13 avril. Ton premier jour de stage. Tandis que tu suis d’un œil les aiguilles de ton réveil en attendant qu’il soit une heure décente pour te lever, tu te demandes à quoi d’attendre. À l’impatience se mêle une pointe d’inquiétude. Pourvu que tout se passe bien ! Et que ce soit un vrai stage, pas juste deux semaines où on t’occupera avec de la paperasserie. Il y en aura forcément, mais tu as aussi envie de voir les activités des Aurors de plus près. Développer tes compétences devient de plus en plus nécessaire avec la guerre qui arrive, sans parler de Towsen. Certes, tu fais des recherches en plus des cours, tu n’aimes rien tant qu’apprendre de nouveaux sortilèges et les mettre en pratique, mais c’est loin d’être la même chose que d’avoir un aperçu de la réalité concrète du terrain. Et ça ne peut pas te faire de mal de connaître quelques Aurors, en plus des membres de l’Ordre du Phénix, toujours dans l’idée d’assurer un peu tes arrières en cas de problème.
Tes camarades dorment encore, mais tu n’en peux plus de te retourner dans ton lit. Tant pis, tu te lèves, attrapes tes vêtements. Tu n’as rien qui soit vraiment adapté au monde du travail, mais tu espères que les Aurors ne sont pas trop regardants sur le sujet. Pratique, qui te laisse facilement bouger et capable de durer, ce sont tes principaux critères. L’usure commence à se voir aux entournures, mais tant que ça tient, ça fera l’affaire. Tu t’habilles rapidement, jettes un coup d’œil au miroir de la salle de bains. Avec les jeux de lumière, tes cernes donnent presque l’impression que tu as les deux yeux au beurre noir. Avec un soupir, tu attrapes ta baguette. Un petit sortilège, et tu as de nouveau une tête normale.
Le silence règne encore quand tu quittes le dortoir. Il n’y a pas grand monde attablé dans la Grande Salle quand tu t’installes, tant mieux, c’est plus facile quand les gens ne te collent pas et que le bruit reste mesuré. Tu n’as pas faim, mais tu te forces à manger un peu plus que d’habitude. Sans savoir ce qui t’attend, mieux vaut être prudent. Ils ne t’enverront sans doute pas sur le terrain tout de suite. Quand tu cales, tu attrapes quelques gâteaux en quittant la table, ils tiendront compagnie à ta gourde.
Un détour par le dortoir pour récupérer ton sac. Tu hésites devant le couteau que tu as pris l’habitude de porter au bras quand tu quittes l’école. Ça te fait un peu l’effet d’entrer dans un commissariat avec une arme à feu sous l’épaule. A priori, tu ne cours aucun danger, mais tes réflexes sont trop ancrés pour que tu arrives à aller contre eux. Tu finis par glisser la lame et son fourreau dans le sac.
Enfin paré et comme l’heure du rendez-vous approche, tu rejoins les cheminées reliées au réseau de poudre de cheminette.

Tu reconnais aussitôt le décor de l’Atrium, où tu as déjà atterri deux mois plus tôt, pour ta première mission. Il y en a eu d’autres depuis, tu essaies de te rendre utile et on commence à remarquer tes capacités. Tu parcours le hall des yeux, esquives les sorciers pressés qui arpentent les lieux, recules vers le mur pour te donner un peu d’espace, le temps de te repérer. Un mouvement attire ton attention. Sean. Auror et membre de l’Ordre, mais tu n’oublies pas non plus qu’il avait l’air de bien connaître Ombrage. Il t’attend au même endroit qu’en février. Avec un sourire, tu braves rapidement la foule et le rejoins. Vous vous serrez la main tandis qu’il te salue.

— Bonjour ! Je suis content de vous revoir aussi et de faire ce stage ici. Tout va bien, merci.

Le mensonge est devenu naturel. Tu n’es pas sûr qu’on puisse qualifier ton petit déjeuner de bon ou de solide, mais tu réponds quand même par l’affirmative. L’Auror t’entraîne vers les ascenseurs tandis que tu étudies les environs, les cheminées par où tu es arrivé, les autres accès, le nombre d’ascenseurs. Par chance, celui que vous prenez n’est pas trop rempli, mais tu restes le regard fixé sur le panneau, à suivre la lente montée étage par étage, en essayant d’oublier les présences autour de toi qui te hérissent les nerfs.
Tu respires une fois dans le couloir, enregistres le chemin. Sean ne s’arrête pas devant le bureau des Aurors. Tu n’en vois qu’un bout, des bureaux, de grands portraits affichés aux murs… Un peu surpris tu le suis, en jetant des coups d’œil curieux à droite et à gauche. Il veut peut-être d’abord passer par l’équivalent sorcier des ressources humaines pour signaler ton arrivée. L’explication ne tarde pas à venir. Oh oh, plongée directe dans le monde des Aurors, on dirait. Tu ne vas pas t’en plaindre et ton impatience croît d’un cran, en même temps qu’une touche d’appréhension. Tu as toujours été sportif, mais d’un coup tu n’es pas sûr que ce soit suffisant. Bien sûr, tu t’en es sorti face aux sorciers, mais ils n’étaient pas entraînés… Et quel genre d’activités les Aurors pratiquent-ils ? Mentalement, tu croises les doigts pour qu’il n’y ait pas de corps-à-corps, parce que tu ne vois vraiment pas comment leur expliquer que tu refuses de pratiquer.

Le sourire de Sean tandis qu’il t’explique le programme a l’air d’annoncer une anguille sous roche ; pour le coup, tu ne sais pas à quoi t’attendre, mais tu comprends mieux la question sur le petit déjeuner. Bah, tu as connu pire.

— J’ai hâte de voir comment vous vous entraînez. J’espère que je serai à la hauteur.

