Protego totalum. Accompagnée d’un trille joyeux et enthousiaste, l’onde de choc du sortilège informulé se répand autour de toi, traverse la pièce jusqu’à atteindre les murs d’où un peu de peinture tombe en poussière. La barrière scintillante du sort t’entoure ; son doré se pare d’un bleu outremer qui te réchauffe le cœur et te confirme que la protection est parfaite. Les deux teintes se marient bien dans ta tête, t’aident à donner plus de puissance à la barrière. Parfait. Tu te sens toujours bien quand tu peux t’immerger dans les sortilèges, oublier le monde environnant et te perdre dans les couleurs chatoyantes et leurs notes.
Tu annules cependant rapidement le sort. Tu verras plus tard pour travailler le protego horribilis. La salle déserte que tu as choisie est un peu trop petite pour le sortilège qui permet de protéger un bâtiment entier. Tu jettes un coup d’œil sur tes notes de défense et sur les manuels avancés ouverts sur les tables. Tu as déjà bien travaillé pour aujourd’hui, tu peux passer à la métamorphose. Sur toi, d’abord. Les teintes de cheveux défilent, les couleurs des yeux aussi, dans des mélanges parfois improbables. En informulé, toujours. Tu essaies de ne plus prononcer aucun sort. Tes traits se modifient aussi. C’est moins stable qu’avec du Polynectar, mais cela te permet de brouiller les pistes quelques minutes. Enfin, métamorphose appliquée aux vieux objets abandonnés dans la salle. Une chaise devient un chien écumant pour quelques instants ; une table prend l’apparence d’un fauve. De quoi distraire l’attention pendant un combat, surtout face aux moldus du Blood Circle.
Lorsque tu mets fin à ta séance d’entraînement, la fatigue te tombe sur les épaules, mais tu es plutôt satisfait. Ces sortilèges, tu les connais depuis longtemps, mais ils doivent devenir des réflexes, aussi instinctifs que les mouvements de combat que tu travailles depuis ton enfance. Sur le terrain, pas de temps pour réfléchir et ta baguette devient un prolongement naturel de toi.
Tes manuels retrouvent leur place dans ton sac de cours. Un dernier coup d’œil sur la salle pour t’assurer que tout est en ordre. L’heure tourne et tu as promis à Nox de passer le voir à la volière. Sans personne à qui transmettre du courrier, ton hibou se languit, même si tu t’efforces de passer le voir aussi souvent que possible. Parfois, tu te dis qu’il serait plus heureux avec quelqu’un d’autre. Mais c’est ta mère qui te l’a offert.

Très vite, tu perçois une présence derrière toi. Tu t’obliges à garder une allure détendue malgré la pique de stress dans ton ventre – on est à Poudlard, pas dans la rue. Au premier tournant, tu jettes un coup d’œil discret par-dessus ton épaule. Évidemment. Will Burbank. La sangsue serpentine. Tu retiens un soupir. Il doit se croire très malin à te suivre comme un conspirateur, en s’imaginant peut-être que tu ne le remarqueras pas. Tes sens sont toujours trop en alerte pour qu’il soit si simple de te surprendre.
Un instant, tu envisages un détour par la tour de Serdaigle pour le semer, mais il serait bien capable d’en faire le siège en attendant que tu sortes, et il est hors de question que tu modifies tes intentions pour lui. Même si tu commences à être à court d’idées pour lui enseigner le sens du mot « non ». Croit-il à ce point que tout lui est dû ?
Son acharnement pourrait presque être drôle s’il ne te portait pas autant sur les nerfs. Tu n’arrives pas à te concentrer sur autre chose que sa présence derrière toi – la distance entre vous reste à peu près la même, il ne tente pas de se rapprocher. Tu serres les dents, te forces à ne pas accélérer sur les derniers mètres qui te séparent de la volière. Une voix te souffle que c’est un endroit clos, qu’il n’y a qu’une seule sortie alors que les couloirs t’offrent des dizaines de possibilité de disparaître. Mais ce ne serait que repousser l’échéance une fois de plus. Et ce soir, demain, dans une semaine, il sera encore là. Peut-être que cette fois tu arriveras à le persuader que si, il perd son temps à te pister.

