Cinq mois. C'était long. Très long. Trop, peut-être.
Il s'était passé tant de choses depuis le début de cette année que je ne pouvais pas faire autrement que me sentir particulièrement étrange en ces temps troublés.
Je ne savais pas ce qui me pesait le plus, au fond.
Le départ de ma femme était certainement un élément bien lourd dans la balance, mais s'il n'y avait eu que ce fait, assurément, je me serais battu, encore et encore, pour prouver à Elianor que je l'aimais toujours, qu'elle était la seule et unique, que j'étais bien conscient d'avoir merdé et que je ne pouvais que me morfondre par rapport à cela, puisqu'il m'était impossible de changer le passé.
Mais si je lui avais dit la vérité, c'était avant tout par souci d'honnêteté, parce que je ne voulais pas être ce genre de type qui mentirait à sa femme. Non, je respectais mon épouse, je ne lui avais jamais menti et je ne comptais pas le faire. Dans toute sa perfection, Elianor Prince était et resterait toujours la femme de ma vie... Elle avait été un véritable coup de foudre pour moi, lorsque j'avais vingt-cinq ans et, aujourd'hui, vingt-huit ans plus tard, après de belles années de mariage, j'avais tout foutu en l'air. Alors que j'éprouvais toujours de l'amour pour mon épouse.
Je m'en voulais, c'était clair. Il n'aurait pas pu en être autrement. Ma femme avait toléré beaucoup d'écarts de ma part, mais elle était toujours restée intraitable sur cette idée de ne jamais découcher. J'avais merdé, je l'avais trahie, cette nuit-là. Et, en plus de découcher, lorsque j'étais rentré, je lui avais annoncé que j'étais le père d'Helios Carrow, ce qui, non seulement mettait l'accent sur le fait que cela faisait tout de même un beau nombre d'années que je me tapais sa mère, mais, en plus, cela signifiait que ce silence qui durait depuis des années n'était qu'une sorte de mensonge. Je n'avais pas pour habitude de garder pour moi des informations pareilles, et Elianor le savait, alors, je lui avais confié la vérité, le secret.
Sur le moment, je ne m'étais pas demandé pourquoi Meredith avait attendu si longtemps avant de faire ces fameux tests pour connaître la paternité de son fils. Mais maintenant, cela me trottait dans la tête sans arrêt.
J'aurais aimé savoir cela lorsqu'Helios n'était encore qu'un nourrisson, à cette époque où il m'avait semblé tellement normal de venir en aide à mon amie quand il s'agissait de s'occuper du bébé.
Je me souvenais encore fort bien de ce sentiment qui était né en moi à l'époque : je voulais à mon tour être parent. Nous en avions parlé un moment, Elianor et moi, avant de commencer à essayer de concevoir un enfant. Je rêvais de devenir père et c'était sans aucun doute parce que j'avais vu le petit Helios grandir et progresser un peu à la fois.
Quand Marcus était venu au monde, je n’aurais pas pu être plus heureux. Sa naissance me faisait l’effet d’une potion euphorisante, après la chute du Seigneur des Ténèbres, c’était un événement plus que bienvenu. Nous étions heureux, Elianor, Marcus et moi. Le reste n’avait pas d’importance.
La vie de famille… c’était ça, le vrai bonheur. Et la naissance de Septima était encore venue confirmer cela. Je ne pouvais pas rêver mieux, en réalité. Une femme que j’aimais, de beaux enfants adorables…
Pourquoi avais-je toujours eu ce besoin d’aller voir ailleurs, alors ?
Sincèrement, je n'en savais rien. Elianor était ce que l'on pouvait appeler un très bon coup. J'adorais lui faire l'amour et il fallait bien avouer que le sexe avec des sentiments, c'était bien plus intense qu'une simple baise avec une quelconque personne... Le problème, avec l'hypersexualité, c'était que même en étant fou d'elle, il y avait comme une force obscure qui me poussait toujours à aller voir ailleurs, comme si je n'étais pas satisfait avec mon épouse. C'était idiot, parce que je l'étais bel et bien, mais mon corps avait un appétit qui n'était pas vraiment raisonnable et il me semblait encore bien difficile de changer cela. Jusqu'à ce que j'en prisse réellement conscience, à vrai dire. Peut-être que seul mon psychomage pouvait m’éclairer sur le sujet. Il allait falloir que je daigne lui en parler un jour.
