Trois semaines. Cela faisait trois semaines qu’Olivia n’avait plus de nouvelles de Keith. Du jour au lendemain, il ne lui avait tout simplement plus répondu. La première semaine, Olivia s’était dit qu’il avait probablement des centaines de choses à faire avec le bar et sa vie en général. La deuxième semaine, Olivia avait commencé à se demander s’il ne l’avait pas « ghosté » purement et simplement. Au bout de la troisième semaine, elle était carrément énervée mais acceptait le fait qu’il ne voulait plus rien à voir avec elle.

En même temps… Comment aurait-il pu en être autrement ? Ils s’étaient rencontrés une fois en janvier et devait se revoir le lendemain. Puis elle n’avait pas pu y aller. L’univers lui avait envoyé un message qu’elle aurait dû écouter. De plus, avec les nombreux combats qu’elle avait endurés, Olivia avait dû espacer les rencontres avec Keith pour éviter de se pointer avec ses blessures trop récentes et visibles… Cela aurait été trop difficile à expliquer. Puis, Keith et elle avaient finalement réussi à se recroiser plusieurs fois, boire des bières et se raconter leurs vies respectives. Bien sûr, Olivia avait senti que, comme elle, Keith ne  lui racontait pas l’ensemble de son existence. Mais à part le Blood Circle, elle avait plus ou moins tout raconté. Elle avait parlé de ses parents, de son frère décédé au Moyen-Orient et de sa petite sœur dans les Ordres. Elle lui avait avoué avec une pointe d’humour aimer tricoter et régulièrement s’entrainer pour garder la forme. Elle avait même, à sa plus grande surprise, succinctement évoqué ses médicaments qui lui permettaient de tenir. Dans une rapide forme de justification à leur première rencontre.

Et Olivia pensait vraiment que le courant passait entre eux. Ils rigolaient bien et Keith ne donnait pas l’impression de s’ennuyer à mourir lors de leurs rencontres. Cela faisait vraiment du bien d’ainsi trainer avec des gens qui n’étaient ni militaires ni du Blood Circle. Le monde en était plus joyeux, plus drôle et moins lourd de responsabilités ou ternis par les atrocités vécues. Keith était un gars normal… Et qu’est-ce que ça faisait du bien. Certes, elle jouait un rôle avec lui, elle ne pouvait jamais vraiment baisser sa garde au risque de laisser échapper ce qu’il ne fallait pas laisser échapper… Mais plus ils apprenaient à se connaître moins Olivia classait Keith dans ses ennemis. Mais après ces longues semaines de silence, cette histoire sympathique ne semblait avoir été qu’une illusion. La jeune femme s’était elle-même mise des œillères sans vraiment prendre en compte Keith dans tout ça. Elle était heureuse alors elle avait supposé que lui-aussi. Olivia semblait s’être particulièrement fourvoyée.

Et puis lundi, alors qu’elle discutait avec Carl sur le fait de ne pas laisser les gens le mettre à terre, elle s’était dit que ces si bons conseils pouvaient aussi bien s’appliquer à elle. Si elle voulait quelque chose, elle n’allait pas laisser des interrogations le lui prendre. Elle voulait comprendre. Olivia voulait savoir ce qui était allé de travers, ce qui avait ainsi fait fuir Keith. Et en tant que jeune femme indépendante, elle allait aller le lui demander elle-même les yeux dans les yeux. Olivia avait franchi le mur du son à plusieurs reprises, survécu à un crash et se battait régulièrement contre des sorciers. Elle pouvait parfaitement survivre à une discussion pour mettre les choses au point avec son joli barman.