La volière enfin. Les hiboux volent dans un joyeux ballet désordonné. Une petite boule de plumes fonce dans ta direction. Tu lèves le bras juste à temps pour recevoir le petit-duc, dont la centaine de grammes se presse contre ta manche. Tu passes un doigt sur ses plumes, attentif cependant à ce qui se passe derrière toi. Will est entré juste après toi. La porte se ferme dans un claquement sourd qui te crispe. Acculé. Nox pousse un hululement inquiet en te regardant. Tu lui souris, pioches une friandise dans ta poche, avant de te retourner comme tout en toi te le hurle. Rien ne transparaît pourtant. Le Serpentard te regarde avec un grand sourire. Tu hausses les sourcils.

— C’est ce que j’avais cru comprendre puisque tu me suis à la trace depuis dix minutes. C’est très flatteur, mais tu dois avoir d’autres activités bien plus passionnantes et enrichissantes.

Tu ne réponds pas à sa question. Il se fiche de ta santé et tu n’as pas de temps à perdre pour ce simulacre de politesse. Il s’approche encore, en souplesse. Tu t’ancres dans le sol, bien décidé à ne pas bouger d’un pouce. Il n’est pas une menace, c’est une simple conversation. Il va vraiment falloir que tu trouves un moyen de gérer ces angoisses qui deviennent de plus en plus envahissantes. Avec la multiplication des situations à risque, elles crèvent le plafond – même dans un quotidien normal – surtout au quotidien, en fait. Sur le terrain, tu arrives à gérer.

Il te sort son baratin – sa façon de te demander de l’aide sans le faire. Ça aussi, ça t’agace. S’il veut espérer une réponse positive, il devra y mettre les formes. Un sourire joue sur tes lèvres, ironique.

— C’est fort aimable de te soucier à ce point de ma réussite, mais pour ma part je n’ai pas besoin d’aide.

Tu fais mine de l’examiner, comme si tu n’étais plus sûr de son âge.

— Intéressant que tu mentionnes les examens. Les BUSE ne sont pas si loin, n’est-ce pas ? Si tu veux un conseil, tu devrais te concentrer dessus. Et réviser quelques points de vocabulaire également pour être sûr que le sens de certains mots ne t’échappe pas. La fin de notre dernière conversation me paraissait claire et je n’ai toujours pas changé d’avis.

Une part de toi se demande vaguement si le Serpentard t’a été envoyé pour tester ta patience d’une façon ou d’une autre. Tu veux bien être gentil, mais il y a des limites. Une autre se dit que son insistance dénote à tout le moins une certaine motivation et que ce n’est pas qu’une passade. Mais entre envie réelle et caprice de gosse pourri gâté qui n’a pas l’habitude qu’on lui résiste et lutte par pur esprit de contradiction, tu hésites un peu. À dire vrai, ça aurait été une réelle demande d’aide, tu aurais été plus conciliant, plus facile à convaincre aussi. Là, il n’en a clairement pas besoin, il essaie seulement de prendre de l’avance – et de la pire des manières possibles.

S’il tient tant à ce que tu considères sa demande, un peu de sincérité et d’honnêteté ne lui fera pas de mal plutôt que cette arrogance de petit prétentieux. Non que tu sois le mieux placé pour exiger de la sincérité de la part d’autrui, c’est même franchement ironique quand on considère le mensonge ambulant que tu es – mais tu ne joues pas ton caractère ni ton attitude, tu as seulement arrangé ton état civil. Et ta famille. Une demande franche de sa part plutôt que ce jeu insupportable et ce sera déjà un gros progrès.

À voir sa grimace boudeuse, il s’imaginait être discret. Il l’aurait peut-être été pour quelqu’un d’autre, tu n’en sais rien. Tu accueilles d’un haussement d’épaules son commentaire. Pur mensonge, pure défense automatique, qui ne vaut pas la peine qu’on s’y attarde. Typique du gosse qui s’est fait chiper la main dans la boîte de bonbons.

