L’ambiance était survoltée. Je sentais cette énergie me traverser l’échine au point de hérisser ma chair éveillant en moi un tourbillon entêtant qui n’avait qu’une envie : monter sur cette moto, ma moto, et rejoindre les airs pour les pourfendre. Au début, je venais de temps en temps pour faire une course. Les membres de la Cosa Nostra anglaise n’avaient jamais eu l’habitude de me voir courir et autant le dire, au début, ils étaient un brin moqueur. Quant à ceux qui me connaissaient… ils s’étaient bien gardés de dévoiler de quoi j’étais capable. Cela avait rendu les choses bien plus amusantes. C’est vrai que j’ai dû retrouver mes marques. Etrange sensation que de renouer à nouveau avec la vitesse qui affole mon myocarde. Mais tout était revenu. Mes réflexes, mon style de conduite. Mon plaisir, ma soif d’adrénaline. Je savais que Luca serrait les dents à chacune de mes courses. Il a très vite compris que c’était ma façon à moi de m’enfermer dans une bulle, d’évacuer ces derniers mois qui nous avaient fait sombrer. Il retrouvait une version de moi qu’il n’avait pas vu depuis longtemps et qu’il était certainement le seul à connaître ici, en Angleterre - ou presque - et il le redoutait. Ce côté au bord du vide. Ce besoin de sentir la peur pour se sentir vivant. S’il avait tenté de m’en toucher deux mots, il avait été reçu… Qu’il ne règle ses problèmes d’addiction avant de venir me raisonner.

Le bruit des moteurs se mirent à rugir autour de moi faisant monter l’excitation d’un cran. Je me positionnais sur ma moto au sol avec les autres coureurs. Ici, il n’y avait pas que la Famille. J’avais souvent le droit à des regards libidineux de concurrents qui ne se gênaient pas pour me faire des remarques salaces. Comme celui qui se trouvait sur la ligne de départ à mes côtés. « Si tu veux monter sur des gros engins, je suis dispo. » Je levais les yeux au ciel et terminais d’attacher ma queue de cheval. « Pas intéressée, mais tu auras une belle branlée grâce à moi ce soir. » Je lui adressais un doigt avant de me concentrer et de m’élancer dans les airs alors que le go avait été donné. Certes le jeu de mot avait été facile, mais sa tête avait été mémorable. L’espace de quelques secondes, je montais plus haut que mes adversaires pour observer leurs techniques puis je plongeais sans hésiter, les forçant à s’écarter. Mon coeur pulsait jusqu’au bout de mes doigts, mais toute ma carcasse était en alerte et vibrait au rythme du moteur de ma bécane. Je me retrouvais avec un seul récalcitrant qui me tenait tête. Je donnais une dernière accélération dans le virage matérialisé par les balises flottantes. Je lui coupais la route, freinais brusquement pour le pousser à ralentir tandis que je me trouvais devant lui avant d’embrayer et de repartir bille en tête. Je franchissais le ruban tout levant les bras. L’exaltation était à son comble alors que je redescendais sur la terre ferme.

Je passais plusieurs minutes à échanger avec d’autres coureurs à discuter tandis que la suite des courses se préparait. Je prenais une boisson à l’un des stands. La musique commençait à s’élever dans les airs, la fête clandestine se mettait en marche. Je me baladais entre les gens et les motos. Je savais reconnaître celles qui venaient de chez nous. Je pouvais même dire qui avait bossé dessus en fonction du style de ces dernières. Chacune avait notre touche. « T’es complètement malade, tu aurais pu nous tuer ! » Ah, le pervers semblait remonté. « La prestation t’a déplue ? » dis-je avec une mine faussement déçue de ne pas lui avoir offert ce dont il rêvait. Il s’approchait de moi avec certainement l’intention de m’en coller une. Et aussi dingue que cela puisse paraître, j’étais prête à riposter. Mais ce crétin en percuta un autre qui s’énerva et je me retrouvais au milieu de mâles en pleine crise de testostérone.

