L’offensive avait marqué un tournant dans la vie d’Amber. Bien plus qu’elle ne l’avait imaginé… Pour elle, il s’agissait d’une simple mission de routine, pour protéger les sorciers, leur monde… Pourtant, elle avait nié jusqu’au bout la vérité, celle qui disait qu’elle faisait cela par pur plaisir égoïste. Depuis son enlèvement pendant les vacances d’Halloween, elle ne faisait que voir, encore et encore, le visage de son assaillant. Le Blood Circle ne lui avait pourtant prélevé que du sang. Les conséquences auraient pu être plus graves et elle n’avait cessé de se le repéter. Malgré tout, elle n’avait pas été capable de mettre de côté sa rancœur ; elle n’avait pas été capable d’ignorer la baisse de sa propre estime, de tout ce qu’elle pensait savoir à propos d’elle-même. Sa faiblesse et son sentiment de vulnérabilité avaient grandi de jour en jour. Jusqu’à ce qu’elle atteigne la saturation.

Amber avait été plongée dans un tourbillon néfaste et obscur, où seulement Jaeden et William avaient eu les clefs en main pour la sortir de là. Les entraînements intensifs qu’elle avait suivis à leurs côtés lui avaient permis de s’améliorer, de reprendre confiance en elle et en ses capacités. Elle avait repoussé ses limites. Elle était allée dans ses retranchements et avait puisé une force insoupçonnée en elle, bien loin de se douter qu’elle provenait de cette part de noirceur qu’elle rejetait depuis des années déjà. La jeune femme avait tout simplement ignoré cette rage grandissante, cette envie de faire du mal aux membres du Blood Circle. Pour elle, il s’agissait d’un simple esprit de vengeance… Et puis, ils étaient passés à l’offensive.

Tout avait changé cette nuit-là.

Leur attaque surprise n’avait pas suffi et l’ennemi avait rapidement pris le dessus. Les attaques étaient assez équilibrées dans les deux camps. S’ils étaient restés plus longtemps sur place, il ne faisait aucun doute que les pertes auraient été nombreuses des deux côtés. Seulement, cette nuit-là, Amber n’avait jamais imaginé passer de l’autre côté.

Les images avaient été assez floues après leur transplanage et elle n’avait pas saisi immédiatement l’ampleur de ses attaques. Juste avant leur départ, elle avait laissé ses démons prendre le dessus sur elle et guider sa propre baguette. Sans utiliser d’Impardonnables, elle avait pointé sa baguette vers l’ennemi et l’avait violemment projeté contre le mur voisin, utilisant ensuite un sortilège de découpe sur une partie inconnue de son corps. Avec un peu de recul, elle était persuadée d’avoir visé la poitrine ou le visage. Elle ne savait pas trop. Il était juste resté à terre et, au moment de leur départ, elle avait vu une femme se précipiter vers lui. Sa victime n’avait pas bougé d’un poil. Il n’y avait pas d’hypothèses dans l’esprit d’Amber, mais une seule éventualité : elle avait tué pour la première fois.

Assise sur le rebord de son lit, au domaine familial, elle observait la paume de sa main depuis plusieurs minutes déjà. Sa main dominante. Celle qui avait conduit sa baguette en direction de son ennemi et lancé deux sortilèges qui lui avaient coûté la vie.

— Je ne ressens rien…, souffla-t-elle pour elle-même. Pourquoi je ne ressens rien ?

D’un élan de colère, elle envoya le contenu de sa table de chevet valser par terre et elle se redressa  brusquement. Entamant les cent pas dans sa chambre, elle porta ses deux mains contre sa nuque et respira lentement pour calmer son cœur qui s’emballait un peu plus dans sa poitrine.

