[HRP] Le RP va potentiellement contenir des spoilers sur la trilogie Dragon [HRP]

Depuis le nouvel an, et surtout la découverte que Robin avait un lien de parenté avec Georges Kane, le premier ministre britannique, Raphaël avait décidé de beaucoup traîné moins au 12 Square Grimmaurd ; pour le mois de janvier en tout cas. Ça n’avait pas pour autant empêché le moldu de faire la rencontre de ce nouveau membre. Eirian Howl s’était assez rapidement intéressé aux activités du jeune homme. Disons que lui, au moins, comprenait pourquoi le français cherchait à recueillir des témoignages des maltraitances que les Blood Circle infligeait aux sorciers, il cherchait à sensibiliser les moldus de Londres. Même si tout n’était pas tout blanc ou tout noir, il évitait tout de même de parler de ce que certains sorciers infligeaient aux non-mages ; le Blood Circle s’en chargeait suffisamment bien comme ça.

Le sorcier avait des origines moldues, c’était probablement pour ça qu’il ne regardait pas Raphaël comme un Alien et qu’il comprenait ce que le moldu lui racontait quand il parlait de vidéos et de chaîne YouTube. Les deux garçons n’étaient pas à proprement parler devenus des amis, mais Raphaël avait toujours un moment à lui consacrer, pour discuter de tout et de rien. Eirian parlait couramment le français et c’était vraiment agréable de ne pas être tout le temps obligé de parler anglais lorsqu'ils étaient ensemble. Ils se sont surtout rapprochés en février, lorsque Raph est redevenu plus présent au QG de l’Ordre donc ils ont eu plus eu l'occasion d'échanger. Il fallait dire qu’après le quasi-fiasco de l’attaque contre le Blood Circle et les nouveaux décrets anti-sorcier qu’avait pondu le gouvernement Kane, c'était le branle-bas de combat à Square Grimmaurd. Certains parlaient d’organiser une nouvelle attaque contre le Blood Circle, de ne pas leur laisser de répit ; d’autres étaient d’avis de se préparer davantage pour frapper plus fort encore. Les avis divergeaient, mais cette bataille avait laissé un goût amer dans le coeur et l’esprit des membres de l’Ordre du Phénix et dans la communauté Sorcière en général. Les choses bougeaient, la guerre prenait une nouvelle tournure. Et même si Raphaël prônait la paix, il était faible. Trop faible.

Le mois de février se déroula dans cette ambiance sombre, les morts, les blessés, les traumatismes. Même Raphaël pouvait sentir que c’était la merde et que les choses allaient empirer. Il commençait à vivre lui aussi dans la peur. Il n’était plus simplement un moldu qui avait choisi le camp des sorciers ; désormais il était devenu un traître aux yeux de la loi britannique. En plus de ça, il commençait à craindre d’être pris pour cible par un groupe de mangemort à cause de ses activités sur YouTube, du moins c'est sa rencontre avec cette moldue un peu étrange qui le fait douter. Il ne se sentait plus en sécurité, si bien qu'au cours du mois de février il avait eu énormément d'occupations. Enquêtes, entraînements, projets personnels. Lorsque Raphaël et Eirian parlèrent de faire un truc ensemble, une activité banale pour se changer les idées, ça avait tout de suite séduit Raph, mais pour ce mois ci, c'était mort.

«On pourrait se voir un film au ciné ? Il doit y avoir des nouvelles sorties en mars.»

Ça faisait une éternité que Raph n’était pas allé au cinéma. La dernière fois c’était en allant voir Requiem For A Dream par curiosité lors d’une des projections de film d’auteur, en octobre dernier. Il y avait fait la rencontre hasardeuse de Thomas, le frère aîné de Leah. Le cinéma semblait être un bon plan, ça permettait à Eirian de remettre un pied en monde moldu et de lui changer sa routine de sorcier et pour Raphaël… Bah c’était du cinéma quoi !

Ils se donnèrent rendez vous le samedi 7 mars dans l’après midi devant le Odeon Leicester Square. Raph n’aimait pas trop regarder un film au cinéma dans l’après midi. On passait 2 heures dans le noir, en pleine journée et quand on sort la nuit commence à tomber, c’est super perturbant. Mais le moldu avait accepté de faire des concessions, Eirian n’était pas disponible à d’autres horaires, ou il préférait l’après-midi, et étant donné que le français avait lui même été beaucoup trop occupé le mois précédent, il ne chercha pas à négocier. Les deux garçons se retrouvèrent, Raph lui fit un léger signe de main pour le saluer.

«Coucou ! Aloooors, tu veux regarder quoi ? Tu veux choisir on part du principe qu’on s’en tape et qu’on prend la première séance qui vient ? »

La prochaine séance était un film d’animation. Ça bottait bien Raph ça ! Au moins, il n’essaiera pas d’analyser tous les angles de caméras utilisés. Enfin si, probablement que si. Mais il sera beaucoup moins tenté que pour un film avec des vrais acteurs.

«Dis-moi, le film avec les dragons ça te branche ?»

Sept heures trente, un samedi matin. Définitivement pas une heure pour se lever, mais tu es déjà réveillé depuis trois heures, merci à celui qui s’est levé au milieu de la nuit pour aller à la salle de bains. Non qu’il ait fait du bruit : les autres n’ont pas bougé. Mais tu t’es retrouvé éveillé et en état d’alerte dès qu’il a été debout. Impossible de te rendormir ensuite, trop conscient des respirations des autres et surtout de leur présence. Tu aurais pu descendre, tournicoter dans la salle commune, mais tu as malgré tout préféré rester sous la chaleur des couvertures avec l’espoir vain que le sommeil finisse par revenir. C’est définitivement trop tard.
Tu t’habilles en silence, pèses le pour et le contre d’aller petit-déjeuner. Tu ne devrais pas faire la fine bouche, mais tu n’as définitivement pas assez faim. Tes manuels sous le bras, tu gagnes la bibliothèque absolument déserte à une heure si matinale et te poses dans un coin.
Ta plume tourne entre tes doigts sans que tu la voies vraiment. Au-delà de l’insomnie, c’est la fatigue des dernières semaines qui domine et la tension. Les deux premiers mois de l’année ont filé à la vitesse de l’éclair. Tu ne sais plus trop où tu en es ; entre les cours, le boulot, les missions, Tobias, l’attaque ratée contre le BC et les dissensions au sein de l’Ordre, tout s’est accéléré au point de te donner le vertige. Si tu avais su dans quoi tu mettais les pieds en t’engageant dans l’Ordre du Phénix… C’était un choix dicté par la survie, pour ne pas attendre sans rien faire que le Blood Circle te fasse la peau, maintenant que tu es réapparu sur leurs radars. Mais ça a aussi été un bouleversement presque aussi gros que ceux que tu as déjà vécus. Et comme d’habitude, le pire se mêle au bien – tu n’oses penser le « meilleur », les circonstances ne s’y prêtent pas vraiment. Ton regard s’évade vers la fenêtre et la grisaille humide de l’Écosse. Le pire d’abord : Nathan recommence à te coller à la peau – tu ne reprendras sans doute jamais cette identité, tu as vécu plus longtemps sous le nom d’Eirian que sous ton prénom de naissance, « Nathan » est un étranger, une illusion. À cause de Tobias Towsen, qui t’a forcé à avouer la vérité sous Veritaserum. Un frisson te traverse au souvenir, ton ventre se tord. Il a littéralement ta vie entre ses mains. Il garde ces informations pour lui, mais ça reste une bombe à retardement. Tu t’empresses de chasser le souvenir, de le verrouiller. Paniquer encore ne te servira à rien. Il y a Robin, aussi, ton cousin ne t’a pas rejeté, et ça te libère un poids des épaules.
Et il y a la rencontre avec Raphaël aussi, comme un bol d’air frais au milieu du reste. Avec les dernières années, le monde moldu est devenu peu à peu une menace permanente, alors que celui des sorciers reste un refuge, grâce à la sécurité que t’ont offert Poudlard et l’université. Parler avec Raphaël te permet de voir l’univers non sorcier sous un autre angle que celui de la survie, sans les nécessités vitales habituelles : trouver où dormir, dans un squat ou une chambre miteuse, de quoi manger et plus d’une fois par jour si possible, de l’argent pour tenir jusqu’à la prochaine rentrée. Même en travaillant au fil de l’année, volant des heures où tu peux puisque l’installation de l’université à Poudlard te complique les choses, ta vie reste plus que précaire. En plus de dérouiller ton français, Raphaël t’aide à te changer les idées, à penser à des choses normales pour une fois. Sans parler de son projet de recueillir des témoignages de maltraitance du Blood Circle à l’encontre des sorciers – pour le coup, « Nathan » aurait de quoi dévoiler pas mal de choses, preuves et cicatrices à l’appui. Mais… non. Non.
Cependant, c’est lorsqu’il a évoqué l’idée d’aller voir un film au cinéma que tu as vraiment réalisé à quel point tu étais… en dehors de la vie réelle. Parce que ton premier réflexe a été de mesurer la balance bénéfices/risques. Parce que tu t’es retrouvé catapulter plus de trois ans en arrière, la dernière fois que tu y es allé avec ta mère, juste avant tes seize ans. Parce que ça fait presque autant que tu n’as pas pris le temps de t’offrir quelque chose, de te divertir, de faire quelque chose d’aussi banal que d’aller voir un film – et le constat a été douloureux. Qu’est-ce qu’ils ont fait de toi ? Tu devrais les haïr et pourtant tu n’y arrives pas – parce que tu aurais dû être exactement comme eux.
Tu as hésité mais pour une fois tu peux bien te payer quelque chose, tes finances le supporteront, tu as envie de t’amuser – après tout, c’est ce que tu veux maintenant. Arrêter de fuir en permanence devant le Blood Circle, de vivre dans la crainte parce que ce n’est pas une véritable existence.
Alors, tu as accepté.
Et au lieu de rêvasser, tu ferais bien de bouger : l’heure a tourné et tu dois quand même manger un morceau. Raphaël a déjà accepté que ce soit l’après-midi plutôt qu’en soirée pour t’arranger, ce serait un comble que tu arrives en retard. Un détour par Serdaigle pour poser tes affaires de cours, récupérer ton sac à dos, puis direction la Grande Salle où tu manges en vitesse avant de rejoindre le réseau de poudre de cheminette.
Pour une fois, le soleil brille sur Londres et ça te change agréablement du temps écossais. Tu retrouves Raphaël devant l’immense façade de l’Odeon Leicester Square et ses baies vitrées – l’issue principale. Les salles doivent déboucher sur le côté. Tu salues Raphaël de la main.

— Salut ! Je n’ai pas eu le temps de regarder ce qui est sorti, la première séance ça me va, tant que ça n’a pas l’air barbant…

Hors de question de te retrouver devant un film d’auteur, tu n’as aucune envie de passer deux heures à philosopher sur le sens de la vie. Tu jettes un coup d’œil sur les écrans. How to train your dragon 3. Tu avais vu le premier à l’époque, avant Poudlard, et tu avais beaucoup aimé, ça changeait des héros habituels – et une part de toi se retrouvait pas mal en Harold, timide, pas à sa place dans son village et qui nouait un lien avec le monde magique. Maintenant, ça t’intéresse toujours les films qui mettent en scène la magie, de voir à quel point ils sont loin du monde des sorciers. Surtout les dragons comme Krokmou – les réalisateurs n’ont jamais vu de Magyar à pointes – tant mieux, d’un certain côté. Raphaël te propose le film.

— Oui, nickel ! J’ai vu le premier, il était très sympa.

Il n’y a pas grand monde aux caisses – ce qui est l’intérêt principal des séances en journée, toujours celles que vous preniez avec ta mère, moins de risque de croiser du monde potentiellement connu, plus de chance d’avoir des places libres autour. Dans la salle, immense, la majorité des sièges sont libres. Tu étudies les lieux encore éclairés – les issues de secours en bas et à mi-hauteur, l’entrée également à mi-hauteur. En vous plaçant en haut, vous serez moins repérables au premier regard, vous aurez vue sur toute la salle, ainsi que sur les spectateurs arrivés pile à l’heure, un accès simple aux sorties intermédiaires, et, surtout, personne dans votre dos.

— En haut, ça te va ? On sera plus tranquilles.

Vous vous installez, la salle ne tarde pas à plonger dans l’obscurité. Les bandes-annonces défilent mais aucune ne te dit rien, puis le film commence. Grosse évolution : Harold a été propulsé à la tête du village, mais les dragons continuent d’être traqués et pourchassés par ceux qui ont peur d’eux… Une situation qui résonne étrangement avec l’actualité, avec les sorciers en dragons et le Blood Circle côté Vikings. Tu jettes un coup d'oeil vers Raphaël, curieux de voir si ça l'interpelle aussi.

Pas barbant… La notion de “pas barbant” était très subjective. C’était un peu les goûts et les couleurs de chacun.

«Bah après, je sais pas trop ce que t’aimes, perso tout me va.»

La première séance disponible c’était la rediffusion du dernier film de la trilogie “How to Train your Dragon”. Simplement “Dragons” en France, quand Raph avait vu le premier au cinéma bien des années en arrière, ça devait bien faire un dizaine d’années. Un film d’animation, c’était souvent pour les gosses, c’est marrant, y’a de l’action. Ça ne devait pas être trop “barbant”. Et puis le moldu avait ses propres raisons de choisir un film d’animations. Il proposa donc à Eirian de regarder le film “avec les dragons”. Le sorcier semblait plutôt enthousiaste à l’idée de le voir et avoue même qu’il avait vu le premier.

«Ah oui, j’ai tendance à oublier que… » tu connais le monde moldu. Ils étaient dans un lieu public, ils devaient faire attention à ce qu’ils disaient. Il se reprit en français «Ahem… Que tu aurais pu avoir eu l’occasion d’aller au ciné… Enfin tu vois.» «Bref, sinon moi aussi je n’ai vu que le premier.» Il n’avait pas trop eu l’occasion de voir le deuxième, avec les cours, les jeux à l'époque. Peu de temps pour passer au ciné. «Bah de toutes façons, c’est sûrement pas une trilogie à proprement parler, il ne doit pas y avoir trop de continuité d’un film à l’autre.»

Les deux garçons achetèrent leur billet rapidement, sans trop d'attente car il y avait peu de monde en caisse. Visiblement, Raphaël n’était pas le seul à préférer aller au cinéma le soir plutôt que la journée.

«Oh attends je vais prendre un truc»

Raphaël s’attarda au stand de confiserie pour prendre du popcorn.

«J’espère que le sucré ça te dérange pas, j’en ai pris assez pour deux.»

Il aimait bien prendre quelque chose à grignoter le temps des bandes annonces et des publicités. En général c’était plutôt chiant comme moment, les bandes annonces spoilaient le déroulement d’un film, les publicitées faisaient chier. Par contre, pendant le film, pas question de faire du bruit en grignotant et de déranger les autres spectateurs. Eirian proposa de se mettre en haut pour être tranquille.

«C’est parfait, si on peut se mettre côté mur je préfère.» J’aime bien être contre le mur…

Raphaël se retint de poursuivre sa phrase, il allait pour passer pour quelqu’un d’un peu bizarre. Mais les angles et les murs lui apportaient un sentiment de confort, de sécurité. Il aimait pouvoir voir les gens arriver et ne pas être surpris. Il n'avait pas de raisons d'être prudent, c'est juste pour éviter de se faire surprendre. C'était peut-être pathologique ?

Ils s’installèrent et rapidement l’éclairage se mit à diminuer pour laisser place à la lumière de l’écran, des bandes-annonces et des publicités. Première publicité, spot du gouvernement britannique qui diabolise les sorciers et la magie. “Témoin d’un phénomène magique ? Agissez. Tous Responsables”. Dire qu’à la base ils venaient se changer les idées de toutes ces conneries. Raphaël regarda Eirian, étourdit. On peut dire que ça avait cassé l’ambiance. Le message laissait les autres spectateurs indifférents, comme si c’était du spam, une perte de temps, un vulgaire spot comme il y en avait contre l'alcool ou le tabac. Au yeux de Raph, c’était bien plus que ça. Il regardait l’écran sans même voir la suite des bandes-annonces, perdu dans ses réflexions. C’était le début de la fin. C’était la porte ouverte au liberticide total des sorciers. Est-ce qu’on voyait, en 2020, des spots du gouvernement pour dire qu’il fallait dénoncer une femme qui se promenait seule dans la rue ? Ou un noir en train d’acheter son journal ? Ou encore deux personnes du même sexe s’embrasser dans la rue ? Bien sûr que non, personne ne tolérerait ce genre de comportement, ça ferait polémique immédiatement. Pourquoi ce serait différent avec les sorciers ? Pourquoi personne ne se révolte contre ça ? Pourquoi il n’y a pas de hashtag sur Twitter pour remonter ce genre de comportement ? Pourquoi la population ne s’opposait pas au Blood Circle ? Pourquoi ? Pourquoi ?! POURQUOI ?!

«Pourquoi… »

Il avait prononcé cette phrase en français en un murmure, sans même le vouloir. Le spot était passé depuis déjà plusieurs minutes, Eirian ne devait probablement pas comprendre pourquoi Raphaël semblait si choqué pendant l’annonce du Live-Action de Mulan prévu pour la fin du mois. Il y avait certainement plein de questions à se poser sur la bande-annonce et le film en lui même, mais Raph ne saurait pas en trouver, vu qu’il ne regardait pas.

Les lumières s'éteignirent totalement et le film commença. Raphaël avait oublié ce qu’ils étaient censé allés voir à la base. Il avait même oublié de toucher à son popcorn. Le moldu eut un petit rictus en se disant que le spot était diffusé pour un film destiné à un public très jeune. Ça va le Blood Circle, tranquille la manipulation des gosses ? Il eut un second rictus quand il pensait au thème du film. Les Dragons et les Vikings qui vivent en paix. L’amour la tolérance. Tout ça. Par contre…

«À quel moment le gamin il est devenu le chef du village ?»

Il s’était penché vers Eirian pour lui chuchoter sa question, tout en continuant de fixer l’écran. Visiblement, c’était peut-être une vraie trilogie avec des évènements qui se suivaient.

«En tout cas, le film contraste totalement avec les annonces de juste avant… »

Il chuchotait en français, pour éviter de se faire comprendre par des spectateurs qui pouvaient intercepter leur conversation, même si à priori personne n’était à portée. Il se tourna vers Eirian er constata qu'il le regardait déjà.

«Non ?»

Parler de film potentiellement barbant devant un étudiant en cinéma n’est sûrement pas la meilleure idée du siècle. Dans l’absolu, tu n’es pas difficile tant qu’on évite les films psychologisants ou trop philosophiques. Encore que, même eux pourraient être bien, mais pas dans un contexte « je veux me changer les idées ». Tu te prends déjà bien assez la tête tous les jours. Un dessin animé avec de l’action, de l’humour et une belle histoire comme Dragons te va parfaitement. Raphaël réagit lorsque tu mentionnes que tu as déjà vu le premier, s’interrompt au milieu de sa phrase pour terminer en français. Il te faut quelques secondes pour te faire au changement de langue, tu te répètes rapidement les mots pour être sûr d’avoir bien compris.

Un sourire un peu désabusé te vient. Oui, tu es déjà allé au cinéma. C’est toujours intéressant, cette tendance qu’ont les moldus à te classer d’emblée parmi les sorciers, tandis que les sorciers te renvoient immédiatement à ton côté moldu, chacun mettant l’accent sur ce qui te différencie de lui. Au final, tu as toujours l’impression d’être coincé entre les deux, ni entièrement l’un, ni totalement l’autre. De n’appartenir à aucun des deux mondes tout en ayant un pied dans chaque. Tu serais bien incapable de vivre une vie sans magie même si tu en as longtemps rêvé – elle te manquerait trop. Quant à te fondre dans l’univers sorcier… même après autant d’années, il te manque encore des automatismes, tous ces petits détails que les enfants sorciers connaissent dès la naissance ou presque, mais qui t’échappent parfois. Comme quelqu’un qui apprend une langue étrangère : même en maîtrisant l’accent et les complexités grammaticales, il y aura toujours cette pointe subtile qui distingue le natif du bilingue. Tu passes au français pour répondre.

— Eh si, j’ai déjà eu l’occasion d’y aller… même si ça commence à remonter, je n’ai pas vraiment pris le temps ces dernières années.

Tu ne sais même pas quand le deuxième Dragons est sorti. Ce qui n’est sans doute pas grave comme le souligne Raphaël, les suites de dessin animé nécessitent rarement une connaissance pointue du précédent. Tu as à peu près les personnages en tête, ça suffira bien.

— Sûrement. Et, au pire, on devrait réussir à suivre, l’histoire n’était pas si complexe.

Au moment de rejoindre la salle, Raphaël marque une pause au rayon sucreries. Tu secoues la tête : non, le sucré ne te dérange pas, mais tu ne comptes pas vraiment en prendre de toute façon. Tu as déjà bien assez mangé et tu n’es pas sûr qu’autre chose passe. Sans compter que tu es toujours un peu mal à l’aise de profiter de quelque chose que tu n’as pas payé ou que tu ne pourras pas vraiment rendre.

Côté mur ? Tu lui laisses bien volontiers. Rien que l’idée de te retrouver collé au mur, sans échappatoire, avec quelqu’un à côté suffit à te donner des sueurs froides. Tu pourrais sans doute profiter de ce genre d’occasions pour essayer de te maîtriser, de sortir de ta zone de confort… mais tu finis toujours par renoncer. Un jour, tu y viendras. Un jour.

— Pas de souci, je préfère côté sièges.