Je fus alors bousculée en arrière, l’air de dire sort d’ici, c’est pas ta place. Je suspectais Luca de m’avoir collé un membre de la Cosa Nostra pour m’éviter les emmerdes. Je perdais l’équilibre en étant projetée un peu plus loin tandis que la foule se réunissait pour encourager la bagarre ou la séparer. Difficile à dire… La seule chose que je savais, c’était que je m’étais rattrapée de justesse à un bras. Mais plutôt que de regarder le propriétaire de ce dit bras, mon attention fut accrochée par la moto qui se tenait à ses côtés. « È uno dei miei bambini ! J’ai boosté le moteur en ensorcelant les injecteurs et les soupapes. Elle fait du 16000 tours facile ! » C’est un de mes bébés ça ! J’en avais chié sur ce modèle… Celui qui l’avait commandé avait eu des exigences précises. Tant sur son design que ses performances. Allier les deux était un véritable challenge, mais j’avais adoré me prendre la tête pour y parvenir. Je relevais finalement le visage vers le propriétaire réalisant que je lui tenais toujours le coude. L’ambre de mes prunelles rencontra des iris que je ne connaissais que trop bien. Je retirais brusquement mon assassine de sa personne. Pourquoi il n’était pas parti lui. D’habitude, c’était à peine s’il attendait les résultats globaux qui lançaient ensuite la fête. D’ailleurs, ces derniers explosèrent dans les airs au-dessus de nos têtes. Le numéro de chacune des courses s’affichait dans un écran de fumée et dessous le vainqueur. Je levais un instant le visage, voyais mon prénom apparaître, puis celui de Hell sous une autre… Bordel. La musique monta d’un cran  autour de nous, tout autant que le brouhaha de la foule en délire. Son surnom me renvoyait tellement loin. Ce connard qui avait abusé de ma confiance pour tenter de nous espionner… Dire que j’avais vraiment eu des sentiments pour lui. Ce n’était que les prémices de mon incapacité à aimer des hommes dignes de ce nom. Cela s’était confirmé avec Jaeden… S’il se tenait devant moi, c’était parce que malgré tout cela, je n’avais pas eu à coeur de le voir se faire détruire par la Cosa Nostra et je l’avais aidé… Luca le savait. C’était notre secret. « Bon et bien, c’est le moment où tu retournes astiquer tes balais non ? » finis-je par déclarer tout en le fixant avec provocation. J’avais utilisé ma langue maternelle, car je me souvenais qu’il la comprenait et la parlait parfaitement. Il avait toujours été dans le coin durant les courses. Toutefois, il était distant, se faisant discret. Il y avait de quoi… Mais ces dernières semaines, je trouvais qu’il était plus présent que d’habitude. Il avait changé. Il émanait de lui quelque chose d’encore plus sombre qu’à l’époque où je le fréquentais. Il possédait toujours ce charme déconcertant, mais son aura elle, était noire.

Est-ce que j’avais vraiment posé ma main sur son coude ? Un verre dans l’autre, déséquilibrée par cette bande de fous furieux et happée par sa bécane, je n’avais même pas reconnu que c’était lui. J’étais en colère contre moi et contre lui. Il avait mon travail. Ma création. Cet enfoiré. Il avait osé commander une moto chez nous. Certes, à dire vrai, les garages comme le nôtre étaient bien rares. Ces bolides demandaient une certaine expertise pour parvenir à les créer. Ils étaient des objets de luxe que peu de personne pouvait se payer. Souvent, les mecs des circuits travaillaient eux-mêmes sur leurs bécanes. C’était moins fini, moins professionnel tout simplement. Si je gardais pour moi cette colère qui montait petit à petit, j’avais clairement les boules de le voir user de mon boulot pour concourir sur les circuits clandestins. Est-ce que je me payais des balais dans sa boutique ? Non. Je détestais ce moyen de transport merdique de toute façon. Nos regards s’entrechoquèrent, s’accrochèrent jusqu’à ce que je me décide à ouvrir mes lippes pour l’éconduire. S’il avait un tant soit peu de jugeote, il partirait sans faire d’histoire. Mais visiblement, je lui accordais un peu trop de crédit puisqu’il ne semblait pas prêt à décoller. Et attendez, c’est moi ou il me faisait carrément une allusion graveleuse ?