Pour le coup, tu n'as pas envie de les décevoir. Un long couloir plus tard, vous arrivez devant la salle d’entraînement. Tu entres à la suite de l’Auror. Le temps de faire un pas pour dégager le chemin, puis tu te figes devant l’immense salle qui s’ouvre devant toi. Une douzaine de mètres de haut, des blocs en tous sens qui imitent des rues et tout le mobilier urbain, des cordes, des filets, de quoi rendre fou n’importe quel gymnaste. Ton regard saute d’un détail à un autre, découvre toujours un nouvel appareil. Le mur d’escalade, plus loin des boxes qui ressemblent à des stands de tir, ils te rappellent un peu le pas de tir installé chez ton père, mais… Non, évidemment, ce n’est pas pour les armes à feu, plutôt pour s’entraîner aux sortilèges. Des éclairs lumineux attirent ton regard, des sorciers sont en train de se confronter à des pantins mobiles.
Bouche bée, le cœur battant, tu détailles tout, t’attardes sur les sorciers en train de s’entraîner. Tu es un digne Serdaigle, mais tu as aussi toujours aimé le sport. Tu as surtout donné dans les arts martiaux, ta mère t’a appris à te déplacer sans te faire remarquer, à profiter du moindre recoin pour t’échapper ou te cacher, mais c’est très loin du véritable parkour. Il t’est aussi arrivé d’aller te percher sur les toits de Poudlard, pas le plus simple que tu aies fait, mais rien à voir non plus avec de l’escalade technique. Tu as envie de tout essayer.

Une voix te parvient, et il te faut quelques secondes pour réaliser que Sean est en train de te parler. Il t’invite à poser tes affaires. Tu balaies de nouveau les installations des yeux. L’excitation a remplacé l’appréhension. Tu as bien conscience que tout cela est plus que sérieux, que ce n’est pas un terrain de jeux, mais… tu es faible devant ce genre d’équipement. Sortant de ta réserve habituelle, tu réponds :

— Je n’ai jamais fait de déplacement urbain, mais j’aimerais essayer si je peux. Et le tir ? Je m’entraîne beaucoup aux sortilèges, mais c’est loin des conditions réelles. Et… pas mal de choses, en fait. Vous êtes vraiment bien équipés !

Sa précision sur l’Ordre souligne que même ici, vous n’avez pas forcément que des amis.

— Bien sûr, je ne dirai rien.

Tu ranges rapidement ton sac et ton manteau dans l’un des casiers. Tant que tu y es, tu enlèves aussi ton pull pour ne garder que ton t-shirt. Tu sens que tu vas vite regretter qu’il soit à manches longues, au pire tu les rouleras.
Tu suis Sean le long des murs en continuant d’observer l’étrange ballet des sorciers en train de s’entraîner, les transplanages qui font suite à un saut, la précision parfaite, leur concentration, la fluidité des gestes… Évidemment, il y a du sport dans ta filière à Poudlard, mais c’est très loin de ce niveau-là, et surtout, surtout, il n’y a pas un tel équipement.
Ton choix de filière est un choix un peu par défaut, orienté vers la pratique magique et surtout ce qui te serait le plus utile pour continuer à survivre. Tu n’as pas vraiment la vocation des Aurors, même si l’idée de faire ce métier ne te déplaît pas. De toute façon, ce n’est pas franchement une bonne idée de rejoindre les forces de l’ordre quand on vit sous une fausse identité depuis des années, avec une vie inventée de toutes pièces. Mais en les voyant se déplacer, tu les envies et tu aimerais être à leur niveau.
Tu t’arrêtes de justesse avant de rentrer dans Sean, qui vient de s’immobiliser sous des filets de corde. À côté, une jeune femme se balance sur des cerceaux. L’Auror ne tarde pas à faire les présentations, et tu lèves la main en salut vers Rose. C’est donc elle la binôme dont il te parlait. Tu te demandes encore ce qui t’attend, mais cette fois tu as hâte de te lancer. Sean sourit largement, et tu te surprends à faire de même, alors que c’est rare chez toi, tandis qu’il vous propose de commencer.

— D’accord !

Tu ne cherches pas vraiment à dissimuler l’intérêt voire la fascination que tu portes à la salle d’entraînement des Aurors, ni ton envie de tout essayer. Ça, ce sont des bouts de vérité que tu peux montrer. Sean sourit en t’observant, souligne que vous aurez l’occasion de passer pas mal d’heures là durant le stage. Ça te convient parfaitement, même si tu n’es pas au mieux de ta forme.

— Je compte bien en profiter ! Il y a vraiment de tout !

Les Serdaigle sont rarement des sportifs, mais tu aimes bien mélanger l’intellect à ce qui est plus physique, reste des entraînements de ton enfance, et c’est aussi une partie de ce qui t’attire dans ce métier. Sans parler bien sûr de la chasse aux mages noirs. Dès ton arrivée à Poudlard, tu t’es renseigné sur l’histoire des sorciers et ses passages plus sombres, notamment les mangemorts pour ces dernières décennies. Même si… au fond, tu sais bien que ce n’est qu’un rêve pour quelqu’un comme toi. D’un autre côté, ça aurait été aussi une occasion d’enterrer Nathan pour de bon, de le faire disparaître derrière l’intégrité et la respectabilité des Aurors. Qui les soupçonnerait d’abriter… bon, pas un ennemi, mais quelqu’un aux origines douteuses ? En luttant contre le Blood Circle et pour la paix, comme tu le fais déjà avec l’Ordre, qui te soupçonnerait d’en venir ? Même si ça te donne aussi l’apparence du parfait espion, infiltré jusqu’au cœur des rangs ennemis.
Towsen a achevé de briser tes illusions en faisant de toi un traître avant même d’avoir rejoint le service. Ses paroles tournent dans ta tête tandis que tu suis Sean au milieu des installations : fouiller dans les dossiers des Aurors, guetter des noms, suivre leurs affaires en cours… Tu te retrouves à servir une cause que tu détestes, mais tu n’as pas le choix. S’il jette ton identité en pâture aux mangemorts ou à qui que ce soit, tu es fichu. Et naturellement, il ne te laissera pas faire qu’un seul stage ni prétexter un changement de carrière pour t’en sortir.
En conséquence, tu es décidé à en profiter autant que tu pourras, à apprendre autant que possible. Et bien que cela te fasse plaisir de passer ces quinze jours avec Sean, dont tu apprécies l’allure ouverte et sympathique, tu regrettes un peu de savoir que tu le décevras au bout du compte. Sans parler du moment où tu retrouveras ta mère, si elle veut fuir de nouveau, vous faire disparaître à l’autre bout du monde… L’idée ne te plaît pas. Tu as envie de te battre, de participer à ce qui se passe. De ne plus être juste un fugitif. D’arrêter de fuir pour te poser. Quoi qu’il en soit, tu n’en es pas encore là, alors tu repousses tout cela au fond de toi. Comme toujours, seul l’instant présent compte. Le reste, tu géreras plus tard.

