur la lancée qu’elle s’était donnée, et me faire une leçon de vie au travers de la beauté de ce lieu. Comme si je n’en avais pas conscience. Comme si je n’avais pas conscience de la chance que certains avaient d’être libres. Ce devait être ça, la chose la plus douloureuse dans le fait de jouer un rôle en permanence, de se cacher derrière un masque envers tout le monde et de devoir changer celui-ci. C’est que les gens qui, comme Rachel, n’avaient aucunement conscience de l’emprise psychologique que mes parents pouvaient avoir sur moi, me pensaient libre, heureux et épanoui. Mais je ne leur en voulais pas, ou en tout cas pas encore, car à cet instant, moi-même je n’en avais pas tout à fait conscience. Je me sentais juste coincé par leurs attentes, mais je n’avais pas encore conscientisé le fait que j’avais le droit d’avoir une opinion, une vie et des ambitions différentes de celles qu’ils avaient prévu de me léguer depuis ma naissance. J’avais déjà une faible prise sur la compréhension de ma situation, et sur les implications de certaines choses, comme celle que l’on a sur un savon encore humide. Si je tentais de la resserrer avant qu’il ait séché, il me glisserait entre les doigts, me laissant confus. Je n’étais pas encore prêt à me rendre compte que je n’étais pas libre, et qu’il ne suffisait que d’un pas pour atteindre cette liberté que tout le monde encense. Au moins, là j’avais conscience qu’elle me prenait pour une brute insensible. Ça allait parfaitement avec l’image de brute et d’élève qui doit résister à la pression de vouloir être le meilleur. Comme certains le disent, les émotions ne sont pas faites pour les leaders, en tout cas pas pour qu’ils les ressentent mais pour lire celles des foules.
– Moh, je n’oserais jamais faire subir ça aux autres serpentards en effet. Ils n’y survivraient pas, faibles comme ils sont. Je suis d’ailleurs surpris que tu sois toujours en vie, étant bien en-dessous d’eux. Soit, peut-être que c’est ta condition de chihuahua qui te rend insensible, finis-je avec un haussement d’épaule.
Cette dernière pique conclut notre entrevue, selon moi. C’est pourquoi je me retournai et, avec un geste las de la main dans sa direction, je pris la direction du château sans me retourner. Je n’avais pas pu profiter de la quiétude de cette endroit pour toutes mes réflexions qui me suivraient sûrement jusque sous la douche, et mes doutes couleraient sûrement avec toute la saleté qui me recouvrait, me laissant un peu de répit avant qu’ils ne fassent grandir à nouveau cette petite pierre dormante au fond de ma poitrine.
On apprend bien des choses en entrant dans une nouvelle famille, tu serais surpris. Mais que je sache le faire ou non, je ne compte pas ployer l’échine devant toi. Et on ne choisit pas la société dans laquelle on évolue, ce n’est pas à toi que je devrais l’apprendre, pourtant.
*Je n’avais jamais enviée les nobles. Être obligé de rabaisser les autres pour se sentir supérieur, ça cache souvent bien des soucis de confiance en soi, souvent. Pourquoi devoir rappeler aux autres qu’ils vous sont inférieurs, s’ils le sont vraiment ? L’aigle n’explique pas aux rongeurs qu’il lui est supérieur, il se contente de le dévorer. Lorsque l’on parle plus que l’on agit, cela prouve bien que quelque chose ne va pas. Je connaissais bien des nés-moldus ou des sangs-mêlés meilleurs en magie que des sangs-purs. Certains étaient bons, bien sûr. Très bon, même. La plupart travaillait d’arrache-pied, plus que les autres, sûrement à cause de la pression familiale. Mais de là à dire que tous les sangs-purs étaient plus forts, plus intelligents, meilleurs en tout…
Je souris, amusée, en le voyant, lui, perdre patience. Etait-il vexé ? Oh, le petit Bjorn Shafiq était-il donc si simplement vexable ? Et dire que j’avais passé 4 années de ma vie à ne rien dire, alors qu’il suffisait de le titiller un peu pour arriver au bout de sa patience. Finalement, je comprenais assez bien son petit jeu. Maintenant que j’avais recouvré mon calme, et que c’était lui qui perdait le sien, c’était beaucoup plus amusant. Même s’il me traitait comme une ignare, cela ne pouvait tout simplement pas faire diminuer mon sourire.*
Excuses-moi d’émettre plus d’oestrogène que de testostérone. Je ne voudrais pas être… Hmm, masculine.
*Je dus me rattraper à la dernière minute, sur ce coup-là. Est-ce que j’avais véritablement été sur le point de dire Bjorn qu’il était viril ? Peut être bien. Mais heureusement, je m’étais retenue à temps. Masculin, ça, ça ne veut pas dire grand chose. C’était un garçon, alors c’était normal qu’il soit plus masculin que moi, non ? Oui, ça, ça allait, ça ne voulait rien dire.