Je le vois s’appuyer contre sa moto et je sais qu’il le fait exprès pour me foutre les boules. Le pire c’est que ça marche… Je suis écoeurée d’avoir autant mis mon coeur à l’ouvrage sur cette commande. Si j’avais su que c’était pour lui, je me serais arrangée pour lui réserver quelques surprises. Un bruit de moteur ridicule, une sellerie brûlante, des décharges aux poignées… Petit à petit, je ressens cette colère remonter. Sous-entendu libidineux, deuxième. Je pose ma paume sur le réservoir de l’engin, me rapprochant légèrement de lui, comme si j’allais lui faire une confidence. « Avec tes mains rugueuses à force de serrer un bout de bois toute la journée ? Tu te croyais si bon que ça ? C’est marrant comme la mémoire peut s’altérer. Moi je me souviens de ta dernière soirée avec la Famille. Sans moi, tes doigts, ils seraient six pieds sous terre. » Cet enfoiré laissa glisser son regard sur moi, comme si je n’étais un objet qu’il examinait avant d’en faire une acquisition. Il allait me rendre dingue. Je maudissais celui qui m’avait fait perdre l’équilibre et atterrir sur lui. J’aurais dû me taire. J’aurais dû me tirer, tout simplement. Mais je ne savais pas faire ça. Je n’étais pas douée pour garder mon calme et avoir la tête basse… Surtout quand celui qui se tenait en face cherchait a appuyé sur tous les sujets les plus agaçants qui soient. « Ca te rassure de te dire ça ? L’ancien prodige de Quidditch tente de se raccrocher à la seule chose sur laquelle il peut encore grimper pour voler. T’es pas mauvais, mais t’es loin d’être le meilleur ici. C’est mon terrain les circuits. Toi t’es juste bon à tailler des manches en bois maintenant. » Je retirais ma paume de sa moto avant de reculer légèrement afin d'observer sa réaction. Mes prunelles sombres ne lâchaient pas les siennes. Il avait voulu jouer, très bien. Je savais également appuyer là où cela faisait mal. « Et mes mains crasseuses devaient te manquer pour que tu en viennes à passer une commande auprès de moi. Mais toujours aussi lâche comme à l’époque, à faire les choses par derrière. » Traître, pensais-je. Je n’avais même pas besoin de le mentionner à haute voix. C’est tout ce qu’il était pour moi à présent. Un connard qui s’était joué de moi et qui avait cru que je trahirais les secrets de la Cosa Nostra pour ses beaux yeux. Si cela n’était pas arrivé, je m’étais réellement attachée à lui malgré cette carapace rude qui l’entourait. Il savait qu’il plaisait et savait en jouer. J’en avais fait les frais. Je m’étais sentie blessée. Humiliée. Une vague de sentiments violente qui m’avait happée il y a quelques mois alors que la déferlante autour de Jaeden nous avait tous fait sombrer en enfer.

Depuis je remontais la pente à ma façon. Cette douleur au creux de ma poitrine s’estompait à mesure que j’enchaînais les soirées et les actes insensés. Néanmoins… Sa dernière pique alors qu’il me donnait le surnom dont il usait à l’époque fit frissonner mon échine de dégoût. Je plaquais violemment la paume de mes mains contre son torse. « Fanculo, Hell ! » pas besoin traduire je pense héhé Mes pupilles s’étaient dilatées de colère. Comment pouvait-il se permettre d’aller sur ce terrain avec moi ? Angel… Il était le seul à m’avoir appelé comme ça. Tout le monde utilisait Anje, à l'exception de Luca qui me surnommait Anja. J’apposais mes paumes de part et d’autre de ses cuisses. Appuyé sur sa moto, il restait malgré tout plus grand que moi. Je relevais le visage pour le toiser. « Je vais passer au joint de culas. Ca porte mieux ses couilles que les lâches et les traîtres dans ton genre. » Je n’avais jamais caché ma bisexualité. C’était d’ailleurs un jeu avec Luca avant que je ne sois en couple. Draguer la même fille pour voir qui allait gagner. Étrangement je n’avais pourtant jamais eu d’histoire sérieuse avec une femme. II semblerait que je ne sois attirée que par des tocards aux allures de bad boys ratées. Depuis ma rupture à la fin de l’été, je n’avais pas eu de nouvelles aventures. Le début d’année était arrivé sans prévenir, mais j’avais décidé de commencer à avancer de ce côté-là. Plus de relations sérieuses. Cela n’apportait que des blessures et des déceptions. Je m’amusais à flirter un peu, à voir si je n’avais pas totalement perdu la main, mais je n’avais pas été bien plus loin. Se pourrait-il que cet enfoiré l’ait noté et qu’il ait volontairement usé de cette allusion douteuse pour me tester ? Si c’était le cas, il avait bien joué son coup, mais j’allais le lui rendre.