La binôme de Sean vous rejoint depuis les airs. Tu suis des yeux sa façon de bouger, la précision de ses mouvements, la puissance qu’il y a derrière. Elle semble redoutable, avec un côté plus dur, plus aiguisé peut-être, que son coéquipier. En tout cas, les deux ont l’air de bien s’entendre vu la façon dont ils se charrient et tu ne peux t’empêcher de sourire devant leurs plaisanteries. Le remplaçant n’est clairement pas à la hauteur de l’Auror. Sean t’adresse un regard de chien battu – ce qui n’a pas l’air d’annoncer quelque chose de positif pour toi. En même temps, tu es là pour travailler et ils ne te font pas non plus l’effet d’être des brutes – du moins, tu espères ne pas te tromper sur ce point-là. En tout cas, l’Auror blond ne compte pas participer physiquement à l’entraînement et se défausse dans un rire sur sa prise de notes. Okay, ça va être sportif. Tu vas faire du mieux que tu pourras, en espérant ne pas trop démériter. L’autre t’observe avant de te tendre la main en se présentant.

— Eirian Howl. Enchanté. Je suis heureux de travailler avec vous.

Sa poignée de main confirme tes impressions. Elle n’est pas à prendre à la légère – ce que tu savais déjà, au cas où la voir s’entraîner n’aurait pas suffi, devenir Auror n’est pas à la portée de tout le monde.

— Je suis loin d’avoir vos capacités, mais j’ai toujours fait du sport, alors j’espère que ça ira.

Qu’est-ce qui est le plus tentant pour commencer ? Tout, te répond une petite voix dans ta tête qui n’aide pas beaucoup. Sean rappelle ton intérêt pour le parkour. Ton regard glisse sur les différents modules, dans un mélange d’appréhension et d’excitation. Ce ne sont pas forcément la force ou la souplesse qui te manqueront, peut-être plutôt la capacité à enchaîner les mouvements, à comprendre tout de suite où se trouve la prochaine prise. Bien sûr, tu as l’habitude de prendre la mesure des lieux chaque fois que tu vas quelque part – les issues, les angles morts, les endroits où tu auras vue sur l’ensemble de la salle, là où tu verras le mieux les accès, calculer le bon emplacement en fonction de toutes ces informations. Et il y a les réflexes acquis aux arts martiaux, mais là tu seras sur un terrain entièrement nouveau. Tu verras bien comment cela se présente.

Rose a l’air d’approuver les paroles de son partenaire. Tous deux semblent décidés à voir comment tu te débrouilles par toi-même. Tu chasses une partie de ton appréhension, tu n’as vraiment pas envie de te vautrer devant eux. Tu repères rapidement le panneau qui indique le début du parcours visiteur, composé de blocs de bois et d’assemblages métalliques qui simulent des constructions urbaines. Tout en t’en rapprochant, tu commences à analyser ce que tu en vois, ce qu’on te demande, par où tu dois passer… et comment. Bien sûr, tu ne vois pas tout le parcours, mais tu commences à t’en faire une première idée. Sean vous suivra à pied, tu en déduis que Rose fera le parcours en même temps que toi.

— J'y vais, alors.

Tu prends quelques instants pour t’échauffer avant d’aborder le parcours, puis tu t’élances vers le premier bloc. Courir, sauter, agripper les premières barres métalliques, escalader ce qui s’apparente à une façade métallique, redescendre sur le bloc d’après, enchaîner… Tu te focalises sur l’obstacle suivant, concentré. L’habitude d’analyser ton environnement t’aide bien et tu te remercies de n’avoir jamais renoncé aux entraînements, même s’ils n’ont pas toujours la même intensité que dans ton enfance. Tes mouvements manquent peut-être un peu d’esthétique, mais tu te concentres surtout sur l’efficacité. Passé l’appréhension des premiers obstacles, tu commences à te détendre, à oublier que les Aurors surveillent tes mouvements et à vraiment apprécier le parcours. Tu gagnes en fluidité. C’est plutôt simple – normal, sans doute, pour un parcours visiteur, il n’y a pas les obstacles que tu as aperçus en traversant la salle. Tu hésites parfois sur la meilleure façon de faire, la meilleure prise – mais tu essaies aussi de te fier à ton instinct, de ne pas perdre trop de temps dans l’analyse. Au moins, tu ne te vautres pas, et c’est déjà ça, tandis que tu te hisses sur un dernier assemblage. Un dernier bloc, un dernier bond, et c’est terminé. Tu cherches les Aurors du regard, sans trop savoir ce que ça a pu donner objectivement, et quand ils te rejoignent tu leur adresses un coup d'oeil interrogateur.

Une fois les présentations faites, vous en venez rapidement à la question de l’entraînement et du sport. Rose ne te demande pas vraiment quels sports tu as l’habitude de pratiquer et tu ne détailles pas. Autant la course à pied est assez universelle – encore que tu n’as jamais vu grand monde aller courir dans le parc de Poudlard au matin –, autant tu n’es pas sûr que les deux Aurors soient au point sur le free fight et le krav maga, c’est déjà peu courant chez les Moldus et tu ne tiens pas vraiment à dévoiler tes compétences en la matière. Pour la première, tu t’en sors plutôt bien et tu as fini par acquérir une bonne vitesse de pointe. Pour le reste… si ta mère t’a appris à doser tes coups en fonction du résultat que tu veux – tu n’as jamais tué, mais tu l’as déjà vue faire –, il n’en reste pas moins que le but premier est de se débarrasser de son adversaire le plus vite possible et qu’il n’y a pas vraiment de limites aux prises – redoutablement efficace, mais pas forcément le plus honnête. Mais entre eux et toi, le choix est vite fait. Tu chasses tes pensées, te concentres sur Rose.