La salle ne se remplit guère, personne ne s’installe à proximité immédiate et tu commences à te relâcher lorsque le premier spot défile. Une mise en garde contre les sorciers et la magie. Merveilleux. Et cela en dit beaucoup sur l’ampleur prise par le mouvement anti-sorcier pour que de tels spots soient diffusés sans protestations. Mais maintenant que ton oncle est Premier ministre, il a les coudées franches pour mener à bien sa politique anti-sorciers. Tu balaies rapidement la salle du regard – il n’y a guère de réactions, mais à force de diffusions, ce genre de message finit par s’insinuer dans les esprits et par y semer sa petite graine de doute. Surtout, à force de sous-entendre qu’il est légitime et citoyen d’agir ainsi, au même titre que de dénoncer des voleurs ou des criminels, le gouvernement finit par rendre normale une situation qui ne l’est pas.
Ton regard croise celui de Raphaël, l’air aussi mal à l’aise que toi. À quand les moyens de reconnaître un sorcier d’un regard, à quand les appels officiels à la délation ? À quand l’apposition d’un signe de reconnaissance sur toutes les personnes soupçonnées d’appartenir au monde sorcier ? Les souvenirs de l’arsenal du Blood Circle te traversent et tu t’empresses de les chasser. Bon sang.
Tu te forces à te détendre, à fixer les images qui défilent sur l’écran sans vraiment les voir. Le titre du film te frappe. Mulan. Ah, donc, lui aussi ils vont l’adapter en prise de vues réelles ? Le procédé te laisse toujours sceptique ; encore une occasion pour les producteurs de s’en mettre plein les poches en jouant sur la nostalgie ou la curiosité des fans.
La voix de Raphaël te tire de tes réflexions. Tu as dû manquer une partie de sa phrase.

— Pourquoi quoi ? Je n’ai pas entendu.

Le garçon a l’air choqué. Le spot peut-être ? Ou alors la bande-annonce de Mulan est tellement mal tournée qu’il ne s’en remet pas. Tu ne connais pas grand-chose au cinéma, mais il y a plus de chance que ce soit le spot, quand même.

Le début du film contraste avec tes pensées sombres. La vie a l’air d’être belle à Beurk, entre les dragons et les Vikings, tous unis. Tellement ironique après la propagande gouvernementale.
Raphaël s’interroge sur le début du film, tu réponds avec un sourire dans la voix.

— Aucune idée. Finalement, ils ont dû faire une vraie trilogie pour une fois. C’était le fils du chef, il remplace peut-être son père ?

Ou son père est mort, mais ce serait surprenant dans un dessin animé. Encore que, le premier prenait déjà des tournants originaux avec Harold qui perdait une jambe à la fin. Dans un film pour enfants, ce n’est pas courant, surtout avec des personnages humains.
La question suivante est bien plus sérieuse. Tu hoches la tête, vérifies de nouveau que personne ne vous entoure.

— Si, totalement. L’appel à la haine d’un côté, et une preuve que ça peut marcher si chacun y met du sien de l’autre… J’espère que les enfants retiendront plus le message du film. Mais ils doivent aussi entendre tout et n’importe quoi chez eux…

Un soupir t’échappe. Bien sûr que l’inconnu est toujours effrayant au départ. Et que, quand on voit les films de super-héros, les dégâts que provoquent les pouvoirs des uns et des autres et leur potentiel de destruction en général, on n’a pas vraiment envie de s’y frotter dans la réalité. C’est oublier que la magie est une énergie neutre qui ne dépend que de ceux qui l’utilisent. Et que la majorité des sorciers n’aspire qu’à vivre en paix. Le secret magique n’aurait pas survécu pendant des siècles si ça n’avait pas été le cas.

— Si on arrivait vraiment à faire parler... tout le monde, on se rendrait compte qu’on n’est pas si différents. Et qu'on peut s’apporter beaucoup.

Tu t’es toujours demandé ce qui se passerait si on alliait la technologie moldue et la magie. Il y aurait sans doute de quoi faire de grandes découvertes – ou de régler certains soucis du monde moldu, notamment en termes de pollution. Mais tu prêches un convaincu et toi-même tu restes bien placé pour connaître le pire et le meilleur de chaque monde.
Un coup d’œil sur l’écran. Des personnages à la mine patibulaire sont en train d’engager un tueur de dragons, prêts à tout pour éliminer ces créatures.

— Il y aura toujours des… – tu hésites. Des abrutis ? des psychopathes ? des ignorants ? non, le Blood Circle ne peut pas être taxé d’ignorance. Ni de peureux effrayés de tout. – des personnes qui détestent les différences…

Tu n’as jamais oublié le regard de ton père ce jour-là. Cet instant où son fils est devenu un monstre, comme si tes pouvoirs annihilaient tout ce que tu étais jusque-là.

Le sorcier confirma qu'il avait l'occasion d'aller au cinéma même si ça faisait longtemps.

«Ouais non mais c’est logique en fait. C'est moi, je suis con t’inquiète. »

Tous les arguments allaient en faveur du film d’animation.

«Vendu ! »

Contrôle des tickets passés, popcorn en main. Raphaël négociait le choix des places avec son collègue. Négociations plutôt faciles vu que les deux garçons avaient les mêmes envies à la différence près que le moldu préférait avoir le siège côté mur et que Eirian voulait celui côté couloir.

«Bon bah, parfait ! »

Le petit message du gouvernement déconnecta totalement le cerveau de Raphaël qui se perdit dans ses pensées jusqu’au moment où Eirian l’en sortit.

«Hein ?» Quoi pourquoi quoi ? Il regarda Eirian incrédule, avant de comprendre qu’il avait peut-être pensé à voix haute. «Aah ! Nan rien, je réfléchissais juste… »

Le film commença, les deux garçons échangèrent quelques mots à voix basse en rapport avec le film. Oui, c’était le fils du chef, mais pourquoi il le remplacerait ? Il était devenu quoi ? Il avait fondé un autre village viking ? Il était trop vieux pour régner ? Il n’était pas mort dans le premier film, aucune raison qu’il ne meurt dans le deuxième. Personne ne fait ça. Si Harold, et dire que le personnage principal du dernier film vu au ciné s'appelait également Harold, n’était pas orphelin dès le première film, c’est que ce n’était pas pertinent pour l’histoire qu’il le soit, donc pas de raisons qu’il le soit après… À moins que le but du scénariste soit d’en faire un personnage meurtri. En tout cas, il y avait des choses importantes qui s’étaient déroulées dans le deuxième volet, parce que le jeune homme ne comprenait pas tout.

Raphaël fit part de son impression à propos du contraste entre le film et le spot du Blood Circle dans les bandes annonces. Eirian lui répondit qu'il était d'accord, et il enchaîna sur d’autres arguments. Raph ne saisit pas tout, il ne capta pas tous les mots. Ils ne pouvaient pas parler fort et le son du film masquait leurs chuchotements, c’était une séance de ciné quand même ; il y avait d’autres gens qui voulaient suivre le film, même si leurs sièges étaient assez isolés. Le moldu comprit tout de même que Eirian espérait que les enfants fassent davantage confiance au film qu’à la publicité du gouvernement.

«Rien n’est moins sûr. Le bourrage de crâne ça rentre bien. Surtout avec des petits Slogans Chocs “Agissez, Tous Responsable”. Bon c’est pas terrible comme slogan. Moi j’aurais trouvé mieux. Un truc du genre “Deviens un Héros, Dénonce les Marauds”. C’pas con ça, je devrais me faire embaucher par le gouvernement Kane pour me faire un peu de fric.»

Il avait parlé un tout petit peu plus fort, pour être sûr que le sorcier l’entende parce que le son du film était vraiment fort. Ce dernier lui parla mais Raphaël n’arrivait pas à savoir s’il réagissait à ce qu’il venait de dire ou si c’était autre chose car il n’arrivait pas à comprendre ce qu’il disait.

«Qu’est-ce tu dis ? J’entends rien !»

Il fallait dire qu’ils n’étaient pas censés parler pendant une séance mais, pour leur défense, il ne devrait pas y avoir ce genre de spot racistes dans une projection de film pour enfants. Ce genre de manipulation médiatique, c’était tellement… tellement malsain… La désinformation de masse pour bourrer les crânes des jeunes et de leur famille. C’était du vu et revu. On vivait une époque où les gens se vantaient de ne pas être des moutons, d’être intelligent et de ne pas se laisser manipuler facilement. La bonne blague… Ils faisaient la queue pour se faire tondre. Cela dit, ils ne devaient pas être des moutons effectivement. Vu comme ils crachaient sur les sorciers, c’était probablement des Lamas… Ah les nouvelles jeunesses Hitle… Pardon… Les jeunesses Circleriennes allaient probablement entrer dans les livres d’histoires.

Étrangement, Raph ne culpabilisait pas une seconde de ses propres vidéos de “propagande” qu’il publiait sur YouTube. C’était clairement différent. Il ne prônait pas la haine, mais la tolérance. Il n’imposait rien, il exposait des faits et les gens étaient en droit de penser ce qu’ils voulaient. Alors oui… Il ne montrait que ce qui l’arrangeait, il n’avait pas trop abordé le sujet des Mangemorts tueurs de moldus. Mais… Mais c’était vraiment pas pareil ! Lui il était dans le camp des gentils !

La négociation des places se passe plutôt bien, vos envies se rejoignant et se complétant. Une fois posé dans le confortable fauteuil, un œil toujours fixé sur les derniers arrivants, tu te détends un peu, décidé à profiter du moment. C’est si rare, ce genre de détente, tu n’oses jamais te relâcher assez pour prendre du temps pour toi, t’amuser… Ces mots finissent par perdre leur sens, tu n’es pas sûr de savoir encore te divertir comme n’importe qui d’autre, d’arriver à simplement profiter de l’instant. Parfois, tu aimerais donner un grand coup de balai dans ta tête, rebooter ce qui doit l’être pour te rendre un peu plus fonctionnel et normal.
Naturellement, la réalité n’est jamais loin et le spot du gouvernement se charge de te rappeler que la normalité n’est pas pour tout de suite. Vous êtes bien les seuls que la propagande ministérielle a l’air de choquer. Les gamins sont peut-être trop jeunes pour bien comprendre, mais les adultes ne bronchent pas. À quel point y croient-ils ? Peuvent-ils réagir de manière critique face à de tels propos ? Le pire, c’est que si le slogan désignait n’importe quelle autre minorité, ils s’indigneraient aussitôt. Bien sûr, toutes les luttes ne sont pas identiques, et il faut bien choisir ses combats mais… Tu soupires. Le danger est là aussi, pas seulement dans les groupes comme le Blood Circle décidés à faire couler le sang mais dans cette majorité passive qui ne se sent pas concernée et reste à l’écart de la situation. Difficile de s’investir dans un problème quand on n’y est pas personnellement confronté.

Raphaël sursaute quand tu l’interroges sur sa réflexion. Il réfléchissait seulement à voix haute. La suite des bandes annonces te passe au-dessus de la tête, autant de films que tu n’iras pas voir. Tu reviens de nouveau sur les spectateurs. Comment réagiraient-ils s’ils savaient qu’un sorcier se tenait là, juste derrière eux ? Agissant… eh bien, comme n’importe quel être humain désireux de passer un bon moment dans une salle obscure ? C’est peut-être ça qu’il faudrait montrer plus souvent aux moldus, que les sorciers ne sont pas différents d’eux.
Les mots de ta mère sont restés gravés dans ta tête : tout dépend de la manière dont tu choisis d’utiliser tes pouvoirs, c’est là qu’est la vraie responsabilité. Comme chacun décide de la façon d’employer les talents à sa disposition lorsqu’ils impactent autrui – hommes politiques, propriétaires d’une arme… tout peut devenir pouvoir. George Kane en fait une démonstration. Alors qu’il aurait pu utiliser son poste pour amener les deux mondes à discuter et se comprendre, il en profite pour rajouter de l’huile sur le feu.
La bonne ambiance qui règne sur le village de Berck ne chasse pas tes pensées et tu ne peux t’empêcher de revenir sur le spot. Vous êtes assez loin des autres spectateurs pour être tranquilles, mais la bande sonore du film avale une partie de tes mots. Raphaël comprend cependant.

Tu ne comprends pas toute sa réponse, assez pour saisir sa proposition de slogan. Un rire léger t’échappe.

— Ça fait très… slogan de fantasy médiévale. Je suis sûr que le gouvernement validera tes idées.

Torpillage par l’intérieur, pourquoi pas après tout ? Tu ignores si des sorciers ont déjà tenté d’infiltrer le Blood Circle ou, plus largement, le gouvernement pour recueillir des informations ou saboter une partie de la propagande. Trop risqué, sûrement, d’autant que les sorciers ne sont pas vraiment à l’aise sans magie.

Tes commentaires suivants échappent à Raphaël – le son est décidément trop fort. Tu te penches un peu vers lui.

— Attends, j’ai une solution.

Regard circulaire sur la salle, tu te dévisses le cou pour t’assurer une fois de plus qu’il n’y a vraiment personne dans votre dos. Discrètement, tu attrapes ta baguette. Heureusement que tous les sortilèges ne fonctionnent pas avec de grands effets lumineux. Un sortilège informulé plus tard, une bulle invisible vous enveloppe, ramenant le niveau sonore du film à quelque chose de plus supportable, comme un bruit de fond. Assez audible pour que vous l’entendiez quand même, sans que cela vous empêche de discuter. Tu ranges ta baguette.

— Personne ne peut nous entendre, maintenant. Est-ce que ça te va ?

De quoi tu parlais, déjà ? Ah oui.

— Je disais que si on arrivait vraiment à faire discuter sorciers et moldus, on se rendrait compte qu’on n’est pas différents. Et les deux mondes pourraient s’apporter beaucoup. On pourrait associer la magie et la technologie, combiner le meilleur de chaque…

La médecine bénéficierait sûrement de la magie ; les potions complèteraient plutôt bien les médicaments plus conventionnels. C’est utopique évidemment, tu restes lucide sur la situation. Il faudra des années pour en arriver là maintenant – si ça ne dégénère pas complètement.

— Même si on ne se débarrassera pas facilement de tous les… les personnes qui détestent les différences ?

Le mot te revient dans une illumination.

— Les intolérants ?

Ton français a rouillé au cours des dernières années. Tu souris.

— Mais on est de bons exemples que sorciers et moldus peuvent avancer ensemble.

Pas seulement parce que vous vous fréquentez. Il y a bien sûr toutes les actions de Raphaël avec sa chaîne et tu admires l'énergie qu'il y consacre, et toi... tu mélanges les deux mondes et tu les comprends.

L’instant détente pour retrouver une vie normale était déjà terminé. Ce qui devait être une simple sortie ciné pour se changer les idées, se vider l’esprit de toutes ces merdes de la vie, s’était transformée en discussion pour critiquer le gouvernement britannique. Dire qu’ils étaient là pour oublier la guerre. Oublier le conflit. Tout le monde savait que les sorciers existaient, tout le monde savait qu’on était censés les dénoncer. Il y avait déjà suffisamment d’affiches dans la rue, lâchez-nous la grappe au moins au cinéma bordel. Y’avait pas de lois contre le harcèlement et les lavages de cerveaux de masse ? Visiblement le Blood Circle devait être au dessus des lois. Faut dire qu’avec le Premier Ministre et des bons avocats dans leurs poches, ils étaient tranquille.

La discussion était assez compliquée. Il y avait le fait de devoir parler à voix basse, en français de surcroît, pour ne pas être être entendus, et compris par d’autres spectateurs, mais aussi le fait que le volume du film qui était… ben ils était au cinéma quoi… Y’avait pas trop la peur de déranger les voisins ou le coloc qui dort. Les deux garçons avaient du mal à parler et à se comprendre. Faut dire que les règles n’avaient toujours pas changées : on n’était pas censé discuter pendant un film au cinéma. En temps normal, Raphaël, qui franchement est tellement plus civilisé que moi là dessus parce que moi je suis ton cauchemar personnifié au ciné, n’était pas du genre à discuter pendant une séance, bien au contraire. Mais là, c’était différent. Ce spot de prévention juste avant un film pour gosse, film qui prône justement l’acceptation de l’autre et du différent, c’était purement et simplement du foutage de gueule.

Le moldu demanda à Eirian de répéter mais ce dernier lui annonça qu’il avait une solution. Une solution ? Pour quoi ? Il avait du mal comprendre. Il devait avoir envie d’une boisson peut-être ? “Attends, je veux une boisson” c’est ça qu’il voulait dire ? Le sorcier scruta les environs avant de sortir sa baguette. Raphaël l’observa, les lèvres du sorcier ne bougeaient pas. Mais qu’est-ce qu’il foutait ? D’un seul coup, le volume sonore de la salle diminua et le compagnon de Raph lui annonça qu’ils pouvaient parler librement sans qu’on les entende.

«Personne ne peut nous entendre ? Même si je crie à plein poumons ? Je ne t'ai même pas vu prononcer de formule.»

C’était débile, mais bon, qui n’avait jamais envie de gueuler un bon coup sans aucunes raisons dans un lieu public ? Probablement personne, certes, mais ça permettrait d’extérioriser plein de choses. Eirian reprit ce qu’il disait, que si sorciers et moldus acceptaient de dialoguer pour la paix, ils pourraient voir qu’ils n’étaient pas si différents que ça. Que technologie et magie pouvaient s’unir pour créer un monde meilleur. Il avait eu exactement le même discours avec Nymphéa, en octobre. Il eut un petit rire amusé à cette pensée.

«Tu parles comme Nymphéa. Tu prêches un convaincu, crois moi. Mais… Les choses sont tellement plus compliquées que ça. Ces gens là… Ces gens là ne voient que le mauvais des autres, ils ont des œillères. Oh du côté sorcier ce n’est pas forcément mieux, les mangemorts valent bien ces cinglés du Blood Circle. Si les choses changent, ça prendra des années, des décennies… Peut-être même un demi-siècle. J'aimerais. Ce serait super... Je fais de mon mieux pour ça bien sûr. Mais... » ... je garde les pieds sur terre

Eirian complétait ce qu’il disait. Oui, il y aura toujours des gens qui seront contre une telle unification des deux mondes. Comme pour tout, même si c’est mal vu et que c’est souvent très critiqué, le racisme sous toutes ses formes perdurait encore et toujours. Bien que critiqué, les personnes qui prônaient ce type de discours 'étaient également encouragé par certains groupes, certains adeptes. Oui, Raphaël et Eirian étaient la preuve qu’il était possible pour les sorciers et les moldus pouvaient vivre ensemble, mais il fallait convaincre le Monde pour ça. Raph ne put s’empêcher de rire et de faire une blague en repensant au mot intolérant. Il avait besoin d'alléger un peu la conversation. L'humour, c'était ce qui le permettait de supporter tant de choses du quotidien.

«Ouais ils font chier les intolérants au lactose. Faut qu’ils soient moins nombreux, la vente de fromages français c’est important putain ! L'économie de mon pays seigneur !»

Puisque personne ne pouvait les entendre, inutile de parler en français.

«Plus sérieusement oui… Des enfoirés fermés au dialogue, y’en aura toujours. Et même si on ne peut pas vivre dans un monde parfait, de tolérance et de bisounours. Ça serait bien qu’on puisse… Enfin que les choses… Putain mais franchement, c’était quoi ce spot ?! En 2020 ! Et les gens trouvent ça normal ?»

Le moldu ne suivait même plus le film. Au début il était simplement surpris, choqué par le messages du gouvernement. Désormais il était carrément en colère.

« C’est dingue comme truc… Ils sont incapables de se mettre à la place de l’autre. Ils peuvent pas imaginer qu’un de leur ami puisse être un sorcier sans qu’ils le sachent. Ou alors qu’un de leur enfant naisse avec des pouvoirs.»

On disant ça, Raphaël avait une pensée pour Artémis, et l’amitié qui la liait à Élise, la fille aux briques. Les deux femmes s’étaient épargnées l’une l’autre et priaient pour ne jamais se croiser sur une bataille. C’était également l’une de ses propres raisons de refuser de participer à l’offensive de février : et s’il croisait Artémis ? Bien sûr, les raisons étaient diverses et variées, et ce n’était certainement pas la raison principale, mais c’était un argument de plus.

«Je me sens tellement impuissant… Tellement ridicule… Avec ma petite chaîne YouTube qui menace d’être fermée à tout moment et mon projet de film que je n’ai même plus le temps d’avancer… Je fais ce que je peux, mais avec les moyens que j'ai... Que ça soit matériel, financier ou de communication. Je peux pas lutter contre ça.»

Il désigna la projection du film

«Oui bon, pas Krokmou, mais t'as compris»

Au fond, le spot du gouvernement, inattendu au milieu d’un moment de détente et de loisir, vous rappellent ce que vous ne pouvez plus ignorer : le conflit est partout et tenter de le fuir est au mieux une perte de temps, au pire dangereux. Vos ennemis ne vous oublieront pas, eux. Il s’insinue dans tous les aspects de votre vie, même les plus anodins. Tu devrais le savoir mieux que personne, pourtant, toi qui as toujours vécu en regardant par-dessus ton épaule, dans la crainte de voir surgir des membres du Blood Circle. Et c’est bien ce qu’il s’est passé le jour où ta mère a disparu. C’était un jour comme un autre, anodin, tu rentrais de Poudlard pour l’été, elle devait t’attendre. Rien de plus normal – sauf qu’ensuite la normalité a entièrement disparu de ta vie. Et elle n’y reviendra pas de sitôt – jamais.
Espérer te détendre réellement est illusoire. Tu bouffes du conflit pendant tes cours vu ta filière, pendant tes heures libres quand tu continues de t’entraîner, que ce soit à la façon moldue ou avec des sortilèges, pendant tes nuits d’insomnie, pendant les missions pour l’Ordre, quand tu te balades dans la rue et que tu croises les affiches du gouvernement qui appellent à dénoncer les sorciers, te désignent comme l’ennemi, quand tu vois Robin en sachant que vous n’êtes pas dans le même camp. Par ta seule existence parce que tu aurais dû être un membre du Blood Circle et que tu es né sorcier – il y a un responsable cosmique qui a dû bien rigoler ce jour-là et se frotter les mains devant son idée de génie. Si tu pouvais lui mettre la main dessus, tu ne te priverais pas de lui dire ta façon de penser.
Le Blood Circle est décidé à éliminer les sorciers et, maintenant qu’il est au pouvoir, il ne se donne plus de limite. D’un coup, les images du dessin animé paraissent presque incongrues, comme si elles appartenaient à une autre réalité, à un monde en léger décalage avec le tien où tout irait encore bien. Presque naïves, illustrant un quotidien qui tient de l’illusion. D’un coup, tu ne te sens plus à ta place, décalé, étranger, anormal. Qu’est-ce que tu fiches là ? Comme si tu pouvais aller au cinéma comme ça, faire comme si de rien n’était. Tu te sens un peu étourdi, comme ces moments ces dernières semaines où tu émerges sans trop savoir ce que tu as fait juste avant, comme si ta mémoire se dérobait. Tu vas vraiment pas bien. Tu glisses une main dans tes cheveux pour te secouer.
C’est presque rassurant que la conversation avec Raphaël prenne un tournant politique, s’éloignant du film. Tant pis pour Harold et Krokmou, même si c’est un peu idiot de transformer une séance de cinéma en discussion de café – sans café.

