Quand l’Augurey décidait de quelque chose, en règle générale, personne ne discutait. Elle avait une belle autorité et elle avait, la plupart du temps, des idées ingénieuses, bien que parfois saugrenues.
Aujourd’hui, par exemple, près d’un an après que la jeune femme eut rejoint nos rangs, je faisais équipe avec Alyssa Yaxley. Une étonnante et talentueuse tireuse d’élite du Ministère, dont je ne pouvais ignorer ni l’intelligence, ni la grâce et la subtilité. Cette jeune femme était un excellent atout pour notre Cause, j’en étais parfaitement convaincu.
Et puis, il ne fallait évidemment pas oublier le talent magique de la tireuse d’élite. Métamorphomage, tout comme moi. Nous allions avoir à utiliser notre don commun pour cette mission et c’était sans doute l’une des raisons qui avait poussé l’Augurey à nous choisir pour une mission d’infiltration.

L’ordre de mission était plutôt simple. Il s’agissait de pénétrer dans un bâtiment important pour la politique moldue et de recueillir des documents confidentiels pour constituer un dossier complet. Il fallait que nous puissions connaître les habitudes des moldus au maximum si nous voulions pouvoir frapper un grand coup. Les êtres dénués de magie nous étaient inférieurs, certes, mais nous ne pouvions pas nous permettre pour autant de les sous-estimer.
C’était peut-être là un autre atout dans notre manche, d’ailleurs : ni Alyssa ni moi n’avions l’attitude un peu trop hautaine de ces sorciers pensant que l’humilité n’était jamais nécessaire. Nous étions tous les deux capables de nous faire discrets et d’agir dans l’ombre. Quand j’y pensais, cela faisait peut-être de nous un duo efficace… Enfin, l’avenir nous le dirait, une fois que notre mission serait terminée, nous verrions bien ce qu’il en était.

Pour l’occasion, il avait fallu se donner l’air de moldus. Bref, avoir l’air con.
Des lunettes, des vêtements peu élégants… Déjà comme cela, je me sentais un peu plus dans la peau de mon personnage. J’aimais jouer un rôle, quand il s’agissait de faire usage de mon don. Je poussais les choses un peu loin, peut-être, d’aucuns y verraient même facilement une déviance quelconque, mais je préférais prendre cela comme une sorte de jeu. Le jeu des apparences, en quelque sorte. Jouer les caméléons, c’était dans mes cordes et j’aimais cela. Changer de visage, modifier mon corps, c’étaient des activités qui me permettaient de multiplier les possibilités… et j’aimais cela. Dans ma vie privée aussi, mais c’était là une toute autre histoire.

La longue veste gris ardoise que je portais aurait pu sembler un peu trop chaude pour un début de saison, mais le printemps pointait à peine le bout du nez. Timide, il ne faisait pas encore de grand éclat. Je m’étais approché de ma partenaire de mission, en m’annonçant de manière toute simple. « Miss Yaxley… Vous avez opté pour une tenue qui vous sied à merveille. De très bon goût. » J’étais toujours dans les politesses, évidemment, l’éducation que j’avais reçue m’avait ainsi formé, mais toute dame méritait ce genre de petite attention, n’est-ce pas ? « C’est pour moi une joie de partager cette première mission avec vous. »

Loin de moi l’idée de faire preuve d’hypocrisie. J’étais réellement heureux de faire équipe avec elle. Peut-être parce que je n’étais pas vraiment un homme de terrain et que, dans une situation d’urgence, j’avais tendance à ne pas toujours savoir quelle réaction était la meilleure. M’adjoindre une personne habituée au terrain me semblait donc être une très bonne idée.
Et puis… je savais qu’elle était plutôt jolie, très jolie, même. Le genre de jeune femme sur laquelle on se retournait sans même remarquer que la réaction était instinctive… Mais je songeais qu’Alyssa Yaxley avait sans doute déjà dû entendre tellement de choses à mon sujet que je me devais d’être correct en toutes circonstances. Et galant. Rester un gentleman, c’était la condition sine qua non pour que tout se passe pour le mieux.

