J’étais acceptée à Poudlard. Enfin ! Il serait trop présomptueux de dire que l’Ecole avait accepté ma candidature immédiatement. La première fois, j’avais été refoulé. La seconde fois, j’ai cru comprendre que le choix s’était tenu à un fil avec un autre profil. En somme, je n’étais pas le choix déterminant qui ne souffrait d’aucune concurrence. J’étais un tantinet déçue, ayant espérée un peu plus de considération entre mon jeune âge, mes explorations et mes écrits, mais je n’allais pas pour autant me plaindre ou refuser ce poste tant voulu pour une affaire d’orgueil.

J’étais prise, et c’était l’essentiel ! Lorsque j’avais ouvert le courrier m’annonçant cette bonne nouvelle, je m’étais sentie comme ces gamines américaines qui attendent vaillamment et impatiemment le courrier de l’Université. Et, comme elles, je m’étais empressée de contacter ma plus proche amie afin de partager mon excitation et ma joie ! Et, à nouveau, comme elles, je réfléchissais déjà à un moyen de fêter dignement cette nouvelle vie qui s’ouvrait à moi. En farfouillant dans ce vieux carnet où j’avais mis quelques noms, adresses ou numéros, afin de constituer une petite liste d’invités, mon attention se porte sur une ligne en particulier.

Thomas O’Malley, Enseignant à Poudlard.

Je me souvenais que trop bien de ce jeune homme. Nous nous étions rencontrés lors d’une petite excursion, ou plutôt exploration, sur les traces d’une créature de légende. Cette expérience nous avait permis d’échanger sur une même passion commune, les créatures magiques, et de nous rapprocher considérablement, au point de partager quelques nuits. Puis, il fallait quitter cette bulle protectrice et hors du temps pour nous replonger dans notre quotidien. Nous nous étions séparés en bons amis, gardant contact avec lui uniquement pour le consulter sur quelques sujets techniques ou précis. Comme dit, il avait sa vie, et j’avais la mienne. Il n’était pas nécessaire de compliquer l’un ou l’autre en se montrant trop sentimental, ou trop intrusive.  

J’aurais pu passer ce nom et pourtant, mon regard restait figé sur cette ligne. Je souhaitais le contacter, non pas par égard pour ce passé commun mais éphémère, mais afin de discuter de ce nouvel avenir qui se profilait à l’horizon. Il n’était jamais mauvais de se renseigner en amont sur son futur lieu de travail, et surtout s’il était question d’y rester plus de quelques mois. Je n’avais plus l’habitude de rester à une même place plus de six mois, obligée de me déplacer d’un bout à l’autre du globe pour tel ou tel document ou telle ou telle découverte ou telle ou telle rencontre.

Enfin, rencontrer et parler à Thomas pourrait amorcer tout malheureux malentendu futur, ou quiproquos inutiles. Il était toujours surprenant de croiser un ancien amant sur son lieu de travail, et certains pouvaient vitre perdre les moyens et être désarçonnés. Certains pourraient imaginer mille scénarios farfelus, d’autres pourraient avoir des attentes stupides et lubriques et puis d’autres se ficheraient. Je ne connaissais pas assez cet homme pour deviner sa réaction, et par conséquent, je serais un brin plus rassurée si j’étais certaine que tout était clair entre nous.    

Alors, par égard pour ses origines irlandaises mais également sur ma longue résidence passée en Irlande, j’avais opté pour un petit tête-à-tête dans un pub irlandais à Londres. Je connaissais assez bien l’établissement, confortable et chaleureux à la fois, où le fort accent irlandais se mêlait à quelques expressions en gaëlique. Le lieu était fréquenté principalement par des Irlandais, et le propriétaire était lui-meme Irlandais. Bref, ce n’était nullement ces pubs vendus à des touristes, mais ces pubs que seuls les locaux connaissaient et dont le nom circulait de bouche à oreille.  

Connaissant assez bien ce lieu, je sais qu’il n’est pas nécessaire de s’habiller sublimement. J’opte donc pour un ensemble simple, confortable et pratique : un jean moulant de couleur ocre, un chemisier évasé et léger blanc avec de petits motifs floraux, quelques colliers et bracelets, et des baskets plats.

J’arrive, une bonne demi-heure à l’avance, afin de pouvoir savourer tranquillement ma première pinte. Qui sait, peut-être que j’avais idéalisé le souvenir que j’avais de cet Irlandais, et peut-être allais-je tomber sur un gros lourd ? Autant apprécier sa boisson maintenant, quand j’étais encore de bonne humeur ! Et s’il était le parfait gentleman, alors nous boirons et nous rirons que davantage !

