Pas de grasse matinée pour la Française le week-end, mais comme ce qui la tirait du lit c’était ce qui lui permettait d’être indépendante et d’envisager un avenir à son goût, Adèle ne râlait pas. La jeune femme fila sous la douche avant d’enfiler des vêtements simples et confortables. Pas besoin d’être tirée à quatre épingles pour travailler au garage, même si son travail à elle était d’accueillir les clients et de les orienter. Un dernier regard au miroir, avant d’attraper un ouvrage qu’elle avait emprunté et qu’elle étudierait pendant sa pause. Elle fila vers la grande salle prendre son petit déjeuner rapidement. Les quelques autres matinaux installés ça et là avaient leurs propres projets et elle ne perdit pas de temps en se lançant dans une grande conversation qui la mettrait en retard. Elle jeta un œil aux gros titres de la gazette du jour qu’elle pouvait apercevoir entre les mains d’un camarade de maison un peu plus loin. Pas de nouvelles attaques, pas de nouveaux scandales, pas de nouveaux décrets, juste quelques banalités et faits divers… Adèle souffla, elle n’avait pas envie de voir son univers voler en éclats aujourd’hui parce que des extrémistes avaient jugé bon de mettre à feu et à sang une partie de son monde. Son thé englouti, elle se dirigea vers les cheminées de l’école pour se rendre au chemin de Traverse, prête à attaquer cette nouvelle journée.

Les allées de la rue commerçante n’étaient pas encore très fréquentées à cette heure. Les boutiques relevaient leur rideaux métalliques et les vitrines commençaient à s’animer. Adèle resserra son écharpe autour de son cou. Même à l’approche du printemps, elle restait frileuse et surtout elle ne voulait pas attraper un bête rhume qui mettrait à mal pendant deux trois jours ses capacités d’apprentissage. Elle arriva au garage et entama une discussion avec l’un des mécaniciens avant de prendre son poste. Étonnamment, elle avait réussi à trouver ses marques assez vite dans cet univers un peu particulier. Anjelica bien sûr, mais aussi tout le monde ici avait été sympa avec elle, l’aidant à se sentir à sa place et elle avait vite montré son utilité pour les tâches qu’on lui avait confiées. Oui certains types avaient parfois le regard baladeur ou lui lâchaient quelques allusions, mais à l’image de sa grande sœur de coeur, elle avait appris à répliquer sans en faire toute une histoire. Bien sûr, tout n’était pas parfait. Anjelica l’avait prévenue, elle risquait de voir et d’entendre des choses étranges puisque le garage était aussi une couverture pour la Cosa Nostra, la mafia de sa famille. Peu importe, ce qu’elle voyait Adèle le gardait pour elle. Elle se fichait des affaires louches du garage, ici elle se sentait bien. Après avoir échangé quelques banalités, l’étudiante prit son poste et se mit à classer des factures de la veille. Elle tomba sur un bon de commande de pièces qui n’avait visiblement pas encore été envoyé et remarqua alors qu’il y avait quelqu’un dans la boutique. Celle-ci vint directement vers elle et la Française l’observa surprise. Oui parce qu’elle était quand même bien matinale. Avant même qu’elle ne se présente, Adèle se dit qu’elle l’avait déjà vue quelque part. Ha mais bien sûr, elle n’avait pas pu la louper. Sur scène ou dans la gazette du sorcier son visage apparaissait maintenant aux côtés d’autres pour apparemment sortir les sorciers du bourbier dans lequel ils s’étaient fichus avec le Blood Circle. Que venait-elle faire ici ? Elle avait peut-être envie de se mettre à la moto ? Après tout, de plus en plus de femmes cassaient les codes, et Adèle avaient l’impression qu’elles prenaient de plus en plus de place sur les circuits. Adèle lui adressa un grand sourire avant de lui répondre :

- Bonjour ! Bien sûr, je suis là pour ça ! Vous êtes intéressée par un modèle en particulier ? Je peux vous en présenter quelques-uns dans les grandes lignes, mais si vous voulez des explications plus techniques, je peux aller chercher quelqu’un.