— Certes, mais la vraie question, c’est : est-ce que tu mérites la mienne ?

Tu ne te places pas sur le même genre de piédestal que lui. Mais tant qu’il te verra comme un moyen utile pour parvenir à ses fins et rien d’autre, sa proposition n’aura aucune chance d’aboutir. Son rictus prédateur te porte sur les nerfs, tu détestes te sentir acculé sans issue dans ton dos – trop de réflexes accumulés, trop d’instincts donnés par une vie de traque. Mais « Eirian » est à l’aise dans ce genre de situation et tu gardes une allure détendue. Nox réclame ton attention et tu la lui donnes bien volontiers, tes doigts glissant sur les plumes tandis qu’il te mordille doucement. Tu n’écoutes que d’une oreille les vantardises du Serpent. Non, vraiment, il n’y a rien qui te motive à accepter sa demande. Cette propension à rabaisser les autres parce qu’il a des facilités… Bien sûr que l’examen est facile quand on a des dispositions – et dans ce cas ce n’est pas vraiment un motif de gloire comme il en a l’air convaincu. Bon. Patience, patience, ce sera peut-être bon pour ton karma.

— Ce n’est pas parce que tu ne comprends pas que ça n’a pas de sens. Dans l’état actuel des choses, je ne vois pas très bien ce que je peux t’apporter, vu la façon dont tu me vantes tes talents. Ni pourquoi tu ne prends pas quelqu'un d'autre. N'importe quel étudiant aurait déjà pas mal de choses à t'apprendre. Qu’est-ce que tu veux vraiment ? Devenir encore plus fort pour écraser tes camarades de classe de ta supériorité ?

Will continue sur sa lancée. Ça a encore moins de sens présenté comme ça. Juste s’asseoir et regarder ? Pour toi, ça ressemble à du baby-sitting – bon, okay, le vrai baby-sitting demande un peu plus d’interactions. Tu ne vois pas vraiment ce que ça lui apporterait de plus que de lire les sorts dans des manuels. Et vu sa grande bouche, il ne résistera pas à l’envie de poser des questions, de te demander pourquoi tu fais ci ou ça… et à commenter que lui ferait autrement. Rien que l’idée te hérisse. Sans parler de l’imaginer assis là en train d’observer le moindre de tes gestes, alors que tes moments d’entraînement sont ton refuge. Si jamais tu en viens à donner des cours, ce sera sur des horaires définis à l’avance, précis, et tu ne cèderas à aucune demande en dehors de ces heures-là. Tu soupires.

— Bien sûr, c’est évident que tu vas apprendre la métamorphose seulement en regardant. Achète-toi un manuel avancé, ça marchera tout aussi bien et ça te coûtera moins d’énergie.

Quant à la question du prix… Elle est simple au fond. Et absolument littérale. Tu as besoin d’argent – tu économises tout ce que tu peux pour survivre à l’été à venir, sans parler des fournitures, des vêtements – même si ça va un peu mieux maintenant que tu as enfin terminé de grandir… Rien que pour ça, tu devrais accepter sa demande sans discuter. Mais non. Pas tant qu’il n’aura pas fait d’efforts sur son attitude – et tu ne comptes pas le mettre sur la piste. Il a l’air assez doué pour se glisser dans le bon rôle sans sourciller et s’en débarrasser dès qu’il aura obtenu ce qu’il veut.

— Ce n’est pas une question de prix. Pour l’instant, je n’ai rien vu qui justifie qu’on étudie ensemble. Il va falloir te montrer un peu plus convaincant.

Avec un peu de chance, il finira par se lasser - et ce sera déjà un bon enseignement pour lui.