Je pensais passer une bonne soirée. Conduire, gagner, boire et danser. Le plan était parfait. Pourquoi il avait fallu que Hell pointe son nez ? Bien sûr, les courses ne nous étaient pas réservées. Il y avait des tas de coureurs qui n’étaient pas de la Cosa Nostra ce soir, mais bordel… Qu’il continue à traîner dans notre milieu après ce qu’il avait fait, dépassait les bornes. Mais un accord avait été passé avec son père. L’Ambassadeur nous permettait d’avoir un contrôle sur le gouvernement Italien à l’insu de tous et cela s’avérait être un sacré avantage. Cela avait donc évité à Elwyn d’être pris en chasse par la Famille. Sans cela, il ne serait certainement plus là. Est-ce que j’aurais souhaité sa mort ? Ce n’était pas mon genre… Mais le voir me défier ce soir avec tant de rage et colère qui si j’étais la fautive de toutes ses merdes à lui… Cela me rendait folle. Je ne comprenais pas toujours à quoi s’amusait le destin, semant sur notre route des embûches et des rencontres hasardeuses. Pourquoi m’étais-je lié à lui tandis que j’étais encore en Italie ? Pourquoi je méritais d’être prise pour une idiote alors qu’il se jouait de mes sentiments pour me dérober des informations ? Et ce soir, il me toisait de toute sa haine… Je ne le comprenais plus, mais j’en venais à me demander si je l’avais compris ne serait-ce qu’une fois… Et toutes ses piques, toutes ses attaques éveillaient en moi de vieilles blessures que je pensais pourtant enfouies. Je réagissais au quart de tour sans parvenir à maîtriser mes émotions. Je n’avais jamais vraiment fonctionné autrement, cédant à mon impulsivité. Ce soir ne faisait pas exception à la règle.

Dans son regard, sur les traits de son visage, j’y vois de la suffisance, de la colère et de la haine. Des sentiments ancrés, qui semblent l’animer au plus profond de ses entrailles. Je secoue la tête désabusée par sa réponse. « Non effectivement, rien ne m’y obligeait. Mais si même après toutes ces années tu n’as pas compris pourquoi, c’est que tu es encore plus con que ce que je pensais, O’Connor. » Je n’allais pas m’en cacher. A l’époque malgré ses humeurs, son côté taciturne, j’avais découvert d’autres facettes de sa personnalité. Une personnalité que j’avais appris à connaître, à apprécier. Je m’étais attachée. Pas au point de lui raconter les secrets de la Cosa Nostra, heureusement, mais assez pour savoir que j’éprouvais des sentiments pour lui. Assez pour lui permettre de s’enfuir. J’aurais certainement dû le tuer moi-même. La loi de mon paternel n’est qu’un jeu d’équilibre. Tu es trahie, tu fais payer. Balle au centre. Tout comme j’avais dû tabasser Jaeden pour lui faire payer ses mensonges, j’aurais certainement été obligée de m’occuper d’Elwyn. Et à l’époque, j’en aurais été incapable.  Son regard qui glissait sur moi n’avait rien de plaisant. Rien qui ne me rappelait cette époque où il m’embrasait d’une simple oeillade.

Il venait toucher un point sensible à son tour. Coup pour coup. Mon accident m’avait tenue éloignée des courses durant de longues années. Ce n’était que mon besoin frénétique de repousser mes limites depuis ma rupture avec Jaeden qui m’avait fait remonter récemment. « La trouille comme tu dis, je l’ai vaincue. Est-ce que tu peux en dire autant ? Tu es même plus foutu de grimper sur un balai. » Entre la moto et son Quidditch, je savais qu’il avait toujours préféré son sport. Qu’il en soit réduit à retrouver ces sensations fortes à bécane, cela voulait tout dire. Il se réjouissait d’ailleurs d’avoir réussi à obtenir une création  de chez nous. Une sur laquelle j’avais travaillé. Cela aurait pu être n’importe qui d’autre, mais j’avais récupéré cette commande. J’y avais passé des heures… Et il se félicitait comme un idiot… Je trouvais ses agissements si puérils, si stupides. Je me contentais de le toiser sans même prendre la peine de tergiverser. « T’es ridicule… »