Raphaël accueille ta petite manipulation magique avec une pointe d’incrédulité. Un sourire t’échappe lorsqu’il envisage de hurler. Toujours la tentation du bouton rouge, de tester les limites.

— Alors, si tu veux vraiment hurler, il faut que j’ajuste un peu. Là, les gens t’entendraient quand même, comme si ça venait de loin. Avec de l’entraînement, on peut se passer des formules, c’est très pratique.

Tu essaies de n’employer plus que des informulés. Il n’y a que pour les sortilèges qui exigent une grande concentration que tu prononces encore les incantations. Tu as fait quelques recherches sur la magie sans baguette, mais elle reste essentiellement liée aux émotions, de la même façon qu’enfant, tes pouvoirs se déclenchaient sous le coup d’un choc émotionnel ou pour te protéger. Compliqué à mettre en œuvre au quotidien.

Raphaël te fait remarquer que tu prêches un convaincu. C’est vrai. Mais de temps à autre, c’est bien aussi de constater que vous êtes sur la même longueur d’onde. Pas seulement dans l’idée qu’il faut gagner la guerre, mais qu’il y a aussi quelque chose à construire. Même à l’intérieur des camps, les dissensions, sont nombreuses il n’y a qu’à voir les différences d’idéologies entre l’Ordre du Phénix et les Mangemorts. Comme tous les membres du Blood Circle ne sont pas des fous furieux.

— Je sais bien. Chaque camp a ses fanatiques, ses préjugés. Mais si on renonce avant même d’essayer, ça ne sert à rien de se battre, ils ont déjà gagné. Ça prendra du temps, oui, mais les choses finiront par changer. Tu fais déjà des choses géniales avec ta chaîne et pour l’Ordre…

Tu es sincère, les Moldus sont peu nombreux parmi vous. Quant au reste… Il n’y a qu’à voir les droits des femmes ou des personnes LGBTQIA+. La tâche est encore immense et, pourtant, petit à petit, les choses avancent vers plus d’égalité – une égalité qui ne devrait même pas être questionnée, pas à votre époque, et pourtant… Ton côté idéaliste ne te rend pas Bisounours pour autant, tu sais à quel point ce sera long et difficile. Et pourtant tu rêves d’une société où les différences seront vues comme des enrichissements.

Raphaël dévie soudain la conversation. Le retour à l’anglais te soulage, ce sera plus simple. Ça t’embête un peu que le français auquel tu as consacré tant d’effort commence à t’échapper. Les intolérants au lactose… un sourire t’échappe. Ces Français et leurs fromages ! D’accord, certains sont plutôt bons, mais les autres…

— Eh, au pire, ça en fait plus pour ceux qui les aiment !

La parenthèse ne dure pas, et tu ne peux qu’approuver ses paroles suivantes. Oui… 2020, et pourtant on pourrait se croire revenu au temps des chasses aux sorcières. La colère monte dans la voix de Raphaël tandis qu’il fustige les gens incapables de se mettre à la place des autres. Toujours le même problème. « Pas moi, pas concerné. »
Tu hésites un peu. Mais ce serait étrange que tu n’en parles pas, alors que tu n’en fais pas mystère ailleurs. Les mensonges sont rodés, comme toujours.

— C’est clair ! Alors que bah… ça doit déjà être le cas pour certains. Pour les enfants… ce n’était pas simple, avec le secret magique. Quand mes pouvoirs se sont déclenchés, mes parents n’avaient aucune idée de ce qui se passait, et moi non plus. C’est… effrayant sur le moment, quand tu n’as aucune explication rationnelle à ce qui arrive. Mais ça ne devrait rien changer au fait que c'est toujours ton enfant.

C’est peut-être le seul avantage de la disparition du secret magique. Au moins, les parents sauront à quoi s’en tenir. Mais il y aura toujours des enfants qui grandiront dans des familles intolérantes, qui grandiront en pensant qu’ils ne sont pas normaux… Tu n’as pas oublié à quel point tu détestais tes pouvoirs, à quel point tu te détestais. « Monstre, abomination ». Les mots de ton père… Tu te secoues, chasses les souvenirs. Tu espères que plus de gens réagiront comme ta mère, changeront d’avis une fois concernés personnellement.

Raphaël revient sur sa chaîne, en soulignant son impuissance. Ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan… et pourtant, elle est d’une importance primordiale. Il désigne l’écran. Tu souris.

— Hé, une mascotte comme Krokmou aiderait à toucher un public plus large. Blague à part… ta chaîne est petite, mais elle est plus que nécessaire. Tu es une des rares voix qui s’opposent au gouvernement et au Blood Circle, qui montrent qu’il y a autre chose que leur propagande… Que tout n’est pas blanc et noir comme ils aiment le dire. Ça peut vraiment aider les gens qui tombent dessus. C’est hyper courageux… et je suis sûr qu’il y a d’autres personnes qui t’imiteront.

Eirian expliqua à Raph que s’il voulait hurler, il pouvait, mais dans ce cas le sorcier devrait ajuster un peu le sortilège parce qu’il risquait de se faire entendre. Ajuster ? Comme avec un petit bouton pour régler le volume ? C’était intéressant comme concept.

«Non t’en fais pas, on est pas obligé d’hurler. Se passer de formule, c’est intéressant, je savais pas que c’était possible. Tu vas te foutre de moi mais… Je pensais que les sorciers qui étaient victimes de mutisme ne pouvait pas lancer de sortilèges »

Les deux garçons continuèrent leur discussion là où ils l’avaient laissée. Raphaël s’était mal fait comprendre. Il n’avait jamais été question de renoncer. Il voulait juste garder la tête sur les épaules ; satisfaire tout le monde dans une unification pacifique des deux mondes, c’était impossible. Ça serait génial, mais impossible. Il y aurait toujours des dissidents qui seraient contre ce genre d’unions. Trop d'êtres obtus ou endoctrinés pour tolérer ce genre de choses. Non ce que le moldu espérait, c’était que les tendances changent. Il voulait que ça ne soit plus une normalité de persécuter les sorciers sous prétexte qu’ils sont sorciers. Parce que bon… Actuellement ils pouvaient se faire arrêter sur simple suspicion et aux yeux de tout le monde c’était tout à fait normal donc y'avait encore pas mal de chemin à faire...

Eirian et Raphaël étaient tout de même d’accord en tous points. Il n’était pas question d’abandonner, mais il ne fallait pas non plus se bercer d’illusions sinon plus dure serait la chute. Eirian semblait peiner à trouver ses mots en français ; du coup Raph en profita pour repasser à l’anglais en se moquant légèrement de lui, pour détendre l’atmosphère, en jouant sur les doubles de sens des mots. Eirian ne s’en offusqua pas et joua le jeu. Le sujet reprit ensuite son sérieux. Eirian raconta sa réaction quand ses pouvoirs sont apparus. Raph n’avait pas souvenir que le jeune homme lui en ai déjà parlé auparavant.

«C’est vrai qu’en général, les familles s’attendent à voir ce genre de phénomènes apparaître. Mais dans ton cas… Comment… Comment ça se passe pour les familles de moldus ? Comment ta famille a su quoi faire pour t’aider à te contrôler ? Je veux dire… Je me projette 10 ou 15 ans en arrière… J’arrive pas à imaginer le truc… Je pense que mes parents auraient appelé un exorciste ou un prêtre et je crois que sur le coup, on aurait pas pu leur en vouloir. »

Raphaël riait sincèrement à sa dernière remarque. Comment est-ce que lui ou sa famille aurait pu savoir à cette époque que la Magie existait ? Ça aurait été plus normal, à cette époque, de supposer une possession démoniaque plutôt qu’un phénomène naturel. En tout cas, le moldu trouvait ça super que la famille de Eirian ait su l’épauler et le mettre en confiance ; en tout cas, c'est ce qu'il avait cru comprendre. Surtout à une époque où la Magie était un immense secret, que personne ne savait ce que c’était. Maintenant c’était différent, les gens étaient plus préparés, ils savaient à quoi s’attendre. Raph était persuadé qu’une majorité de parents seraient capable de cacher les pouvoirs de leur enfant sorcier pour le protéger. Mais qu’en était-il dans les familles du Blood Circle ? Est-ce qu’ils abandonneraient leurs convictions pour un être qui comptait vraiment ? Élise et Artémis étaient très proche, mais ça n’avait pas empêché l’ex-coloc de Raph de continuer le combat. Par conviction, par obligation ? Ça il l’ignorait. Il ignorait également si la disparition de la belle rousse était liée à son amitié avec la Fille aux Briques et la découverte qu’elle était sorcière.

C’est pour ça que le moldu s’efforçait de sensibiliser au mieux les britanniques. Il devait prendre les devants. Pour le moment le gouvernement appelait à dénoncer les sorciers. Mais combien de temps avant qu’il n’ordonne à ce qu’on exécute les enfants sorciers ? Et s’ils voulaient généraliser leur sérum ? Forcer toute la population à le prendre. Raphaël s’était déjà demandé si le sérum créé par le Blood Circle était une si mauvaise chose. Après tout, peut-être que ça permettait aux sorciers de se faire accepter ? Pourquoi est-ce que ça serait si mauvais que ça ? Mais il raisonnait comme un moldu, un moldu qui ne connaissait pas la magie, et en tournant l’équation autrement, il savait pourquoi ce n’était pas une chose bénéfique. Demander à un sorcier de perdre ses pouvoirs, c’était comme lui demander d’arrêter d’être ce qu’il est. Ça revenait à retourner aux temps des croisades pour évangéliser les populations sous une seule religion. Ça revenait à faire changer la couleur de peau d’autres personnes pour adopter une seule. Ça revenait à dire que l’homesexualité était une maladie qu’on devait éradiquer par la force. Ça revenait à refuser le différent. Ça revenait à faire tellements de choses horribles... C’était tout un monde qui s’effondrait, sans sorciers, qui serait là pour gérer certaines créatures maléfiques ? Est-ce que le monde moldu pouvait compter sur la Nature et la technologie à leur disposition pour gérer les force du Mal ? Les vraies. Bien sûr ce n’était pas la principale préoccupation du français, mais c’était tout de même un argument de poids. Le film regagna l’intérêt de Raphaël le temps d’une seconde… Dragons… Sans Sorciers pour les apprivoiser, est-ce que les dragones ne régneraient-ils pas sur le monde ? Que pouvaient faire de simples humains sans magie face à ces créatures ? C’était un point qu’il pourrait peut-être aborder dans ses vidéos.

La réponse de Eirian à propos de la chaîne de Raph réchauffa le coeur du jeune homme. Il sourit à la proposition d’une mascotte pour toucher un public plus large. Plus que nécessaire ?

«Tu es gentil. Mais… je pense que tu n’as pas conscience de ce que c’est qu’Internet. Il y a beaucoup de gens qui pensent savoir. Ce que je fais est nécessaire ? Je ne sais pas. Je ne pense pas. Je dirais que c’est important. Important pour moi, parce que je veux servir à quelque chose. Mais les gens sont bêtes.» Il balaya la salle d’un mouvement de bras. «Ces gens, tous des moutons. Tous endoctriné. Je ne suis personne...» Raphaël se mordit la joue. Nymphéa détestait quand il parlait de lui comme ça. «Je veux dire,  je suis pas un grand Professeur reconnu, ni une Célébrité. Ni un Politique. Mes mots, n’ont aucune valeur. J’ai beau dire la vérité. J’ai beau avoir des preuves de ce que j’avance, c’est tellement facile pour le Blood Circle de me contredire. Tu sais comment on appelle les gens comme moi ? Un complotiste. On me range dans la même case que ceux qui croient au complot de la Terre Plate. Je reçois pas mal de messages d’insultes me traitant de fou. Des fois, j’en suis même à me demander si la Terre n’est pas réellement plate tellement j’en prends plein la gueule et qu'on me compare à ces gens… Et que j'ai raison bordel ! C’est pas facile… J’essaye d’avoir l’air fort, d’être optimiste. Mais je suis une goutte d’eau dans une bouteille d’huile. Ouais non, la métaphore est pourrie. Mais j’ai vraiment peu d’impact. Et je peux pas rivaliser contre les moyens du Blood Circle. Tout ce que j’espère, c’est qu’un jour quelqu’un avec plus d’influence que moi puisse relayer mes vidéos. Mais bon… C’est justement parce que je n’ai que peu d’impact que je ne suis pas fermé…

Raphaël sentit sa respiration trembler à cause de l’émotion. Il essayait d’éviter de se montrer si sombre. En général, le moldu avait souvent l’air joyeux, optimiste. Toujours le mot pour rire. Mais des fois... Il ne pouvait pas faire semblant de rire.

«Mais… Merci de croire en moi, en ce que je fais. Ça me touche.»

Quelque part, tu comprends les sorciers qui ne s’amusent pas à affiner leurs sortilèges. Tout ou rien, c’est plus simple, surtout lorsque les autres tiennent absolument à tester les limites. Tous les sorts ne permettent pas ces variations, mais tu aimes bien creuser le sujet. Tu ne risques pas de te moquer de Raphaël, ce sont des questions qui t’ont traversé aussi quand tu découvrais la magie et ses possibilités.

— Si, si, c’est possible. Mais ça demande plus de concentration et ce n’est pas facile à maîtriser, on l’apprend assez tard dans la scolarité. Et la magie permet de compenser ou de guérir pas mal de handicaps quand ils ne sont pas d’origine magique.

En contrepartie, les maladies purement d’origine magique sont une vraie plaie pour s’en débarrasser. De même pour les séquelles des sortilèges. Mais ce n’est pas vraiment le sujet de la discussion. Ça te hérisse le poil qu’une minorité hostile et endoctrinée suffise à provoquer le conflit. Le Blood Circle avec ses idées haineuses d’un côté, les Mangemorts et leur stupide idéologie du sang de l’autre. S’il n’y avait eu que l’Ordre et un gouvernement pacifique… un chemin vers la paix aurait pu être possible. Mais tu veux croire que ce n’est pas trop tard, qu’il est encore possible de sauver la situation. Même si tu as bien conscience de ce que c’est : une espérance, et pas quelque chose de vraiment probable.

La conversation dérive vers les enfants qui naissent dans les familles moldus. Ton cas reste assez particulier, les quelques nés-moldus que tu as croisés à Poudlard n’avaient pas le même genre de famille que toi. En riant, Raphaël souligne que ses parents auraient pu faire appel à un prêtre ou à un exorciste. Tu souries, mais ça te crispe un peu. Tu n’as jamais compris pourquoi le ministère ne faisait pas davantage d’efforts pour les nés-moldus, au lieu de les laisser se débrouiller face à l’inconnu pendant quelques années. Après tout, s’ils sont bien capables de les trouver pour leur donner leur lettre de Poudlard, pourquoi ne pas les contacter ? Cela apaiserait bien des tensions et rassurerait tant les enfants que les parents. Même si, évidemment, il y a toujours des cas où ça se passera mal.
Tu n’as jamais oublié le changement d’attitude de ton père lorsque tes pouvoirs t’ont échappé. La dureté et la sévérité changées en haine en une seconde, son regard qui t’incendie et te hurle que tu n’es plus son fils. Juste un monstre, une abomination à abattre. La prise de conscience brutale, violente qu’il veut te tuer. Et la réaction complètement opposée de ta mère, qui a plaqué sa vie, sa famille, absolument tout pour te protéger. Vu ce que tu es devenu, tu n’es pas sûr que ça ait été la meilleure idée de sa vie – même si tu ne pourras jamais la remercier assez de tout ce qu’elle a fait.

— Les familles doivent se débrouiller comme elles peuvent, personne ne les met au courant. Mes parents ne savaient absolument pas ce qui m’arrivait, ni quoi faire. Au début…

Toujours frôler la vérité, ne jamais la dire. Tu te raccroches à ton mur de mensonges, même si tu n’as pas vraiment envie de tromper Raphaël sur le sujet, lui donner de fausses informations. Mais la vérité est absolument inavouable. Les mots se bloquent dans ta gorge et tu dois faire un effort pour te rappeler que tu ne crains rien ici. Que Raphaël ne pourra pas te forcer à avouer la vérité. Il n’y a que Towsen qui sait, comme une épée de Damoclès au-dessus de ta tête, qui peut s’abattre à tout moment, quand il l’aura décidé. Ça te rend malade. Il s’est ajouté au cortège de tes cauchemars, et avec lui les membres de l’Ordre viennent t’accuser de les avoir trompés, d’être un espion. Tu ne peux rien faire contre lui, juste prier qu’il tienne sa langue, pendant que tu continues de construire ta vie fictive. Tu espères que tu n’es pas resté silencieux trop longtemps.

— Au début, c’était surtout du déni. Comme la magie se manifeste de façon assez aléatoire, tu peux nier, faire comme si de rien n’était, tu as regardé trop vite… tu peux inventer des tas d’excuses. Mais au bout d’un moment, ça devient compliqué de l’ignorer. J’avais peur de ce qui m’arrivait. Mon père a eu du mal, il n’aime pas l’irrationnel. Ma mère ne comprenait pas non plus, mais elle voulait m’aider. Même s’il se passait des choses bizarres autour de moi, ça ne changeait rien pour elle. Et ça fait un drôle de choc quand tu comprends que la magie des films et des livres est réelle, qu’il ne s’agit pas juste d’histoires… On a bien galéré, mais ça a facilité les choses de pouvoir mettre des mots dessus.

Une fois de plus, tout est question de curseur. Poussé vers le bas, cette fois.

— Au moins, maintenant, les parents ont les moyens pour comprendre ce qui se passe.

Et protéger leurs enfants du Blood Circle – tant que c’est possible. Tu redoutes le moment où le gouvernement ordonnera aux parents de signaler leurs propres enfants. Autant les enfants nés dans le monde sorcier pourront s’en sortir, autant les nés-moldus n’auront pas d’échappatoire, pas avec des pouvoirs encore incontrôlables, sans baguette pour les canaliser. Et s’ils tentent de les dissimuler… La forme noire qui grandissait en toi n’avait rien d’imaginaire. Tu as failli perdre toute maîtrise et donner naissance à un Obscurus – et là, pour le coup, ça aurait créé des ravages. La preuve des désastres que peuvent causer la haine et la violence.
Et le sérum n’arrange pas les choses. S’ils arrivent à le développer à grande échelle, à le rendre plus pérenne… Il y a douze ans, tu aurais sauté dessus sans hésiter, supplié même pour qu’on te l’injecte ou demandé à porter l’un de ces bracelets – n’importe quoi pour supprimer cette malédiction. Ce n’est pas une solution. Ou alors, ça s’appelle un génocide. Dans un monde où les différences commencent enfin à être reconnues et acceptées, pourquoi faut-il que pour chaque nouvelle, le chemin soit à reprendre de zéro ? Au bout d’un moment, l’humanité pourrait comprendre et retenir le principe. Mais non. « Okay, toi, ça fait des décennies que tu luttes, je t’accepte. Toi, par contre, ta différence est encore plus bizarre, donc c’est non ». Tu l’as vécu dans une moindre mesure avec ton orientation lorsque tu as fait quelques recherches un été pour comprendre de quoi parlaient tes condisciples… et que tu es tombé sur des articles qui s’acharnaient à nier aussi cette part de ton identité. Au fond, quand on cherche bien, c’est toujours possible de trouver quelque chose qui ne va pas chez l’autre, une différence à transformer en discrimination.

C’est vrai que tu ne maîtrises pas vraiment Internet. Même si ton téléphone a un peu de forfait Internet, tu l’utilises surtout pour suivre les actualités moldues quand tu n’es pas à Poudlard, donc essentiellement le week-end. Et tu t’es toujours tenu loin des réseaux sociaux. Ce n’est pas comme si tu avais des gens avec qui communiquer, ni envie de communiquer avec qui que ce soit. Tu es sans doute maladroit dans tes encouragements, mais sincère. Il suffit d’un seul, il suffit toujours d’une personne pour changer quelque chose. Même si c’est seulement à son niveau. C’est ce genre d’initiative qui montre que le mal ne prospère pas partout. Tu ne sais pas trop comment le tourner. Mais tu ne comptes pas laisser Raphaël se dévaloriser comme il le fait.

-- Tu as raison, je ne connais pas bien les réseaux sociaux et leur fonctionnement. Mais je pense quand même que c'est nécessaire. Parce que ça montre un autre chemin, qu'il y a des moyens d'agir, même si c'est encore à un petit niveau. Ce n'est pas évident d'être le premier, mais si personne ne commence, si tout le monde laisse à d'autres le soin de se lancer en se disant que pour l'instant, il ne peut rien faire, comment on peut convaincre les gens de changer ? Il y a toujours des abrutis partout, tu ne pourras pas changer ça, mais il n'y a pas que ça... et même si c'est deux ou trois personnes, ça fera deux ou trois personnes qui pourront agir de leur côté, en convaincre d'autres... Tu n'es pas personne, c'est juste que tu n'es pas connu. Il y a plein de scientifiques reconnus maintenant qu'on a pris pour des fous à l'époque ! C'est clair que tu n'as pas le rôle le plus simple, mais il est important.