— Je suis prêt.

Sean lui parle de ton intérêt pour certaines activités et tu t’échauffes rapidement. Hors de question de te blesser dès le premier jour – de te blesser tout court, d’ailleurs. Tu veux profiter au maximum de tout ce que ce stage aura à t’offrir, des compétences que tu peux acquérir pendant ces quelques jours et toucher du doigt la vie que tu aurais pu avoir.
Tandis que tu te prépares, les deux Aurors continuent de plaisanter entre eux. Tu restes attentif à leur dynamique, à ce qu’ils montrent d’eux – partenaires et amis, dirais-tu à voir leur attitude. Cependant, Rose revient rapidement sur toi en t’expliquant ce qu’elle attend. Rien de très surprenant en soi. La défense magique, c’est encore là que tu t’en tireras le mieux ; tu as toujours eu une sensibilité particulière aux sortilèges et tu les travailles avec acharnement tant au club de duel que seul, pour pouvoir les enchaîner avec fluidité, esquiver… bref, te battre décemment. Tu ne montres rien lorsqu’elle mentionne la défense sans magie. Tu sais que tu étais plutôt bon il y a quelques années, ta mère ne te passait rien, et tu as bien conscience que tu as perdu depuis, sans parvenir à mesurer à quel point. Tes réflexes sont toujours là, exacerbés par ton hyper vigilance, mais… Dans les missions, face à des combattants peu expérimentés au corps-à-corps, trop habitués à se fier à leurs armes, tu peux t’en sortir sans trop de mal et, surtout, avant qu’ils ne viennent vraiment au contact. Mais face à un pro ou à quelqu’un un minimum entraîné, tu seras fichu dès qu’il posera la main sur toi. Tu ne sais pas ce qu’elle prévoit exactement, tu verras quand tu y seras. Inutile de t’angoisser pour ça maintenant… mais l’appréhension est là et ne te lâche pas. Tu n’as pas envie de les décevoir dès le premier jour.

— C’est compris.

Réflexion, réflexes, endurance. Autant les deux derniers, tu as une bonne base, autant le premier, tu n’as pas l’habitude de gérer ce type de parcours et tu ne sais pas vraiment comment l’aborder. Sean ne complète pas les explications de sa partenaire, tu évites de trop regarder en direction de son calepin. C’est stupide de stresser autant pour un examen, tu as l’habitude de te retrouver dans des environnements non familiers, de gérer les missions pour l’Ordre. Ça va bien se passer.

Une fois sur le parcours, l’appréhension cède un peu le pas, et tu te focalises seulement sur l’objectif, essayant d’oublier au maximum la présence des deux Aurors – même si tu ne parviens jamais à en faire totalement abstraction, tu sais qu’ils sont là pour toi.
À terre de l’autre côté, tu les attends, de nouveau anxieux. Bon sang, tu es limite plus stressé que pour des missions, c’est n’importe quoi ! Tu ne joues pas ta vie, pourtant ! Tu t’efforces de ne rien montrer avant qu’ils te rejoignent. Le commentaire de Rose te fait grimacer intérieurement. « Pas trop mauvais », une façon de dire que ce n’était pas terrible. Mais tu es là pour apprendre et progresser, et tu comptes bien le faire. Sean ajoute ses propres remarques. C’est vrai que tu ne connaissais pas le parcours, mais le jour où la vraie vie sera une reproduction exacte d’un entraînement est loin d’être arrivé. D’où, cependant, la nécessité de s’entraîner sur un maximum de configurations pour éviter d’être trop pris au dépourvu.

— Dans la réalité non plus, je ne le connaîtrai. J’ai du mal à… bien analyser le parcours, décider quelle sera la meilleure prise pour avancer au mieux.

Tu hoches la tête devant son conseil.

— Je m’en souviendrai.

Rose aborde les différentes compétences qu’un même parcours peut demander selon les circonstances – et fatalement, ça complique d’autant plus le choix des prises, qui dépend de ce qui est demandé. Capacité d’adaptation… ce que tu as travaillé en combat, magique ou non, beaucoup moins autrement, même si tu prêtes toujours une grande attention à ton environnement, crainte du Blood Circle et vie dans la rue oblige. L’Auror se rapproche pour te faire face, tu retiens de justesse un mouvement de recul. Et brusquement tu comprends le problème, cette angoisse qui ne te lâche pas, cette vigilance qui, même ici où tu es globalement en sécurité, te force à rester attentif à tout, les efforts que tu déploies pour rester neutre – et sans doute trop à leurs yeux. Le problème, ce n’est pas l’examen en lui-même, ni sa difficulté, c’est leur double concentration portée sur toi, le fait de savoir qu’ils étudient et analysent tes moindres faits et gestes, ce qui te pousse à adopter d’instinct une attitude défensive, prêt à… te préserver au premier geste menaçant. Le fait que tu es au centre de leur attention, que tu te sens en danger, disséqué par leurs regards, alors qu’évidemment, ce n’est jamais le cas en mission où tu n’es qu’un élément parmi d’autres.
Mettre le doigt dessus est déjà un soulagement en soi. Tu te raccroches aux paroles de Rose. Le même parcours, mais de la vitesse cette fois. D’accord. Elle te suivra de nouveau avec un handicap ; à toi de décider si tu corses la situation. Qu’est-ce qu’elle attend ? Que tu prennes des risques ou que tu t’en tiennes à ce qui est demandé ? Le second est plus raisonnable. Le premier montre plus d’initiative… et une assurance, voire un orgueil que tu es très loin d’éprouver. Tu n’as pas la prétention de penser que tu peux gagner contre elle. Déjà, régler ce problème-là si tu ne veux pas que l’entraînement tourne à la catastrophe. Tu refuses que tes ennuis te gâchent ça aussi.
Sean sort un double chronomètre et rajoute un peu d’enjeu. Le choix du déjeuner ? Voilà une question importante ! Tu forces un sourire, te glisses dans le rôle attendu, celui d’un stagiaire à peu près normal, pas à moitié paralysé par le regard de ses tuteurs.