« Vous connaissez un peu le côté moldu de Londres ? » Une simple question qui permettait à la fois d’engager la conversation et de savoir un peu comment se situait mon acolyte du jour dans le domaine.
Il me semblait évident que notre différence d’âge ne devait pas être une raison pour moi de considérer la demoiselle comme trop jeune ou ignorante. Loin de là. J’étais même plutôt d’avis qu’à tout âge, de nombreuses choses pouvaient être partagées, pour que l’enrichissement culturel et spirituel puisse devenir réciproque.

« Je ne suis jamais entré au Parlement. Ce sera une première pour moi. Mais… » Mon côté stratège avait pris les devants. « J’ai pu me procurer les plans des lieux. Je me suis dit que cela pourrait nous être utile. »

Voilà un an que je servais l’Augurey au mieux de mes connaissances, bien que je n’avais pas encore eu l’occasion de faire partie d’une mission importante pour le moment. Je me doutais bien qu’en tant que recrue, je devais faire mes preuves, mais il y avait ce brasier incandescent et impatient qui brûlait en moi et qui rendait cette attente longue. Beaucoup trop longue. Je savais que je pouvais être utile à la cause et je ne cessais de ronger mon frein afin de ne pas réclamer une mission. Chaque chose viendrait en son temps, ne cessais-je de répéter afin de calmer ma fébrilité vive. Enfin, on m’annonça que j’allais être utile. Jumelé à un homme à la prestance écrasante et intimidante, nous devions nous infiltrer dans le monde moldu afin d’aller subtiliser quelques papiers importants pour leur gouvernement. Partager ce genre de mission avec un homme tel que William Ombrage me rendait autant ivre de bonheur que de nervosité. Pourquoi? Parce que cet homme était incroyablement intimidant à mes yeux, bien qu’il fut celui qui me recruta.

Par chance, bien que je sois une parfaite sang-pur élevée dans la force des traditions, je savais que je ne serais pas trop déboussolé dans ce monde si différent du nôtre. Peu de sorciers avaient compris que pour vaincre son ennemi, il fallait le connaître parfaitement, mais moi, je m’étais fait un point d’honneur à me dépayser dans leur monde barbare et archaïque. Dépayser au point d’y vivre pendant un bon mois pendant mes études à l’université. Ça peut vous sembler bien peu, mais c’était assez pour que je me sente relativement à l’aise dans ce genre de mission.

Comme chaque mission d’infiltration nécessitait un costume parfait, j’ai usé de mes talents de métamorphomage pour devenir complètement une autre personne. Voilà un talent que William possédait en commun avec moi et c’était sans doute pour cette raison que nous avions été mis ensemble. Nos détracteurs pourraient surveiller le parlement comme des tarés, jamais ils ne nous reconnaîtraient. J’ai donc opté pour une longue chevelure d’un blond vénitiens, une silhouette aux courbes très avantageuses et de grands yeux verts. Mon parfait contraire, si vous me connaissez bien. Vêtu d’un tailleur gris perle assez court et de haut talons aiguilles qui rendait mes jambes interminables, je savais pertinemment qu’on prêterait beaucoup plus attention aux balancements de mes hanches qu’à mon identité ou mes occupations. Sans doute aurais-je un peu froid dans cet accoutrement, mais un petit sort et hop, plus de frisson.

« Monsieur Ombrage, vous voilà méconnaissable » Dis-je doucement en me tournant vers lui, restant étonnée par l’homme qui me faisait face. Soyons honnête, William Ombrage était un très bel homme et celui-là, il était très...oubliable. « Je n’arrive pas à deviner si vous êtes sarcastique ou bien si vous appréciez vraiment ce genre de jupe trop courte pour être vraiment adéquate» Fis-je remarquer en rougissant tout de même légèrement à ses commentaires, ma coquetterie typiquement féminine appréciant les qualités énoncées par cet homme. On pouvait être complètement différente et aimer les compliments, par Merlin! « Je suis également particulièrement heureuse de partager ce moment avec vous, monsieur » Affirmais-je lorsqu’il me fit part de sa joie de partir en mission à mes côtés. Vrai ou mensonge? Aucun moyen de le savoir, surtout qu’il semblait préférer s’en tenir à des formules de politesses dignes de notre rang.