Tu soupires.

--Désolé, ça n'aide pas, ce que je dis. Les gens sont... fatigants, à voir des complots là où il n'y en a pas. Et je comprends à quel point c'est lourd pour toi d'encaisser tout ça... L'Ordre t'aide un peu à gérer ?

Quant au BC... évidemment, ils ont tous les moyens maintenant. Mais ils essaient encore de préserver les apparences de la démocratie - pour le moment. Tu te doutes qu'une fois la peur des sorciers bien ancrée, il leur sera bien plus facile d'agir comme bon leur semble.

--Je ne sais pas si le Blood Circle aurait intérêt à te faire fermer, si tu gagnes en influence. Ça voudrait dire qu'ils te craignent, que tu deviens un véritable opposant. Fermer ta chaîne, ça attirerait encore plus l'attention sur toi et ça te donnerait plus d'importance.

Tu passes une main dans tes cheveux, blasé.

-- Je suis sûrement beaucoup trop idéaliste... mais j'ai quand même envie d'y croire.

Raphaël opina en signe de compréhension. Oui, c’était logique. La magie était en eux, formule ou pas formule ça ne changeait pas grand chose. La parole n’était au final qu’une sorte de catalyseur. Il paraîtrait qu’on peut faire cuire des pâtes à l’eau froide, même si Raph n’avait jamais fait l’expérience, c’était un peu la même chose ; la chaleur facilitait le processus. Il trouvait ça super que certains handicaps moldus puissent être réglés par la magie.

Raph s’interrogea ensuite sur la gestion des enfants sorciers issus de parents moldus. Le moldu ne s’attendait pas du tout à une telle réponse de son interlocuteur.

«T’es pas sérieux là ? Je veux dire… C’est une façon de parler, non ? J’veux dire, quand tu dis que les parents doivent se démerder c’est juste que le Ministère ne les aide pas suffisamment »

Eirian expliqua un peu sa situation, telle qu’il l’avait vécue. Il parlait de déni, dans un premier temps.

«Ouais tu m’étonnes… Quand on naît, on a tous ce sentiment d’être spécial. Tu vois, tu entends, tu parles, tu touches. Tu as conscience de ton propre corps, et vient un moment où tu te dis pourquoi je suis moi et pas un autre. T’as ce sentiment d’unicité mais tu réalises rapidement que t’es juste comme tout le monde, ou plutôt ce sont les grands qui te le font comprendre. Donc je comprends bien que dans un monde rationnel, tu cherches une explication rationnelles à ce que tu as pu faire. »

Le Né-Moldu continua son histoire. Son père qui avait eu un peu de mal à accepter ce qu’il se passait et que sa mère ne comprenait pas trop ce se passait.

«La vache… Pour le coup, t’as eu de la chance d’avoir des parents compréhensifs. Mais… Ils ont fait comment ? Je veux dire, s’il n’y a pas d’aide extérieure, comment ils ont su trouver à qui s’adresser ? J’trouve ça dingue comme truc…  »

Eirian ajouta que désormais, les parents étaient en mesure de comprendre ce qui arrivait à leurs enfants.

«Mhm… »Raphäel était indécis. «Je sais pas trop… Enfin oui, ils comprennent, mais ils risquent pas faire piquer leur gosse comme on pique un chien enragé ? J’espère que le Conseil d’Administration saura changer ça parce que du côté moldu, tu peux être sûr que les choses vont bouger et pas forcément en bien… Les parents qui sauront pas comment gérer ça iront s’adresser directement au Blood Circle parce que ce seront les seuls à avoir une solution… »

Le français n’encaissait pas très bien le fait que le gouvernement sorcier laisse les Né Moldus livrés à eux-mêmes. C’était dingue tout de même d’apprendre ça, après tout ce que l’Ordre du Phénix tentait d’accomplir. Personne n’avait pensé à régler ça ? Genre… C’était normal qu’ils soient livrés à eux-mêmes ? Raphaël fit semblant de s’intéresser un peu film en regardant les images. Il réalisa qu’il n’avait presque pas touché au popcorn. Il prit une poignée qu’il fourra dans sa bouche et tendit la boîte à Eirian. De toutes façons l’un comme l’autre suivait à peine le film et les autres spectateurs ne pouvaient pas être dérangés.

«Si jamais t’en veux hésite pas.»

La discussion dériva ensuite sur le chaîne de Raphaël. Eirian n’était pas avare en éloge pour le moldu. Il trouvait que le projet était intéressant et nécessaire. Si personne n’avait le courage de le faire, comment les choses pourraient s’améliorer ?

«Ouais… je sais bien… »

Le sorcier était d’accord, des abrutis y’en aurait toujours. Mais la moindre personne qui était sensible aux paroles du moldus, c’était une personne qui pourrait à son tour sensibiliser d’autres personnes. Raphaël voyait toujours ce qu’il faisait comme un papillon qui battait des ailes en espérant faire bouger des choses plus tard. Mais présenté comme Eirian le lui présentait, son projet était plutôt un genre de tentative d’effet dominos. Est-ce que ce n’était pas deux expressions distinctes pour dire la même chose ? J’ai vérifié sur google et en fait si totalement

Le jeune sorcier rassura également Raph en lui disant qu’il n’était pas personne.

«Mais putain, arrêtez de me dire ça, comme si j’étais en train de me dénigrer. J’dis pas ça péjorativement. Ce que je veux dire c’est que je suis Monsieur tout-le-monde. Ça sonne mieux que Monsieur Personne ou pas ? Bref oui je suis monsieur tout-le-monde, ma parole n’a pour ainsi dire aucune valeur. Même si ma Cause est juste et mes arguments sont bons. Ils auront forcément moins d’impacts que les saloperies que peut raconter le Blood Circle. Mais ça veut pas dire que je baisse les bras pour autant, loin de là. »

Il prit une nouvelle poignée de popcorn et tendit la boite au sorcier, en l’agitant un peu pour attirer son attention.

«Après, c’est pas parce qu’il y a eu des scientifiques reconnus qui ont été pris pour des fous, que ça veut dire que tous ceux qui ont l’air fous sont de génie incompris. En général, les gens qui ont l’air fous, ou idiots, le sont vraiment. »

Raphaël ne put s’empêcher de rire lorsque Eirian lui demanda si l’Ordre l’aidait à gérer.

«On va dire que les trois quart des sorciers ne comprennent pas ce que je fais. Et ça s’est pas trop arrangé avec ce qu’il s’est passé début février. Y’en quelques uns qui m’ont reproché de ne pas être allé sur le champ de bataille. Je ne cautionnais pas cette attaque. Pour des raisons qui me semblaient évidentes. » La paix, la non-agression, ça vous parle ? «Après, du côté des moldus de l’ordre, j’ai le soutien d’Anita* et des autres, mais ils ne peuvent pas faire grand-chose ; ça reste un projet personnel. Ils essayent de m’aider à avoir des informations, mais ils peuvent pas me soutenir publiquement. C’est un coup à griller notre couverture à tous. Et bien sûr il y a Nymphéa.»

Sans Nymphéa il ne serait pas là. Sans Leah et sa maman non plus d'ailleurs. Mais sans la belle asiatique, jamais il n’aurait été en contact avec des personnes pouvant lui faire intégrer officiellement l’Ordre. Et elle lui avait apporté tellement de soutien depuis le début. C'était pas seulement son projet à lui. C'était également le sien à elle. C'était le leur.

Finalement, le jeune sorcier conclu que le Blood Circle n’avait pas d’intérêt à faire fermer la chaîne de Raph, que ça équivalait à lui donner du crédit.

«Bah… Le soucis c’est pas tant la fermeture. Je recrée un compte et je réaupload les vieilles vidéos. C’est pas ça le plus gros problème. le plus gros problème c’est si je me fais chopper IRL. Dans la vraie vie je veux dire. Alors bon, j’ai un pseudonyme, j’utilise une fausse adresse virtuelle pour pas qu’on me retrouve. Ils ont pas à chercher à me discréditer. Ce que je fais est totalement illégal, ils ont pas de compte à rendre.»

Raphaël aussi était idéaliste et lui aussi avait envie d’y croire. Au moins; avec Eirian il se sentait moins seul.

«Et moi donc… »

Tu jettes un coup d’œil au film, plus par acquit de conscience que par réelle envie de regarder. Tu as complètement perdu le fil. Les Vikings semblent avoir quitté leur village tous ensemble avec leurs dragons. Pour fuir la menace ? Le titre du film te revient : Le Monde caché. Ils sont peut-être partis à sa recherche. Tu retiens un soupir : de nouveau, l’idée qu’il faut vivre caché pour vivre en paix. Même si le secret magique n’a jamais empêché le Blood Circle de traquer les sorciers, cela les préservait quand même de la majorité des moldus. Est-ce que ce serait de nouveau possible ? Un sortilège d’Amnésie collectif ou de Faux souvenirs et toute l’Angleterre (et le reste du monde) oublierait votre existence. Vaine utopie. Il n’y aura jamais assez de sorciers pour lancer un sortilège d’une telle ampleur. Et ça ressemblerait quand même à une défaite, la preuve que la paix était un chemin impossible – en même temps, en milliers d’années d’histoire, l’humanité a prouvé qu’elle n’était pas capable de s’entendre. Toujours une soif de pouvoir, un besoin de s’enrichir, d’avoir ce que l’autre possède… Frustration, jalousie, pouvoir. Toujours la même triade.

Ta conversation avec Raphaël reste sur un terrain bien plus pratique et réaliste. Ce que tu lui apprends sur les enfants sorciers nés-moldus le choque – tant mieux, ce n’est pas que toi. Tu as toujours trouvé bizarre que les sorciers n’y trouvent rien à redire. Mais c’est sans doute l’un des relents du sentiment de supériorité qu’ils éprouvent vis-à-vis des nés-moldus – et une façon de vous maintenir à l’écart du monde magique, de vous intégrer le moins possible et ensuite de s’étonner que vous n’y arriviez pas, alors qu’eux ont toutes les cartes en main depuis leur naissance.

— Si, si, je suis sérieux. Et non, ce n’est pas un manque d’aide, c’est une absence complète. Tout ce qu’on a, c’est un professeur de Poudlard qui vient l’été qui précède la première rentrée pour te donner la lettre d’admission à l’école, la liste des fournitures et expliquer quand même un peu de quoi il retourne. En gros : tu es un sorcier, la magie existe, bienvenue à Poudlard, et viens, je vais quand même te montrer le Chemin de Traverse, mais pour le reste, tu gères seul, avec tes parents. Alors que ça peut faire trois ou quatre ans que tu ne comprends rien à ce qui se passe.

Et encore, toi, tu avais la chance de savoir que la magie existait. Ta mère n’a pas pu t’apprendre grand-chose sur le monde sorcier, mais tu savais que tu ne perdais pas la tête – même si à cette époque tu aurais tout donné pour ne pas avoir une once de magie.

— C’est… Je ne sais pas pourquoi ils ne font pas plus d’effort. Enfin, si, j’ai une idée. Je suppose que c’est politique. Les sangs-purs et leurs proches occupent la plupart des postes de pouvoir, notre sort ne leur a jamais importé… et ça leur permet d’alimenter leurs arguments comme quoi les nés-moldus sont moins doués en magie, ce genre de choses. Évidemment, on a dix ans de connaissances à rattraper…

Tout en devant suivre les cours normalement. Tu avais lu tous les manuels avant la rentrée parce que tu voulais comprendre, mais ce n’est pas le plus commun – et ce n’est pas un effort qu’on peut exiger de gosses de dix ans, alors qu’il aurait été si simple de les introduire à la magie avant. Ce n’est pas comme si leurs pouvoirs risquaient de disparaître ! Enfin, à l’époque, tu te corriges avec une grimace.
Tu hoches la tête devant les propos de Raphaël sur le côté unique que les enfants ressentent d’abord, avant de se fondre dans le moule que les adultes créent pour eux. Et évidemment, dans ces circonstances, l’explication magique est la dernière envisageable.

— Voilà, tu te penses comme tout le monde, puis d’un coup, tu redécouvres que tu es… unique, en quelque sorte, du moins que tu ne fais pas comme les autres. Et tu n’as aucun moyen de l’expliquer. Pourquoi le vase que j’ai cassé se recolle tout seul ? Même à sept ans, tu sais que ce n’est pas normal.

Raphaël souligne que tu as eu de la chance d’avoir des parents compréhensifs. Tu hoches la tête, nuances un peu quand même, dans la lignée de ce que tu as dit à tes camarades de Poudlard au fil des années. Autant tu ne te prives pas de vanter ta mère, autant tu as moins envie de créer une image de père idéal. Tu as failli t’inventer un beau-père, mais ça compliquait inutilement les choses. Rester le plus simple possible, c’est ce qui a toujours le mieux fonctionné. Simplicité, banalité : personne n’a envie de poser de questions. Et de toute façon, tu t’es très vite rendu compte que les familles moldues n’intéressaient vraiment pas les sorciers, dans leur élitisme inconscient.

— Ils n’ont trouvé personne, justement. À qui tu veux en parler ? Au médecin de famille ? Au mieux, je serai passé pour un affabulateur, un gosse qui cherche à se rendre intéressant. À un exorciste comme tu disais ? Il faut quand même y croire. Au reste de la famille ? Mais qui le croirait ? À l’école ? ça aurait été comme avec le médecin. Puis bon, ce n’est pas simple à avouer. Mon père ne voulait surtout pas que ça sorte, c’était trop… irrationnel. Même maintenant, il a toujours un peu de mal avec la magie. Ma mère était d’accord, mais plus dans l’idée de me protéger, elle ne voulait pas qu’on s’intéresse trop à moi et à ce que je pouvais faire. Ça lui paraissait plus prudent.

Même si les parents seront davantage au courant maintenant, Raphaël souligne le risque qu’ils se tournent surtout vers le Blood Circle, et ce que ça implique pour les gosses. Les seuls à avoir une solution… Finale, surtout, la solution. Tu n’as jamais vraiment su si ton père préférait te coller une balle dans la tête ou te livrer aux scientifiques du Blood Circle pour leurs expériences. Ça vaut peut-être mieux, d’ailleurs.

— C’est le risque… Enfin, comme toujours, ça dépendra des parents et de la façon dont ils aiment leur enfant. Ceux qui verront les dangers du Blood Circle et en protégeront leurs enfants, ceux qui ne les verront pas ou qui refuseront de les voir, ceux qui se dépêcheront de leur fourguer leur gamin, ravis de se débarrasser de l’abomination…

Ta voix devient amère, tu te secoues. Ça risque de finir comme pendant la deuxième guerre contre Voldemort, lorsque les Nés-Moldus ont dû fuir pour ne pas être arrêtés, voire pire, ni inscrits sur les registres du sang. Sauf que cette fois, ce sont les moldus qui se lâcheront contre eux. C’est toujours la mauvaise moitié qui ressort.

— J’espère que le Conseil fera quelque chose. Ne serait-ce qu’une campagne pour dire que c’est normal, et donner un moyen de contacter le Ministère pour en discuter ! Et pas seulement là… C’est effarant de voir à quel point les sorciers ignorent tout du monde moldu et ne s’y intéressent pas. Ça devrait être un cours obligatoire à Poudlard, pour comprendre l’autre.

Tu soupires.

— Le problème, ce n’est pas juste la guerre et les combats. C’est tout ce qu’il y a autour, l’éducation, le savoir, les préjugés inconscients qu’on intègre sans s’en rendre compte… Tant qu’on n’avancera pas de ce côté-là, le même conflit ressortira toujours.

Tu te rends compte que tu parles depuis… tu ne sais combien de temps. Tu adresses un sourire d’excuses à Raphaël.

— Désolé, je parle trop.

Tu es beaucoup moins loquace d’ordinaire. Le sujet doit te tenir à cœur. Et tu aimerais éviter qu’il y ait trop d’autres « Nathan », obligés de passer leur vie en cavale. Parler de ta famille inventée t’aide aussi – cette barrière-là tient toujours, malgré les dernières semaines. Ça te rassure un peu, reconstruit ton cadre protecteur. Plus de gens connaîtront cette histoire, mieux ce sera. Rester trop secret t’attirerait trop d’attention. Inutile de donner des armes contre toi à l’Ordre. Un instant, tu imagines ce que ça ferait de tout balancer à Raphaël, là, de lui confirmer que ce qu’il craint s’est déjà passé, que le Blood Circle n’hésite pas à se débarrasser des nés-moldus dans ses rangs… Un frisson te traverse. Tu ne pourras jamais l’avouer. Pas si tu veux rester dans l’Ordre. Et si les sorciers te traquent en plus du BC… Tu te secoues brusquement. Stop. Ça n’arrivera pas.
Raphaël te propose son pop-corn, tu refuses d’un geste de la main. L’odeur trop sucrée t’écœure un peu.

— Merci.

La discussion glisse sur la chaîne du moldu, il proteste quand tu lui dis qu’il n’est pas « personne ».

— Monsieur Tout-le-monde, si tu veux. C’est sûr que face à la machine de propagande du Blood Circle, on ne peut pas faire grand-chose… même s’il y a déjà plus de possibilité qu’il y a vingt ans.

Le problème semble insoluble. Et tu ne t’y connais vraiment pas assez en réseaux sociaux, en algorithmes, tout ce fonctionnement de la société moldue qui t’échappe depuis trois ans, parce que tu n’as plus le temps de t’y intéresser – et que tu n’y voyais pas d’intérêt jusqu’à maintenant.
Raphaël t’agite son popcorn sous le nez en disant que les gens qui ont l’air fous le sont souvent.

— Certes. Ou on comprend trente ans après qu’ils avaient raison.

L’Ordre ne l’aide évidemment pas – et les sorciers devant un ordinateur ressemblent sûrement à des poules devant un couteau. C’est déprimant. Il a quand même du soutien du côté moldu de l’Ordre, mais ils ne peuvent pas trop s’impliquer non plus.

— Je n’ai pas participé non plus en février.

Ça te paraissait inutile, tu te doutais que ça finirait en bain de sang – non que tu sois lâche, enfin, si, un peu, vu ta propension à la fuite, mais… c’était évident que ça allait finir en massacre pour un bénéfice nul, et ajouter des litres d’huile sur le feu.
Un nom retient ton attention, t’évoque quelque chose.

— Nymphéa ? Nymphéa Chang ? Elle t’aide ?

Tu la connais seulement de nom, pour l’avoir aperçue à Poudlard, mais tu te demandes comment elle participe à la chaîne de Raphaël. Il revient sur le problème de la sécurité. Un soupir t’échappe. C’est vraiment David contre Goliath, il n’y a tellement pas de moyens, alors qu’une partie des médias soutient le premier ministre.

— Je suis désolé. C’est tellement… injuste de se décarcasser autant en sachant qu’on est face à un monstre qui peut nous écraser d’un coup de pattes. Je ne sais pas si l’Ordre se rend compte qu’il y a quelque chose à jouer du côté des médias moldus, qu’il ne faut pas laisser le Blood Circle occuper le terrain à ce point… Il faudrait qu’ils comprennent. Et qu’ils s’y intéressent.

Toujours le même problème. Même si la moitié des sorciers ne comprennent rien au monde moldu, ils ne peuvent pas s’en passer, pas cette fois. Et si les moyens non magiques ne leur conviennent pas, ils n’ont qu’à organiser des lâchers de tracts par hiboux, ce serait toujours un moyen comme un autre de se faire entendre. Ou n’importe quelle autre solution.

Eirian lui confirma qu’il était très sérieux et que ce n’était pas qu'une façon de parler. Les sorciers issus de familles moldues étaient littéralement livrés à eux-même. Ils avaient comme seule aide un professeur de Poudlard qui venait leur rendre visite afin de leur donner leur lettre d’admission et les aider à acheter quelques fournitures alors que ça faisait plusieurs années que les pauvres gosses étaient complètement paumés sans savoir ce qu’il leur arrivait.

«Nan mais… Tu  te fous de ma gueule, on est d’accord ? Tu me fais marcher. Pourquoi ils ne feraient rien ? C’est débile.»

Raphaël dévisagea le jeune homme. Il n’avait vraiment pas l’air de plaisanter. Il y avait un petit on ne sait quoi dans sa façon de parler qui laissait supposer que tout ceci était bien sérieux. Eirian continua en partageant sa théorie à propos de la politique sorcière.

«Il y a beaucoup de mangemorts parmi les sang-purs ? »

Il y avait encore beaucoup de choses que le moldu ignorait. Ce qui pouvait l’amener à poser des questions un peu idiotes aux yeux d'autres personnes.

«Et pour les compétences en magie, n’y voit aucune offense de ma part, mais un sang-pur n’aura pas plus de prédisposition pour la magie ? Je n’y connais rien, je cherche juste à comprendre. »

Est-ce que c’était pure discrimination de la part des sang-purs, qui s’estimaient être meilleurs que les autres ? Est-ce qu’il y avait une part de vérité derrière tout ça ? Ou alors, sur le papier ils étaient égaux, mais comme le soulignait le jeune sorcier, les né-moldus avaient dix ans de connaissances à rattraper et c'était ça qui créait un écart.

Raphaël comprenait le point de vue d’Eirian. Ce sentiment d’être différent, unique, avant de rentrer dans le moule ; sauf que lui n’avait réellement pas de superpouvoir et il ne cherchait pas non plus à en avoir. Parce que de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités. Ah l’Oncle Ben ne savait pas que faire du bon riz, c’était quelqu’un de très sage. Eirian prit l’exemple d’un vase cassé et l’incompréhension de le voir se reconstituer.

