Du point de vue de mes pauvres professeurs, je suis ce qu’on appelle un petit con dans le jargon. Cela n’a rien à voir avec mon niveau d’éducation, nan. Je suis très poli, je dis bonjour, s'il-vous-plaît, merci et au revoir et  je sais quels couverts utiliser en premier lors d’un repas. Par contre, il est vrai que je ne respecte pas toujours les règles qui me sont imposées. Mais dans ce cas-là, pourquoi je suis un petit con plutôt qu’un vrai sale gosse ? Tout simplement parce que je ne me fais jamais prendre, voilà ce qui nous différencie tant. Je préfère suivre mes propres règles, celles qui sont en accord avec mes valeurs. Une autre chose que les profs n’apprécient pas toujours, c’est que j’ai de la répartie. Qui s’y frotte s’y pique est un dicton bien trop vrai me concernant. Si un maître tente d’abuser de sa position sur moi, il trouvera du répondant et remise en place garantie.

En ce qui concerne mes camarades, c’est un peu plus mitigé. Il y a ceux qui s’attirent mes faveurs, et dans ce cas je suis le meilleur mec qu’on puisse avoir comme ami : avec mes capacités et ma persévérance, vous êtes presque sûr d’atteindre vos buts grâce à moi. Je suis plein de ressources vous savez. Vous noterez que l’humilité ne fait pas partie de mon CV.
Pour ceux qui ne m’apprécient pas, c’est une toute autre affaire. Dans ces cas-là, mon individualisme prend le dessus. Ils n’existent pas ou plus à mes yeux, ils deviennent des moyens. Kant ne serait pas très fier de moi, mais je ne considère que mes amis et alliés comme des fins en soi. Ça peut paraître triste, certains doivent sûrement me plaindre dans mon dos, mais ça ne me fait ni chaud ni froid. En parlant de froideur, c’est la première impression que je fais aux gens. Celle d’un gamin arrogant, froid et fier. J’avoue qu’ils n’ont pas tort, mais quand même ?

Et enfin il y a l’image que ma famille à de moi, et même là c’est divisé en plusieurs niveaux. Mes parents me prennent pour un garçon docile de qui ils peuvent décider de l’avenir comme bon leur semble. Je suis l’incarnation des valeurs de la famille ! Disons que je leur fais voir et entendre ce qu’ils veulent jusqu’à pouvoir atteindre une certaine indépendance. Mieux vaut parfois s’adapter et taire ce que l’on pense vraiment, surtout quand notre survie est en jeu.
Mon grand-frère Magnus me voit sûrement comme un gamin capricieux qui veut plaire aux parents. Enfin je n’ai pas vraiment pu lui redemander depuis … vous savez. Pour ma grande sœur Freya, je suis un grand blagueur, le clown de la famille. C’est une facette que je ne montre pas facilement, mais dont mes amis les plus proches peuvent avoir un avant-goût au travers de ma répartie et de mes talents en conversation.

De mon point de vue à moi ? Hé bien, je crois que je suis un grand mélange de tout ça. Je suis encore très confus. Je me recherche. Dois-je suivre le chemin tracé par mes parents et tenter d’atteindre les attentes qu’ils posent sur moi ? Dois-je explorer un peu plus les recoins les plus sombres et cachés de ma personnalité, et remettre de nombreux pans de ma vie en question ? Je n’ai pas encore les réponses à ces questions qui ébranlent mes certitudes.

Je devais avoir une onzaine d’années, je n’étais pas encore entré à Poudlard. Le soleil avait tapé fort ce jour-là, ma peau sensible était encore rouge des heures passées à s’occuper des équidés sous ses rayons agressifs. On ne distinguait presque plus les tâches de rousseur sur mon nez à cause de cela. C’est ce que je constatais devant mon reflet sur la fenêtre en arrosant mon visage d’eau fraîche pour tenter d’apaiser ma douleur, en vain. Dans la cuisine, ma grande sœur se moquait de mon manque de prévention. “Tu aurais dû mettre de la crème solaire, Björn. Tu aurais dû mettre un chapeau Björn”. Bla-bla-bla.

Mais je n’allais plus avoir l’occasion de réfléchir à tout ça, ni même de me concentrer sur ma propre douleur, parce que notre père accourut dans la pièce, le souffle court. On savait que ça arriverait un jour ou l’autre, on l’attendait impatiemment, surtout moi. “Il arrive !” On savait tous ce que cela voulait dire. L’une de nos juments allait enfin mettre bas. Alors comme une seule personne, la fratrie au complet se précipita hors de la maison en direction des étables où la pauvre nous attendait.

Tout se passa très vite, à moins que mon cerveau tout excité de vivre sa première mise bas décida d’enclencher le mode deux fois plus vite. Et puis j’étais aussi fatigué d’une journée complète de travail sous les directives de ma mère, qui n’attendait que le meilleur de nous. En à peu près une heure, le poulain était né et sorti de sa poche placentaire. Alors que mon frère avait aidé mon père à ce que tout se passe bien, c’est moi qui pris soin de nettoyer le nouveau-né, avec une serviette chaude.

C’est là que le moment fort arrive, la grande révélation. Devant cette créature encore tout frêle et perdue que je frottais chaleureusement, c’est là que je me suis rendu compte de mon amour pour les animaux, que je me suis rendu compte de la chance que j’avais d’être né proche de la nature. Que c’était quelque chose que je pouvais chérir au fond de mon cœur, une fierté que j’avais légitimement le droit de ressentir. C’est ce soir-là que je me suis dit ”Wouaw, c’est ça ce que je voudrais faire quand je serai plus grand. Je veux élever des chevaux magiques avec ma famille”.