D’ailleurs, qu’est-ce qu’elle cherchait avec ce « joli barman » ? Juste sa compagnie non ? Elle pouvait presque le désigner comme ami à ce stade non ? Enfin sans compter  sur le fait qu’il ignorait ses messages. Olivia décréta qu’elle se posait trop de questions. La jeune femme était directe et terre à terre. Elle n’était pas du genre à attendre sagement que le téléphone sonne. Elle allait plutôt obliger la personne à taper le numéro pour faire sonner le foutu téléphone. Alors dès son jour de pause suivant, qui tombait aujourd’hui vendredi, elle se retrouvait, pleine de détermination, devant la porte du Little Hopes Pub.

Bien que sûre d’elle et de son bon droit à venir réclamer des explications, elle n’en restait pas moins devant l’entrée sans vraiment se décider à s’y engouffrer. L’avantage de ne pas savoir les raisons de ce silence c’est qu’elle pouvait toujours espérer qu’il y avait des raisons extérieures en jeu. Mais s’il lui déclarait au visage qu’il n’arrivait pas à la comprendre ou à la supporter… Olivia serait dans l’obligation d’accepter le fait qu’elle ne savait plus comment vivre parmi les civils. Et cela lui faisait relativement peur. Car alors, elle n’aurait pas d’autres choix que de se laisser happer par le Blood Circle.

Un client la bouscula rudement pour pouvoir entrer dans le bar, ce qui eut pour effet immédiat de la ramener sur terre. Se retenant de l’insulter, Olivia lui emboita plutôt le pas pour retrouver cette chaleur si particulière. Le bar n’avait pas changé d’un iota, ce qui en un mois était plutôt rassurant. Il était bien rempli et accéder au bar risquait de prendre un peu de temps. En parlant du bar… Olivia se mit sur la pointe des pieds pour essayer d’apercevoir celui qu’elle était venu confronter mais des têtes lui bouchaient la vue. Il allait falloir s’approcher. Alors qu’elle jouait des coudes pour gagner le bois massif du bar, elle tenta de se préparer à ce qu’elle allait dire. L’improvisation dans les relations sociales, très peu pour elle. Comme en opérations, tout était planifié et si l’improvisation devait y mettre son grain de sel, c’était que tout allait très mal !

Après plusieurs longues minutes, les clients retournèrent s’assoir les uns après les autres, laissant le champ libre à la guide. Olivia se retrouva ainsi juste à côté des tireuses à bières. Et derrière ces tireuses à bière se trouvait un dos qu’elle aurait reconnu entre mille : Keith Milton en personne semblait sélectionner elle-ne-savait-quoi sur les étagères devant lui. Ah bah il était bien présent… Le cœur d’Olivia se serra. Elle aurait presque préféré que quelque chose lui soit arrivé… Au moins elle n’aurait pas été la raison de son silence.

« Hey Keith ! Ca faisait longtemps dis donc… »  Lui envoya-t-elle accusatrice. « Tu sais quand on veut plus voir les gens, on leur dit plutôt que de faire le mort… »  Pour être directe, elle l’était. Olivia avait bien du mal à ne pas montrer qu’elle en était particulièrement blessée.

Keith ne s’était pas retourné tout de suite. Olivia l’avait vu baisser la tête. Elle savait ce que ça voulait dire. Il était agacé de la voir. C’était sûr. Punaise pourquoi elle était venue ?! Elle aurait dû rester dans les incertitudes de l’inconnu, cela aurait fait du bien à son ego. Elle avait trop parlé de l’armée probablement. Ou alors de Timothy. C’était jamais le bon plan d’amener le sujet de son frère décédé lors d’un date. Peut-être qu’elle avait une trop grande descente et que Keith se sentait menacé dans son ego de barman ? Peut-être… Toutes ces raisons, que sa raison elle-même qualifiait d’idiotes, Olivia ne pouvait s’empêcher de les voir virevolter dans son esprit. Elle le savait pourtant qu’elle ne devait pas trop s’ouvrir, que c’était dangereux, et qu’elle risquait d’être blessée à vouloir s’intégrer. Qu’est-ce qu’il lui avait pris d’ainsi commencer à s’attacher à ce barman qu’elle ne connaissait franchement ni d’Eve ni d’Adam ? Elle aurait dû s’envoyer en l’air dès le départ avec lui. Au moins ils auraient pris du bon temps puis ils seraient repartis chacun sur leurs chemins bien trop différents pour converger.