«C’est ce qu’il t’est arrivé ? Cette histoire de vase. C'est la tienne ? Sept ans… C’est tellement jeune… »

Le moldu n’arrivait pas à imaginer. Peut-être qu’à sept ans il n’avait pas le recul nécessaire pour se rendre compte de ce qu’il se passait. Il aurait trouvé ça cool d’avoir des pouvoirs. D’un autre côté… À cet âge il s’amusait dehors avec des bâtons et se battait contre des hordes d’ennemis imaginaires. Qui sait comment ses jeux auraient pu dériver avec de la magie ? Raphaël félicita les parents d’Eirian qui ont su se montrer compréhensifs et qui ont pu épauler leur fils et se demanda comment ils ont su trouver à qui s’adresser. Personne. Le sorcier avait raison, à qui pouvaient-ils parler ? Qui les croirait ? Et effectivement, comment être sûr qu’il ne se fasse pas enlever par on ne savait qui pour être disséquer et comprendre d’où venaient ses pouvoirs ?

Ils espéraient tous deux que le Conseil d'Administration fasse quelque chose à ce sujet. Eirian alla jusqu'à s’offusquer que le monde Moldu soit si invisible aux yeux des sorciers, que ça sensibiliserait pas mal s’il y avait un cours obligatoire sur le sujet à Poudlard.

«Tu en as parlé à l’Ordre ? Après tout on représente presque la moitié du Conseil. Mais oui, je trouve que c’est une bonne idée cette histoire de découverte du monde moldu. Et du côté moldu aussi, ça pourrait être bien d’avoir ça pour apprendre à comprendre la Magie ! Même si en ce moment, ça risquerait pas d’être le programme que j’imagine… »

Eirian s’excusa de trop parler.

«Bah, c’est que t’as besoin de lâcher ce que t’as sur le coeur. J’me sens super important de savoir que tu te lâches avec moi. Merci pour ta franchise. Bon par contre, j’ai totalement lâché le film Mais je crois que même sans ça j'aurais été largué..»

Se rappelant qu’il avait des popcorn, le moldu en mangea une poignée puis proposa à Eirian d’en prendre, mais le jeune homme refusa poliment d’un geste de la main.

Ils parlèrent ensuite de la chaîne de Raphaël et ce dernier dû clarifier une fois de plus les choses. Il savait qu’il n’était pas un moins que rien, il ne se dénigrait pas en prétendant n’être personne. Mais il n’était pas quelqu’un avec une grosse influence. Un jour peut-être ? Mais pas pour l’heure. Raphaël décida d’utiliser le titre “Monsieur Tout-Le-Monde” pour parler de lui en tant que personne lambda. Le sorcier valida les dires du français qui continuait de nuancer la situation. Il agita une nouvelle fois les popcorn devant Eirian. Non, vraiment pas ? Ça en faisait beaucoup pour une seule personne…

Raphaël expliqua ensuite que niveau soutien de l’Ordre, c’était assez compliqué pour lui étant donné que peu comprenaient ce qu’il faisait et que quelques sorciers lui reprochaient même de de ne pas avoir été présent. Faut dire qu’il avait fait plus que ne pas participer, il était totalement contre une telle action et le faisait bien savoir… Du côté de la branche moldue, les membres ne pouvaient pas trop se solidariser avec lui publiquement, sinon ils risquaient d’être un groupe trop évident et si l’un se faisait prendre, toute la chaîne tombait. Le jeune sorcier releva tout de même le nom de Nymphéa Chang.

«Oui, c’est grâce à elle que j’ai pu entrer en contact avec des personnes de l’Ordre. Nymphéa c’est… » Ma petite amie ? La fille que j’aime ? Quelqu’un d’important pour moi ? «… c’est une amie qui a su être là pour moi en période de troubles. On s’est rencontré lorsque je cherchais des acteurs amateurs pour un projet personnel d’un scénario fait un peu à l’arrache. Mais du coup oui, elle m’aide pour la chaîne, elle m’aide à trouver des témoignages de sorciers. Ils sont souvent plus enclins à répondre à une sorcière plutôt qu’à un moldu… Étrangement.»

Eirian était désolé pour Raphaël. Il voyait bien que le moldu et le Blood Circle ne se battait pas à armes égales et regretta que l’Ordre ne s’investissait pas plus. Le Blood Circle n’hésitait pas à exploiter cette part de la civilisation pour la retourner contre les sorciers.

«Oui… Faudrait que je relance Miss McThrew sur ce sujet là. De voir si elle peut pas s’arranger avec la branche sorcière pour qu’ils fassent quelque chose pour rassurer la population moldue»

Mais c’était vraiment pas gagné d’avance…

Le moldu a vraiment du mal à accepter ce que tu lui dis sur le sort des nés-moldus. C’est rassurant en un sens : au moins, ce n’est pas toi qui affabules en trouvant la situation complètement anormale. Elle ne l’est vraiment pas. Tu n’es pas sûr que les sorciers aient jamais pris la mesure du problème. Quand on a baigné toute sa vie dans un univers où les dragons et les hiboux postaux font partie du quotidien, imaginer que d’autres en ignorent totalement l’existence ne doit pas être simple. Mais quand même.
Tu secoues la tête devant l’incrédulité de Raphaël.

— J'aimerais bien être en train de me moquer, mais je suis hyper sérieux. Et tu me rassures : je ne suis pas le seul à trouver que c’est débile. Peut-être qu’ils n’ont jamais compris à quel point on ignorait tout de leur réalité. Je veux dire, quand tu vois à quel point la magie est présente partout, les créatures magiques, ce genre de choses… ce n’est pas simple d’imaginer que pour d’autres ça n’existe purement et simplement pas.

Même si vu toutes les précautions prises par les sorciers pour préserver le secret, ils devraient s’en douter. Sans compter l’aspect politique, dont tu es sûr qu’il joue un rôle. Vous n’êtes pas très nombreux non plus. Les sang-mêlés le sont bien davantage et eux ont un pied dans la magie depuis leur enfance, à l’aise dans les deux mondes – souvent d’ailleurs plus du côté magique. Certains ont-ils déjà fait le choix de vivre une vie moldue, de tourner le dos au monde sorcier ? Il doit y en avoir, mais tu n’as pas le sentiment que ce soit très courant. Ou alors les sorciers n’en gardent pas trace, ce qui est possible aussi.
Raphaël te demande s’il y a beaucoup de mangemorts parmi les sangs-purs.

— C’est dur de connaître la proportion exacte, tous ne disent pas qu’ils appartiennent au mouvement, ils peuvent juste avoir des sympathies… Et il y a aussi des sangs-purs qui rejettent totalement cette idéologie. Mais la très grande majorité des Mangemorts sont des sang-purs.

Le moldu revient sur les prédispositions à la magie. Pour le coup, tu es beaucoup plus affirmatif.

— Non. Il n’y a absolument rien qui montre qu’un sang-pur a plus de prédispositions pour la magie qu’un né-moldu. Ils n’ont pas plus de pouvoir, de magie en eux. Certains des meilleurs élèves de Poudlard sont nés-moldus, beaucoup de grands sorciers sont des sang-mêlés… ça pourrait être des exceptions, mais il n’y a vraiment rien qui indique la supériorité des sang-purs.

Et tu aimes de moins en moins le fait que ces dénominations soient courantes dans le monde sorcier, car elles traduisent le racisme latent des sang-pur. « Né-moldu », comme pour rappeler en permanence que tu n’es pas un vrai sorcier, que tu as d’abord été un moldu, ce qui est faux – et a nourri une partie de l’idéologie mangemort de Voldemort, qui accusait les nés-moldus d’avoir volé la magie des « vrais » sorciers. Effacer les cases serait compliqué, d’autant qu’elles sont encore utiles puisque tous les sorciers ne sont pas traités sur le même plan, mais il faudrait leur trouver d’autres noms.
Tu acquiesces quand Raphaël te demande si l’histoire du vase t’est arrivée. Tu souris.

— Oui. Ça n’aurait pas été une grande perte, c’est vraiment une mocheté, une mocheté fragile, mais mon père y tient… Je n’étais pas fier quand j’ai vu que j’en avais fait un puzzle. Et pouf, comme neuf, aucune trace de quoi que ce soit. Rien. Et aucune idée de comment je m’y étais pris, de si ça pouvait recommencer, etc.

Enfin, c’est surtout la peur qui a déclenché ton pouvoir parce que ton père n’aurait pas apprécié l’exploit – peur devenue panique quand tu as compris ce que tu avais accompli.
En parler à l’Ordre ? Tu n’y as pas pensé, tu tiens surtout à ne pas te faire remarquer. Et clairement, côté moldu, les cours sur le monde sorcier ne seraient qu’une occasion supplémentaire de répandre la propagande du gouvernement.

— Non. Je ne suis pas sûr que ce soit une priorité en ce moment, ça mettra des années à produire un résultat et je ne pense pas que ça les intéresse. Je veux dire, je ne suis pas le seul né-moldu à y avoir pensé, quand même ? Rien n’a jamais changé. Bon, le contexte n’était pas le même, mais maintenant avec le conflit, il y a des choses plus urgentes…

Ralph balaie tes excuses en quelques mots, te remercie pour ta franchise.

— Ça ne me ressemble pas de me lâcher comme ça, mais je n’ai pas beaucoup l’occasion d’en parler non plus. Merci de m’avoir écouté.

Tu jettes un coup d’œil vers l’écran, en profites pour scanner la salle. Personne ne vous prête attention, les spectateurs restent focalisés sur le film.

— Je suis complètement perdu aussi.

Et aucun de vous deux ne tente de rattraper ce qui se passe. C’est de toute façon trop tard. La conversation avec Raphaël t’intéresse bien davantage. Tu ne passes qu’en coup de vent au QG et tu cultives l’art de passer inaperçu, pas mal de choses qui s’y déroulent t’échappent donc, surtout une partie de l’équilibre complexe entre les différents groupes. Ce n’est pas plus mal que tu aies l’occasion d’en prendre la mesure et d’évaluer les dynamiques. Raphaël détaille sa relation avec Nymphéa.

— C’est top qu’elle puisse t’aider et que vous travailliez ensemble. Et… je ne suis pas surpris que les sorciers préfèrent lui répondre. Bon sang, on est en 2020, comment le chemin peut être encore aussi long…

Il faudra que tu prennes le temps de regarder ses vidéos en détail pour voir comment se présentent ces témoignages. Si seulement la magie ne brouillait pas la technologie… C’est vraiment un projet qui te parle. Est-ce qu’ils accepteraient éventuellement quelqu’un d’autre dans leur équipe ? Encore faudrait-il que tu aies quelque chose à apporter, être motivé ne suffit pas. Et tu ne les connais quasiment pas.

— Oui, je ne suis pas sûr qu’ils mesurent à quel point notre monde fonctionne sur la communication. S’ils laissent le gouvernement et le Blood Circle occuper entièrement le terrain, ils n’arriveront jamais à convaincre les moldus que la majorité des sorciers ne sont pas un danger.

Raphaël avait du mal à encaisser l’information. L’Ordre du Phénix, la guerre contre Voldemort, la protection des sang-mêlés et des nés-moldus contre les mangemorts et leurs idées… Ce n’était que du vent tout ça ? Eirian essaya de comprendre le point de vue des Sang-Purs. Peut-être que ces sorciers ne se rendent pas compte que pour certaines personnes, la Magie n’était que des légendes et des comptes pour enfants ? Il était vrai que Raphaël avait découvert énormément de choses sur la Magie ces derniers mois, mais il y avait encore tant de choses à voir et à apprendre, tant de choses inconnues aux yeux du moldu et qui pourtant pouvaient être si élémentaires pour les mages.

«Oui. Tu as raison.»

Il n’y avait pas vraiment matière à débattre. Et ça fonctionnait dans les deux sens. Si les nés moldus étaient de primes abord complètement largués dans le monde sorciers, les sang-purs eux, le seraient dans le monde moldu. Ce n’était qu’une question d’environnement et d'adaptabilité.

Le sorcier expliqua que c’était compliqué de connaître la véritable proportion de mangemorts. C’était quelque chose qu’ils gardaient relativement secret. Cependant, il semblerait que les familles de sang-Pur avaient tendance à sympathiser entre elles et même si on ne pouvait savoir la proportion de mangemorts parmi les sang-pur, la réciproque était fausse.

«Ouais bon… Même s’ils ne sont pas tous mangemorts, ils sont copains comme cochons et se couvrent les uns les autres, à quelques exceptions près. »

Raphaël se permit une question peut-être un peu vexante à propos de la Magie et de la pureté du sang. Mais au final, ils en revenaient à l’environnement et l'adaptabilité. Les enfants qui sont issus d’une famille de sorciers étaient baignés dans la magie depuis toujours, c’était normal qu’ils comprennent plus rapidement certaines choses que ceux issues de familles moldues qui devaient assimiler l’existence de la magie. Ça ne voulait pas dire que génétiquement, ils étaient mieux qualifiés. C’était la même comparaison qu’on pouvait faire entre un enfant des villes et un enfant sauvage ; l’un aura des facilités avec la technologie tandis que l’autre aura plus de connaissance en survie, mais ça ne veut pas dire que l’un est plus intelligent que l’autre. Environnement et adaptabilité.

«Je comprends.»

La discussion dériva ensuite sur les conditions des nés-moldus et sur une histoire de vase brisée. L’Histoire de Eirian.

«Une mocheté hein ? Pourquoi j’ai le sentiment que le bris de ce vase n’était peut-être pas aussi accidentel que tu essaies de le faire croire.»

Raphaël donna un petit coup de coude amical au sorcier, pour lui signifier qu’il plaisantait et qu’il n’attendait pas vraiment de réponse à sa remarque.

«Tes parents ont assisté à la scène ou tu leur en as parlé ? »

Étrangement, le moldu ne voyait pas trop Eirian de sept ans annoncer ça à ses parents. Mais cet événement n’était que le premier d’une successions de chose qui firent que le sorcier se retrouvait à ce moment précis dans ce lieu précis et Raph comprit que le chemin parcouru n’était pas de tout repos. Si on n’était pas issus d’une famille de sorciers, on était livré à soi même pour évoluer dans le monde magique. Le français suggéra au jeune sorcier d’en toucher un mot à l’ordre mais visiblement, il n’était pas trop partant. Il avait l’air de chercher des excuses. “Pas une priorité”, “Ça mettra des années”, “Ça changera rien”. Raph n’insista pas. Si Eirian ne voulait pas se mouiller là dedans, il n’allait pas le forcer.

Ils changèrent de sujet et Raphaël soupçonna son compagnon d’être soulagé que la discussion parle de d’autre chose que de lui. Ils parlèrent un peu plus en détail des occupations de Raph au sein de l’ordre du phénix ainsi que de l’aide, ou plutôt de la non-aide qu’il recevait. Raphaël n’avait pas énormément de soutien, mais il n’était pas seul à proprement parler. Et surtout il pouvait compter sur Nymphéa pour récupérer des témoignages de sorciers.

«Oh tu sais… Dans le contexte actuel, je comprends bien facilement. Certains ont été enlevés et privés de leur magie, d’autres ont été torturés. Le tout par des moldus. C’est normal qu’ils se méfient… C’est déjà très courageux que certains acceptent de se confier à Nymphéa, qu’ils acceptent de parler de ce moment où leur fierté a pris un coup. Quand on se fait mordre par un loup, on se méfie des chiens. Je trouve pas que leur réaction soit choquante. Même si, bon, ça m’emmerde un peu… »

Raph finit par se dire qu’il devrait suggérer à ses supérieurs de voir s’il n’était pas possible de faire quelque chose publiquement pour éviter que les moldus britanniques ne se rangent tous du côté du Blood Circle. Eirian approuva en affirmant que les sorciers ne se rendent pas compte de l’importance de la communication dans le monde moldu.

«Bah en plus, les sorciers aussi ont leur médias. J’veux dire la Gazette a de l’influence non ? Du coup ils peuvent bien se rendre compte que c’est pareil chez les moldus.»

Parler de la situation des nés-moldus est à la fois libérateur – tu as rarement l’occasion de le faire et ce n’est pas un sujet à l’ordre du jour de la société sorcière – et déprimant – le chemin est encore terriblement long. D’autant que la situation actuelle complique encore la vie de ces enfants entre deux mondes. Combien d’entre eux auront à souffrir de ce qui se passe ? Combien verront leurs parents, effrayés ou attirés par le Blood Circle, se retourner contre eux ? Certains auront bien évidemment des parents accueillants, pour qui cela ne changera rien, même si leur vie risque de devenir compliquée. Mais tous n’auront pas la chance que tu as eue avec ta mère, qui t’a fait passer au-dessus de toutes ses idées – vous n’avez jamais vraiment parlé de son passé au sein du Blood Circle, mais tu l’as assez lu dans les entraînements qu’elle te donnait, dans sa capacité à les tenir en échec pendant toutes ces années aussi. Ce n’était pas un secret, mais tu n’as jamais voulu revenir dessus. C’était du passé, comme Nathan, comme tout le reste, une époque de ta vie dont tu as gardé des souvenirs très clairs et qui en même temps te paraît appartenir à une autre existence, comme si ce n’était pas vraiment toi.
Raphaël souligne que de leur côté les sang-pur se protègent mutuellement.

— Oui, c’est tout à fait ça. Même s’ils n’approuvent pas, le sang l’emporte sur le reste.

Un peu comme une famille qui préfère laver son linge sale en privé et afficher un front uni à l’extérieur. Certes, tout ne doit pas être simple dans ces environnements verrouillés, où les moindres gestes sont surveillés, où les enfants doivent marcher dans les traces de leurs parents… mais il est toujours possible d’en échapper. Tu le vois bien avec le Blood Circle qui fonctionne un peu sur la même logique, et les voix dissidentes qui commencent à naître, à commencer par Robin.
Le moldu essaie d’alléger l’atmosphère en revenant sur ce fameux vase et en insinuant que tu as peut-être fait exprès de le casser. Son léger coup de coude te fait tressaillir, mais le contact est trop bref et assez peu intrusif pour que tu réagisses trop bizarrement. Tu souris dans le noir, secoues la tête. La question qui suit est plus sérieuse. Pour une fois, tu colles à la vérité.

— C’était vraiment un accident, tu précises quand même. Ils n’étaient pas là et je n’ai rien dit, je ne savais pas comment en parler et il n’y avait pas de preuve, tu vois ? « J’ai cassé le vase et il s’est recollé tout seul », même à l’âge que j’avais, ça sonnait étrange. Bon, ça m’arrangeait aussi qu’ils ne le sachent pas. Et puis je me disais que ça ne recommencerait sûrement jamais. Que c’était… je ne sais pas, une sorte de hasard ? Je me suis même dit que j’avais tout imaginé.

Tu hausses les épaules.

— Évidemment, ça s’est reproduit. Pas la même chose, pas les mêmes circonstances, mais cette fois ils étaient là et ils ont… vu.

Et encore tu avais la « chance » que tes parents connaissent déjà l’existence de la magie, qu’ils sachent exactement ce qu’il se passait.

La chaîne de Raphaël continue de capter ton attention. Oui, évidemment, tu comprends que les sorciers n’aient pas envie de parler de leur expérience avec le Blood Circle, tu ne gardes pas exactement un bon souvenir de tes deux jours de capture en octobre dernier – en sus de la crainte qu’ils ne t’identifient tout de suite. Surtout en face d’un moldu. Mais… tu soupires intérieurement. Tu aurais des raisons aussi de haïr les moldus, de ne plus vouloir avoir le moindre contact avec eux. Et pourtant… tu ne les rejettes pas en bloc malgré ce qu’ils t’ont fait. Mais tu as l’expérience des deux mondes, tu connaissais les moldus… avant. Et les sorciers ne sont pas en reste non plus en termes de torture. La spirale de la violence, toujours la même. Moldus ou sorciers, les humains ne sont pas doués pour apprendre de leurs erreurs ; même si l’histoire ne se répète jamais deux fois à l’identique, il y a quand même de grandes impressions de déjà-vu.

— Tu as raison, je n’aurais pas dû dire ça. On ne peut pas trop leur en demander et c’est déjà beaucoup qu’ils acceptent de témoigner, surtout dans ces circonstances.

Surtout que niveau courage, tu ne vaux pas grand-chose, tu ne vas pas le nier. Et ça te va bien d’espérer des autres qu’ils fassent confiance pour raconter ce qu’ils ont traversé, alors que tu es incapable de te fier à qui que ce soit et de faire autre chose que mentir encore et toujours. Même leur méfiance, tu la comprends. Tu regrettes ta remarque.

Vous continuez sur la communication, surtout celle du Blood Circle, et des ravages qu’elle peut provoquer. Raphaël évoque les médias sorciers, la Gazette du Sorcier. Mais ça n’a aucune commune mesure avec ce qu’il y a dans le monde moldu. Il n’y a pas ce déferlement permanent – du moins, c’est ainsi que tu le ressens lors de tes incursions hors du monde sorcier.

— La Gazette, oui, mais c’est pratiquement le seul média d’influence.

Certes, il y a bien Sorcières Hebdo, mais il se rapproche beaucoup des magazines féminins moldus. Et Le Chicaneur sort toujours ses articles excentriques, loin de la tournure plus politique adoptée pendant la guerre contre Voldemort. Même si tu suis l’actualité sorcière et moldue comme tu peux, tu es loin d’être un spécialiste en médiation magique.

— Et ils publient une édition tous les matins. Les informations circulent plus lentement que côté moldu. Il n’y a pas tous les réseaux, la puissance d’Internet, le fait que la moindre nouvelle peut se propager extrêmement vite. Je me trompe peut-être, mais c’est l’impression que ça me donne.

Les foyers sorciers sont aussi équipés en radios, mais tu ne sais pas quel impact elles ont exactement, ni quel genre d’émissions elles diffusent. Sans doute un peu comme chez les moldus : informations, musique, divertissement. En tout cas, cela te paraît toujours peu par rapport aux non-magiciens.

