Il y avait un moment dans la vie d’une pigeonne où il fallait savoir arrêter de se faire pigeonner. Ce jour n’était pas encore arrivé pour moi puisque je me retrouvais dans un véritable four, bientôt rôtie et fumée, et tout ça en étant encore vivante. Je me sentais un peu comme le dindon de la farce, mais en réalité, je n’y songeais pas vraiment. L’important était de sauver Penny, car après tout, si j’avais rencontré Doryan et Hunter, c’était dans ce seul et unique but. Maintenant que nous l’avions retrouvée (étape 1 de la partie sauvetage) nous devions la tirer des griffes de l’homme à l’œil vert, mais aussi des flammes. D’ailleurs, il était où l’homme à l’œil vert ? Sans doute s’était-il enfui après avoir mis le feu à l’endroit ! Ce mesquin et vilain personnage que Doryan ne cessait de nous dépeindre comme le plus méchant des méchants depuis que je l’avais rencontré. Par Toutatis, il verra de quel bois je me chauffe la prochaine fois que je le croiserai, mais en attendant, je chauffais au sens propre.
J’avais des petits poumons fragiles, et je commençais à avoir une sérieuse quinte de toux à cause de toute la fumée que j’inhalais. Quelle idée aussi de voler dans la fumée plutôt que de marcher avec mes petites patounes là. Oui enfin, depuis le début vous auriez compris qu’il ne fallait pas me demander d’être trop intelligente. La question de Doryan éveilla en moi la douleur que je ressentais dans la poitrine, mais je fis la fière, parce que ce n’était pas le moment de pleurer… quoique… nos larmes pourraient éteindre l’incendie peut-être ?

— Tout va bien patròn, yé vé jouste devenir asthmatique !

Avez-vous déjà vu, un pigeon avec un inhalateur ?
Moi jamais. Peut-être serait-ce là le début de la célébrité pour moi ? La première pigeonne à avoir un inhalateur pour pouvoir respirer ! On m’appellerait alors Dark Vaplume ! Trop la classe. J’irai effrayer mes imbéciles de partenaires en leur disant que je suis leur mère.
Tandis que mon plan pour conquérir le monde volatil prenait forme dans mon esprit, le Super chien m’invita à m’accrocher à son collier. Quel courage ce brave toutou ! J’allais refuser son aide, mais une nouvelle quinte de toux enflamma mes poumons. Ce fut donc de bonne grâce que je montais sur l’animal et m’agrippais fort à son collier, prenant toutefois garde de ne pas découper la matière de mon bec ultra puissant (non).
La petite fille indiqua à Doryan de s’élancer, ce qu’il fit avec courage jusqu’à l’ouverture que je lui avais indiquée. Là, nous nous effondrions tous les trois d’épuisement, de fatigue, de saleté, de fumée et de feu. Je regardais l’animal et sa jeune maitresse se blottir l’un contre l’autre jusqu’à ce que Hunter revienne hanter nos esprits. Ah, les fameuses deux minutes de vie en plus que je lui avais accordée étaient-elles déjà écoulées ? Sans avoir la force de battre des ailes ou de tourner la tête, je répondais, la voix enrouée, à mon ami.

— Huntour est passé par l’ouvertour pour appeler de l’aide, patròn. Je fixais ladite ouverture. Mais, patròn, peut-être que nous devrions l’aider. L’endroit semblait grand, on devrait signaler notre position. Moi je peux me repérer parce que j’ai une carte dans la tête (pas du tout), mais un hamster, ça n’a que sa boule comme connaissance géographique.

Malgré ces suggestions, je n’avais aucun doute sur les capacités du hamster à nous ramener de l’aide, il n’allait pas nous laisser rôtir, tout le moins, pas Doryan et Penny. Moi, il me connaissait depuis moins longtemps donc c’était sans doute moins grave si je restais en arrière. Nonobstant, je décidais de me battre jusqu’au bout !
En marchant cette fois, parce que je n’avais plus la force de voler, je m’approchais de la conduite d’aération et m’éclaircit la gorge.

— La, la, la. Mi, mi, mi. Sol, do, mi, sol, do, mi.

Nouveau petit raclement de gorge pour être certaine de bien stabiliser ma voix avant d’ouvrir grand le bec et de hurler dedans.

— On est là ! Venez nous aider ! Qui veut un bon poulet rôti ? Je me sacrifie ! Youhouuuu, venez-nous aider c’est gratuit ! Allô la terre ? Allô le monde ! On est encore dedans et on voudrait respirer ! S’il vous plait ! Respirer aide à rester en vie ! Youuuuhouuuu !

Autant traduire tout de suite, Penny et les secours à l’extérieur n’entendraient que des « rourous » super nerveux, colériques et particulièrement forts.
Je m’arrêtais, à bout de souffle. Je commençais sérieusement à manquer d’air et manquais de m’évanouir tant je venais de hurler dans le conduit. Voilà pourquoi je me laissais tomber sur mon arrière-train en essayant de prendre de grandes bouffées d’air. Ce qui ne m’aidait pas puisque j’avalais encore plus de fumée. Fort heureusement, le conduit me ramenait aussi un peu les bruits extérieurs, et j’entendais que l’agitation se faisait de plus en plus précise.
Hunter avait réussi. Il avait réussi à appeler les secours, et bientôt nous serions sains et saufs !
À quelques mètres de nous, l’épaisse porte en fer raisonna comme si on était en train de taper dedans.