Si j’étais en colère, il me fit clairement sauter un fusible alors qu’il m’appelait Angel. A l’époque, je lui avais trouvé ce surnom qu’il emprunte pour les courses. Hell. Cela lui collait à la peau, dans chaque pore de sa maudite carcasse. Mes mains percutèrent son torse de rage. Il se saisit de mon poignet pour me repousser. Alors quoi, monsieur n’aimait pas être touché ? Il me rejetait d’ailleurs brutalement en arrière. Une expression de fureur marquait ses traits. Il semblait enlacé par les flammes de l’enfer. « Il a plus de courage que tu n’en auras jamais, connard ! » D’accord, j’en voulais à Jaeden pour ses mensonges, mais je n’oubliais pas qui il était. Il n’avait jamais joué de mes sentiments comme Hell avait pu le faire et avait traversé bien des épreuves. « Mais si c’est pour attirer des enculés comme toi, ça me va parfaitement de paraître molle et fade. » Je relevais le visage pour le défier. Il était bien plus grand que moi, me dominait de toute sa hauteur. Il commença à s’éloigner, mais je n’avais aucune envie de le laisser s’en tirer comme ça. Alors qu’il pivotait, je transplanais et me retrouvais assise sur sa bécane. J’avais bien remarqué que cela l’agaçait que je la touche. Etrange paradoxe quand on sait que je l’ai montée de toute pièce. Le voyant prêt à me virer sans vergogne, d’un mouvement de hanches et à l’aide de mon pied, je repliais la béquille. « Tout doux Hell, ça serait embêtant que tu foutes en l’air tant de gallions… » S’il me poussait ou tentait de me faire basculer, son précieux petit bijou tombait à terre. Du bout des doigts, je dessinais la courbure du réservoir. Dommage, il n’avait pas laissé sa clé sur le contact. J’aurais pu jouer avec ses nerfs davantage. « Quel gâchis que ce travail se retrouve entre tes cuisses… Dois-je y voir une forme de métaphore perverse pour que tu aies tant voulu que ce moi qui te la prépare ? »

Je me traitais silencieusement d’abrutie alors que je réalisais qu’il n’avait aucune idée de ce qui m’avait poussé à l’air il y a de cela plusieurs années. Tout cela n’avait été qu’un jeu pour lui. Un simulacre pour tenter de me tromper. D’user de notre relation pour obtenir les informations qu’il souhaitait nous soustraire. A l’époque, je m’étais pourtant attachée à lui. J’avais cherché à soulever cette carapace qu’il s’était forgée, apercevant parfois plus qu’il ne voulait bien le montrer. Je ne dirais pas que je l’avais aimé avec un grand A, mais les sentiments avaient été présents. Au point que je l’avais aidé à filer pour lui éviter de finir dans des conditions affreuses. L’idée de faire du chantage à son père s’était imposée et avait convaincu les familles dirigeantes. Cela s’était donc arrêté là pour lui. Il avait voulu s’amuser à nos dépens, il avait perdu. Je m’étais sentie abusée et s’il n’avait pas fallu grand chose pour que je m’attache davantage à lui, le destin avait décidé de m’épargner avant que mon coeur ne soit totalement brisé. Je lui en voulais malgré tout pour avoir essayé de me tromper à ce point. Il avait tenté de s’en prendre à la Famille, à moi et cela ne passait pas. Même après toutes ces années. Je me souvenais pourtant de ces soirées ensemble, que cela soit sur les circuits ou en dehors. Nous avions une vision du monde similaire. Vivre à cent à l’heure, brûler la vie par les deux bouts et qu’importe où cela pourrait nous mener. Moto, alcool, sexe. Voila de quoi était rythmée notre existence à cette époque. Nous étions insatiables, sur tous les pans de notre relation. Alors oui, j’avais tenu à lui, oui il avait été un très bon amant et un partenaire de jeu intraitable, mais cette intention de nous trahir, de me trahir, avait tout balayé d’un revers de main. Je l’avais aidé pour toutes ces raisons qui lui échappaient encore après toutes ces années. Il gardait d’ailleurs le silence à ma réplique, se contentant de lever les yeux au ciel. Le fait qu’il ne sache pas pourquoi j’avais agi ainsi à l’époque était dur à digérer pour moi. Cela était d’autant plus blessant de réaliser qu’il n’avait fait que jouer la comédie quand il était avec moi.