C’était assez écœurant comme raisonnement. Ce jeu d’alliances politiques. C’était vraiment partout pareil, que ça soit moldu ou sorcier. Plus que écœurant, il trouvait ça aberrant. Aller à l’encontre de leur valeur pour garder les solides mailles liant les familles de lignées pures entre-elles ; faire l’autruche afin que leur famille garde une image respectable, le tout au détriment du bons sens. Répugnant.

«Ouais bon… Au final c’est même pas si étonnant que ça, c’est partout pareil.»

Pas si étonnant, mais ça ne devrait pas se passer comme ça pour autant, ça ne devrait pas être une normalité. De fil en aiguille la discussion fila sur l’apparition des pouvoirs de Eirian, et l’histoire de l’immonde vase cassé ressuscité. Raphaël plaisanta à ce sujet. Un “accident” hein ? Mais le sorcier semblait prendre la pique très au sérieux, tellement au sérieux qu’il se sentait obligé de préciser que c’était vraiment un accident.

«Oui, je me doute bien. C'était pour rire.»

Eirian avoua que ses parents n’avaient pas assisté à la scène, et qu’il n’avait pas eu le courage de leur en parler. Compréhensible.

«En même temps, est-ce qu’ils t’auraient cru ? Il y a toujours le soucis de passer pour un gosse qui veut faire l’intéressant, ou qui croit voir des choses. Comme tu le disais juste avant.»

Le sorcier expliqua qu’en fin de compte, le phénomène s'était à nouveau reproduit. Pas forcément la même chose, et dans un autre contexte… Mais surtout ses parents étaient là cette fois-là. Raphaël ria.

«Un autre truc moche que tu as “accidentellement” cassé ? Et du coup ils ont réagi comment. Je veux dire okay, tu m'as dit que ton père avait eu du mal et ta mère était paumée. Mais sur le coup ils ont pas forcément compris que ça venait de toi, si ? »

Lorsqu’ils parlèrent du rôle que Raph s’était auto-attribué au sein de l’ordre, Eirian s’était offusqué que les sorciers de l’ordre aient si peu confiance en lieu et qu’il avait aussi peu de soutien au sein de l’Ordre en général… Mais le moldu relativisa les choses, expliquant que beaucoup de sorciers avaient souffert à cause du Blood Circle et que c’était une réaction normale que de se montrer méfiant vis à vis d’eux. Le sorcier finit par s’excuser pour ses propos.

«Bah… T’as pas vraiment à t’excuser, tu pouvais pas savoir ce que ces gens ont pu subir. Tu peux pas vraiment comprendre. Pour certains, le seul contact qu’ils ont eu avec des moldus c’est d’avoir été privé de leur pouvoir et torturés… » Raphaël repensait aux sorciers dépossédés de leur pouvoirs qu’il avait rencontré en décembre avec Tobias, lors de sa première mission, l’une des premières dans le cadre de la création du Conseil d’Administration… Il pouvait revoir ses mines déconfites, et surtout la peur que Raphaël avait inspiré à ces gens quand il s’était présenté comme moldu… Même s’il combattait le Blood Circle, Eirian avait eu la chance d’avoir des parents moldus qui, même s’ils n’avaient pas su comment épauler leur fils dès le début ont fini par se montrer compréhensif. «...et du côté moldu, je suppose que ça doit être pareil, certain n’ont dû avoir affaire qu’à des mangemorts et la barbarie de certain.»

Pour le coup, Raphaël savait très bien de quoi il parlait. Comment lui-même aurait-il pu finir s’il n’avait pas fait la connaissance de Amber, de Nymphéa, de Soledad ou de la famille de Leah et d'autres encore ? Que ce serait-il passé s’il était tombé sur son enregistrement dans son téléphone avant de rejoindre l’Ordre ? Comment aurait-il réagi en apprenant qu’il avait torturé et manipulé ? Le Raphaël de maintenant ne saurait répondre. Il aurait probablement été chercher de l’aide auprès du Blood Circle. Il avait eu cette époque où il se fichait du sort des sorciers. Ils existaient, mais ça lui passait au dessus. Les choses avaient bien changées…

Ils débâtèrent un moment à propos des médias, du fait que c’était une carte à jouer du côté moldu. Eirian appuyait l’idée du français de s’intéresser à la population civile moldue pour pas les laisser se faire manipuler aussi facilement pas le Blood Circle qui s’en donnait à coeur joie dans les médias. les deux garçons ne comprenaient pas pourquoi il y avait si peu d’actions sur ce terrain là. Raph argumenta que les sorciers avaient leur propres médias d’influence et qu’ils devaient savoir l’importance que ça avait. Eirian nuança en disant que la Gazette du Sorcier était pratiquement le seul journal qui avait un peu d’influence et que l’information circule bien plus lentement du côté sorcier. Une édition le matin et c’était tout.

«C’est vrai que pour nous, c’est instantané. Entre les chaînes de télévisions et, comme tu le dis, l’accès à internet. J’ai juste à prendre mon téléphone et je peux voir les dernières nouvelles.»

Raphaël sortit son téléphone et s’apprêtait à le déverrouiller, pour confirmer ses dires, lorsqu’il se rappela qu’ils étaient au cinéma.

«Enfin bon, tu me crois sur parole, je pense, inutile d’attirer l’attention avec le rétroéclairage.»

Le moldu s’interrogea quand même d’un truc.

«N’empêche, vous pouvez faire tellement de chose avec la magie… Mais vous n’avez pas moyen d’accéder rapidement à l’information ? Genre un sortilège “Magic Info Online” ? J’veux dire, vous pouvez vous téléporter. C’est pas rien comme truc ! Et les moldus surpasserait la Magie sur ce domaine là ?»

Est-ce que c’est vraiment normal que tu sois aussi blasé de la politique sorcière ? Tu n’en sais rien. Tes condisciples ont toujours paru accepter le système sans jamais le remettre en question. Tu n’es pas un révolté de nature, mais… tu ne sais pas, les injustices te sautent aux yeux, peut-être parce que tu es pleinement concerné. En tout cas, que ce soit côté moldu ou sorcier, l’entre-soi et l’attachement au pouvoir sont les mêmes. Presque rassurant en un sens ? C’est à voir. Sur ce plan-là, aucun des deux mondes n’a quoi que ce soit à envier à l’autre. Peut-être une prise de conscience plus avancée du côté moldu, et encore… Raphaël arrive au même constat que toi : c’est partout pareil.

— Eh, ça nous fait un point commun !

Rien de normal là-dedans, mais très… humain en quelque sorte. D’un point de vue extérieur, tu as l’impression que la politique sorcière se sclérose, jamais remise en question, dans une sorte de routine où les sang-pur occupent la majorité des postes de pouvoir et où certains sang-mêlés, parfois nés-moldus, parviennent à se faire une place, mais ça reste marginal. Le fait est que les sorciers ne sont pas très nombreux à l’échelle du pays, ce n’est pas simple à structurer. Et côté moldu… eh bien, ce sont toujours les mêmes élites qui se succèdent, sans qu’il y ait de réel renouvellement. [NdA : Eh, Eirian, tu me fais quoi, là ? Tu veux réformer tout le système politique ?]
Tu as sans doute répondu trop sérieusement à Raphaël concernant l’accident du vase. Il se demande si tes parents t’auraient cru si tu en avais parlé. Des parents moldus normaux, sans doute pas. Tu secoues la tête.

— Non. Exactement : ils auraient pensé que je faisais mon intéressant. Il n’y avait pas de trace, pas d’éclat.

Lorsque tu évoques les fois suivantes, un rire échappe au Moldu tandis qu’il évoque une autre mocheté accidentellement cassée. Tu ris aussi. Eh non, tu as fait attention ! Presque à mettre la table comme si les assiettes étaient faites dans un cristal précieux vieux de trois siècles que le moindre choc briserait en milliers d’éclats. Comment ils ont réagi… « Eh bien, mon père a mal pris que je le projette à cinq mètres de là, alors qu’il essayait de m’entraîner » est à proscrire.

— Non, j’ai été sage après ! Alors, ils n’ont pas compris la fois d’après, parce que… je jouais avec mon père sur un terrain de jeux, et bon, à sept ans, tu n’es pas censé pouvoir bondir au niveau du panier de basket pour marquer, n’est-ce pas ? Même avec beaucoup d’élan, ce qui n’était pas le cas. Là, il l’a mis sur le coup du hasard, de la chance, une rafale de vent, une sorte de reflet, je n’avais pas vraiment sauté si haut, bref tout ce qui pouvait expliquer que c’était presque normal. Par contre, quand tes peluches et tes jouets commencent à voler tout seuls dans ta chambre… c’est plus compliqué à justifier rationnellement. Il n’y avait personne d’autre dans la pièce, ce n’était pas des trucs électroniques, ça ne pouvait être que moi… Et ça ne pouvait pas être juste une blague. Je n’arrivais pas à arrêter, même s’ils me le demandaient, c’était même de pire en pire. Et après ça, évidemment, les moindres bizarreries devenaient évidentes… et même en essayant de toutes ses forces, on ne peut pas empêcher ses pouvoirs de se manifester. Ou alors ça devient vraiment dangereux. Mais ça non plus, les nés-moldus ne le savent pas.

Tu en parles de façon légère, mais cela doit se sentir que pour « Eirian », cela reste une période compliquée.

Lorsque la discussion glisse sur l’Ordre, tu t’excuses de t’être un peu emballé. Tu as du mal à comprendre qu’on réduise toute une population au comportement de quelques individus. Mais tu sais aussi qu’il n’y a rien de rationnel là-dedans, sinon tu ne réagirais pas comme un idiot chaque fois qu’on t’approche trop près. Même si une part de toi a conscience qu’il n’y a pas de danger réel, celle qui prend les commandes oublie tout le reste. Raphaël souligne que tu ne peux pas comprendre ce que ces sorciers ont pu vivre.

— La seule différence, c’est que j’ai déjà eu l’occasion de fréquenter des moldus. Mais sinon je sais ce dont le Blood Circle est capable. Tu as entendu parler de ce qui s’est passé en octobre ? Ils m’ont eu à ce moment-là.

Et ça aurait pu signer la fin du voyage, s’ils t’avaient reconnu un peu plus tôt, si d’autres membres du BC avaient été présents, s’ils n’avaient pas hésité, pris dans le reste de leurs opérations. Au moins, tu n’as pas eu à justifier beaucoup ton désir de rejoindre l’Ordre. Et côté sorciers, qu’ils aient cette image de « victime du Blood Circle » n’est pas un mal. Une vérité que tu peux dire, un mur protecteur qui dissimule un peu plus le reste. Parfois, tu n’es même pas sûr que ce soit arrivé, comme si c’était un mensonge de plus ou un cauchemar qui n’avait rien à voir avec les autres. Une façon de tenir ce qui s’est passé à distance.

— J’imagine que ça viendra petit à petit avec l’Ordre, à force de voir travailler ensemble sorciers et moldus, de les voir dans les réunions… même si ce n’est pas beaucoup.

Rien ne sera simple, rien ne sera facile de toute façon. Vous pouvez juste essayer de changer les choses à votre hauteur, un pas après l’autre. Des idées, vous n’en manquez pas d’ailleurs, puisque la discussion tourne beaucoup des médias et de leur impact, surtout du côté moldu. Lorsque tu soulignes la puissance d’Internet, Raphaël approuve le côté instantané en prenant l’exemple de son téléphone. Il le sort même, avant de se retenir de l’allumer. Pour le coup, ça te fait rire pour de bon, et tu sors le tien – plus de toute première jeunesse comme le reste de tes affaires, mais encore suffisamment en état de fonctionner pour le peu que tu l’utilises, pour les informations justement, puisque tu n’as pas grand monde à appeler. Tu l’agites un peu entre vous.

— Je fais plus que te croire sur parole, je connais.

Ton ton est doucement moqueur. Tu te doutes que le moldu a dû se confronter à des sorciers qui ignorent tout de la technologie moldue. Raphaël souligne cependant un point important avec la puissance de la magie. Oui, vous pouvez faire des choses impossibles dans le monde moldu, mais pour d’autres, les sorciers sont vraiment en retard.

— Sur le plan de l’information et des technologies, les moldus ont bien plus d’avance que les sorciers. Avec la magie, on n’a pas forcément besoin de développer beaucoup de nouvelles choses, du coup, j’imagine qu’ils n’ont pas vraiment eu besoin de… d’innovation ?

Et cela revient au problème des sang-pur qui maintiennent leur société conservatrice.

— La société sorcière est assez repliée sur elle-même, il n’y pas forcément autant besoin de communication, ou la communication lente suffit. Il y a les radios aussi. Mais il n’y a rien de plus instantané. Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas non plus s’il serait possible de créer quelque chose. Sûrement, oui, mais ça nécessite pas mal de réflexion.

«Tu parles d’un point commun… »

C’était pas terrible comme point commun de mettre en avant le fait que les politiciens sorciers et moldus étaient, pour la plupart, aussi corrompus les uns que les autres… Raphaël ne savait pas si le sorcier avait dit ça pour plaisanter ou s’il voyait vraiment ça comme quelque chose de positif. Mais qu’est ce qu’il y avait de positif là dedans ? C’est comme si en pleine guerre, au milieu d’une bataille, le camp neutre débarquait pour dire “Non mais arrêtez de vous battre, vous avez un point commun ! Vous vous détestez mutuellement !”

«Cela dit, avec le Conseil d’Administration, les choses ont quand même pas mal bougé non ? Monsieur Potter a beaucoup plus d’influence et d’après ce que j’ai cru comprendre sur lui, il cautionne pas trop ce genre de trucs.»

Après, Raphaël concevait bien qu’il puisse y avoir des compromis de fait de la part du sorcier pour éviter des tensions politiques, mais il était persuadé qu’il ne laisserait pas les mangemorts prendre trop d’ampleur dans cette guerre.

Concernant l’histoire de l’abominable vase brisé, c’était une histoire bien compliquée quand même. Eirian confirmait ce que Raph affirmait. Il n’en avait pas parlé à ses parents, pour les raisons évoquées précédemment dans leur discussion. Le sorcier évoqua les autres fois où ses pouvoirs se sont manifestés. Raphaël tenta de plaisanter à propos d’autre trucs moches à casser. Eirian rit également avant d’affirmer qu’il avait été très sage. Il raconta son histoire de panier de basket.

«Oui bon, voilà t’étais doué pour dunker, c’est tout. T’étais prédestiné à devenir Basketteur pro. Le Michael Jordan d’Angleterre ! »

Le moldu ne pouvait pas s’en empêcher. Ça permettait d’alléger la discussion. Mais ça n’empêchait pas que le jeune homme restait très sérieux sur le sujet, même s’il n’en avait pas l’air.

«Et… Et pour le coup des peluches et des jouets… Ils ont pas appelé d’exorcistes ? Nan parce le coup du vase, ou du super dunk… Je dis pas. Mais les trucs qui lévitent ça fait vraiment scénario de film d’horreur.»

Raphaël soupira.

«Et pendant tout ce temps… Le ministère aurait pu envoyer quelqu’un pour prévenir ta famille de ce qu’il se passait… Je vois ce que tu veux dire oui… »

Parlant ensuite de l’Ordre du Phénix en général et du travail que fait le moldu au sein du groupe. La discussion dériva sur les témoignages que Raphaël recueillait et le manque de confiance que lui accordaient les sorciers. Alors qu’Eirian s’offusqua de la difficulté qu’avait le moldu à recueillir des témoignages par rapport à Nymphéa à qui les sorciers se confiaient plus facilement, Raph avait répliqué qu’il comprenait leurs réactions et que c’était compliqué pour eux d’accepter de faire confiance à un moldu. Le sorcier s’excusa pour ce jugement rapide et le français ne l’en tint pas rigueur, il ajouta que c’était pas facile de se mettre à leur place. Qu’Eirian ne pouvait pas comprendre puisqu’il connaissait les moldus et qu’il n’avait pas forcément conscience des choses affreuses qui se passaient. Rien n’était moins sûr… Il semblerait que le jeune sorcier faisait partie des victimes de d’octobre…

«Je ne savais pas que tu... Mais sinon ouais… Je sais ce qu’il s’est passé en octobre… J’y étais aussi… J’appartenais pas encore à l’Ordre mais il y a eu un concours de circonstance qui ont fait que je me suis retrouvé dans les ruines de l’université pour essayer de libérer quelqu’un. J’ai appris ce jour là qu’elle était sorcière tout comme Nymphéa, que je connaissais déjà. C’est suite à ça que j’ai vraiment accepter de prendre parti. Même si je connaissais rien du monde sorcier, que mes amis sorciers n’étaient pas des amis de très longue date.»

Il avait eu la peur de sa vie ce jour là. Il avait sacrifié sa caméra pour éviter de se faire tirer comme un lapin, et probablement que sans l’intervention de Nymphéa, on l’aurait retrouvé mort d’une balle dans la tête. Eirian expliqua qu’avec l’Ordre qui permettait à un petit groupe de moldu et de sorciers de coopérer, il y avait une chance pour que les choses évoluent.

«À ce propos de moldus et de sorciers dans l’Ordre, tes parents sont dans l’Ordre ? J’ai l’impression que c’est un peu activité de famille ça. Bon… Les miens sont bien au chaud en France et ils ne se doutent absolument pas de ce que je fais… Je sais pas trop s’ils cautionnerait. »

Raphaël songeait à la famille O’Malley avec Leah et Myrna qui appartenaient à l’Ordre, ainsi que l’un des frères de sa meilleure. Sans compter la famille Chang-Mcleod avec Charles et Cho ainsi que la belle Nymphéa.

Le sorcier compara ensuite l’accès à l’information entre sorciers et moldus. Effectivement, les moldus avaient énormément d’avance là dessus. Raphaël confirma la chose en sortant son téléphone pour illustrer leurs propos mais se ravisa en se rappelant où ils étaient, la lumière allait déranger les autres spectateurs et attirer l’attention. Il demanda donc à Eirian de le croire sur parole, mais ce dernier répliqua qu’il faisait bien plus que le croire en sortant son propre téléphone.

«Putain… Je le sais pourtant, en plus on ne parle que de ça depuis tout à l’heure. Mais j’ai plus trop l’habitude de rencontrer des gens qui ont accès à la technologie moldue, et surtout qui la comprennent.»

Le français s’étonna que le système sorcier soit aussi archaïque. Comment les sorciers, avec les ressources quasi illimités qu’ils pouvaient avoir pouvaient être autant en retard par rapport aux moldus sur ça ? Son voisin de siège lui expliqua que la société société était repliée sur elle même et qu’elle n’avait pas forcément besoin d’autant accès à l’information.

«Des radios ? »

Raphaël se demandait comment elles étaient, comment elles fonctionnaient. Les connaissances sorcières en terme de technologie étant vachement limitées. Est-ce que c’était comme pour les moldu ? Il n’osa pas demander au sorcier. L’un comme l’autre ne savait probablement pas comment ça fonctionnait alors… c'était une question un peu inutile...

Raphaël n’a pas l’air de bien savoir comment prendre ta remarque sur le fait que les politiciens sorciers et moldus sont aussi corrompus les uns que les autres.

— Je plaisantais. Il n’y a rien de glorieux là-dedans.

C’est même assez triste, d’ailleurs. Bon l’inverse est vrai aussi, il y a sans doute autant de belles choses côté sorcier que moldu, même si on s’attarde moins dessus au premier abord. Tu ne te voyais pas aussi blasé sur le plan politique, mais le fait est qu’il n’y a rien de très enthousiasmant de ce côté-là et tu restes prudent sur l’alliance entre l’Ordre et les Mangemorts. Certes, c’est positif que les sorciers ne se déchirent pas entre eux en ouvrant une autoroute au Blood Circle, mais… est-ce que l’Ordre voulait vraiment combattre avec des gens qui tuent et torturent comme si de rien n’était ? Tu n’es pas naïf au point de croire qu’une guerre propre existe, comme celles qu’on voit dans les romans, où les héros restent auréolés de vertu, mais… il y a des limites à poser. Raphaël souligne qu’avec le conseil d’administration, les choses bougent pas mal, notamment avec l’influence d’Harry Potter.

— Oui, avec un peu de chance, ça va vraiment tourner dans le bon sens. Et ça oblige aussi les Mangemorts à se dévoiler un peu plus, ça les cadre…

Même si tu n’es pas dupe de la façade respectable qu’ils tentent d’afficher. Théâtre et comédie, une fois de plus. Mais ils sont aussi conscients que le moindre faux pas se retournerait contre eux. Ça les oblige à se contrôler un peu plus. Ou pas. Tu chasses les souvenirs de Towsen avec un frisson. Plus qu’à espérer que cela ne se révèle pas une bombe à retardement. Les Mangemorts vont forcément essayer de capitaliser par la suite sur leur bonne attitude pendant le conflit.

Tu continues d’énumérer souvenirs vrais et inventés, recréant ton enfance « normale » de né-moldu. C’est tellement absurde, quand tu y repenses, que le ministère ne fasse vraiment rien. Même sans le Blood Circle, combien d’enfants paient le prix de l’ignorance ? Quand tu évoques ton incroyable talent pour le basket, Raphaël en plaisante.

— J’aurais dû continuer à m’entraîner, j’ai raté ma vocation !

En revanche, le coup des peluches l’interpelle davantage. C’est vrai que la question de l’exorciste aurait pu se poser – doit se poser dans certaines familles. Tu secoues la tête.

— Non. Essentiellement parce que mon père est trop terre à terre pour ça. Je veux dire, si tu vas chercher un exorciste, c’est que tu crois vraiment qu’il y a des esprits et des forces surnaturelles, tu vois ? Et pour lui c’était hors de question. Je posais problème, mais tant que ça ne sortait pas de la famille… il se disait que c’était juste une anomalie.