J'avais beaucoup réfléchi ces derniers temps. D'abord à mon mariage, bien sûr, parce qu'il était important que je pusse être sûr et certain de ce que je voulais vraiment, mais aussi au reste, à ma famille, mes amis, aux personnes à qui je tenais...
Je ne savais pas si je voulais m'engager dans une nouvelle relation. Je m'en étais rendu compte lorsque j'avais discuté avec Amber Towsen, en février dernier. Même si j'aimais beaucoup le temps que je passais avec certaines personnes, me remettre en couple avec quelqu'un était une étape qui ne me tentait pas vraiment pour le moment. Je ne savais même pas si cela allait un jour me tenter à nouveau... car, entre nous, quand on avait eu la chance d'avoir la femme parfaite pour soi pendant des années, il était clair que les exigences étaient plutôt élevées et que le sexe ne faisait pas tout. D'ailleurs, ce n'était pas le sexe qui me manquait le plus, mais bien la relation de complicité qui avait toujours existé entre Elianor et moi.
Certes, je m’étais beaucoup rapproché de Meredith depuis quelque temps, mais qu’est-ce que je ressentais vraiment ? J’aimais sa compagnie. J’aimais coucher avec elle. Nous étions peut-être complémentaires, d’une certaine façon. Parfois même, nous pouvions être tendres… Mais ce n’était pas du tout la même chose. Est-ce que c'était de l'amour ? Difficile à dire... Nous avions toujours eu une belle relation d'amitié, elle et moi... mais de là à parler d'amour... Pourtant, peut-être qu'il nous fallait essayer, au moins nous serions fixés.
Et puis… Il y avait Amber. Amber qui m’avait assez clairement fait comprendre les choses. C'était en lui formulant que je voulais qu'Elianor soit heureuse que je m'étais rendu compte qu'elle pouvait fort bien l'être sans moi, que je préférais être sûr qu'elle soit bien, mais que je me contenterais de la place qu'elle voudrait bien m'accordait dans sa vie.
Amber qui m'ouvrait les yeux sans vraiment chercher cela... Alors je me sentais… comment dire ? un peu comme un chevalier, pour le coup. Elle qui était promise à un jeune garçon prépubère, elle m’avait confié qu’elle rêvait d’un homme plus âgé, d’un homme ayant du répondant et elle avait aussi parlé d’un homme ayant de l’expérience… Je m’étais même dit que pour une fois que je n’avais jamais eu d’intention cachée vis-à-vis d’une jeune femme, il avait fallu qu’Amber me sortît tout cela. N’était-ce pas une façon détournée mais assez claire de me dire que je pouvais tout à fait être son type d’homme ? Précisément ce que Marcus laissait entendre depuis quelque temps. Mais cela ne m’avait tout de même jamais traversé l’esprit avant que la jeune Towsen n’en parlât aussi clairement.
Que devais-je faire ? Que devais-je dire ? Que fallait-il penser de tout cela ?
La réponse me fut donnée après quelques nuits d'insomnie. C'était devenu mon lot quotidien, à vrai dire, mais cette fois, j'y voyais une belle opportunité d'user de ma période d'éveil pour mettre en place un plan qui fonctionnerait.
L'objectif était d'évincer le promis d'Amber. Oh, pas pour prendre sa place, non... Je ne pouvais me résoudre à cela, même si la jeune Towsen était plutôt jolie, de bonne figure, avec un teint clair et un sourire lumineux... Avec quelques années de plus, elle aurait pu être tout à fait parfaite pour me plaire, c'était vrai... mais je ne pouvais pas faire cela, d'autant plus que nous avions un lien de sang, bien qu'éloigné. Mais en dehors de ces considérations, je devais tout de même reconnaître que je ne pouvais pas rester là sans rien faire. Amber Towsen avait pour moi des sentiments qui, s’ils étaient inattendus, n’étaient pas sans arborer une certaine beauté. Je ne voulais pas la décevoir, aussi me sembla-t-il assez clair que je me devais d’agir.
Trois solutions s’offraient à moi, à vrai dire.
Il aurait été assez facile d’opter pour le meurtre. Ce n’était pas bien compliqué de tuer quelqu’un d’adulte, alors, un gamin, ça ne devait pas être plus difficile… enfin, en théorie, car dans les faits, c’était sans aucun doute le genre de choses qui risquait fort de me faire vriller durant un moment, comme une tempête qui prendrait place dans mon cerveau pour n’en plus sortir… Le mode opératoire était simple, pour ne pas éveiller les soupçons, il suffisait d’utiliser une méthode moldue pour ôter la vie. Décapitation. Immolation par le feu. Éventration. Les possibilités ne manquaient pas.