Il voulait me faire mal, je le sentais. Je ne parvenais pas à comprendre ce qui provoquait en lui tant de haine à mon égard. Il m’avait trahi. Il avait tenté de me manipuler. J’étais logiquement celle qui était en colère et qui avait envie de lui en retourner une. Pourtant, il était si sombre, tellement envahi de rage… Dire que j’allais malgré tout aider malgré sa traîtrise. Il m’agressait comme si tout était de ma faute. Il voulait me faire mal. Je le lisais dans le fond de ses prunelles azurées. Sa haine avait quelque chose de démesuré. Me parler de mon accident alors que je commençais tout juste à remonter était cruel. Je n’avais toujours pas fait le deuil de mon meilleur ami. Il n’avait aucun respect. Il ne s’agissait pas que de moi. Andrea avait perdu la vie cette nuit-là. Ma vengeance était inassouvie, car je n’avais jamais réussi à retrouver le coupable qui avait provoqué notre accident. Il voulait aller sur ce terrain, très bien. Je lui renvoyais à la figure sa propre chute. Médiatisée à outrance, mais sans réelle information, cela avait fait la Une de plusieurs journaux dans le monde sorcier. Des mots dans une langue que je ne connaissais pas sortir de ses lippes et un léger sourire étira les miennes. C’était la preuve que j’avais réussi à le toucher. Toutefois le sentiment de satisfaction fut de courte durée alors qu’il m’appelait Angel… A l’époque, notre duo sur les circuits était iconique. Angel et Hell, deux inconscients du volant… Deux surnoms opposés qui nous rassemblaient. Aujourd’hui, il n’en restait que les contractions et l’incompréhension. Il attaquait Jaeden et cela me révolta. Malgré toute la merde qu’il avait créée, qui nous avait poussés à rompre, il avait bien plus de courage et de cran à mes yeux que Hell, qui avait agi comme un lâche. « Il n’y a aucune place aux doutes. » susurrais-je agacée par son culot qui n’avait aucune limite.

Je ne pouvais me résoudre à le laisser filer de la sorte. Nous ne nous étions pas parlé depuis des années et toute la rancune explosait. Tout dans son attitude me rendait complètement folle. Je transplanais sur sa moto comme une ultime provocation. Je voyais que j’avais fait mouche, me délectant presque de la fureur qui se lisait dans son regard. Il s’approchait malgré tout, sa main venant se poser avec une douceur malsaine sur ma nuque. Un frisson désagréable parcourut mon échine. Sentir la pulpe de ses doigts sur ma chair me troublait alors que je me disais que toutes ces fois où nous avions couché ensemble, il ne l’avait fait que dans l’espoir de me manipuler. Son visage s’approcha du mien et je sentais presque son souffle me caresser tandis que nos yeux se confrontaient. Je levais une main pour retirer la sienne, mais sa prise se fit plus ferme, tirant sur ma chevelure. Un léger cri de douleur s’échappa d’entre mes lippes. Un gémissement qui s’étouffa alors qu’il me jetait un sortilège de mutisme. Je tentais en vain de le rejeter, mais il fut plus rapide, se glissant dans mon dos. En à peine quelques secondes, il nous fit décoller. J’essayais de mettre de l’espace entre nous tandis qu’il maintenait son emprise sur moi, tout en prenant les commandes de sa bécane. Arrivés à une certaine hauteur, j’abandonnais l’idée de me débattre. Cela était plus dangereux qu’autre chose. Je le connaissais assez pour voir venir une échappée dans les airs plus que risquée. Etais-je prête à vivre ça ? Lorsque j’étais tombée avec Andrea, c’était durant une siamoise. Ceinturée dos à dos, me trouvant à l'arrière de la moto, je n’avais pas eu le contrôle de la situation et cela avait été pire que tout. Depuis que j’avais repris les circuits, j’avais retrouvé mes habitudes de conduite qui n’étaient pas raisonnable, mais au moins je maîtrisais la situation. J’avais les mains sur les commandes. Là, cet enfoiré m’empêchait de faire quoi que ce soit. J’étais enveloppée de sa carcasse, ses cuisses encadrant les miennes, son odeur m’assaillant de toute part. Je ne savais pas ce qui me troublait le plus dans cette escapade que je n’avais pas désirée.