Tu approuves lorsque Raphaël souligne que pendant ce temps, le ministère aurait pu vous fournir les bonnes explications.

— Voilà, exactement. C’est juste absurde. Moi, j’ai eu de la chance, ça a été compliqué, mais ça s’est globalement bien passé, au niveau de leurs réactions. Mais j’ai passé des années à me demander ce que j’étais.

Vous revenez ensuite sur les témoignages recherchés et publiés par Raphaël. Là aussi, la situation est compliquée, les points de vue sont aussi légitimes les uns que les autres, entre ceux qui refusent de témoigner et en veulent aux moldus, et ceux qui acceptent malgré tout. Les souvenirs d’octobre reviennent, les deux jours enfermés sans magie, la peur qu’on te reconnaisse, les prélèvements faits sur vous… la sensation de n’être rien d’autre que des cobayes entre leurs mains, des animaux de laboratoire. Ta chance monstrueuse de t’en être sorti ; à quelques heures près, ton père te mettait la main dessus.
Raphaël y était lui aussi, du côté de ceux qui sont intervenus pour libérer les prisonniers. Vous vous êtes peut-être croisés sans le savoir, mais le chaos régnait avec les gaz utilisés par le Blood Circle. Mais c’était vraiment courageux de la part du jeune homme de s’être engagé dans l’Ordre suite à un tel événement, surtout sans rien y connaître. Toi, tu avais déjà entendu siffler les balles du Blood Circle à tes oreilles, tu savais déjà comment les sorciers se battent – la situation était terrifiante, mais pas complètement nouvelle. Mais pour quelqu’un qui ne connaît ni l’un ni l’autre ?

— Tu ne pouvais pas savoir. C’est aussi ça qui m’a décidé à rejoindre l’Ordre, je voulais faire quelque chose… ne pas laisser le Blood Circle continuer de s’en prendre à nous sans réagir. C’est vraiment courageux de ta part d’être intervenu… et d’avoir voulu continuer ensuite. C’est le genre de situation qui peut donner envie de tourner les talons et ne plus vouloir croiser le moindre sorcier. Surtout sans rien connaître de ce monde.

C’est précieux, des amitiés comme celle-là. Souvent, tu rêves d’avoir quelqu’un à qui tu pourrais tout confier, tout avouer sans te faire juger ou rejeter. Quelqu’un qui saurait tout ou presque, qui aurait ta confiance pleine et entière, cette confiance que tu ne sais pas vraiment donner ou si rarement, sur qui tu pourrais t’appuyer et à qui tu rendrais la pareille. C’est un peu ce que tu espères construire avec Robin, même si votre relation reste délicate. Aucune de vos connaissances ne doit vous voir ensemble.
Raphaël te demande si tes parents aussi sont dans l’Ordre. C’est vrai qu’il y a souvent plusieurs membres d’une même famille qui le rejoignent et une part de toi se plaît à imaginer que si ta mère était encore à tes côtés, elle l’aurait rejoint aussi – ou peut-être pas. Autant elle se sentait d’affronter ton père, autant elle ne s’est jamais pardonné de ne pas avoir emmené ton frère dans votre fuite. Se retrouver face à lui sur le champ de bataille… tu n’es pas sûr qu’elle aurait pris ce risque-là. Bref, ce n’est pas le sujet.

— Ils ne s’inquiètent pas ? Même sans savoir que tu as rejoint l’Ordre, Londres n’est vraiment pas sûr en ce moment. De mon côté, mes parents ne sont pas entrés dans l’Ordre. J’ai un frère et une sœur plus jeunes, ils ne veulent pas les impliquer dans le conflit, risquer de les mettre en danger. Ils n’apprécient pas trop non plus que j’y sois entré, mais c’était mon choix.

« Compliqué » va devenir la nouvelle description de ta relation avec tes soi-disants parents. Ce n’est pas plus mal, l’idée étant précisément d’éviter que l’Ordre ne vienne fourrer son nez dans tes affaires. S’ils craignent de commettre une gaffe, ils ne chercheront pas à contacter tes parents – ça fonctionnait plutôt bien, jusqu’à ce que Towsen découvre la supercherie, et une personne au courant, c’est déjà une de trop. Un sourire te vient lorsque Raphaël te montre son téléphone et tu ne résistes pas au plaisir de sortir le tien, pour indiquer que tu sais parfaitement de quoi il parle. Le moldu jure.

— Oui, c’est sûr que tu as plus de chances de tomber sur un sorcier qui ne comprend rien à la technologie moldue que l’inverse. Même pour moi, le retour au monde moldu était parfois étrange après des mois à Poudlard. Le décalage est quand même immense.

Heureusement, l’université vous laisse plus de liberté. Mais même si tu le connais, tu restes moins à l’aise dans le monde moldu. Trop hostile ces dernières années ; tu n’y as pas de place, alors que Poudlard reste un refuge.

La comparaison entre technologies de l’information sorcières et moldues est largement favorable à ces derniers. Les sorciers accusent un retard monstre dans ces domaines.

— Oui. Pour le coup, c’est très proche de nos radios, mais je ne sais pas exactement comment elles fonctionnent. Le souci, c’est que l’électronique est sensible à la magie, elle dérègle beaucoup de choses. Les portables et les ordinateurs ne fonctionnent pas à Poudlard, de même dans les lieux où il y a trop de magie. Et je ne sais pas si la magie permettrait vraiment de développer de nouveaux moyens de communication, surtout aussi efficaces et rapides que les moldus.

Autant il est possible d’envoyer des messages brefs par baguette sans passer par les hiboux, autant cela reste de la communication interpersonnelle. Il n’y a vraiment pas de réseau comparable aux réseaux moldus. Ou il faudrait imaginer peut-être des carnets ensorcelés, où les messages apparaîtraient simultanément dans le carnet du destinataire, avec possibilité de créer des groupes – mais ça resterait toujours moins pratique que les réseaux moldus, encore que la magie ne connaît sans doute pas de zone blanche. Bref bis, ce n’est pas aujourd’hui que tu vas révolutionner le monde de la magie.

Effectivement, il n’y avait rien de glorieux à mettre en avant la ressemblance entre la sphère politique moldue et celle des sorciers sur le plan de la corruption. Tous des pourris. À croire que quelque soit le pays et le parti politique, il y avait toujours des trucs pas nets qui trainaient. Raphaël pensait que c’était propre des moldus d’agir ainsi, mais non, c’était tout simplement propre aux humains. Il souligna les changements apportés par le Conseil d’Administration. Et Eirian acquiesça partiellement, affirmant que ça permettait de cadrer un peu les mangemorts.

«Ils sont obligés de se faire bien voir. Ils se traînent une sale réputation. Tristement méritée d’ailleurs… »

Raphaël souria lorsque le sorcier regretta de ne pas avoir continué à faire du basket-ball et qu’il avait peut-être raté sa vocation.

«Et oui ! »

En revanche, Eirian, releva plus sérieusement la partie sur l’exorcisme. Son père ne croyait pas aux esprits et aux forces surnaturelles. Jamais il n’aurait fait appel à ce genre de personnes qu’il aurait considérées comme charlatan.

«Il est… » Raphaël hésita un instant avant de quand même se lancer. «Il est un peu chelou ton père quand même. Le prends pas mal, mais… Okay il n’y croit pas, c’est quelqu’un de rationnel. Mais il justifiait ça comment ce qu’il t’arrivait ? Parce que “juste une anomalie”, c’est assez maigre comme explication. J’veux dire, à un moment, il faut faire des concessions et remettre en question ce en quoi on croit… Mais du coup, ça a du être vachement difficile au début…  »

Raphaël ajouta que pendant tout ce temps, le ministère était au courant, et aurait pu faire quelque chose… Le sorcier lui confia que pendant des années, il ne savait pas ce qu'il était.

«Des années à te demander ce que tu étais… Et… Te voilà maintenant.»

Comme quoi… Même avec la magie c’était pas facile de s’adapter, de se faire accepter. Dans les contes de “Beedle le Bardes” Raphaël avait bien vu les difficultés que les “héros” des contes avaient enduré, malgré leurs pouvoirs magiques. Mais on pouvait se dire que les contes n’étaient que des contes et que ce n'était que pour l'existence d'une histoire et d'un scénario qu'ils avaient des difficultés ; mais le témoignage d’Eirian prouvait bien que les sorciers n’étaient pas tout-puissants. Ils connaissaient le doute, les pleurs, la peur. Ils étaient humains. La magie leur facilitait peut-être certaines choses au quotidien, mais ça ne voulait pas dire pour autant que tout était facile, et certaines choses ne pouvaient pas forcément se régler par la magie. Le moldu avait bien conscience des limites de la magie. Il avait quand même eu des témoignages des méfaits du Blood Circle, sans compter ce qu’il avait pu constater de ses propres yeux

En parlant de témoignages, le français partagea ses difficultés pour que les sorciers se confient à lui. Il gaffa en sous entendant que Eirian ne pouvait pas comprendre ce qu’avaient vécu ces gens qui avaient été séquestrés par le gouvernement moldu ; il ne savait pas que Eirian en avait également fait les frais. Raph avoua avoir été présent également en octobre, dans des circonstances qu’il avait évité de détailler.

«Je pense que ce jour là, c’était bien plus stupide que courageux. Je n’avais pas vraiment conscience de ce en quoi j’allais tremper. J’ai pas trop cherché à comprendre… Et c’est qu’une fois sur place, avec mon binôme qui délirait avec le gaz et un type du Blood Circle qui me tenait en joue que j’ai réalisé que ça ne devait pas aller dans ma tête. Bon, j’ai eu l’occasion de risquer ma vie plus tard, mais j’avais déjà un peu plus conscience de ce dans quoi je trempais… »

Bon après, en décembre il avait légèrement sous-estimé le facteur danger de la mission. Ça c’était bien passé mais ça aurait pu être dramatique. D’ailleurs depuis, il a bien compris où était sa place…

«Concernant mes connaissances du monde sorcier, je potasse. J’ai eu l’occasion de passer sur le Chemin de Traverse. Je découvre pas mal de choses, et j’ai commandé des livres chez Fleury et Bott. Bon, ça prend du temps parce qu’il faut me les faire en version moldu, à cause de mes colocs, ou même du fait que je vive du côté moldu… Un erreur d'inattention est si vite arrivée. »

Raphaël essayait d’être le plus prudent possible en public. Il évitait de parler trop ouvertement de magie, de sorciers, ou de termes trop spécifiques. Quand il le faisait, c’était qu’il savait que le terme ne posait pas trop problème et qu’il pouvait se confondre en plusieurs trucs. Comme lorsqu’il avait parlé avec l’employée du Witches Bazaar il y a quelques jours et qu’il avait fait mention de Fleury et Bott. Il savait à qui il avait affaire, et si quelqu’un passait par là, ça aurait pu vouloir tout et rien dire. Le tout était d’éviter de trop montrer qu’on était calé sur la magie. Et encore moins d’avoir des artefacts magiques sur soi.

Raphaël finit par demander si la famille d’Eirian appartenait également à l’Ordre, avouant que de son côté, ses parents ne sont au courant de rien. Il se contenta de hocher la tête, compréhensif à propos du refus des parents du sorcier de s’impliquer davantage.

«À vrai dire… Du côté moldu, la situation n’est pas aussi flagrante que que l’on pourrait croire. es moldus vivent leur vie paisible. Okay y’a eu l’attaque de sorciers à la fête foraine de Regent’s Park, mais au final en dehors de ça, il y a pas eu d’attaques qui impliquaient des civils. Mes parents ne savent pas trop ce qu’il se passe. Je leur dit que c’est pareil qu’en France, ça peut éclater n’importe où, n’importe quand. L’an dernier ils ont cherché à me retenir pour pas que je revienne pour cette année scolaire. Bon, comme ils ne m’ont pas forcé je suis là hein, ils ont respecté mon choix… Mais du coup je sais pas trop si peux, ou dois, leur parler de ce que je fais ici… »

D’un côté, il ne voulait pas leur faire peur, ni leur donner une raison de l’empêcher de rester. Mais d’un autre… S’il lui arrivait quelque chose, s’il venait à être capturé, torturé, ou même tué par le Blood Circle ou des Mangemorts… Peut-être qu’il valait mieux que ses parents sachent ce qu’il lui était arrivé ?

Tout en discutant Raphaël tentait de se reconcentrer un peu sur le film. Après tout, ils étaient censés le voir. Bordel, il s’est passé quoi ? C’est quoi l’histoire ? De toutes façons, dès le début du film il était largué. Il fallait qu’il regarde le deuxième avant de chercher à revoir celui là.

Une nouvelle fois, Raphaël gaffa en oubliant que son camarade avait un pied dans le monde moldu. Il n’avait pas vraiment oublié, mais…

«Mais oui, c’est ça. Bon le père de Nymphéa est moldu, donc quand je traîne avec elle, elle est pas trop paumée, même si y’a deux trois trucs où elle est pas forcément au point. Après d’un point de vue technologie, ça évolue tellement vite. On peut être très vite largué, je pense pas que tu sois largué parce que tu perds l'habitude. C’est juste que y’a tellement de nouvelles technologies que c’est perturbant. Même pour moi hein, qui suis moldu. Et Moldu de sang pur hein, dans ma famille, on est moldu de père en fils, enfin je pense. Y’a des trucs que je comprends même pas. J’dois me faire vieux je pense, ça y est… Haha»

Les moyens de communications sorciers étaient vraiment archaïque. Quelques journaux, des lettres, le tout véhiculé par hiboux. Il semblerait qu’il existe aussi des radios et que leur fonctionnement soit proche de celle des moldus. Mais tout ce qui était ordinateur, ou téléphone, c’était compliqué. Raphaël l’avait bien constaté à Square Grimmaurd ; il n’y avait seulement que certaines pièces dans lesquelles il pouvait travailler sur son ordinateur. Dans les autres c’était… Disons qu’il valait mieux le laisser éteint s’il ne voulait pas perdre toutes ses données. Mais, par rapport à Poudlard, il y avait peu de sorciers présents au Quartier Général de l’Ordre du Phénix et les enchantements de protection étaient bien plus faibles.

«Des ordi ou des téléphone magique ? Ça serait cool. Y’a bien des Bus Magique, super flippant comme moyen de transport, soit dit en passant. Mais sinon oui, j’y connais rien en magie mais ça doit être possible je suppose, juste que personne n’a dû se pencher dessus, ou n’a encore trouvé la solution. »

Raphaël réfléchit en regardant dans le vide à ce qu’un téléphone ou ordinateur magique pouvait avoir de différent par rapport à l’appareil standard. Qu’est ce que le Magie pourrait apporter de plus à ces outils ? C’était déjà si rapide, si efficace… À condition d’avoir assez de batterie et un accès à internet. Du mouvement attira son attention, quelques spectateurs se levaient. Il jeta un œil à l’écran et les crédits commençaient à défiler avec des images rappelant la saga. Les lumières n’étaient pas encore rallumées, mais les gens étaient libres de se casser la gueule dans le noir pour sortir. Se doutant que Eirian risque de briser l’enchantement, il se remit à parler en français, au cas où.

«Ah, je crois que c’est fini… J’ai rien suivi, je pense que je le re-regarderai après avoir vu le deux du coup. On reste un peu, pour voir si y’a une scène après le générique ? Puis ça nous éviter de faire la queue, quitte à attendre autant être assis.»

Raphaël et toi n’êtes guère optimistes quant à la politique tant moldue que sorcière, mais le fait est que ce que vous avez sous les yeux ne vous y encourage guère. La politique sorcière reste gangrenée par l’idéologie du sang et le fait que ce sont largement des sang-pur qui détiennent les clés du pouvoir. Et côté moldu… l’arrivée de George Kane au pouvoir ne fait qu’aggraver les choses. Ta mère n’a jamais eu une bonne opinion de ton oncle par alliance ; à l’époque, elle te parlait surtout de son caractère, mais ce que tu vois depuis son accession au pouvoir ne fait que le confirmer. Tu plains Robin qui essaie de se construire en opposition aux idées de son père – et tu espères qu’il y arrivera sans y laisser trop de plumes. George n’est pas homme à tolérer la rébellion sous son propre toit. Et il suffit déjà d’un vilain petit canard dans la famille.
Raphaël confirme ton point de vue sur les Mangemorts. Une réputation tristement méritée.

— Totalement méritée, même.

L’Ordre joue un jeu dangereux, même s’il n’a sans doute pas le choix. Les sorciers ne peuvent pas continuer de se déchirer alors que le monde moldu est en train de les attaquer. Mais faire entrer à ce point les loups dans la bergerie… Ce n’est pas que de la paranoïa, tu sais parfaitement ce dont ils sont capables. Alors, certes, la plupart se tiennent tranquilles officiellement, mais dans l’ombre… Ton impuissance face à eux t’agace, sans que tu puisses rien y faire. Si tu tentes de dénoncer les agissements de Towsen, tu sais très bien quel retour de flamme tu prendras. Tu es coincé. Et lui peut continuer à agir comme il veut, sans craindre de représailles.

La discussion revient sur ton père. « Chelou », c’est le mot. Et pire que ça. Penser à lui te met encore plus mal à l’aise ces derniers temps, surtout depuis l’offensive contre le quartier général. Il devait y être. Il a toujours aimé l’action, traquer les sorciers. Et il a toujours été un excellent tireur, que ce soit pour tuer ou pour blesser. Alors, il a dû s’en donner à cœur joie là-bas, ton frère aussi peut-être, s’il a continué dans la même voie – et pourquoi aurait-il changé ? Tu aimerais les détester. Te détacher de leurs actes, les voir comme ceux d’ennemis, au lieu de culpabiliser, en pensant à qui ils ont pu atteindre. Tu n’y arrives pas. Et c’est absurde. Tu as l’impression de trahir l’Ordre – ne rien dire, n’est-ce pas en effet trahir la confiance qu’ils ont placée en toi ? Tu as passé plus de dix ans à mentir à tout le monde, à inventer une vie plus belle que la vraie, même si elle a ses défauts aussi. Pourquoi mal le vivre maintenant ? Parce que tes deux vies se télescopent de plus en plus ? Parce que tu as de nouveau quelque chose à perdre – la protection et le soutien de l’Ordre, ta liberté, les objectifs que tu essaies de te donner pour trouver du sens à ta vie, te créer un chemin ?

— Je ne le prends pas mal, c’est vrai qu’il l’est. Bon, ça fait peut-être bizarre de l'admettre comme ça, mais... je sais bien quelle impression ça donne. C’est… J’ai du mal à l’expliquer, je pense qu’il y a des choses que j’ai occultées à l’époque ou que je n’ai pas bien comprises. Il a fait un gros blocage sur le sujet, il n’arrivait pas à le justifier. Pas d’une façon qui lui convenait en tout cas.

Tu joues la gêne et l’embarras.

— Je ne vais pas entrer dans tous les détails, ça a été difficile, ça l’est toujours un peu aujourd’hui. À dire vrai, je crois que mon père n’a pas complètement abandonné l’idée que je renonce à la magie pour vivre une vie… « normale » et qu’on referme définitivement cette parenthèse. Même s’il respecte mes choix et ne me force à rien. Mais pour d’autres personnes, on en revient à la propagande du Blood Circle et à toutes leurs technologies…

Tu mimes les guillemets avec tes doigts. « Et te voilà maintenant ». En fait, tu n’es pas toujours très sûr de qui tu es – enfin, tu n’as plus de doute concernant ta nature, c’est déjà ça. Tu n’es pas le « Eirian » que tu présentes à Poudlard et ailleurs maintenant, qui, certes, a parfois des soucis avec sa famille, mais en a quand même une, ni le Nathan de ton enfance qui haïssait son identité de sorcier et aurait donné n’importe quoi pour s’en débarrasser. Un mélange des deux sûrement. Tu ne sais pas vraiment quelle place tu as – ni même si tu en as une après Poudlard. Jusqu’à présent, le Blood Circle a rendu vaine toute idée de mener une existence tranquille. Certes, Poudlard en est un exemple d'une certaine façon, mais il y a toujours l'échéance de l'été qui revient et des deux mois d'incertitude. Tu ne sais jamais si tu verras la rentrée suivante.

— Et me voilà, sorcier et moldu, appartenant à deux mondes qui n’arrivent pas à cohabiter, en train de regarder un film, avant de repartir apprendre la magie à l’université…

Façon de parler puisque c’est le week-end, mais ça souligne l’opposition entre les deux univers. Tu le dis avec un sourire, sur le ton de la plaisanterie. Tu t’étends déjà bien assez sur ton cas. Bien sûr, il faut que tu donnes davantage corps à « Eirian » au sein de l’Ordre, mais ça n’implique pas d’avoir l’air de déballer tes secrets au premier venu – ou presque.

Octobre vous a marqués tous les deux, toi du côté des victimes, Raphaël du côté des sauveteurs. Il juge son intervention stupide, puisqu’il n’avait aucune idée dans quoi il mettait les pieds. Alors, peut-être que ce n’était pas très malin, mais ça n’enlève rien au fait qu’il n’a pas fui – mais tu es peut-être biaisé par le fait que l’esquive est en général ta première réaction, et que tu n’attaques seulement quand tu n’as pas le choix. Survie et préservation avant tout. Ce n’est pas très glorieux non plus. Mais la recherche de la gloire sur le champ de bataille amène plus souvent des cadavres qu’autre chose.

— Mais tu es quand même resté, et tu as rempilé en rejoignant l’Ordre, alors que tu savais ce que tu risquais cette fois.

Il évoque ses connaissances du monde sorcier, le fait qu’il efforce de les combler avec des livres, la nécessité aussi de les faire adapter au monde moldu. C’est sûr que le format grimoire n’est pas le plus courant actuellement, sans parler des images animées ou des autres particularités… intéressantes des livres magiques.