Elle avait tué. Elle ne devrait pas se sentir aussi détachée. Elle devrait se sentir anéantie. Elle devrait culpabiliser. Pourtant, elle ne ressentait rien. Et cela la terrifiait. Amber tentait de chasser ses pensées noires qui lui disaient, depuis plusieurs heures déjà, que ce gars-là l’avait bien mérité. Pourtant, sa part de noirceur revenait au galop et elle se souvenait de la cellule poisseuse dans laquelle elle avait été installée, lors de son enlèvement. La jeune Serdaigle repensa au prélèvement de son sang qui avait sûrement servi à créer ce sérum anti-magie. Elle venait peut-être de contribuer à l’attaque de ses collègues, sans même le vouloir, uniquement parce qu’elle avait été en incapacité de se défendre l’année passée.

Mais c’était fini.

Elle était devenue plus forte que jamais. Elle avait pris sur elle et avait découvert une force insoupçonnée en elle. Amber avait appris à se dépasser. Elle ne se ferait plus jamais prendre par ces satanés membres du Blood Circle. Et si c’était le cas, alors elle en tuerait le maximum d’entre eux.

— Ils l’avaient cherché, n’est-ce pas ? tenta-t-elle de se dire à elle-même, dans l’espoir de se rassurer.

Non.

Elle ne devait pas penser comme ça. Elle pensait comme eux. Comme ses parents. Elle ne voulait pas devenir comme eux. Elle ne voulait pas faire un pas de plus vers la noirceur qui l’habitait depuis toujours. Amber l’avait repoussé des années auparavant et elle refusait qu’elle revienne vers elle. Bien qu’elle soit plus forte que jamais. Il était pourtant plus facile de plonger dans les ténèbres que de s’en sortir. Elle refusait de devenir comme son père. De ne rien ressentir, mise à part de la haine et de l’amertume. Elle voulait aimer et être aimée, même si elle avait l’impression d’en être incapable. Quelqu’un lui correspondrait bien dans ce monde. Pourtant, Amber avait toujours repoussé ceux qui s’approchaient d’elle. Elle avait toujours été coincée entre deux murs : celui de la lumière et celui des ténèbres.

À présent, elle se sentait à l’étroit. Elle étouffait. Elle suffoquait. Elle devait faire un choix. Elle serait obligée de le faire. Toutefois, cela signifiait qu’elle devrait soit se dresser contre son père et les mangemorts, tous autant qu’ils étaient, soit prendre la voie qu’il lui était destiné, parce que les risques étaient bien trop grands. Amber savait bien trop de choses sur l’Augurey, sur les missions confiées aux mangemorts ; elle connaissait bien trop d’identité pour pouvoir suivre la voie qu’elle voulait : l’Ordre du Phénix. Et quand bien même elle réussirait à se détacher de cette destinée, personne ne lui ferait confiance dans le groupe opposé. On la verrait comme une traîtresse. On la rabaisserait comme un petit groupe l’avait toujours fait à Poudlard. Amber avait mis des années à réussir à se faire une place et à se sentir comme chez elle. Elle n’avait pas envie de recommencer ce combat. Elle n’avait sûrement plus assez de force en elle pour mener une nouvelle bataille.

— Je ne peux pas devenir comme lui…

Un gémissement de douleur quitta le seuil de ses lèvres et elle baissa son regard émeraude en direction de la paume de sa main. Le feu qui l’avait habité l’avait conduite à fermer violemment ses poings. Ses ongles s’étaient enfoncés profondément dans sa peau et des demi-croissants de lune y étaient gravés. Sa chair était à vif, mais elle ne ressentait rien. Aucun picotement. Aucune brûlure.

Son attention se porta sur le miroir, face à elle, et remonta petit à petit le long de son corps, jusqu’à ce qu’elle fixe son propre regard de longs instants. Amber eut l’impression de découvrir une toute autre personne. Elle ne se reconnaissait pas. La joie de vivre qu’elle avait retrouvée n’était plus là. Ses pupilles semblaient habiter un feu incandescent, comme si les flammes de l’enfer habitaient son être tout entier.