Puis soudain, je vis son assassine couper le contact. J’essayais de le retenir, agrippant ses bras, mes ongles venant s’enfoncer dans la chair de ses mains. Sans succès. Si je tentais d’agir moi même, il m’en empêcha. D’accord. Celle-là, je voulais bien l’admettre, on ne me l’avait jamais faite. Je me raidissais contre lui. La moto était trop instable si je poursuivais mes gestes pour lutter encore une fois. Je dus prendre sur moi pour le laisser maîtriser la situation. La chute me sembla durer une éternité avant qu’il ne rallume le moteur et nous fasse atterrir. Il conduisit ensuite comme un dingue entre les arbres. En cet instant, il aurait pu rouler avec sa folie habituelle des heures que je m’en foutais. Nous étions à terre. Mon palpitant tambourinait avec violence au coeur de ma poitrine. L’image d’Andrea et moi chutant et nous écrasant au sol était venue me frapper de plein de fouet. Pourtant cela avait éveillé quelque chose en moi. De vieux démons bien enfouis qui s’étaient agités dans mes entrailles, susurrant dans mon esprit à quel point je pouvais aimer cette sensation de danger.

Il s’arrêta enfin me faisant descendre brutalement de la moto. Il me tenait par le bras et je me dégageais de sa prise alors qu’il me dominait de toute sa stature. Son visage de nouveau proche du mien. Je sentais encore l’empreinte de son corps derrière le mien. L’étau dans lequel il m’avait enfermée. Réminiscence de vieux souvenirs s’immiscent dans mon esprit. Ma respiration était hachée entre colère, peur et exaltation. « Tout ce manège pour ça ? » je finis par répondre quand je pus enfin le faire alors qu’il m’ordonnait de ne plus toucher à sa moto. « C’était quoi ? Une démonstration de virilité ? de courage ? Tu pensais m’effrayer ? » Je mentirais si je disais que je n’avais pas paniqué à l’idée de ne rien maîtriser. Je ne lui faisais pas confiance même si je me doutais bien qu’il n’avait pas l'intention de nous tuer. « C’est quoi la suite ? Tu te tires en me laissant au milieu des bois ? » Je me foutais bien qu’il m’abandonne ici. Je savais transplaner comme il l’avait remarqué. « Si tu crois que tes menaces me font peur, n’oublie pas qui je suis et qui a la main sur l’autre. Il ne suffit que d’une parole pour que tu subisses la traque de la Cosa Notra. »  Il osait prendre un ton menaçant avec moi, mais il ne semblait pas réaliser qu’à ce petit jeu, il risquait plus que moi.

Qu’est-ce qui était différent ce soir ? Pourquoi je m’étais rattrapée à son bras, trop absorbée par sa bécane, pour réaliser que c’était ? Souvent, je m’interrogeais : pourquoi le destin mettait-il une personne sur notre route ? Si je n’avais pas joué la carte de la provocation avec ce coureur, je n’aurais pas été projeté sur lui. De toute cette foule, il avait fallu que ce soit Hell. Je savais bien qu’il écumait également les circuits. Je l’avais aperçu plus d’une fois et j’avais toujours fait en sorte de ne pas croiser sa route. Une chance qu’aucune course ne nous ait réunis depuis que j’avais repris les compétitions. Si le destin était joueur, il avait malgré tout quelques limites. Comme celle de ne pas nous laisser nous entretuer dans les airs, seulement sur terre. Du moins, jusqu’à ce que je décide de pousser à bout Elwyn en prenant place sur sa moto. Pour tout motard qui se respecte, il n’y a pas pire que de voir quelqu’un prendre ses aises avec sa bécane sans même lui avoir demandé l’autorisation. Je le savais, cela m’aurait également mise en rage s’il s’était amusé à faire la même chose. Je me retrouvais dans cette envolée de l’enfer, ne sachant pas réellement ce qui me perturbait le plus : cette perte de contrôle totale m’enlisant au coeur de  mes vieilles réminiscences ou sa présence qui m’assaille de toute part m’enlaçant vers d’autres souvenirs ? Combien de fois avions-nous partagé une échappée dans le ciel profitant de cette proximité qui était loin de nous déranger ? Cela me ramenait à cette époque si insouciante. Avant l’accident, avant les responsabilités qui m’étaient tombées dessus avec la Cosa Nostra. Avant ces tortures, ces morts, ces blessures. Et puis bien sûr, avant ces mensonges. Une période si proche et si lointaine à la fois. Mais Hell n’était finalement qu’une façade, une image. Je n’étais même pas certaine de l’avoir réellement connu. Quand je le voyais aujourd’hui, je me demandais quel visage était vraiment le sien.