— Oui, je vois bien le problème. Puis n’hésite pas à demander, tout n’est pas facilement trouvable dans les livres. Je suis passé par là, ça ne me dérange pas qu’on me pose des questions.

Et c’est un rôle que tu as déjà tenu pour Elias, lorsqu’il découvrait Poudlard du haut de ses onze ans, aussi ignorant que toi du monde sorcier.

La discussion revient sur l’Ordre et sur le fait que tes parents n’y sont pas – surtout que vu ce que tu dis de ton père, cela ajoute aux arguments justifiant son absence. Raphaël souligne que côté moldu la situation n’a pas forcément autant d’ampleur que côté sorcier. C’est vrai que les attaques restent encore marginales, et surtout il n’y a guère de victimes. Sans votre intervention, à Ombrage, Sean et toi, il y a quelque temps par exemple, la situation aurait pu être bien pire. Le moldu ne sait pas s’il doit en parler à ses parents. Même sans envisager le pire, tu ne sais pas ce qui vaut mieux, ce qu’ils sont capables d’encaisser. Pour le coup, tu ne viens pas d’une famille conventionnelle. Sans compter que tu étais très proche de ta mère et que tu ne lui cachais pas grand-chose.

— Oui, on oublie que la plupart des gens ne sont pas concernés finalement, que ça reste encore assez lointain malgré la propagande. Pour tes parents… oui, s’ils voulaient déjà que tu restes avec eux cette année, je comprends que tu n’aies pas trop envie de leur en parler. Après, tu es assez grand pour prendre tes propres décisions. Tu peux peut-être évoquer le sujet sans trop entrer dans les détails ?

Le sujet d’octobre sera peut-être à éviter par exemple. Imitant Raphaël, tu jettes un coup d’œil à l’écran. Harold a l’air de se séparer de Krokmou, tu ne sais pas pourquoi. On dirait plutôt le moment où normalement les méchants sont vaincus… Mais tu n’as absolument rien suivi à l’intrigue du film. Pour autant, tu ne regrettes pas ta discussion avec Raphaël, bien plus enrichissante.

Tandis que tu chambres gentiment Raphaël sur le fait que oui, tu connais plutôt bien la technologie moldue, il souligne que même pour lui, il y a de quoi s’y perdre. Tu ne sais pas vraiment s’il le dit pour être sympa ou si c’est réellement le cas. Mais il a raison sur le fait que ça évolue rapidement. Des téléphones toujours plus puissants, toujours plus de possibilités… Quand tu penses que le moindre Smartphone est bien plus puissant que l’ordinateur qui a envoyé des hommes sur la Lune, tu te demandes parfois jusqu’où ça va aller. Raphaël plaisante sur son sang-pur moldu et son grand âge.

— J’osais pas te le dire, mais c’est sûrement l’âge, vénérable moldu. Il faudra que tu te trouves un téléphone simplifié, avec des grosses icônes.

En tout cas, même avec de la technologie moldue simplifiée, les sorciers ne sont absolument pas à la page. C’est reposant d’un certain côté, mais dans des situations comme celle que vous vivez, cela devient un vrai désavantage. Prudent, tu n’as jamais tenté d’allumer ton téléphone à Poudlard, et tu ne le mets jamais dans ton sac à dos quand tu l’enchantes. Autant éviter de le griller.

— Je n’ai jamais pris le bus magique, mais c’est clair que ça ne fait pas envie. Mais oui, des téléphones magiques, ce serait pas mal. La radio fonctionne bien, donc il y a des possibilités d’émettre avec des ondes magiques… Je ne sais pas du tout si des gens ont essayé, j’essaierai de me renseigner, tiens.

Des appareils à batterie magique illimitée, donc sans chargeur, un internet magique, une sorte de super intelligence artificielle, où il n’y aurait qu’à poser une question pour obtenir aussitôt les réponses… Tu n’es pas sûr que ce soit réellement possible.

Les spectateurs commencent à bouger et tu réalises que le générique défile, enfin, il doit seulement débuter, puisque la majorité des gens sont encore assis, en train de rassembler leurs affaires. Libre à eux, tu ne comptes pas te mêler à la cohue. Tu jettes un coup d’œil à Raphaël, il n’a pas l’air du genre à se précipiter hors de la salle de cinéma, tant mieux. Il repasse au français, te propose d’attendre la fin du générique. Ah oui, tu avais oublié cette habitude de rajouter une scène à la fin.

— Je n’ai rien suivi non plus, il faudra que je regarde le deux aussi. Oui, vaut mieux attendre que ça se libère un peu. Je peux laisser le sort jusqu’à ce qu’on bouge.

Tu gardes un œil sur les gens qui sortent tandis que le générique continue de défiler. Bon, pour le divertissement et le changement d’idée, on repassera, tu espères quand même que tu ne l'as pas trop saoulé à t'étaler de cette façon. Ce n'était sans doute pas ainsi qu'il voyait cette sortie.

Eirian confirma. Les Mangemort méritaient leur mauvaise réputation. Raphaël ne comprenait pas comme une telle Alliance avait été possible. Est-ce que ça permettrait de faire évoluer les choses en bien, ou en mal ? L’Ordre du Phénix avait initialement créé pour combattre les actions des mangemorts, ils étaient censés mettre fin à leur agissements et non devenir comme eux. La guerre contre le Blood Circle avait pris une plus grosse ampleur dans les activités de l’Ordre. D’ailleurs, c’était un peu pour ça que Raphaël avait rejoint le rang des Phénix, il ne tolérait pas les activités du Blood Circle et il voulait se battre pour la paix entre les deux mondes. Est-ce que le Blood Circle était devenu tellement menaçant que l’Augurey et les Mangemorts devenaient insignifiants en comparaison ? Est-ce que Harry Potter aurait été capable de succomber à la folie de s’allier avec Lord Voldemort lui même si ça lui permettait d’éradiquer la menace du Blood Circle ? Le moldu l’ignorait. Ses connaissances de l’Histoire de la magie était assez limitées, même si ça s'étoffait de semaine en semaine. Raphaël avait plusieurs raisons de penser qu’il fallait se méfier des Mangemorts, et pas uniquement parce qu’il était un moldu. La Trêve ne durera pas éternellement.

Un peu gêné, Raph critiqua le père de son compagnon. Dieu que cet homme pouvait être obtus. Lui qui avait une famille plutôt ouverte, sans compter la famille de Leah ou de Nymphéa, ill n’arrivait pas à concevoir que le père du sorcier puisse être aussi peu ouvert d’esprit. Mais le français relativisa ; au moins il n’avait pas utilisé de sortilège impardonnable sur lui, comme le père d’Amber l’avait fait avec elle. Le sujet semblait mettre Eirian mal à l’aise.

«Hey… Tranquille. Te force pas à en parler… J’veux dire si tu as envie, ou besoin. Je suis là, pas de soucis. Mais rien ne te force. Mais tu sais Eirian… Avec des pouvoirs, ou sans pouvoir, pour moi ça changera rien. Je suppose qu’avoir des pouvoirs peut être un fardeau pour celui qui n’en a pas. Peut-être que le sérum développé par le Blood Circle sera utile un jour. Sur un but de volontariat, pour les sorciers qui ne se sentent pas capable d’avoir recours à la Magie. Mais il faudrait que ça soit la personne qui le décide, et qu’en aucun cas ça ne soit imposé. Un genre de… D’euthanasie magique ? Mais en aucun cas une arme. Après tout, ça ne serait pas la première armes ou invention à des fins militaires qui serait utilisé à des fins moins meurtrières.»

Raphaël avait plusieurs exemples en tête, comme le “Gaz Moutarde” utilisé lors de la Première Guerre Mondiale moldue et dont la composition avait permis de développer des traitements de chimiothérapie pour lutter contre certains cancers.

«Je trouve ça pas cool cette pression qu’il t’inflige, même s’il respecte tes choix et ne te force à rien. Même si tu ne peux plus faire de bulle de protection sonore pour qu’on papote pendant un film, tu resteras Eirian à mes yeux. Un type cool et intelligent… Et un peu coincé aussi.»

Le jeune homme rit en faisant sa dernière remarque. Le sorcier s’était longtemps demandé ce qu’il était, qui il était. Raph tenta maladroitement de lui remonter le moral en lui faisant remarquer ce qu’il était désormais devenu. Mais il n’avait rien ajouté de plus. Dans la tête de Raph c’était tellement explicite. Ce n’était pas n’importe qui qui assumait d’avoir le courage de s’engager dans les rangs de l’Ordre du Phénix, mais Eirian l’avait fait. Ce dernier se contenta de répondre en souriant qu’il était sorcier et moldu, un pied dans chaque monde.

«Tu sais, tu n’es pas le seul sorcier qui vient regarder des films moldus. Je vais pas te dire que c’est quelque chose de courant, mais tu n’es pas une bizarrerie ou une erreur de la nature. »

Eirian complimenta ensuite Raphaël sur son courage et le fait qu’il ait rejoint l’Ordre et qu’il soit resté malgré ses connaissances du danger. C’était au tour de Raph d’être gêné, il était pas trop du genre à accepter facilement les compliments.

«Bah… Je fais pas grand chose tu sais… Et puis j’ai des amis sorcier, je me voyais pas rester les bras croisés… Rester dans le flou. »

Le sorcier lui proposa son aide si jamais Raphaël avait besoin de renseignements sur le monde sorcier.

«Compte sur moi, c’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. On verra en temps et en heure, mais j’y penserai.»

Le moldu s’interrogea sur la famille d’Eirian. Ils faisaient partie de l’Ordre ? Ou comme pour Raphaël, c’était plutôt compliqué et il était préférable de ne pas leur en parler ? Le sorcier expliqua qu’il avait des frères et sœurs beaucoup trop jeunes pour être mêlés à ce genre d’entreprise. C’était donc moins flou que pour Raph qui cachait sa double-vie à sa famille. Est-ce qu’il devait leur en parler ? Quand ? Comment ? Eirian suggéra de peut-être parler du sujet sans trop entrer dans les détails.

«Pour tâter le terrain ? Je sais pas… Je verrais bien. Ils ne me dénonceront jamais au Blood Circle, et comme tu le dis, je suis assez grand pour choisir ma vie. Mais financièrement, je dépend encore énormément d’eux. Et niveau étude je galère déjà pas mal avec mon implication dans l’Ordre. Avec un boulot en plus, je serai obligé de faire un choix. Mais tu as raison, faut pas que je garde ça secret.»

Le cœur de Raphaël se serra, il y avait autre chose que Raphaël devait présenter à sa famille.

La discussion dériva ensuite sur les nouvelles technologies moldues et que même pour un habitué aux téléphones et ordinateur, c’était pas toujours facile de se mettre à la page. Peut-être que Raph commençait déjà à être trop vieux pour ce monde ? Eirian comptait se renseigner sur l’existence de tentatives de créer des téléphones magiques.

«Tiens moi au courant si tu as du nouveau. C’est intéressant comme truc»

Alors que les spectateurs se levaient, Raphaël repassa au français, par précaution, mais le sorcier lui apprit qu’il pouvait garder le charme effectif jusqu’à ce qu’ils partent.

«Okay, c’est toi qui gère.»

Mais Raphaël n’osa pas ajouter quoi que ce soit. Il regardait les crédits défiler pendant que la salle se vidait. Se sentant un peu obligé de briser le blanc qui s’installait.

«C’était cool quand même, comme sortie. Pas du tout ce que j’avais prévu, mais c’était intéressant. On remet ça quand tu veux.»

Tu espères vraiment que tout cela ne se terminera pas par un coup de force des Mangemorts. Certes, avoir des gens sans scrupules dans votre camp peut aider… Et dans un monde idéal, Mangemorts et membres du Blood Circle s’entretueraient pour laisser place nette derrière eux, mais, même en laissant de côté ta tendance pessimiste, tu doutes que cela arrive. C’est le problème des mauvaises herbes : plus on tente de les arracher, plus elles repoussent, et en plantant leurs racines plus profondément encore. Le Blood Circle et ses exactions ne doivent pas faire oublier que les Mangemorts sont exactement du même bois – les moldus effraient sans doute davantage les sorciers à cause de leurs armes nouvelles et de leur côté inconnu, en un sens. Mais c’est le même genre d’idéologie mortifère, le même rejet de l’autre et de la différence.

Raphaël critique ton père fictif, le jugeant sans doute peu ouvert d’esprit. Tu essaies de ne pas trop forcer le trait pour ne pas le rendre totalement antipathique – trop attirer l’attention sur lui ne servira pas tes affaires. Tu finis par jouer l’embarras, comme si tu ne tenais pas à continuer sur le sujet. Ce qui est vrai de toute façon, dans le sens où tu n’es pas du genre à vouloir t’étaler sur ta vie de famille.
Devant ta mine, Raphaël te dit tout de suite que tu n’as pas à te forcer, qu’il est là si tu en as besoin. Ça te touche, alors que vous ne vous connaissez pratiquement pas. Même si évidemment il y a des choses que tu ne pourras jamais lui dire. Il enchaîne sur l’utilité qu’on pourrait trouver au sérum, des sorciers qui ne voudraient plus se servir de leurs pouvoirs et préfèreraient vivre une vie de Moldus. Il y en a peut-être, oui, mais dans ce cas ne leur suffirait-il pas de détruire leur baguette ? Ou de cesser de s’en servir du moins.

— Merci beaucoup. Je ne veux pas t’embêter avec mes histoires. Pour le sérum… je ne sais vraiment pas. Je veux dire, on n’est pas obligés de pratiquer la magie, il suffirait de ne pas s’en servir, si, vraiment, on n’en voulait plus. Et il y aurait toujours des cas d’abus, ou des… remords. Quand j’étais gamin, si on m’avait dit qu’il y avait un moyen de me débarrasser de ma bizarrerie, qu’il suffisait de me… « soigner », je pense que j’aurais sûrement sauté dessus. Est-ce que je l’aurai regretté ? Je ne sais pas. Mais en ayant été à Poudlard… je sais que ça fait partie de moi.

Évidemment, cas particulier ne vaut pas généralité. Mais en pensant à des parents qui auraient peur pour leurs enfants, qui supprimeraient leurs pouvoirs pour les protéger, en voulant leur bien…

— Ça marcherait peut-être dans un monde où les relations entre sorciers et moldus seraient apaisés et où ce serait un vrai choix. Mais on en est très loin encore. Et ça n’évitera pas les abus.

Raphaël critique la pression que ton père t’inflige, soulignant que, magie ou pas, tu resterais Eirian pour lui. « Un type cool et intelligent… Et un peu coincé aussi. » C’est clair que tu n’es pas le plus joyeux luron de la bande. Trop sur la défensive, toujours à calculer ce que tu peux dire ou pas, même si ton attitude reste naturelle. Tu n’as pas grand-chose de cool. Qu’est-ce qu’il dirait s’il savait d’où tu venais ? S’il apprenait qui est vraiment ton père ? Que tu n’es pas tout à fait le Eirian que tu présentes, que tu lui as menti pendant une bonne partie de la conversation et que tu continueras sûrement à l’avenir, même si tu l’apprécies sincèrement ? Ses paroles ne tiendraient plus.
Tu chasses ces pensées, te forces à plaisanter :

— En fait, le mot exact, c’est « réservé », pas « coincé ». Mais… merci de me dire ça, que ça ne changerait rien si je n’avais plus mes pouvoirs. Ça fait plaisir à entendre.

Il souligne ce que tu es, ce que tu comprends comme ta nature de né-moldu entre deux mondes.

— J’espère bien que je ne suis pas le seul sorcier à aller au cinéma ! Comment est-ce qu’ils font pour vivre sans films…

Tu ne relèves pas ses derniers mots, même si là aussi, ça fait toujours du bien à entendre. Ça fait des années que tu ne te considères plus ainsi, que tu as accepté cette identité, mais ça fait quand même du bien d’entendre des moldus – enfin, un, en l’occurrence – qui ne te considèrent pas comme une abomination à éradiquer.
Tes compliments sur son entrée dans l’Ordre ont l’air de le gêner, c’est son tour de ne pas être à l’aise. Vous avez l’air malin, tous les deux, à ne pas savoir quoi répondre aux remarques de l’autre. Tu retiens le « Tes amis ont de la chance » qui te vient, certes compliment, mais qui est trop sujet à interprétation.
Il accueille sans mal ta proposition d’aide.

— Quand tu veux !

La conversation dérive sur sa propre famille. Tu lui suggères d’évoquer un peu ses engagements. Sans vouloir imaginer le pire, tu trouves que c’est plus… juste ainsi. Et cela évitera surtout qu’ils l’apprennent de quelqu’un d’autre, par erreur ou par hasard, parce qu’une photo de trop aura circulé. La peur les ferait sans doute mal réagir.

— Je comprends pour l’aspect financier, je travaille quelques heures le week-end pour me faire un peu d’argent, ça fait vite un emploi du temps chargé. Et encore, j’ai la chance de ne pas devoir payer un appartement.

Depuis que tu as rejoint l’Ordre, le temps passe à une vitesse folle. En vrai, tu ne sais pas comment tu vas t’en sortir pour l’été qui vient ; entre le prix du moindre placard même dans les coins mal famés et le peu d’heures que tu as, ça va être compliqué. Au pire, tu te débrouilleras, tu as l’habitude et la magie facilite quand même pas mal les choses. Même si tu préfères largement avoir un vrai toit au-dessus de ta tête.

— Oui, il vaut qu’ils l’apprennent par toi que par erreur ou par hasard un jour.

Concernant les technologies, il te demande de le tenir au courant si tu as du nouveau.

— Ça marche !

Tu maintiens la bulle du sortilège tandis que les spectateurs continuent de sortir. Le générique continue de défiler, tu te perds dans les crédits sans vraiment les voir. Raphaël est le premier à rompre le silence. Au moins, il ne prend pas mal le changement d'orientation de la sortie.

— Pareil. Je suis content qu’on ait pu discuter comme ça. Avec plaisir pour une prochaine fois !

Les lumières se rallument tandis que le générique se termine sans scène bonus. La salle s’est pratiquement vidée, tant mieux. Vous ne serez pas bousculés en sortant. Les spectateurs restants ne vous prêtent aucune attention, et il n’y a personne derrière vous. Tu frôles ta baguette, annules ton sortilège.

— Bon retour dans le monde réel.

Tu passes au français pour rendre ta phrase plus claire. Plus près du bord, tu es le premier à te lever et à gagner le couloir. Tu recules un peu en prenant ton temps pour enfiler manteau et écharpe afin de laisser passer Raphaël devant toi. La sortie n’est pas très loin devant vous et vous en prenez la direction.

Eirian rétorqua au moldu qu’ils n’étaient pas obligés d’utiliser la magie. Que ceux qui avaient un problème avec la magie pouvaient tout simplement arrêter de l’utiliser. Raphaël était moins bien placé que son camarade pour juger ça, mais il se disait que ce n’était pas aussi simple que de refuser de manger des brocolis ou des épinards parce qu’on n'aimait pas ça, la Magie vivait dans les sorciers et même sans l’utiliser, elle resterait présente. En dehors de ça, il restait d’accord avec les autres arguments que lui exposait le sorcier qui conclut en prétendant que l’utilisation du sérum sur base de volontariat serait peut-être envisageable dans un monde idéal, mais seulement dans un futur très lointain dans lequel on pourrait contrôler les abus, qui existeront toujours.

«C’est clair que ça serait compliqué de contrôler les abus, de comment savoir si la personne le veut vraiment où si elle est forcée. J’me dis juste que… Dans d’autres circonstances ça pourrait être une solution pour ceux qui voient leurs pouvoirs comme un genre de malédiction.»

Parler de son passé et de sa famille semblait miner le moral du jeune sorcier. Ils étaient là pour regarder un film et passer un bon moment ensemble, le but n’était absolument pas de lui saper le moral. Raph essaya donc de le rassurer, avec une pointe d’humour, en lui affirmant qu’avec ou sans magie, aux yeux de Raph il restait la même personne ; que c’était pas ça qui l'identifiait.

«T’as pas à me remercier, monsieur le réservé. Tu sais moi j’ai pas de pouvoirs, j’en aurais jamais. Alors si je t’apprécie avec de la magie, je suppose que c’est tout aussi normal de t’apprécier sans magie.» Après un petit silence gêné il ajouta «Ça… Euh… sonnait mieux dans ma tête.»

Raphaël avait le sentiment que Eirian vivait mal d’appartenir aux deux mondes. Il n’était pas un Moldu, mais il n’était pas non plus issu du monde sorcier. À l’entendre parler, on pourrait croire qu’il se sentait comme une bizarrerie.

Lorsque le moldu évoqua sa famille, et du dilemme de leur parler de son implication au sein de l’Ordre du Phénix et du fait qu’il avait désormais un pied dans le monde magique, Eirian lui conseilla d’en parler avant que ses parents n’apprennent par hasard. Raphaël savait que c’était la meilleure chose à faire… Mais entre vouloir le faire, et le faire… Il y avait tout un monde. La théorie et la pratique…

Le film était fini, les crédits s’affichaient à l’écran. Le français se remit à parler dans la langue natale, se doutant que Eirian allait probablement rompre le sortilège, mais ce dernier lui affirma qu’il le maintiendrait jusqu’à ce qu’ils partent. Ils attendirent donc la fin des crédits, sans scène post-crédit, pour se lever. Le sorcier souhaita un bon retour dans le monde réel tout en rompant le sortilège. Raph attendit que son camarade finisse d’enfiler ses vêtements chaud, pour sortir, et, ensembles, ils allèrent dehors.

«Oh putain. C’est vrai que c’est l’aprem. Dans ma tête il était tard le soir. Faut dire que deux heures dans une salle dans le noir, ça nous fait perdre la notion du temps !»

Le moldu plissa un peu des yeux le temps de s’habituer à nouveau à la lumière du jour.

«Bon… Du coup on se dit à la prochaine ? À moins que tu aies une idée d’un truc à faire ?»