Les vacances s'écoulaient à une vitesse folle, alors qu'il n'avait pas réellement pris le temps de voyager à travers le globe comme il l'aimait se l'autoriser pendant les mois de juillet et août, petit rituel qu'il avait mis en place juste avant son arrivée comme professeur à Poudlard. Ainsi, cela lui permettait de profiter de l'air frais, de visiter, de découvrir, de se mettre à l'écart, de pouvoir rejoindre un peu sa bulle, cette bulle qui n'appartenait plus qu'à lui et qui lui était parfois difficile de quitter, bien qu'il avait toujours été très facile d'accès pour discuter et aussi toujours disponible pour les personnes qui en ressentaient le besoin. C'était ainsi depuis que son père était décédé, il n'était pas présent quand cet événement tragique était arrivé, il était alors en voyage à ce moment-là, et il n'avait malheureusement pas eu le temps de lui dire aurevoir, et pire que tous les deux hommes s'étaient quelque peu quittés en froid. Le père avait voulu imposer quelque chose au fils, le fils n'avait pas voulu blesser le père mais il lui avait pour autant demandé d'accepter qu'il tente l'expérience, qu'il prenne le risque de se tromper, de se louper, car les erreurs faisaient également partis de la vie et faisaient grandir. Mais son père n'avait pas voulu comprendre tout ça et Thomas n'avait sans aucun doute pas compris de son côté que tout ce que désirait l'homme, c'était que son fils s'en sorte et non pas qu'il vive dans la galère. Quand le jeune garçon était revenu dans sa famille, il avait commencé à prendre la place de son père auprès de ses frères et de sa sœur et alors il avait mis de côté tous les projets qu'il avait un jour fait pour lui, pour pouvoir être là pour sa famille, ne pas faillir cette fois, rester présent si un événement tragique venait à se passer.

Cette année, il s'était à nouveau laissé un peu à éloigner ses projets personnels pour pouvoir venir en aide aux autres. Il ne voyait nullement cela comme un sacrifice, c'était un choix qu'il avait fait et ne le regrettait nullement, tout ça lui avait ouvert les yeux sur plein de choses, il cherchait également à avoir de nouveaux projets que ce soit professionnel ou personnel. Pour le premier, il n'était pas prêt de quitter Poudlard, mais il avait vu la souffrance chez les jeunes sorciers qui avaient été fait prisonniers par le Blood Circle, et s'en prendre à des enfants, était une chose abominable, quelque soit l'époque et les enjeux qu'on mettait là-dessus. Il avait donc pris la décision, en dehors de ses cours à l'école de magie en Écosse, qu'il continuerait à remplir pour une troisième année à ce poste, il se verrait bien également se rendre plus régulièrement à l'hôpital Sainte Mangouste pour pouvoir faire des cours aux enfants hospitalisés. C'était une chose qui lui tenait sincèrement à cœur, mais il fallait encore qu'il parvienne à obtenir les autorisations nécessaires pour réussir un tel projet. Quant au côté personnel, comme toujours Thomas ne préférait pas en parler, ne sachant pas trop s'il avait réussi à avancer ou si au contraire, il avait plutôt reculé. Il savait qu'il continuait à vieillir, il avait trente-quatre ans, et il finissait par entendre les longs discours de sa mère, sur le fait de s'installer, de se poser avec quelqu'un et de voir l'avenir avec cette personne. Il entendait tout cela, mais était-il vraiment prêt pour un tel engagement ? Il se posait sincèrement la question.

Oui les vacances défilaient, dans quelques jours, quelques semaines, il allait retourner à Poudlard. Tel un jeune écolier, il était impatient de voir ce que cette nouvelle année allait lui réserver, et il eut une première surprise en recevant une invitation à boire une pinte d'une ancienne connaissance, et ancienne amante également. Cela n'avait duré qu'un temps, mais il ne l'avait nullement oublié et avait passé réellement de bons moments personnels comme professionnels. Elle lui donnait rendez-vous dans un pub irlandais, petit clin d’œil à ses origines et aux moments qu'ils avaient passé ensemble là-bas. Il se présenta donc à l'heure dite et lui fit un charmant sourire en arrivant, posant un bref baiser sur sa joue avant de s'installer face à elle. « Je vois que tu as commencé les festivités sans moi ! Je pourrai être offensé mais je vais faire en sorte de te rattraper. » Il fit signe au serveur de lui apporter une pinte également. « Toujours aussi charmante, tu n'as pas changé ! Je suis réellement content que tu me contactes, ça fait une éternité qu'on ne s'est pas vu. Comment vas-tu ? »