— Ça marche ! Est-ce qu’au moins le restaurant du Ministère vaut les cuisines de Poudlard ?

Tu reviens au point de départ, profites du court répit pour te vider la tête, te forcer à te focaliser sur une seule chose : le parcours. La salle n’existe pas, les Aurors sont là, mais ils disparaîtront dès que tu auras posé le pied sur le premier bloc. Tu revois tes entraînements avec ta mère, elle et toi, tous les deux, seuls au monde, la concentration qu’elle te demandait. Puis, le parcours que tu as déjà fait une fois, que tu appréhendes un peu mieux. C’est la seule source de danger, le reste ne compte pas, n’importe pas.
Lorsque tu arrives au début du parcours, tu es bien plus calme que quelques instants auparavant, la peur verrouillée au fond de toi, ta vigilance orientée en partie sur l’exercice, en partie sur Rose – ton adversaire, le danger à affronter, et pas le regard qu’elle portera sur toi en même temps. La course et rien d’autre, et ça, tu sais faire.

D’un coup d’œil, tu t’assures que Sean est là, que Rose est en position.

— Je suis prêt. C’est quand vous voulez.

Au signal, tu t’élances, bondis sur le premier bloc, prends de l’élan pour atteindre le suivant en forçant sur tes jambes, le regard déjà tourné vers la prochaine prise. Tu en dédaignes une, trop proche, qui te fera perdre du temps plus qu’autre chose, tentes un raccourci un poil acrobatique. Tu glisses à l’atterrissage, te rattrapes d’une torsion brutale du corps, qui t’évite de justesse de finir à terre, reprends ta course. Courir, une impulsion, bondir, laisser ton corps réfléchir pour toi. Plus souple que tout à l’heure, plus léger aussi, débarrassé d’une partie de ton angoisse, celle qui reste orientée sur ton seul objectif, porteuse au lieu de t’écraser, tu as de nouveau presque l’impression de jouer ta vie – et tu traverses le parcours comme si c’était le cas. Une barre, un rétablissement, tu cours déjà sur le bloc, sautes jusqu'au suivant, escalades une paroi, enchaînes. Un bloc bouge brusquement sous toi, mais tu ne te laisses pas démonter. Une échelle cette fois, un obstacle que tu contournes, un dernier bond et c’est déjà fini, tu retrouves la terre ferme, le souffle court. Il te faut quelques instants pour reprendre conscience du reste du monde que tu as complètement occulté.

Tu as bien l’intention de ne pas perdre la moindre miette de ce stage, ce sera peut-être ta seule chance de toucher du doigt la vie dont tu rêves et tu ne comptes pas la laisser passer. Tes motivations ne sont pas non plus tout à fait les mêmes que celles de n’importe quel autre stagiaire. La plupart de tes condisciples n’envisagent pas encore tous les aspects pratiques de ce métier, mais pour toi, c’est déjà une question de survie. Tous les conseils, toutes les expériences engrangés pendant ces quelques jours trouveront certainement leur utilité d’ici quelques mois, lorsque tu te retrouveras de nouveau seul dans les rues de Londres face au Blood Circle. La moindre information glanée ici pourra te sauver la vie un jour prochain, alors tu comptes bien donner toute ton attention aux deux Aurors et apprendre au maximum, acquérir de nouveaux réflexes et de nouvelles techniques.

Ils débriefent ta première course ; tu soulignes ton manque d’analyse. C’est quelque chose que tu n’as jamais vraiment pratiqué jusqu’à maintenant et tu ne sais pas juger des meilleures prises, celles qui te feront gagner du temps – celles qui serviront ton objectif, quel qu’il soit. Logique alors que tu n’aies pas les automatismes, tu es un débutant – et tu dois en tenir compte aussi, avant de juger tes prestations. Évidemment que tu ne risques pas d’être à la hauteur cette fois ni toutes les suivantes. Heureusement pour les Aurors, d’ailleurs.
Tu hoches la tête devant les commentaires de Sean. Tu as bien conscience du temps que ça prend pour que tous ces gestes deviennent des réflexes, pour choisir en un éclair. Des mois, des années. Ta mère te l’a souvent répété dans ton enfance, jusqu’à ce que tu sentes la différence, jusqu’à ce que tes mouvements deviennent naturels, les enchaînements, fluides, sans heurt ni temps morts, jusqu’à ce que tu saches où porter parfaitement tes coups, avec la force souhaitée. Et impossible d’aller plus vite que la musique, si tu ne donnes pas à ton corps le temps de s’imprégner des techniques, ça ne servira à rien. C’est juste… frustrant d’avoir tant de possibilité sous les yeux et de partir de si loin.

— Oui, il faut le temps de créer des automatismes, de mieux comprendre comment telle ou telle prise peut me servir… Et rien ne vaut la répétition encore et encore. J’espère bien profiter de cette salle tant que je serai là !

Il est clair que des erreurs, tu en feras encore. Et évidemment tu n’oublies pas que l’entraînement n’est qu’une partie du travail, mais tu profiteras sans doute des entraînements de tes tuteurs. Tu t’efforces de maîtriser ta tension, de ne pas trop la manifester devant les Aurors, mais elle ne doit sans doute pas échapper à leur œil exercé. Avec un peu de chance, ils la mettront sur le stress du premier jour.
La deuxième course gagne un nouvel enjeu avec le choix du déjeuner. Moins magique… oui, il ne doit pas y avoir l’incroyable variété de Poudlard. Et sans doute pas autant d’elfes de maison pour gérer la cantine. Ce n’est pas plus mal. Tu n’as pas particulièrement hâte de tester, mais tu joues le jeu.

