It’s true that visions are seldom all they seem

Depuis que Maléfice m’avait sauvé de cet odieux fermier de pacotille, je me devais de la servir. Une question d’honneur. Une vie pour une vie. Ma maîtresse était des plus grandioses. Comment ne pas vouloir suivre cette Puissante Dame même si ce n’était que dans son ombre ? J’étais ses ailes, ses yeux et ses oreilles sur le monde des Hommes. De mon plumage iridescent, de mon vol gracieux, je la servais au mieux de mes capacités. Et pour elle, j’acceptais même de perdre cette forme si belle d’oiseau pour la laideur propre à l’humanité. Lorsqu’elle prononçait quelques mots de sa langue magique, en un nuage de poussière dorée, je devenais un homme, le regard perçant mais triste, si triste d’abandonner sa forme originelle.

Des nouvelles récentes et pressantes du monde des Hommes m’avaient fait voler jour et nuit sans relâche pour atteindre le château de ma Maîtresse. La Princesse Rose, celle sur laquelle la Dame gardait un œil particulièrement scrutateur, voyait sa vie sur le point de basculer. Le Prince du royaume voisin s’était amouraché de cette chevelure de jais, aussi sombre que mon plumage, et comptait sans attendre la mener en épousailles. Traversant la fenêtre qui menait à son trône, je me posais sans autre forme de cérémonie sur le sceptre de ma Maitresse.  « Le prince vient de demander la main de la… » . C’est avec cette même brusquerie que Maléfice m’intima de me taire. Elle savait me clouer le bec ! Malgré cet agacement dont je ne savais être que le porteur malheureux, je ne pus m’empêcher de frissonner légèrement de plaisir. Entendre mon nom si commun, si insignifiant dans l’immensité de la forêt, ainsi prononcée par la Maîtresse des lieux m’emplissait d’une joie folle.

Je connaissais Maléfice et en cet instant elle bouillonnait de rage. Compréhensible. Elle avait tant donné à cette petite Princesse et la voilà qui la remerciait en s’en allant avec le premier Prince venu. Je n’étais peut-être pas très partial mais qu’importe. Tout ce que ressentait ma Maitresse ne glissait pas sur mon plumage comme l’eau sur celui de mes cousins canards. Elle avait sans attendre mis en mouvements ses pions sur le grand échiquier du Royaume et comme prévu, elle avait d’une main de maître dominé la partie du début à la fin. Oh qu’est-ce que cela avait été divertissant de pénétrer chez le Prince et de voir son regard si désespéré, comprenant l’inévitabilité des événements qui accompagnait, telle une cape sombre, ma Dame.

Quant à la Princesse, un simple enlèvement aussi efficace que facile. L’amour faisait faire des choses si idiotes… Ma Dame en savait quelque chose mais je tenais à mes plumes ! Jamais, ô grand jamais n’aurais-je osé lui en parler. Il y avait des choses qu’il fallait mieux laisser là où elles étaient. Ce qui ne s’appliquait pas à la jolie Princesse. D’un vol léger, je suivais Maléfique dans les entrailles de son Palais, tout droit et au fond à gauche vers les geôles. De nombreuses âmes y avaient séjourné ou y séjournaient encore jusqu’à leur dernier souffle. Il ne fallait pas vouloir s’en prendre à ma Maitresse sans être prêt à en subir les conséquences. Me posant prudemment sur son épaule, nous franchisâmes les derniers couloirs avant d’atteindre la cellule de la Princesse Rose. Il y avait quelque chose dans la présence de ma Dame qui faisait se glacer le sang et s’agenouiller le manant. Et moi, fier comme un coq, je me tenais sur son épaule, savourant ma position de conseiller privilégié de la grande Maléfique.

Malgré la présence de cette dernière sous mes pattes, voir ainsi la porte se refermer derrière nous me laissa mal à l’aise. Bougeant quelque peu mes pattes pour évacuer ce malaise grandissant, je fixais de mes prunelles sombres la Princesse. Je n’aimais pas être en cage. Et elle non plus semblait-il. Alors que ma Dame commentait la vue, je ne pus m’empêcher d’éprouver une certaine jalousie de la cette Lune, irradiant le paysage. Elle n’était que l’avatar sans vie du Dieu Soleil Helios. Je m’élançais de l’épaule réconfortante de ma maîtresse pour me poser sur la petite lucarne et ainsi à mon tour me faire l’avatar de la nuit, englobant de mon ombre magnifiée la petite pièce. Fier comme un paon, je sautillais en répétant les dernières paroles de ma Dame. « Une vue magnifique en effet Maîtresse. » Cette princesse m’intriguait au plus haut point. Je la voyais grandir depuis si longtemps. Dès sa plus tendre enfance, il lui avait été offert la beauté, la grâce et la volonté. Et par la barbe du Grand Cornu, les Fées ne cessaient jamais de m’émerveiller par leur pouvoir. Rose était tout de cela et plus encore. Retrouver ainsi deux femmes aussi puissantes dans cet espace, cela promettait d’intéressants évènements.

Codage d’après Libella sur Graphiorum

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