Si c’était celui qui souriait devant moi, satisfait d’avoir réussi à me troubler avec cette chute interminable, je ne regrettais en aucun cas de ne plus avoir à faire à lui. Si je cherchais à avoir des réponses quant à ses agissements, je me prenais un revers et il se contentait de me dire que j’allais bien retrouver mon chemin toute seule. Je levais les yeux au ciel, exténuée par cette rivalité qui nous étreignait. Pourtant… je ne pouvais me décider à me taire et à baisser la tête. Il avait toujours cet effet sur moi et c’était irritant de voir que, malgré les années, cela fonctionnait encore. Il me poussait à bout. Il est même possible, si cela n’avait pas été lui sur cette maudite bécane, que j’aurais pu céder à une crise d’angoisse. Le souci ? C’est que cette folie, je l’éveillais également chez lui. Alors quand je lui rappelais l’épée Damoclès suspendue au-dessus de sa tête, il sembla perdre totalement pied. Il fit demi-tour, me rejetant brutalement contre un arbre. Je tentais de le repousser en vain. J’avais beau avoir des techniques de boxe avancées, je n’avais pas la force nécessaire pour lui faire face. Une de ses mains me retenait contre l’écorce tandis que l’autre s’apposait près de mon visage.

Toute sa carcasse s’imposait à nouveau. Un léger sourire étira mes lippes alors que je constatais à quel point il perdait le contrôle suite à ses mots. J’allais lui répondre quand je sentis ses iris glisser sur les traits de mon visage, sur mes lèvres. Mon myocarde se serra brutalement dans ma poitrine et je relevais mon propre regard tandis que je me surprenais à faire comme lui. Cela n’avait pas de sens. Je rejetais au loin cette idée folle qui avait traversé mon esprit. L’émotion, la colère, la peur. Toutes ces émotions m’avaient persécutée et perturbée. « Si cela devait arriver, sache que je ne déléguerais pas cette tâche. » répliquais-je alors que je me redressais en cherchant ses prunelles azurées. J’avais bien été obligée de passer à tabac mon ancien fiancé. S’occuper d’un ex entre deux courses, finalement, ce n’était pas ce qui devait être le plus compliqué… En plus en cet instant, vu toute la colère qu’il parvenait à éveiller en moi, j’étais on ne peut plus sincère…


Tandis qu’il reculait, se dirigeant vers sa moto, l’ambre de mes yeux resta dans ses iris durant de longues secondes. Je restais appuyée contre l’arbre tout en le fixant. Je réalisais que tout mon corps était tendu et je tentais de me relâcher. Ma respiration jusqu’à présent désordonnée retrouva un rythme plus calme à mesure qu’il s’éloignait. Je gardais un instant le silence suite à ses paroles. « Tiens-toi prêt alors… » Le problème c’est que son père était bien utile à la Cosa Nostra et si nous ne respections pas notre part du marché, rien n’empêcherait l’ambassadeur d’arrêter de bosser pour nous. Ca, j’en avais conscience. Je ne pouvais pas réellement faire ce que je voulais même si cela m’avait bien démangé de lui coller mon poing au creux de son ventre. Je lui adressais un clin d’oeil provocateur avant de transplaner. Je me retrouvais au garage pour rentrer chez moi. Cette rencontre m’avait totalement troublée. J’avais prévu de faire ma course, de boire, de fumer, d’avaler quelques substances illicites… et ça jusqu’au petit matin, jusqu’à épuisement. Au lieu de cela… je me retrouvais dans mon appartement, seule, à fulminer contre Hell… Je lâchais un soupir, plein de dépit avant d’aller tranquilliser mes nerfs sous la douche. Peut-être qu’une bonne nuit de sommeil parviendrait à me calmer…