Il y avait eu de nombreux moments où Olivia s’était franchement sentie conne. Le jour où elle avait découvert que le Père Noël n’existait pas, le jour où on lui avait expliqué comment on faisait les enfants ou encore le jour où elle avait confondu un ASLR de l’aviation française et un Shadow R1 britannique. À son palmarès pouvait maintenant s’ajouter cet instant où le visage de Keith se dévoila sous son regard. Et bah qu’est-ce qu’elle se sentie conne d’avoir élaboré tous ces scénarios abracadabrants où elle blâmait le plus souvent ledit Keith pour ce silence. Sa bouche s’ouvrit mais la surprise la laissa muette. « Bonsoir Olivia. » Cette voix… Elle n’acceptait pas vraiment que cette voix l’ait à ce point manquée. Grave, profonde, réconfortante. Mais cette dernière n’allait pas avec ce visage tuméfié. « Je m'excuse de n'avoir pas pu te rappeler, mais j'ai eu quelques soucis..» Olivia détailla les traits de Keith d’un œil critique. Œil gonflé, restes d’hématomes… Il ne s’était pas loupé. Olivia avait vu de nombreux visages similaires, à commencer par le sien. L’énervement de la jeune femme s’envola, cédant la place à l’inquiétude. « Oh merde Keith… C’est quoi cette gueule ? » Du tact ? Pas le fort d’Olivia. Elle se décala sur le bar pour se rapprocher du barman, sans le quitter du regard. Un accident de voiture ? Une bagarre ? Plus son cerveau fonctionnait pour combler le manque d’informations, plus l’énervement la gagnait. Si qui que ce soit était responsable de ça, elle allait leur faire payer. Son entrainement militaire revint au galop alors qu’elle enchaina les questions simples et précises pour comprendre l’étendue du problème. « Qu’est qu’il s’est passé ? Tu vas bien ? Qui t’as fait ça ? Je… » Elle allait dire quoi ? Que dès qu’il lui donnerait les noms elle irait leur faire bouffer les pavés ? Non, elle n’était qu’une petite guide de musée inoffensive, elle ne pouvait pas fracasser des méchants sur le macadam. Enfin si elle le ferait, mais Keith ne le saurait pas. « Je…. Je peux faire quelque chose ? » Demanda-t-elle en déglutissant difficilement.

Son cœur rata un battement alors qu’elle prenait la mesure de sa propre idiotie. Elle aurait dû savoir que quelque chose clochait. Elle aurait dû venir plus tôt. Elle aurait dû… C’était son boulot de protéger les civils. Certes les conditions de comment Keith s’était retrouvé avec cette tête restait à être évaluée mais tout de même. Cela la touchait. Beaucoup trop. Elle avait envie de passer sa main sur ce visage et lui murmurer que tout irait bien. Mais ils n’étaient pas à ce stade-là pas vrai ? Elle lui avait à peine pris la main une fois. Et encore cela devait avoir été pour comparer leur taille sur un sujet stupide d’une discussion tout aussi idiote. Olivia restait plantée derrière le bar sans vraiment savoir comment se comporter ou quoi faire. Devait-elle se poser là ? Ou alors s’en aller une fois qu’il lui aurait raconté ses malheurs ? L’inviter chez elle ? Se laisser inviter chez lui ? Non mais ça en devenait ridicule cette histoire. On aurait dit une collégienne avec le garçon sur lequel elle craquait. Ridicule… Ridicule vraiment ? Oui cela l’était. Il n’avait qu’à voir la douleur qu’elle ressentait en détaillant les traits meurtris de Keith. Elle ne pouvait pas ainsi s’attacher au risque de perdre encore quelqu’un. Non cela faisait trop mal. Et si ça valait le coup Olivia ? reprit la petite voix, imitant celle de Keith.