Te mettre en condition pour la course te demande un effort particulier, mais tu parviens à évacuer une partie de ton stress, à te focaliser sur l’épreuve et à mettre en partie de côté le regard des Aurors. La course et rien d’autre, dans laquelle tu t’attaches à suivre les directives de Rose dès que Sean donne le signal. La vitesse, rien de plus, pas d’exploits – que tu n’es de toute façon pas en capacité de réaliser. Tu essaies d’analyser un peu plus ton environnement, de voir quelles installations pourraient t’aider, de porter ton regard plus loin pour mieux anticiper, mais tu n’échappes que de justesse à la chute.
L’arrivée ne tarde plus à se profiler, et tu rejoins le sol dans un dernier saut. Le temps de renouer avec la réalité, de quitter cette concentration extrême qui te protège, tu tournes la tête, surpris de ne pas voir Rose t’attendre. Lorsque tu pivotes, le souffle court, elle apparaît juste à côté de toi, en transplanant. Qu’est-ce que… Pourquoi n’a-t-elle pas terminé le parcours ? Intérieurement, tu espères qu’elle n’a pas fait exprès de te laisser gagner pour ne pas te déstabiliser dès ton premier jour. Mais son regard est appréciateur et les félicitations suivent, te retirant un poids des épaules. Le côté pratique avant l’ego, tu l’apprends depuis ton enfance. À quel point tes réactions et tes réflexes diffèrent-ils de quelqu’un qui a mené une existence plus normale ? À quel point est-ce que tu risques de te trahir ? Bien sûr, le côté sportif de ta formation gomme certaines différences, mais la plupart de tes condisciples n’ont jamais mis le pied sur le terrain. Tu peux en partie justifier cela pour Sean avec l’habitude des missions de l’Ordre, mais sinon… Il faudra que tu fasses attention, mais sans repère, difficile de modifier ta façon de faire.

— Merci beaucoup ! Je ne pensais pas finir premier…

Tu ne termines pas ta phrase, à mi-chemin entre constat et interrogation. Rose te lance une serviette, bienvenue après l’effort fourni. Tu reprends lentement ton souffle tandis qu’elle  souligne que tu as suivi les conseils donnés. Tu te sens maladroit face aux compliments, tu ne sais pas comment les recevoir. Tu réponds en souriant :

— J’ai conscience d’avoir énormément de choses à apprendre et le temps va passer vite, alors autant m’y mettre tout de suite.

Sean vous rejoint à cet instant en annonçant ton temps et en te complimentant également. Il te tend une gourde que tu attrapes – mais tu vois venir trop tard la claque familière qui vise ton dos. Retenant de justesse une exclamation, tu te décales brusquement, laisses échapper la gourde qui tombe au sol. Tu te baisses aussitôt pour la ramasser, profitant de ces quelques secondes pour calmer les battements erratiques de ton cœur et retrouver ton souffle qui semble s’être bloqué quelque part en cours de route. Du calme, du calme, du calme. La sensation s’attarde dans ton dos, comme si sa main te touchait encore, tu joues des épaules pour la dissiper. Au milieu de l’entraînement, alors que ton hypervigilance te force d’autant plus à prêter attention à ce qui t’entoure et que tu es déjà en alerte, tu tolères encore moins ce genre de contact soudain – encore heureux que tu gardes assez de contrôle pour ne pas réagir encore plus brusquement, mais tu appréhendes d’autant plus la troisième partie de l’entraînement. Déjà, te concentrer sur l’instant présent. Une chose à la fois. Tu adresses un sourire d’excuses à Sean :

— Pardon, je suis maladroit. D’accord pour la perception des distances, je les ai souvent mal évaluées. Je choisirai avec soin à midi, je sens que ça n’arrivera pas tous les jours !

Pour achever de retrouver une contenance, tu débouches la gourde. Ce n’est sans doute que de l’eau… et ça te fera du bien après les efforts fournis. Tu bois quelques gorgées, savoures l’eau fraîche. Rose s’était un peu éloignée, elle vous propose de passer à la suite. Tu la trouves un peu tendue, sans savoir à quoi attribuer cela. Mais ça ne te concerne sans doute pas. Et la curiosité pour la suite revient. Combat magique… tu te demandes à quoi t’attendre. C’est sans doute ta partie favorite, là où tu t’en sors le mieux, entre tes entraînements au club de duel à Poudlard, mais aussi ceux que tu fais de ton côté, dans les salles de classe vides. Ça ne vaut pas leurs installations, mais tu assouvis ton amour des sortilèges.

— Je n’en doute pas ! Les matières qui impliquent des sortilèges sont mes préférées.

Les aimer ne veut pas dire que tu es doué. Objectivement, tu ne t’en sors pas trop mal – d’accord, tu majores en sortilèges avancés, mais ça ne veut rien dire face à des conditions réelles ou aussi proches de la réalité que possible. Sean ironise et ça te fait sourire.

— Oh, avec votre expérience, je pense que vous êtes plus endurants que moi !

Il t’entraîne vers l’espace réservé aux sortilèges, tu as déjà ta baguette en main. Tu détailles les trois sections. La première te rappelle le pas de tir installé au sous-sol, chez ton père, le long couloir avec les cibles fixes au bout. Dans ta mémoire résonne l’écho des détonations, tu le revois debout, arme à la main, casque de protection sur les oreilles. Son aisance. Le centre emporté sur toutes les cibles, toujours. Tu chasses les images. Globalement, c’est aussi ce que tu fais à Poudlard, même si ce n’est pas aussi cadré, avec des cibles au mur.
La deuxième ressemble à certains exercices du club de duel, avec ses cibles mouvantes. Mais c’est vraiment la troisième qui retient ton attention. Ennemis et innocents se mélangent, à l’image de cette mission, deux mois plus tôt, menée en compagnie de Sean et d’Ombrage. Pas forcément la plus courante, les affrontements avec le Blood Circle se déroulant rarement au milieu de la foule. Mais ce sera forcément amené à se reproduire. Et c’est cette section-là qui représentera un véritable entraînement pour toi, bien plus que les deux autres. Le défi t’attire, l’excitation revient. Une petite voix te souffle de faire attention, de ne pas trop en dévoiler. Mais vu comment tout cela risque de se terminer, il faut bien que tu compenses un peu, qu’ils ne pensent pas dès le départ que tu es un cas désespéré.

— Poudlard devrait vraiment s’inspirer de ce que vous avez, pour la Protection magique ! J’aimerais bien essayer la troisième section, s’il vous plaît.