Elle faisait très bien son travail, mais pour tout le côté mécanique, tous les détails techniques, elle préférait se taire et demander à Anje, Jaeden ou un autre mécano d’intervenir. La Française ne s’était jamais penchée sur le sujet. Sa mécanique à elle, c’était celle du corps humain et ça lui suffisait.
Elle observa la membre du conseil intriguée. Si elle avait bien suivi, elle faisait partie de l’Ordre du Phénix comme sa cousine Elise. Longtemps Adèle avait voulu rester à l’écart des conflits jusqu’à cette fameuse attaque de l’université où elle avait compris qu’elle n’avait pas le choix. On ne pouvait pas échapper à ce conflit, à cette guerre que le Blood Circle leur avait déclarée. Pourtant, elle n’avait jamais trouvé le courage ou l’envie de rejoindre les rangs d’une faction pour tenter de faire bouger les choses. Elle était persuadée qu’elle ne serait pas vraiment d’une grande utilité et puis sa vie avait été sens dessus dessous. Comment aurait-elle pu avoir envie de se battre alors qu’elle cherchait déjà à remettre du sens à sa vie ?

Après tout que pouvait-on faire dans un garage ? A part acheter une moto, un véhicule ou de l’équipement ? A part demander l’entretien ou la réparation de son véhicule ? Rien n’est-ce pas… Ce n’était pas un salon de thé. Bon d’accord au Thestral Motor, certains venaient pour affaire, le genre d’affaires qu’il ne fallait pas mettre sous le nez d’un Auror ou de la brigade magique. Et ce business là, Adèle préférait ne pas s’en mêler. Elle orientait cependant ces clients vers le bureau d’Anjelica et il lui arrivait de saisir des bribes d’échanges, mais elle n’avait rien à gagner en dévoilant toute la face cachée du garage. Bien au contraire, elle s’attirerait des ennuis en plus de perdre son travail. Elle perdrait son amie et ce qu’elle avait construit ici. Ça lui tenait à coeur. De toute évidence, Miss Rosier n’était pas venue pour ce genre d’affaires. C’était donc tout naturellement que la Française avait supposé qu’elle venait faire des emplettes, voire même envisager l’achat d’une moto. En tant qu’hôtesse d’accueil du garage, elle s’était empressée de lui répondre, lui proposant son aide à propos des modèles vendus ou lui suggérant de faire intervenir une personne plus qualifiée au besoin. Adèle se figea en l’entendant décliner son aide. En tant qu’avocate ? Pourquoi une avocate avait besoin de lui poser des questions ? La Française connaissait mal la profession et ce qu’elle ne maîtrisait pas la rendait méfiante. Une avocate, ça défendait les accusés au tribunal magique non ? Elle n’avait pas vraiment entendu parler qu’un membre du garage se soit mis dernièrement dans le pétrin au point d’avoir besoin d’un avocat et puis Anjelica l’aurait prévenue à l’avance… Elle inspira calmement. Une affaire oui, mais laquelle ? Ça n’avait peut-être rien à voir avec la Cosa Nostra. Un étudiant qu’elle côtoyait ? Elle ne se souvenait pas d’un camarade en difficulté. Un patient de Sainte-Mangouste ? Si tel était le cas, elle se cacherait derrière le secret médical.

- Je vous écoute, répondit-elle avec prudence.