Le regard plongé dans les yeux bleus de Keith, Olivia lui demanda si elle pouvait faire quelque chose pour lui. Sans vraiment s’en rendre compte, elle s’était rapprochée et même sous l’éclairage feutré du bar, elle pouvait voir avec tristesse tous les dégâts que le visage de Keith avait endurés. Et à le voir se mouvoir, il n’y avait pas eu que son visage de touché. La mâchoire de la jeune femme se contracta alors que son regard s’emplissait encore davantage d’inquiétude. « Oui, tu peux... Viens avec moi. »  Elle regarda le barman sans comprendre alors qu’il servait deux pintes et qu’il lui indiquait une banquette au fond du bar. Olivia le suivit sans un mot, docilement, et le regarda s’installer, ce qu’il l’invita à faire également. Un silence. Elle hésitait. Pourquoi ? Car elle avait peut-être peur d’avoir les réponses à ses nombreuses questions précédentes et des répercutions que cela pourrait avoir ? Mais ses décisions étaient déjà biaisées, elle le savait. A la seconde où elle était entrée dans ce bar, sous prétexte de sauver son ego blessé, elle savait qu’elle n’était plus tout à fait indifférente à cet homme.

Elle glissa sur la banquette aux côtés de Keith alors qu’il s’excusait. « Oh Keith… »  Olivia le regarda détourner les yeux. Elle se retint de lui effleurer de visage dans un geste tendre. Pour le rassurer, lui dire qu’elle avait été en bien pire état que lui, que ce n’était pas deux hématomes qui allaient la dégouter, que… Qu’elle se battait pour vivre au quotidien et que des cassages de gueule en règle, elle connaissait ça par cœur ?! Sois réaliste deux minutes Olivia la rappela à l’ordre la petite voix dans sa tête. Elle ne pouvait pas lui dire ça… Cela ne ferait que lui attirer des problèmes. « Je ne suis pas encore sûr de ce qu'il s'est passé mais ce que je sais, je veux bien te le dire.»  De nouveau, sans vraiment s’en rendre compte, elle se rapprocha. Olivia oublia sa bière, les gens autour et sa colère passée. Elle voulait les informations qui lui permettraient de comprendre toute cette histoire. Elle encaissa en silence les révélations du jeune homme et sentit son cœur se serrer. Ces paroles lui transpercèrent le cœur de honte. Elle aurait dû être là. Elle aurait dû pouvoir l’aider. Le sourire qu’il lui offrait semblait si faux. « Oh Keith… »  Ne put-elle s’empêcher de répéter sans vraiment savoir quoi faire. Alors qu’il buvait une gorgée de bière, elle se décida à l’imiter, plongeant ses lèvres pour la première fois dans le breuvage apporté par le barman.