Mais c’était un gamin. Et ça, je ne pouvais le nier ni l’occulter. Même des gosses moldus ou cracmols, je n’avais jamais été capable de m’en débarrasser de ce genre de manière.
Je pouvais aussi faire disparaître le fiancé. Effacer complètement sa mémoire et le relâcher dans la nature, bien loin d’ici, pour que personne ne puisse remonter sa piste. Avec un peu de chance, des bêtes affamées auraient alors pu s’en charger.
Mais, là encore, ma conscience me travaillerait sans doute un peu trop pour que je puisse trouver le sommeil après ça, même si Amber devait débarquer en déshabillé de soie pour me remercier ensuite… enfin, non, je ne pouvais pas la laisser faire cela, même si, il fallait bien l’avouer, elle était plutôt très agréable à regarder. Et à embrasser… Par Merlin, mais c’était peut-être là que tout avait commencé, en fait, quand je lui avais intimé l’ordre de m’embrasser, l’autre jour. Peut-être que cela avait fait naître autre chose…
Il me restait une troisième option qui était, sans aucun doute, préférable aux deux autres. Il y avait parfois certaines rumeurs qui circulaient au sujet de la pureté, parfois bien relative, de certains grands noms. Et je ne pouvais pas nier que cela pouvait s’avérer vrai puisque, moi-même, j’avais donné naissance à un jeune homme qui avait été élevé en sang pur, dupant ainsi une société entière… Il suffisait d’une enquête rondement menée pour déterminer la véracité d’une rumeur. Et cela, c’était sans doute dans mes cordes.
Décision prise, je me mis à faire des recherches. J’étais bien conscient qu’il me serait plus facile de démontrer un mensonge que d’ôter la vie ou de faire disparaître un jeune adolescent, alors je me montrais particulièrement minutieux et pointilleux. Je ne voulais rien laisser au hasard.
Vérifier des identités et des récits, accéder à quelques souvenirs, tout cela ne fut pas le plus difficile dans cette tâche. Ayant des relations plutôt bien placées, dont certaines me devaient l’un ou l’autre service, il y avait des chances que j’obtienne mes informations rapidement.
Après quelques hiboux échangés, quelques mains serrées, quelques verres offerts et quelques services rendus, j’eus bientôt accès à des informations plus qu’intéressantes.
Derrière le patronyme si noble et si pur de ce petit fiancé se cachait une réalité au moins aussi scandaleuse que l’était la conception d’Helios Carrow. Oh, pas pour lui, non, le petit Lestrange était bien le fils de Reinhard Lestrange, un cousin de mes chers amis, Rabastan et Rodolphus, mais ce cousin qui n’avait jamais eu de grande ressemblance physique avec le reste de la famille n’était pas celui qu’il prétendait être. Peut-être que les teintes de ses cheveux et de ses yeux auraient dû attirer l’attention ou au moins la curiosité, mais dans la noblesse, on taisait facilement les doutes de ce genre. Pourtant, en grattant un peu le vernis, après quelques semaines de recherches et de démarches, la vérité apparut, claire comme de l’eau de source. Et le parchemin que je détenais était suffisamment précis pour faire annuler immédiatement ce projet de mariage.
N’ayant guère le temps de recopier le parchemin reçu ce matin du service français en charge du registre des familles françaises de sang pur, je dépêchais un hibou officiel du Ministère pour convoquer Thorfinn dans mon bureau au plus vite. J’évoquais l’urgence de la situation, en quelques lignes.
Il était évident que ce mariage entre Amber et ce garçon ne pourrait pas avoir lieu. Thorfinn serait le premier à refuser de salir son propre sang, même si lui-même respectait bien peu ses propres enfants.
Ensuite, il me faudrait contacter Amber pour que je puisse la voir, en entretien privé. Je lui montrerai ce document officiel. Elle serait libre. Un engagement dans un mariage comme celui-ci, c’était un accord caduc. Et si mes relations pouvaient me rendre utile de la sorte auprès de la jeune Towsen, assurément, je me devais de le faire.
Je cachetais le parchemin qui convoquait Thorfinn. Dans quelques heures, Amber serait libre. Je pouvais être content de moi.