Autant savoir de quoi il en retournait avant d’accepter. Adèle n’était pas du genre à foncer aveuglément, encore moins quand il s’agissait de protéger sa grande sœur de coeur et ses intérêts. Il s’agissait bien d’un client. Oui, mais lequel ? Un simple client du garage ou un de la Cosa Nostra ? La jeune femme hésita, si elle refusait de témoigner est-ce que ça n’attirerait pas plus la curiosité sur le garage et ses affaires ? Elle aurait aimé demander conseil à Anje ou même à Jaeden, mais ils ne semblaient pas présents ce matin. Les affaires ne se géraient pas forcément toutes au garage. Elle lui proposa d’attendre la fin de son service et Adèle y vit une opportunité de gagner du temps.

- Je prends ma pause à midi, ce sera sans doute plus simple effectivement. Vous êtes certaine de vouloir attendre jusque là ?

Après tout, c’était son problème. Et peut-être dans un sens que l’idée d’attendre un petit moment allait la décourager ? Adèle aurait ainsi le temps d’en parler à l’Italienne et de voir ce qu’elle devait faire. Elle savait qu’une autre avocate défendait leurs intérêts, peut-être pourrait-elle la briefer un peu ? Pourtant la membre du conseil ne sembla pas prête à rebrousser chemin et Adèle reprit ses tâches en réfléchissant à la manière la plus logique de faire. Elle s’empara de la commande à envoyer et sortit l’attacher à la patte d’un hibou du garage. Pensive, elle retraversa l’atelier et hésita à demander à cet employé avec lequel elle s’entendait assez bien, mais il semblait que la bécane sur laquelle il travaillait, lui donnait du fil à retordre. Elle renonça, retourna dans la partie boutique et fixa le petit bureau en vain. Anjelica ne se pointerait peut-être pas avant l’après-midi. Un œil à l’horloge du magasin et elle commença à réfléchir à ses options. Refuser, mais ça rendrait les choses suspicieuses. Mentir ? Aïe, elle n’était pas douée à ce jeu-là. Elle aurait toujours l’impression que mentir ne pouvait que se retourner contre elle. Par contre dissimuler des informations, ça elle savait y faire. Rares étaient les personnes connaissant son statut de fille illégitime. Encore plus rares celles qui savaient qu’elle avait été reniée et rayée de sa famille. Plus de privilège, plus d’argent, même chose, il fallait avoir l’œil pour s’en rendre compte. Et enfin ne parlons même pas de son sang qui était tout sauf pur, comme elle le laissait croire. Oui dissimuler des informations, ça c’était son truc, elle pouvait y arriver. A l’heure de sa pause, elle fut bien obligée de constater que l’avocate l’attendait de pied ferme. Elle récupéra son sac et sortit de la boutique.

- Vous avez votre déjeuner ou vous voulez vous arrêter quelque part pour prendre un truc à grignoter ? J’ai un sandwich et il y a un coin sympa un peu plus loin.

Elle préférait ne pas être vue à communiquer avec l’avocate au garage, s’il s’avérait que ça touchait la Cosa Nostra d’un peu trop près.

- Vous avez trouvé de quoi vous occuper en m’attendant ? J’imagine que dans votre métier, on ne s’ennuie pas ? Et puis avec le conseil vous devez doublement être occupée ?

Volontairement, elle n’aborda pas le sujet qui l’avait amenée et la noya de questions sans rapport avec.  

Qui était prêt à perdre une matinée à attendre quelqu’un pour lui poser des questions ? Visiblement Miss Rosier. Si Adèle avait pensé pendant un instant que ça la découragerait, elle s’était fourré le doigt dans l’oeil. Elle était visiblement tombée sur quelqu’un de très déterminé puisque celle-ci ne fit à aucun moment demi-tour. La jeune femme avait donc dû réfléchir à ce qu’elle allait pouvoir faire ou dire à l’avocate, surtout que personne ne semblait présent pour lui sauver la mise. Elle n’était pas douée pour mentir et d’ailleurs détestait particulièrement qu’on lui raconte des cracks, alors non pas de mensonges idiots. Cacher la vérité, non, non ce n’était pas la même chose. Il s’agissait juste d’éviter les sujets, d’éviter de déballer les choses tant que la question n’avait pas été posée clairement. Alors oui, Adèle avait peut-être trop confiance en ses capacités pour espérer duper la sorcière. Elle était avocate, c’était son job de faire avouer, de repérer les gens qui la menaient en bateau, mais la Française tentait sa chance. Après tout elle pouvait jouer sur le simple fait de gagner du temps.