Instantanément, un frisson d’effroi parcourut toute son échine. La jeune femme prit peur, parce qu’elle venait de comprendre quelque chose d’essentiel. Elle n’avait rien ressenti. Ce meurtre ne lui posait aucun problème et si elle devait le refaire, cela ne changerait absolument rien à son état d’esprit actuel. Elle avait tué de sang-froid et elle serait capable de recommencer à n’importe quel instant. Amber savait faire la part des choses. Elle savait que tous les moldus n’étaient pas mauvais. Raphaël en était la preuve vivante. Toutefois, le Blood Circle était vêtu d’une cible rouge à ses yeux et elle était prête à se battre corps et âme pour rendre justice à son peuple… Ou pour se rendre justice à elle-même. La Towsen en avait assez de vivre dans la peur. Elle s’y refusait catégoriquement. Ces non-mages s’apparentaient aux chasseurs de sorcières de l’époque. Ils voulaient tous les voir sur un bûcher, sans même chercher à comprendre les bénéfices qu’ils pouvaient avoir sur leur monde. Ils étaient fermés d’esprit, alors qu’Amber avait essayé de les comprendre, de les innocenter. Elle avait essayé de se dire qu’ils étaient sûrement dans l’incompréhension et la peur de l’inconnu. Pourtant, aucun d’entre eux n’avait cherché à discuter. Ils en avaient pourtant eu l’occasion, lors des enlèvements du mois d’octobre, mais ils n’avaient rien fait. Ils s’étaient contentés de les traiter comme des animaux en cage, comme des porcs destinés à l’abattoir. Et Amber n’avait qu’une seule envie après ça : leur faire ressentir exactement la même chose.

Sur cette prise de conscience soudaine, sa bouche s’entrouvrit légèrement et elle se fixa encore quelques instants dans le miroir, laissant une vague de froid envahir tout son corps. Elle venait de constater avec effroi quelque chose qui la concernait.

— … Je suis déjà devenue comme lui.

Après ce murmure, elle poussa violemment son miroir qui s’éclata au sol. Des morceaux de verre étaient éparpillés partout, mais elle ne s’en faisait pas. Un coup de baguette et tout ce bazar serait réparé. Mais elle ? Qui allait la réparer ? Qui allait l’aider à se sortir de ce gouffre sans fin dans lequel elle venait de tomber ?

Amber n’était pas quelqu’un de mauvais et elle le savait. Mais elle était également incomprise et elle avait le sentiment de ne jamais avoir été elle-même avec qui que ce soit. En ce jour, elle n’avait aucune idée de qui elle était et de ce qu’elle allait devenir. La jeune femme constatait avec stupeur à quel point elle était dans un merdier sans fin. Il ne fallait pas que son père, son frère ou qui que ce soit découvre qu’elle avait tué. Sa formation de mangemort s’accentuerait et elle finirait par être envoyée en mission. Peut-être même contre de simples moldus, alors que cela ne suivait pas ses principes.

Ce combat, elle devrait le mener seule. En tout cas, c’était ce qu’elle se persuadait, alors qu’en vérité, elle avait besoin de quelqu’un. Elle avait besoin qu’une main saisisse la sienne et lui dise que tout irait bien. Amber avait seulement besoin que l’on croit en elle, malgré sa carapace de femme solitaire et indépendante. Malgré tout, la jeune Towsen niait en bloc ses besoins sociaux, d’appartenance et d’estime. Elle restait persuadée qu’elle pourrait mener cette bataille seule, alors que ce n’était pas le cas. Il y avait parfois des événements de vie qui dépassaient tout entendement et seulement la présence d’un être cher, comme un ami ou un frère, pouvait permettre de voir les choses autrement, de s’en sortir.

Malgré tout, Amber trouverait un moyen. Comme elle l’avait toujours fait. Quoi qu’il en coûte.