Ces quelques secondes de silence lui permirent de composer un visage correct qui n’irradiait pas la colère ou l’inquiétude, encore. Elle reposa son verre et ne put plus contenir ses actions. Elle posa sa main sur celle de Keith et chercha son regard. Elle eut tellement envie de tout lui avouer. Lui dire qu’elle était du Blood Circle, qu’elle pourrait le protéger de tout y compris de malfrats. Mais elle ne put s’y résoudre. Keith avait suffisamment de soucis seul. Lui avouer tout ça ne ferait qu’en ajouter davantage à la pile. Et au plus profond d’elle, elle savait trop tenir à lui pour le lui infliger ou encaisser ses réactions à ses mensonges. Alors elle fit ce qu’elle avait fait pour chacun de ses camarades qui étaient passés par une période sombre, elle le rassura de sa présence et lui répéta que tout irait mieux un jour. « Je… Je suis désolée. Vraiment désolée de ce qui t’es arrivé. Je… Je suis là si t’as besoin de quoi que ce soit et… »  Elle serra légèrement la main de son barman. « Je suis vraiment très heureuse de voir que tu vas bien. »  Elle tenta un léger sourire alors que sa main libre s’élevait lentement vers le visage de Keith. Mais elle suspendit son geste, préférant détourner le regard en reposant sa main sur ses propres cuisses. Que pouvait-elle dire d’autre ? Elle-même avait été défigurée plusieurs fois et une de ses côtés était encore douloureuse de l’incident de l’institut deux mois auparavant. « Ils ont retrouvé le gars qui a fait ça ? »  Redemanda-t-elle lentement. Si la réponse était négative, elle s’en occuperait elle-même. Qu’importe : homme femme, sorcier… Sorcier ? Non cela ne pouvait pas être un sorcier pas vrai ? Cela ne ferait qu’accentuer le sentiment de culpabilité d’Olivia. Ainsi lui rappeler que sa mission n’était pas terminée et que chaque jour qui passait où elle n’y arrivait pas au bout entrainait des gens vers la douleur ou la mort.

Tout devenait trop réel, trop vrai. Olivia n’était vraiment pas du genre à annoncer sur la place publique ce qu’elle ressentait, ce qui allait et ce qui n’allait pas. Elle n’aurait su dire s’il s’agissait de sa nature ou de l’Armée qui l’avait formatée ainsi. Mais ce qui était sûr c’est qu’elle était grande gueule quand il fallait l’être sur des sujets qui ne la visait pas directement. Et même là, elle tentait cet air détaché et sûr d’elle, ce qu’elle n’était pas du tout. Alors quand elle avait dit haut et fort qu’elle était très heureuse de voir que Keith allait bien, elle s’était étonnée elle-même. Était-ce l’inquiétude ? La joie ? L’alcool qu’elle avait à peine touché ? Elle n’arrivait pas à savoir. Tout avait toujours été si facile avec Keith. Il l’emmenait loin de ses soucis, de cette guerre interminable. Mais là, face à ce visage tuméfié, Olivia dut reconnaître qu’elle ne pouvait pas fuir éternellement. Qu’elle le veuille ou non, la violence la rattrapait et s’insinuait dans chaque parcelle de son existence.

Et pourtant.  Et pourtant alors que les doigts de Keith effleuraient doucement les siens, le palpitant de la jeune femme s’emballait. Mais c’était trop tôt, trop réel, trop vrai. Olivia ne put se résigner à découvrir le visage du barman du bout des doigts mais elle crut voir un furtif sourire sur ses lèvres. Et merde. Qu’est-ce qu’elle faisait maintenant ? Qu’est-ce qu’elle voulait ? Comme la gamine qu’elle avait l’impression de redevenir devant Keith, elle ne savait pas vraiment quoi faire.

A la mention du mot « sorcier », le corps entier de la jeune femme se crispa et elle le dévisagea. Elle tenta de contrôler sa main mais celle-ci s’accrocha un peu plus vivement à celle du jeune homme. Elle devait se décider. Allait-elle être honnête ? Après tout, il était clairement déjà impliqué dans toute cette folie de sorciers. Il avait déjà peur. Tu ne veux juste pas qu’il ait peur de toi. Olivia ne voulait pas se l’avouer mais elle sombrait. Elle le sentait. Ses pensées se faisaient plus dures, plus directes. De vieilles amies qui lui revenaient. Comme après son accident. Et une noirceur qu’elle ne faisait que repousser se rapprochait de son cœur prêt à le dévorer. Et elle n’arrivait pas à savoir si les sentiments que Keith lui faisait ressentir allaient empêcher ou accélérer cette noirceur. Elle ouvrit la bouche mais la referma. Son cerveau n’arrivait pas à prendre une décision alors elle se décida à garder le silence.