Peut-être avait-il espéré une personne avec plus d’expérience que moi à ses côtés, mais que mon talent de métamorphomage m’imposait à lui? Je savais que j’étais vraiment très douée dans l’art de la magie et des combats, mais lui, il ne m’avait jamais vu en action et même s’il m’avait recruté. Était-ce mal d’espérer d’être attaqué simplement pour lui prouver ma valeur. Ne pense pas à ça, ce n’est pas le moment, pensais-je alors que je marchais à ses côtés. « J’ai vécu pendant un mois dans le Londres moldus afin de les observer et apprendre à les connaître. Pour avoir le dessus sur l’ennemi, il faut savoir qui il est, non?» Répondis-je avec honnêteté avant de rajouter: « Et vous Monsieur, vous sentez-vous à l’aise dans cet univers si différent du nôtre?». J’étais réellement curieuse de connaître sa réponse. En effet, William Ombrage possédait tellement d’assurance qu’il était impossible pour moi de l’imaginer mal à l’aise et ce, peu importe la situation.

«Oh vous avez été plus intelligent que moi sur ce point» Reconnus-je en me mordant la lèvre inférieure, détestant reconnaître une imperfection à mon être sublime. Je n’avais pas eu ce réflexe de fouiller pour en apprendre plus sur le parlement. Pour m'orienter, je m’étais dit que je trouverais un moldu à envoûter à coup d’Impero ou à interroger sous Véritaserum. L’idée de William laissait moins de trace et était plus subtile, pourquoi n’y avais-je pas pensé moi aussi? « Je crois que nous devrons nous montrer un peu moins formel, les moldus sont rarement autant protocolaires entre eux, Monsieur»Dis-je en étant un peu intimidé par cette remarque. Verrait-il cette proposition comme un immense manque de politesse venant de ma part? « Je pense aussi que nous devons éviter de trop nous attarder là-bas. Je suis prête à parier que nous ne sommes pas les seuls à convoiter ces papiers»Rajoutais-je en tentant de lui montrer que je n’étais pas aussi idiote que je le laissais présager depuis le début de cet entretien.

Quand elle me vit, la phrase que lâcha la jeune femme me poussa à tordre cette bouche qui ne ressemblait pas trop à la mienne en une sorte de rictus s’approchant presque d’un sourire. D’habitude, je m’entrainais un peu devant un miroir pour que mes gestes et mes mimiques soient suffisamment recherchés pour être tout à fait crédibles, mais cette fois, je n’en avais guère eu le temps et j’allais donc devoir improviser.
J’aimais changer mon corps et mes traits pour diverses situations, il m’avait fallu pas mal d’entrainements pour arriver à une bonne maîtrise de mon don, mais à présent, j’avais les capacités de modifier tout cela à l’envi et sur commande. Les leçons de mon père m’avaient au moins servi à cela.
Quant à sa question sur sa jupe… « Voyons, c’est parfait, simplement. Ne cherchez pas plus loin, vous êtes parfaite. »
Des jupes courtes, personnellement, j’aimais cela. Enfin, sur les femmes des autres, surtout, car je n’étais pas sûr que j’aurais apprécié voir mon épouse, ma fille ou même ma sœur porter des vêtements aussi courts. Alors, oui, pour le bon goût, je devais reconnaître que c’était plutôt un petit sarcasme qu’autre chose, mais il était évident que pour une mission d’infiltration, dévier le regard des ennemis était une excellente tactique. Et puis, j’imaginais que la jeune femme devait bien se douter que je ne la lâcherais pas dans la foule de moldus. Bien que ses compétences en matière de défense et d’attaque ne soient plus à prouver, il était clair que face à des imbéciles moldus qui oseraient essayer de s’approcher d’elle pour la traiter sans le respect qu’elle méritait, elle m’aurait comme allié immédiatement et sans avoir à demander quoi que ce soit. J’étais d’avis qu’il fallait veiller sur nos partenaires de mission, après tout.