Tout est prévu avec plusieurs niveaux qui permettent de moduler la difficulté, nombre des adversaires, des innocents, délai de réaction des cibles ennemies… Ils ne te mettent pas d’emblée sur le niveau le plus difficile, ce que tu comprends, tu ne sais pas exactement où tu te situes – et tu ne prétends pas être meilleur qu’eux non plus sur ce terrain-là, juste… mieux préparé que la plupart des gens.
De nouveau, tu essaies d’oublier leur jugement, verrouilles tout au fond de toi. Ne pas toucher les pantins innocents, viser les cibles et rien d’autre, esquiver leurs attaques. Comme lorsque tu courais pour échapper aux balles du Blood Circle, comme lorsque tu t’es retrouvé face à ces sorciers malades à Trafalgar, aux attaques totalement aléatoires. Et le côté « rassurant », si tu peux dire, c’est qu’ils ne sont pas humains. Pas de contact à redouter – pas comme en situation réelle du moins. Ne pas oublier non plus que ce n’est pas un vrai danger, que tu ne joues pas ta vie. C’est un exercice. Pourtant, tu es pratiquement dans le même état que lorsque tu te retrouves sur le terrain, avec cette tension électrique, tes nerfs aiguisés prêts à parer le moindre danger.

Concentré, ta vigilance mêlée à une pointe d’excitation, tu te glisses derrière les protections qui empêchent les spectateurs d’être atteints par un sortilège perdu. La simulation ne tarde pas à commencer et tout en avançant sur le parcours, tu te retrouves pris dans le ballet des cibles et des pantins. Droite, gauche, en haut… derrière. Le frisson familier court dans ton dos, le sixième sens qui te signale un danger. Tu te laisses prendre dans tes réflexes. Rapidité, précision… C’est comme une danse, potentiellement mortelle – une danse que tu connais. Une à une, tu atteins les cibles, évites les pantins – esquives les sortilèges qui surgissent lorsque tu prends le temps de faire le point, un roulé-boulé, et tu es debout – tu manques d’attaquer une des silhouettes innocentes, dévies ton sortilège à la dernière seconde, et il va se perdre ailleurs sans rien atteindre. Tu n’atteins pas certaines cibles du premier coup et une de leurs ripostes passe un peu trop près à ton goût. Tu t’efforces de progresser rapidement, sans rien oublier.

Tu es presque surpris lorsque tu atteins le bout du parcours et que tu prends conscience que tu as terminé. Tu as… complètement décroché de la réalité, pris dans ta progression, focalisé sur tes adversaires. Le souffle court, tu te mords les lèvres. Ça n’aurait pas dû arriver, tu devais faire attention… Tu ne sais pas vraiment ce que ça donne vu de l’extérieur. À pas lents, tu reviens vers Sean et Rose, dans l’expectative.

Tu t’en veux de ton manque de vigilance face au geste de Sean, mais de toute façon… l’éviter sciemment aurait été tout aussi étrange et aurait certainement suscité des questions de la part des deux Aurors, habitués à flairer les moindres anomalies. Un peu de surprise et de maladresse suffisent à expliquer ta réaction et lui donnent une allure plus naturelle – quoique surprenante après la démonstration que tu viens de faire. Il va falloir que tu prennes garde à ce que ça ne se renouvelle pas, veiller à rendre d’autant plus naturelles tes esquives. Heureusement, aucun d’eux ne semble s’attarder pour le moment sur ta réaction et tu profites de quelques gorgées d’eau bien méritées, déjà attentif à la suite. Sean t’encourage d’ailleurs à boire. Tu as l’habitude, notamment avec tes entraînements de course à pied dans le parc de Poudlard que tu effectues maintenant avec Kayla – et ce changement dans ta routine n’est pas pour te déplaire. Certes, tu as toujours aimé courir, au-delà des nécessités de la survie, mais en solitaire l’exercice avait quelque chose de monotone, d’autant que tu connais maintenant les moindres recoins du parc du château. Ton amie y apporte un souffle nouveau.
D’après l’Auror, d’ici quelques jours, ton appréciation des distances s’améliorera. Tu ne peux que le croire : en grand débutant que tu es, la courbe de progression ne peut qu’être rapide au début tant tu as à apprendre. Ce qui signifie aussi qu’il y aura d’autres entraînements de ce genre. Ce sera sans doute utile pour les prochains mois. Bien que l’année scolaire ne soit pas encore terminée, tu as déjà le regard rivé vers l’été. Deux mois. Huit semaines. Le temps à tenir avant de retrouver la sécurité de Poudlard – en espérant survivre jusque-là dans les rues de Londres. Peut-être que tu ne feras jamais ta troisième année. Peut-être que tu ne deviendras jamais Auror. Même si tu feras tout pour t’en sortir. Alors, d’ici là, tu es prêt à profiter de toutes les opportunités de vivre la vie que tu imagines, de la rendre aussi tangible que possible – ce n’est pas un jeu, bien sûr, tu ne prends pas ce choix de carrière à la légère, tu suivras toutes les étapes sérieusement, avec le souhait de voir le bout du chemin.
Chassant ces pensées plutôt pessimistes, tu acquiesces aux paroles de Sean. Rose propose de passer à la suite du programme. Tu suis avec amusement l’échange entre les deux Aurors – ça te donne déjà une image du duo qu’ils forment, complices et redoutables au combat. Est-ce qu’ils se connaissaient avant de travailler ensemble ou est-ce que c’est simplement le hasard des affectations qui les a rassemblés ? En tout cas, tu espères pouvoir construire la même chose lorsque ton tour sera venu… même si la difficulté risque surtout de venir de toi. Avec les missions de l’Ordre, tu arrives plus ou moins à faire confiance aux autres, parce que vous protégez mutuellement vos arrières. Mais cela reste relatif et tu ne baisses jamais ta vigilance. Tu te secoues intérieurement : tu es loin d’y être. Rien ne dit que tu réussiras les examens pour rejoindre les Aurors.
Sean souligne que les flatter ne rapportera rien – loin de toi l’idée de le faire. Tu trouves ça plutôt lâche, en fait, d’essayer de s’attirer les bonnes grâces des autres. Sean et Rose n’ont pas besoin de toi pour savoir ce qu’ils valent. Tu rétorques, toujours de façon détendue :

— Ce n’était pas de la flatterie, juste un constat.

