“Qu’est-ce que c’est que ça, encore ?”*Je brise le sceau de Tobias Towsen, et explore sa lettre d’un œil acerbe. Un soupire quitte ma poitrine pâle alors que je laisse tomber le papier sur laquelle l’écriture droite du mangemort repose.
Il était gonflé, celui-là. Certes, il était un client régulier, mais cela lui donnait-il donc tant de privilège. Mandra, mon capucin, tourne la tête en me regardant, comme pour me poser une question, et je quitte mon bureau pour ouvrir la fenêtre de mon bureau. Le froid piquant de Novembre vient mordre ma peau blême. Mes yeux sombres se ferment pour savourer la brise hivernale, avant que je n’ouvre le regard sur Londres. Un sourire effleure mes lippes, quand je décide de me retourner, pour m’asseoir au bord du bâti de l’immense fenêtre double, éclairant cette pièce où je passais une bonne partie de mon temps.
Une cigarette au coin des lèvres, dont le papier se teint déjà du rouge qui colore mes lèvres, je porte le briquet que j’allume avant d’inspirer profondément. J’ouvre la bouche et les volutes de fumée s’échappent dans l’air. Elles sont immédiatement et irrémédiablement attirées par la ville froide et grise qui se dessine dans mon dos, mais cela ne m’importe pas. J’ai simplement besoin de réfléchir. Et quoi de mieux pour activer sa matière grise qu’un peu d’air frais. Mandra saute de mon bureau en râlant, et je soupire et capitule en fermant la fenêtre. Soudainement, la fumée qui s’échappe du cylindre est attirée dans un petit coin de la pièce, dans un petit pot qui contient un liquide ambré. Une potion de mon invention, qui attire à lui les odeurs de tabac, et permet de fumer en intérieur sans que vos pièces ne soient ensuite infestées de cette désagréable odeur de tabac froid. Sans parler du fait que les non-fumeurs pouvaient ainsi partager une pièce avec des fumeurs sans subir le moindre désagrément. Les quelques bars et boîtes sorcières s’arrachaient littéralement ce produit, et je devais admettre que je n’en étais pas peu fière. C’était, certes, une niche dans mon commerce, mais en réalité, c’était surtout pour moi que je l’avais inventé. Je detestais rentrer dans mon bureau pour y trouver cette abominable odeur de tabac froid, et je ne tenais pas à toujours ouvrir ma fenêtre. Pour certains, il était ridicule de prendre des heures et des heures pour trouver une solution à un problème mineur. Toujours est-il qu’aujourd’hui, je n’avais plus ce problème, aussi mineur soit-il, le temps investi était donc rentable à mes yeux.
Tout cela pour me replonger dans la missive ramené l’instant d’avant par Hestia, ma stagiaire. J’avais longtemps refusé sa candidature, aimant tout gérer toute seule. Mais il fallait bien l’admettre : Hestia était en réalité fort pratique, et je n’étais pas mécontente d’avoir fini par céder à ses demandes. Enfin, dans tous les cas, j’attrape ma baguette, et d’un geste désinvolte, lance un accio fiche de stock. J’étudie la demande de mon client, vérifie avec rigueur les potions déjà présentes dans mon stock, et réfléchis aux ingrédients manquants pour celle que je n’avais pas ou qui se préparait au moment de sa consommation pour plus d’efficacité. J’avais une réputation à tenir, je n’allais pas non plus vendre des potions inefficaces.
Après avoir rédigé ma petite liste, je me lève et me dirige vers le laboratoire, où ma stagiaire s’occupe de réalisation de potions mineures. Je ne lui faisais pas encore confiance pour les potions de mon invention dont je gardais la recette pour moi, ni pour les choses trop complexes. Mais je la laissais très souvent préparer les ingrédients et faire les potions les plus courantes.*
Tiens, j’aurais besoin de ces ingrédients pour un client. Tu iras quand tu auras fini ça.*Affirmais-je sans lui laisser trop le choix, d’une voix lancinante et relativement froide. Hestia était ma stagiaire, pas mon amie. D’ailleurs, je n’avais pas d’amie. Mais ce n’était pas la question. Elle était pratique. Et tant qu’elle le resterait, je la garderais pour travailler avec moi. Avec elle aux ingrédients et aux potions simples, sans parler de l’accueil des clients, j’avais plus de temps pour la gestion, notamment celle des stocks. Maintenant que la boutique avait sa petite réputation, je ne pouvais plus me permettre de manquer de quoi que ce soit d’essentiel par mégarde ou par perte de temps. Il fallait l’admettre, avoir une paire de main en plus s’était avéré utile.
Ce fut après ce bref moment que j’avais écrit pour assurer à Tobias Towsen, fidèle compagnon de l’ordre des Mangemorts, que sa commande serait prête pour le lendemain et, exceptionnellement, contre pécune cela va de soit, livré à l’adresse indiquée à la date et l’heure proposée. Ce n’était pas dans mes habitudes, mais pour un habitué et un “camarade”, je pouvais bien faire cela. Il fallait que je reste bien vu par les membres de ce cercle fermé dont je faisais partie. Cela ne m’enchantait guère, mais si je n’y trouvais pas d’intérêt, il y a bien longtemps que j’aurais décliné l’offre des Mangemorts. En réalité, je n’étais pas très active dans le cercle, je le savais. Mais comme Hestia, tant que j’étais utile, il ne trouvait rien à y redire. Mes talents, ma boutique et mes potions faisaient de moi une personnalité, pas irremplaçable, certes, mais tout de même profitable.
Après avoir chassé mon “apprentie” du laboratoire dans l’après-midi pour m'atteler à cette commande, la préposant au service à la clientèle et la vérification et l’entretien de certains ingrédients -comme les plantes dans la petite serre dans l’arrière-cour de la boutique, je m’étais mise au travail. Minutieuse, sérieuse et passionnée, c’était bien dans ces rares moments que le léger sourire sur mes lèvres était le plus pur et sincère. C’était même dans ces moment-là que j’étais capable de ne pas ressentir mon addiction à la nicotine et de passer plusieurs heures sans allumer une cigarette. J’étais trop sérieuse pour cela, et mon addiction à la perfection de mes breuvages était mille fois plus puissante que mon addiction au tabac. Aidée par la magie, mes gestes sont fluides, précis, tout comme mes mesures. Si j’étais déjà relativement psychorigide sur bien des choses, il y en avait une avec laquelle je ne plaisantais pas du tout, et c’était bien cela : les potions. Une goutte de plus pouvait changer un filtre d’amour en un terrible poison et une goutte en moins dans certains filtres pouvait faire exploser le laboratoire. Alors, c’est avec attention et précision que j’oeuvre sans veiller au temps qui s’écoule, lentement, mais sû
Le soir est déjà tombé lorsque je verse le contenu de mon chaudron dans une large fiole transparente, sur laquelle je colle l’étiquette du “Purple Vial” et écrit manuellement le nom de la potion, trop rare dans nos commandes pour que nous l’ayons en pré-imprimé. Je range la potion, et ferme la boutique, pour me diriger vers un bar, afin de trouver la chaleur d’un corps et la douceur du whisky.
C’est parfaitement à l’heure que je me présentais devant l’immeuble que Towsen m’avait renseigné. A l’heure, bien sûr, car un sorcier n’est jamais en retard, ni en avance, d’ailleurs. C’est donc avec mon paquet sagement loti dans un petit sac à la contenance quasiment infini que je me dirige sans hésitation vers l’adresse donnée, pour aller toquer à la porte de l’établissement indiquée dans le courrier envoyé quelques jours plus tôt au Purple Vial.*