Était-ce une telle joie de partager cette mission avec moi ? A vrai dire, c’était flatteur d’entendre cela… mais jusqu’à quel point allais-je bien pouvoir être à la hauteur de ses attentes ? Je n’avais jamais été vraiment un homme de terrain… D’ailleurs, l’Augurey le savait bien et quand elle m’envoyait en mission ce n’était clairement pas pour jouer les gros bras, mais plutôt pour que je puisse mettre ma matière grise au service de la Cause. « Je vais prendre cela comme un compliment, miss Yaxley. »
De mon côté, oui, je me sentais plutôt heureux de pouvoir partager cela avec elle. Après tout, cette jeune femme était l’élite de notre monde, il y avait quelque chose qui relevait vraiment de l’honneur dans le fait de travailler en partenariat avec elle pour une mission comme celle-ci. N’était-ce pas un honneur que de pouvoir agir aux côtés de la descendante Yaxley ? cette jeune prodige de la baguette ?
Je constatai bien vite qu’elle avait, en outre, d’autres qualités dont je n’avais pas eu vent jusqu’alors. Enfin, apprendre qu’elle avait vécu un mois parmi les moldus, cela me fit le même effet que si je venais d’entendre qu’Alyssa Yaxley avait survécu deux mois dans la jungle amazonienne en petite tenue et sans baguette. Un exploit. Vraiment. Une nouvelle compétence pour ma partenaire de mission la survie en milieu hostile.
J’opinai à sa question. « C’est vrai, connaître son ennemi est primordial… mais je ne me sens jamais très à l’aise en milieu moldu. Vous savez comment ils sont… » Si les moldus excellaient dans quelque chose, c’était bien dans leur manière de faire des conneries. Attentats, terrorisme, attaques à l’anthrax et que savais-je encore… J’avais lu pas mal de choses sur tous ces sujets et il était évident que les moldus étaient tout à fait capables de créer des situations dignes de la meilleure bouse de dragon. Sans que cela ne puisse ensuite être sanctionné véritablement, puisque les coupables étaient des organisations trop puissantes pour être repérées et arrêtées. C’était un imbroglio de la plus belle cuvée, tout ça. « En territoire ennemi, j’ai tendance à me montrer plus que méfiant. »

Plus encore que d’habitude, s’entend, ce qui n’était pas peu dire. Mais si elle avait survécu un mois entier dans ce milieu de sous-êtres, il était évident que la jeune femme devait connaître des ficelles pour nous faciliter la vie et pour, aussi, nous permettre d’être peut-être plus discrets. Je ne voulais pas ressembler à un abraxan fou dans une boutique de porcelaine fine.
C’était aussi pour cela que j’avais pris la peine de me procurer les plans du Parlement. J’avais eu l’occasion, en me rendant dans l’Allée des Embrumes pour y mandater un espion sorcier qui devait me procurer les plans du bâtiment politique, d’entendre ma fille me poser la question qui avait défini le lieu d’une façon enfantine mais peut-être bien plus véridique que ce qu’il pouvait sembler : « Le Parlement, c’est où on parle et où on ment ? »

« Pour bien connaître les lieux, sans y aller, je ne voyais pas d’autre solution… C’est de la prévoyance. » Je ne me vantais pas de mon intelligence. Jamais. Ce n’était pas dans mes habitudes de me mettre en avant non plus. Je n’avais pas cette prétention, pour la simple et bonne raison que je préférais l’humilité autant que possible. Ce dont j’étais fier, c’était ma famille, celle que j’avais fondée, et non celle dont je venais.

Elle m’enjoignit donc de faire preuve de moins de formalités entre nous, pour plus de discrétion. Et j’eus un hochement de tête pour acquiescer. « Évidemment. Peut-être devrions-nous nous appeler par des prénoms d’emprunt, pour une meilleure confidentialité. Que pensez-vous de Jane et John ? »
Des prénoms basiques, très courants et absolument pas inquiétants. Aucune consonnance ni latine ni antique. Rien de rare ni d’exceptionnel. Et puis… elle avait raison, il nous fallait nous hâter. « Bien, alors, nous pouvons transplaner. »
Le Parlement de Londres abritait des documents politiques importants pour la capitale moldue mais aussi pour le pays entier. Nous avions là un projet très important entre les mains et il allait nous falloir mener à bien notre mission si nous souhaitions que l’Augurey puisse voir en nous de bons éléments.