Surtout qu’il enchaîne, et qu’il explose de rire à ma remarque. Un rire franc, ouvert, un véritable fou rire. Et si ça n’avait pas été pour se moquer de moi, j’aurais sûrement constaté qu’il avait plutôt un joli rire, et une fossette qui apparaissait quand il riait à ce point, sur le côté droit de son visage. Mais j’étais trop vexée pour le constater. Enfin, pour le constater consciemment.
Et puis, il reprend. Mais alors qu’il riait encore, moi, je ne rigole plus du tout. Avait-il fait exprès de me rappeler que j’avais disparu un an ? Comme si ça avait été volontaire ! Comme si j’avais voulu partir, ne pas revenir me poser ici ! Comme si j’avais choisi d’être un rat de laboratoire, à subir tout ce que l’esprit pervers des pseudo-scientifiques pouvaient imaginer comme expérience sadique.
Si bien que, alors que je gardais ce petit sourire malgré tout, par fierté, mon visage se referme et devient plus neutre. Mes yeux bleus deviennent glacés comme le lac en plein hivers, et dans mon esprit, bien des souvenirs remontent. J’avais parlé de cet endroit aux autres enfants. J’avais évoqué les plaines vertes, couverte de fines perles de rosées, des créatures qui s’éveillaient, du ruisseau qui chantaient. Cet endroit, en fermant les yeux, je m’y étais imaginé, pour ne plus ressentir l’enfermement. Bjorn ne se rendait pas compte qu’aussi contraint pouvait-il être, il était libre. Libre de sortir, de marcher, de parler, de dormir, de manger, de vivre. Il ne se rendait pas compte que la liberté n’était ce qu’il imaginait, pour moi. Et sûrement n’avait-il pas compris pourquoi, si soudainement, j’avais cessé de plaisanter. Mais ce qu’il avait dit, je le ressentais comme un reproche. Le reproche d’avoir été absente. Le reproche de ne pas être revenue.
Il conclut, en prenant son sac, et je le regarde s’éloigner sans bouger un instant, finalement, je redresse la tête et le regarde, en haussant la voix pour qu’il m’entende là où il était, un peu plus loin.*
Si j’avais eu le choix, c’était ici que j’aurais été, l’année dernière.
*Mais déjà, il part, et je ne suis même pas sûre qu’il m’ait entendu. Non, ça ne le comptait pas dans l’équation. Bien sûr que non. Mais j’aurais supporté Bjorn avec plaisir, pendant des heures, si cela avait pu m’éviter de passer tant de mois là bas. Je me retrouve seule, et je suis là, debout, pensive, faisant face à ces démons que je parvenais à ignorer la plupart du temps. Pourquoi, maintenant que Bjorn était venu et reparti, je me sentais terriblement seule, alors que je l’étais avant son arrivée et que cela ne m’avait pas dérangé ? C’était à n’y rien comprendre. Mais ce fut une pluie fine qui me fit sortir de tous ces souvenirs douloureux, et je constatais alors que la pénombre avait enveloppé Poudlard de son manteau obscur. Alors, j’attrapais mon sac et remontais rapidement jusqu’à la grande salle, où tout le monde était déjà attablée, les cheveux légèrement mouillée par la pluie, et accueillit par mes amis qui se moquèrent gentiment de moi en me disant que j’avais encore oublié l’heure en dessinant. C’était l’esprit un peu plus léger, en plaisantant avec eux, que je m’installe pour manger, même si, ce soir là, je n’avais pas réussi à avaler grand chose. Au moins, la présence de mes amis et leurs discussion d’adolescent me permit d’effacer, l’espace d’un instant, les cauchemars qui hantaient encore mes nuits en silence.*
J’avais entendu sa dernière remarque bien entendu, mais je m’étais déjà mis en marche et, de fait, je ne pouvais donc plus me retourner pour lui rétorquer que ce n’était pas ce que je voulais dire, que ce n’était pas un reproche sur sa disparition puisque, évidemment, elle n’y était pour rien du tout, ou encore que ce n’était pas ce sur quoi je voulais mettre l’emphase par ma réponse. Mon intention avait été de mettre en avant le côté agréable du parc, de ses enclos et des créatures qui y vivaient, pas de lui rappeler qu’elle l’avait déserté pendant un an. Je voulais mettre l’emphase sur le fait que de nombreux autres élèves avant nous, et certainement pleins d’autres encore bien des années après avoir eu nos diplômes en poche, se sentaient ou se sentiraient profondément liés à ce petit paradis pour les amateurs de créatures, les amoureux de la nature. De plus, j’en avais bien conscience, de ce qu’elle venait de dire. Si ce que j’avais pressenti était vrai, et donc que les tortures que la jeune sorcière avait vécues étaient d’autant plus traumatisantes et sombres que les quelques rumeurs qui circulaient régulièrement dans l’école le laissaient penser, je ne doutais pas un seul instant qu’elle aurait cent fois, non milles fois, non un milliard de fois préféré être sous la protection magique de Poudlard plutôt qu’aux mains de moldus souhaitant littéralement détruire une partie d’elle, même si ceux-ci faisaient partie de sa “famille”.