Lorsque midi sonna, elle se résigna à rejoindre la jeune femme et lui proposa de s’acheter un en-cas pour le déjeuner. Elle pour sa part, avait déjà ce qu’il fallait. Un simple sandwich qu’elle avait demandé aux elfes de maison de Poudlard avant de partir comme elle le faisait chaque week-end pour éviter de dépenser ses économies en repas sur le chemin de Traverse. Ha ça, elle suivait les conseils de Thalia à la lettre. Toute économie était bonne à prendre ! Evidemment l’avocate n’avait rien sur elle. Certainement qu’elle n’avait pas prévu de poireauter jusqu’à l’heure du déjeuner. Adèle l’entraîna donc dans les allées vers les commerçants susceptibles de vendre de quoi sustenter Miss Rosier. Elle ne laissa ni le silence s’installer, ni une occasion à l’avocate de démarrer son interrogatoire, l’interrogeant sur ce qu’elle avait fait en l’attendant ou lui parlant subtilement laisse moi croire que c’est subtil :D de sa place au conseil. Elle écouta cependant les réponses avec attention, pour pouvoir rebondir au mieux. L’affaire qui l’avait amenée ici ? La blonde se demandait bien de quoi il en retournait, mais il ne serait pas malin de sa part de la relancer sur ce sujet qu’elle cherchait justement à éviter. Quant à sa place au conseil ? Oh c’était clairement une utopiste, une idéaliste. La Française avait toujours pensé que ces gens-là dépensaient bien trop d’énergie pour trop peu de résultats. Oh bien sûr, elle aussi, elle voulait que le monde soit meilleur, bien sûr qu’elle ne souhaitait pas le malheur des gens. Bon ok si, de ceux qui lui avaient cherché des embrouilles… Mais elle était plus terre à terre, c’était comme ça.

- C’est un beau projet, se contenta-t-elle de répondre dans un premier temps. Mais dites-moi je suis curieuse, le conseil, l’alliance, est-ce vraiment aussi rose que l’aperçu auquel nous avons tous eu droit à la soirée du nouvel an ?

Ha ça la jeune femme ne pouvait pas croire que cette alliance soit parfaite. Elle était dubitative sur la réussite de ce conseil. Des Mangemorts et des membres de l’Ordre du Phénix qui travaillaient main dans la main ? Ok d’accord l’union faisait la force, mais cette force là était à son avis bancal.

- Comment faites-vous ? Je veux dire des Mangemorts quoi, ajouta-t-elle en baissant la voix pour que les passants ne puissent entendre ses opinions. Vous pensez vraiment que ça peut marcher ? Que travailler avec eux va nous aider à lutter contre les moldus ?

Comment elle faisait pour travailler avec des gens qui ne juraient que sur la pureté du sang et méprisaient le reste de la population sorcière sous prétexte qu’elle n’adhérait pas à leur doctrine ? Comment elle faisait pour s’affirmer face à des gens qui allaient prôner la violence et la suprématie sorcière ? Parce que la Française se sentait tout sauf puissante face au Blood Circle. Avec sa meilleure amie Hestia, elle avait souvent discuté de ce conseil. Elles se disaient souvent que dès que la menace moldue ne serait plus là, ils recommenceraient à se taper les uns sur les autres.

- Je pense que là vous allez trouver votre bonheur, dit-elle en désignant une boutique devant elle qui vendait de nombreux petits repas et pâtisseries à emporter.

Elle attendit que la sorcière fasse son choix pour la guider ensuite vers un petit square sympa.