L’agacement commence à pointer chez le Serpentard, reflet de celui que tu ressens. En digne Serdaigle, tu n’as rien contre l’envie d’apprendre davantage et de bénéficier des enseignements des autres. C’est d’ailleurs comme ça que fonctionne l’accès à votre tour, avec ses énigmes auxquelles chacun peut apporter une réponse personnelle et tout aussi légitime que celle des autres. Ça tourne parfois en débat devant la porte, d’ailleurs, débat qui peut se poursuivre jusque tard dans la salle commune. Pénible quand on n’a pas la tête à ça, mais stimulant le reste du temps. Les Serdaigle croient fermement que tout le monde a quelque chose à apprendre aux autres et que toute discussion doit enrichir les deux partis – ce qui peut rendre certains cours un peu douloureux pour les autres maisons lorsque les Aigles décident d’approfondir un point ou un autre et n’en démordent pas jusqu’à obtenir une réponse satisfaisante.

Au passage, tu notes qu’il a évité de répondre à ta première question. Qu’il veuille apprendre et qu’il soit en avance sur le programme n’est pas le problème en soi. Tu aurais presque pu être à sa place, mais tu n’as jamais osé demander aux étudiants plus âgés, et finalement tu as travaillé dans ton coin, piochant dans les manuels pour ensuite passer à la pratique. Tu as perdu du temps ; d’un autre côté, cette façon plus libre de travailler t’allait. Mais cette attitude… c’est peut-être la fatigue des dernières semaines qui joue et te rend plus sensible. Tu n’es pas à sa disposition comme il a l’air de le croire. Tu hausses les sourcils.

— Non, tu as seulement dit que le programme de 5e année était simple, ce qui n’est pas le cas pour la majorité des élèves.

Tu as assez entendu tes condisciples récriminer sur le sujet, sans parler de tes propres difficultés en potions et en botanique là où c’était l’évidence pour d’autres. Will n’est toujours pas décidé à renoncer malgré ton abord revêche. Il admet cependant qu’il te posera sans doute des centaines de question, piétinant une fois de plus ton temps. Un soupir t’échappe, tu ne sais pas vraiment comment le lui faire comprendre – ce n’est pas vraiment ton rôle non plus.

— Compte tenu de ton point de départ, même un « passable » aurait des choses à t’apprendre et de quoi t’occuper pendant un moment.

Il revient sur sa motivation. Une grimace t’échappe.

— Clairement, tu mérites un Optimal en harcèlement. Et même si ça montre une certaine motivation, ça ne donne pas vraiment envie de travailler avec toi.

Pour le coup, ce sera la dernière conversation de ce genre. Soit il met un peu d’eau dans son vin, soit il recevra un « non » définitif avec prière de mettre fin à tout harcèlement. Tes nerfs n’ont pas besoin de ça en ce moment. Il passe mentalement en revue ses arguments et son attitude change un peu. Il soupire et tu vois le moment où il rend les armes. Enfin. Bon, l’humilité n’est toujours pas à l’ordre du jour, mais il y a du progrès tandis qu’il reconnaît qu’il veut seulement apprendre de nouvelles choses et que la théorie n’y suffit pas au bout d’un moment – ce avec quoi tu es d’accord. Même si tu n’es pas sûr d’être un très bon pédagogue. Tu as toujours mieux marché à l’intuition et ta synesthésie n’a fait que renforcer cet aspect. Ton fonctionnement ne lui servira à rien, mais tu peux quand même lui transmettre quelques petites choses. Son discours lui demande un effort visible. Un sourire t’échappe, plus engageant que ton attitude précédente.

— Eh bien voilà, on progresse. C’était si dur de reconnaître que tu as besoin d’aide ? Il n’y a rien de mal à vouloir apprendre ni à demander, la Dame grise me foudroierait si je te disais autre chose.

Ton ton n’est ni ironique, ni méchant, c’est un simple constat. Tu ne tiens pas non plus à jouer les moralisateurs, mais si tu en viens à accepter il faut que vous démarriez du bon côté.

— Ça donne déjà plus envie de s’intéresser à ta demande. Si j’accepte, et je dis bien « si », parce que mon temps n’est pas extensible, je préfère que tu me poses directement tes questions plutôt que tourner autour du pot pendant des mois.