Seulement, moi j’avais le privilège de ne pas avoir à m’en préoccuper à chaque instant, des effets de ces mois d’expériences horribles sur ma vie de tous les jours : je ne devais pas m’inquiéter de rattraper tout le retard qu’être enfermé des mois durant pouvait provoquer ; je ne devais pas non plus me préoccuper du retour à la normale de mon potentiel magique à cause de tests et de drogues et de je ne sais quelles matières capables de désactiver la magie chez un sorcier ; je ne devais encore moins gérer le regard du reste du monde magique braqués sur moi parce que j’avais survécu à tout ça et que mon témoignage apportait à la fois la terreur et l’espoir au fond de ceux qui l’entendaient, en horreur devant la vérité pourtant si évidente que des personnes sont capables de tenter d’en détruire d’autres simplement à cause de leurs idéaux et revigorés par la nouvelle d’un survivant, un espoir de traverser une fois encore l’adversité des moldus dans le temps. Tout simplement parce que ça ne m’était pas arrivé à moi. Je n’étais pas capable de me mettre rien qu’un tiers dans la tête de mes camarades qui avaient vécu les pires atrocités, et je n’y étais même pas obligé au fond. Et pourtant je le faisais. Je faisais de gros exercices de gymnastique mentale pour tenter de faire le lien entre les bribes de témoignages que j’avais entendu par-ci par-là et les rumeurs, tout cela pour en apprendre plus et tenter d’être … empathique (?) à leur égard. Je le répète une fois encore, mais j’avais le privilège de pouvoir rester ignorant et continuer ma petite vie, et pourtant je ne le faisais pas.
Seulement, toute cette empathie, je devais la garder au fond de moi. Je ne pouvais pas montrer ma sympathie pour mes camarades, car la majeure partie des victimes étaient des sang-mêlés et des nés-moldus, qui avaient été cruellement vendus par leurs familles ou des proches. En voilà, encore une chose, que je ne pouvais pas comprendre. Dans ma famille, mais aussi dans ma bande d'amis, à force de m’être bien entouré, personne ne m’a jamais trahi. Même pas une petite trahison de rien du tout histoire d’avoir des avantages ou de se hisser au-dessus de moi. Tout simplement parce que si un jour il y avait bien un traître dans cette histoire, ce serait moi. Mais ça, à cet instant précis, je ne l’envisageais pas encore, et je pensais que je ne le ferais jamais, encore trop confortable dans le déni. Alors que je vaquais à mes tâches, en pilote automatique, je réfléchissais au film de notre discussion, encore et encore. Plusieurs de mes remarques avaient pu être interprétées de manière rabaissante du point de vue de choses sur lesquelles la jeune femme ne pouvaient pas avoir d’incidence, que ce soit son statut de sang, sa valeur en tant que personne ou sa disparition. Certaines de ses phrases, émises par elle ou moi, résonnaient en écho dans ma tête encore sous la douche, me mettant très mal à l’aise. “J’espère que tu valais plus chère qu’une mornille … Mais encore faut-il avoir la sensibilité de voir tout cela … Après près d’un an ce lieu n’était plus ton exclusivité … Si j’avais eu le choix, c’est ici que j’aurais été, l’année dernière.” La dernière particulièrement, faisait remuer la petite pierre cachée dans ma gorge, me donnant l’envie irrépressible de me frotter le visage avec du papier de verre, comme pour me désolidariser de ses lèvres qui avaient pu prononcer certaines de ces répliques cinglantes, remplies d’amertumes et de violence. C'est peut-être pour sublimer cette violence envers moi-même que mes frottements au savon, puis à la serviette pour me sécher, se firent plus sec et rapides que d'habitude. Il y avait aussi cette étrange obsession qu’elle avait eu quand à mon odeur, qui me poussa inconsciemment à redoubler d’effort pour me laver correctement. Je ne puais pas tant que ça, en temps normal, si ? Bref, je ne tardais pas non plus à rejoindre la salle commune où mes amis m’attendaient, et c’est avec un regard empli d’espoir de la voir, dirigé vers la table des rouges et ors, qu’au fond de moi, caché dans un coin qui avait déjà accepté des choses très sombres comme le fait que je ne partagerais jamais les idéaux de mes parents, qu’une partie de moi embrassait la certitude d’être soulagé de son retour, et même, si ce n’était pas trop lui demander encore, était presque heureux de cet heureux évènement. Cette certitude encore inconsciente se traduisait à cet instant par un sourire incontrôlable que je n’aurais pu camoufler même si je le souhaitais, qui se perdait aux milieux de ceux de tous les élèves qui aimaient ces moments de partage dans lesquelles les émotions négatives étaient noyées par la bienveillance, l’amitié et la naïveté.