Regarder la boîte magique quand il aurait retrouvé Penny, Doryan n’était pas certain d’en avoir le temps, il avait un emploi du temps très chargé et les moments où Penny n’était pas là, il avait tellement hâte de la revoir qu’il ne faisait rien d’autres que se coucher en fixant la porte d’entrée en attendant que sa maîtresse revienne. Pas sûr que de regarder une boîte magique réussirait à faire passer le temps mais l’heure n’était pas à ce que ferait ou non Doryan prochainement, la seule chose qui l’importait c’était de rejoindre Penny.
Par chance, il n’était pas seul dans cette épreuve, il s’était trouvé de véritable compagnon de route en la présence de Hunter et Abi, ils lui permettaient tout deux de gagner du temps et de ne surtout pas dévier de son objectif premier, qui n’est absolument pas de regarder la boîte magique dans le futur. Retrouver sa maîtresse ne fut pas bien compliqué, évidemment il était un expert, il était formé pour les situations d’urgence et la vie de Penny était bien trop importante pour qu’il hésite ou fasse fausse route, c’était l’instinct qui le poussa à la retrouver, il en était certain.

Il ne fallut que peu de temps à Abi pour retrouver Doryan, ce canard avait décidément un sens de l’orientation hors du commun, Doryan apprenait aujourd’hui que les canards étaient des animaux fascinants, une intelligence et un courage remarquable, ils avaient aussi une très bonne vision puisqu’ils arrivaient à voir à travers un nuage de fumée pour retrouver un chien couvert de suie. Il ne pouvait pas la laisser mourir étouffée par la fumée, il lui proposa donc de grimper sur son dos, il irait toujours plus vite qu’elle, autant ne pas la mettre en danger bêtement. Si Doryan mena à bien sa mission jusqu’à la bouche d’aération, ça ne fut pas exactement le soulagement escompté, il s’attendait à pouvoir prendre une grande bouffée d’oxygène, que ses poumons brûleraient moins et à pouvoir se reposer. Sauf que voilà s’il avait retrouvé Penny, ce qui était le but de la mission, il avait perdu un compagnon en route, il ne pouvait le laisser mourir brûlé. Doryan se prépara donc à repartir le chercher.

Hunter était passé par l’ouverture, Doryan observa l’ouverture bien trop petite pour qu’il puisse passer. Hunter devait avoir été modifié aussi, il pouvait modifier sa corpulence à volonté. Ils devaient signaler leur position ? Doryan pencha la tête comme Mitaine lui avait appris, même si là il n’y aurait pas de saucisses en récompenses, elle avait une carte dans la tête, un peu spécial ça quand même. Hunter avait une connaissance géographique grâce à sa boule, alors ça c’était spectaculaire. Ces partenaires étaient vraiment les meilleurs. Mais qu’est ce qu’elle faisait au juste à faire ses gammes proche de la bouche d’aération « Abi, si tu chantes, ils vont pas croire que tout va bien ? » Ah bah il semblerait qu’elle était arrivée à la même conclusion que le chien puisqu’elle se mit à hurler. Bon par contre la voix d’Abi ne portait pas ultra loin, c’était une certitude, elle faisait de son mieux mais ça ne serait jamais suffisant. Doryan s’approcha au moment où elle semblait faiblir et à son tour, avec une voix qui portait bien plus que celui d’un oiseau. S’il avait bien compris que ses pouvoirs ne fonctionnaient plus, il savait toujours aboyer, une chance. Par trois fois, il cria « A l’aide. » A chaque fois qu’il reprenait sa respiration, il avalait de la fumée et l’aboiement suivant était plus douloureux que le précédent. Au bout de trois, il n’arrivait plus à respirer donc il fut bien obligé d’arrêter et se concentra sur les bruits qu’il entendait, le crépitement des flammes dans leurs dos, des éléments du bâtiment qui s’écroulaient et surtout des bruits sur la tôle face à eux. Doryan n’était pas certain que c’était les secours, il craignait que ça soit quelque chose qui s’écroulerait face à eux, il attrapa donc Abi par les rectrices, oui ça ne devait pas être agréable, pour la tirer jusqu’à Penny. Le fait d’avoir un corps chaud contre son bras poussa Penny à bouger pour refermer son bras sur l’oiseau afin de le protéger ou pour avoir un peu de chaleur, nul ne le saurait puisque Penny ne parlait pas le langage animalier, ce qui était bien dommage pour Doryan. Ne souhaitant pas écraser Abi, il se coucha dans le dos de Penny, sa tête venant se poser sur le cou de Penny, remuant faiblement la queue en l’entendant dire bon chien . Sa position à cet endroit n’était pas un hasard, il pouvait surveiller l’endroit d’où venait le bruit. Enfin c’était l’idée, la réalisation c’était surtout que ses paupières se fermaient toutes seules. Il eut un léger regain d’énergie en entendant des pas, ouvrit les yeux pour constater qu’une espèce de ranger était posée juste devant sa truffe, il leva les yeux pour observer l’humain et au moment où des mains se refermèrent de part et d’autre de son ventre, il ferma les yeux, sa mission était terminée il pouvait se reposer.