«J'aimerais que tu comprennes quelque chose Olivia, et après, j'aurais fini de parler de tout ça.»   Olivia ne quittait plus Keith du regard jusqu’à ce qu’il s’approche. « De quoi tu parles ? »  Elle ne bougea pas lorsqu’il se tourna vers elle, lorsque sa main remonta jusqu’à son épaule ou lorsqu’il s’approcha pour lui murmurer à l’oreille. Sa peau frissonna d’excitation. Pourquoi était-ce différent cette fois-ci ? Des gars qui la draguaient dans les bars, ça lui était déjà arrivé. Mais avec Keith… Elle avait déjà eu plus d’un rendez-vous avec lui... Et puis elle sentait, elle sentait qu’elle s’attachait. Et ça l’emmerdait bien.

« J'ai failli mourir mais ce qui m'a réellement tué, c'est que j'aurais pu partir sans jamais t'avoir dit combien tu comptes pour moi. » Olivia s’arrêta presque de respirer. Toutes les émotions qu’elle ressentait se mélangeant en un tourbillon, lui faisaient presque perdre pieds. C’est juste un barman tenta de la raisonner son esprit. Tu ne peux pas sauver tout le monde lui asséna-t-il encore. S’attacher c’est souffrir à nouveau. Olivia dévisagea Keith qui se reculait. Elle n’était pas sûre d’avoir été aussi proche de ce visage avant. Ses yeux détaillèrent ceux qui lui faisaient face, ils glissèrent sur ce nez, ces lèvres et cette mâchoire si bien dessinée. Son propre cœur s’emballa. Boum, boum. Keith remit une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Boum, boum. « Alors, tu n'as pas à t'inquiéter pour moi. Je n'ai pas prévu de te laisser. »  Olivia ferma les yeux lorsque les lèvres de Keith vinrent s’apposer sur son front. Boum, boum. Elle reprit une bouffée d’air lorsque cette intimité prit fin, comme si elle sortait d’une apnée forcée, son esprit encore embrumé. Boum, boum. Il n’avait pas prévu de la laisser. Mais il ne savait même pas qui elle était, il n’avait aucune idée de ce dont elle était capable… Il… Il avait dit qu’elle comptait pour lui. Toute la lassitude qu’Olivia portait sur ses épaules et qui l’écrasait, Robin et ses pensées dangereuses qui dérivaient, Carl et son attitude trop détachée, Alexander et sa mélancolie torturée… Tout ce qu’elle portait avec elle : elle en avait assez d’être la sérieuse, celle qui ne fléchissait jamais, celle qui faisait toujours les choix les plus censés. Boum, boum. Olivia réouvrit ses yeux verts et les posa sur Keith. « Oh Keith… »  Murmure, répétition à l’ironie. Elle s’avança lentement jusqu’à ce que son nez effleure celui du barman. Il fallait qu’elle dise quelque chose. Un truc stupide pour se sortir de ce sérieux qui l’oppressait. Son front vint se poser contre celui de Keith. Un petit sourire orna son visage « T’es mourant et tu penses à la camée que t’as rencontré dans une ruelle que quelques mois auparavant ? »  Son souffle s’accéléra alors que son corps entier anticipait sa prochaine action. « Je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter pour toi… »  Articula-t-elle. Un silence qui suivit la révélation. Et alors une chute dans l’inconnu. Olivia sauta dans le vide, comme son avion ce jour funeste, et se laissa porter par les courants. Ses lèvres trouvèrent le chemin de celles de Keith et elles y déposèrent un baiser. Son corps s’électrisa, comme ravivé par une énergie inconnue. La main d’Olivia vint doucement parcourir la mâchoire du barman. Enfin. Elle se détacha du jeune homme, un instant seulement. « Promets-moi de ne jamais me détester... »  Comme une supplication, elle avait prononcé ces quelques mots, alors que ceux de la vérité, du Blood Circle et des choses dont elle était capable, eux n’arrivaient pas à dépasser ses lèvres.