La prochaine zone d’entraînement te réjouit. C’est le terrain parfait pour s’entraîner à viser ou esquiver les sortilèges et c’est sans guère d’hésitation que tu optes pour la troisième option, la plus difficile – mais aussi celle qui te permettra de montrer réellement tes capacités. Tout en restant prudent. Difficile d’évaluer les réactions d’un étudiant type de deuxième année – et au fond de toi tu as quand même envie de faire bonne impression, de montrer que tu n’es pas là par hasard, qu’ils te jugent sur tes vraies capacités. Face à ton choix, tu ne manques pas la réaction de Rose. De la surprise, peut-être un brin de contrariété. Elle n’approuve pas ta décision, peut-être estime-t-elle que tu surestimes tes capacités, que c’est une sorte de démonstration d’ego mal placée. Tu espères ne pas lui donner raison. Mais tu t’es plutôt bien sorti de tes premières missions avec l’Ordre, comme tu t’es tiré des rencontres avec les hommes de ton père au fil des années. Et tu veux apprendre – tu reviendras en arrière si finalement c’est trop difficile, mais tu veux profiter de la moindre heure dans cette salle d’entraînement.

Quand tu soulignes que Poudlard devrait posséder le même genre d’infrastructures, Sean sourit. Oh, les stages garderaient quand même de l’intérêt, Poudlard n’aurait sans doute pas le même niveau d’installation, ni la même qualité, sans parler de l’expérience des Aurors et des aspects du métier que l’université montre moins.

— Oh, je pense qu’aucun cours ne vaut le terrain ou quelque chose qui s’en rapproche autant que possible. Ce n’est pas la même tension, le même niveau de mise en situation. On aurait toujours énormément à apprendre en stage… et ce n’est pas de la flatterie, tu ajoutes avec un sourire qui dissimule ta tension, en allusion à la discussion d’il y a quelques minutes.

Conscient qu’ils ne te lâcheront pas du regard, qu’ils vont décortiquer et analyser tes moindres gestes, tu t’efforces de retrouver la concentration que tu connais, l’hyperfocalisation que tu peux montrer en situation de danger – ces réflexes développés depuis bientôt treize ans, qui te poussent à toujours rester conscient de ton environnement, à l’affût de la moindre anomalie, et te rendent capable de réagir vite. Traverser le terrain, esquiver les tirs ennemis, atteindre les cibles, préserver les innocents. Le reste n’existe pas – n’existe plus. Tu ne te rends pas vraiment compte de ce que ça peut donner pour des regards extérieurs.

Une fois sur le parcours, tu laisses parler tes réflexes et ton instinct, entraînés depuis des années. Tu analyses rapidement les mouvements des uns et des autres, esquives les sortilèges qui te visent, ripostes, traces ton chemin avec précision et efficacité. Depuis longtemps, tu sais tenir à l’écart les souvenirs des nuits de cavale, des détonations qui claquent, des balles qui te frôlent – ça fait partie de toi, mais ils ne sont pas envahissants comme d’autres. Et même si tu hais le fait de n’être qu’un fuyard, tu aimes le terrain. En fin de compte, tu ne renies pas vraiment tes origines, ta mère t’a donné une éducation quasi militaire et ton père voulait faire de toi un soldat – tu le seras simplement dans le camp d’en face – et au service du bien et de la justice, non pour éradiquer une partie de la population.
Tu arrives presque trop vite à la fin du parcours – et si tu t’en es objectivement bien tiré, tu n’aurais sans doute pas dû faire aussi bien dès le premier essai. Tu as oublié ton environnement au point de négliger d’être prudent, alors que les regards des deux Aurors ne te quittent pas. Il va certainement falloir désamorcer un peu la situation, et tu profites des quelques mètres qui te séparent d’eux pour retrouver une contenance. Tu reprends ton souffle posément, chasses les boucles qui tombent sur ton front. C’était intense – et même si tu as un peu honte de l’avouer, tu as adoré ça. Ce n’est pas un jeu, mais… c’est tout ce dont tu rêves, le futur que tu veux vivre, les entraînements dans cette salle avant de partir enquêter sur le terrain. Même si tu as conscience aussi que le métier n’est pas que cela – et que trop d’enthousiasme en mission peut mener directement au désastre. Ce n’est pas vraiment de l’enthousiasme d’ailleurs – tu as du mal à démêler le nœud intriqué de tes sentiments. Tu n’es pas un jeune chien fou. Mais d’une certaine façon tu as l’impression d’être à ta place, d’être fait pour ça. C’est ce qui correspond au mieux à ce que tu es, entre réflexion et action, à tes envies de justice aussi. Orgueil ou lucidité, tu ne sais pas vraiment, et il y a de toute façon tant de choses qui peuvent se dresser sur ton chemin d’ici là…

Sean s’avance et te complimente. Tu rougis un peu. « Fait ça toute ta vie »… S’il savait à quel point c’est proche de la réalité ! Puis il te demande ce que tu en as pensé, si tu t’es amusé. Et tu ne sais pas vraiment si tu peux l’avouer à voix haute. Tu ne veux pas passer pour une tête brûlée ou un inconscient.
Tu souris.

— Merci ! Oh non, c’est simplement que je m’entraîne pas mal à Poudlard, mais je ne savais pas ce que ça valait, par rapport à la réalité ou ce qui s’en rapproche. On n’a pas vraiment de moyen de comparaison avant d’arriver ici.

Tu hésites.

— Je sais que ce n’est pas un jeu, mais c’est un exercice qui m’a beaucoup plu, par tout ce qu’il permet de travailler. J’ai eu l’impression de bien m’en sortir, notamment en esquive, mais j’ai failli faire une grosse erreur. Je me suis senti à l’aise, plus que tout à l’heure en tout cas, parce que je maîtrise mieux les sortilèges. On est davantage formés à cela à l’école.

Tu restes sur une réserve plutôt scolaire, au risque de paraître un peu trop distant en regard de l’attitude chaleureuse de l’Auror. Tu n’es de toute façon pas là pour te jeter des fleurs, et même si tu t’efforces de faire bonne impression, tu ne veux pas jouer les m’as-tu-vu.