Le temps que le Serpentard a perdu l’a été par sa seule faute. Tu recules un peu, attrapes Nox qui hulule d’un air froissé, vexé que tu ne te concentres pas davantage sur lui. Le minuscule hibou se colle contre ton torse quand tu croises les bras et tes doigts jouent sur ses plumes. Son bec joue avec ton uniforme, comme s’il cherchait une lettre à envoyer. Ce ne sera pas pour cette fois non plus. Tu relèves les yeux sur Will.

—Allez, convaincs-moi. Montre-moi ce que tu sais faire, que je voie si ça en vaut la peine. Je n’ai pas envie de perdre mon temps.

La demande n'est pas évidente, la volière n'offre pas beaucoup de ressources, mais justement, plutôt qu'une démonstration de puissance, tu as envie de voir à quoi il va penser. Un peu d'imagination ne fait pas de mal.

Ton regard ne quitte pas le jeune Serpentard face à toi. Depuis le début de la conversation, il a gagné en sincérité, même si son ego connaît des résurgences. Tu vois l’effort que ça lui coûte, et tu crains un peu qu’il ne devienne intenable si tu cèdes – parce qu’il risque de ne retenir que le fait que tu as accepté et se croire déjà arrivé, alors qu’il ne sera qu’au début du chemin. Cependant, tu ne peux pas nier sa ténacité. Un étudiant moyennement motivé aurait renoncé depuis longtemps et serait allé trouver quelqu’un d’autre. Mais s’il insiste autant, c’est parce qu’on ne lui a sans doute jamais rien refusé dans sa vie – tu juges peut-être un peu vite, tu ne sais rien de lui au fond, mais c’est clairement l’image qu’il renvoie.

Quand tu commences à soulever la vague hypothèse d’une éventuelle acceptation, un immense sourire vient à Will, sincère lui aussi. Et surtout éclatant de fierté comme s’il venait d’apercevoir un éclat du graal tant recherché. Supplier, supplier… il a toujours le talent pour tourner la réalité comme ça l’arrange. Tu t’en veux sur le coup, tu aurais dû lui donner une réponse ferme et définitive beaucoup plus tôt. Certes, tu ne jouais pas avec ses sentiments, pas plus que tu ne cherchais à te faire mousser en voyant son intérêt – ça t’aurait même bien arrangé qu’il aille voir ailleurs. Mais ne pas réagir davantage au harcèlement en espérant qu’il se lasse risque de lui avoir donné trop de faux espoirs. Et en vrai, tu ne sais pas vraiment ce qui est le mieux, pour toi comme pour lui. Ton côté sauvage risque de ne pas faire de toi un enseignant très agréable, même si tu sais te montrer patient, et Will n’a pas à faire les frais des problèmes que tu n’arrives plus à gérer. D’un autre côté, tu aimes profondément la magie et sa pratique, et transmettre ça à quelqu’un qui a vraiment envie d’apprendre… pourquoi pas ? Surtout que la métamorphose reste une matière peu appréciée, car jugée trop difficile. C’est vrai qu’elle requiert de la subtilité et une bonne sensibilité.

— En fait, si, j’étais à deux doigts de penser que le harcèlement était ton passe-temps favori.

Mais tu restes sérieux en lui proposant de te montrer ce qu’il sait faire. Au moins, ce sera une bonne façon de vérifier que vous ne perdez pas votre temps tous les deux. Il cherche, hésite, ne sait pas trop quoi faire. Tu reviens à Nox, tout en le gardant à l’œil. D’un coup, tu sens le regard de Will sur toi, il te demande de ne pas bouger en pointant sa baguette sur toi.
C’est plus fort que toi. Un pur réflexe. Tu fais un pas de côté et ta main se referme sur ta baguette, et tu la lèves au moment où Will lance son sort – tu reconnais la formule juste à temps pour ne pas dresser un bouclier entre vous ou riposter. Les couleurs habituelles se superposent par-dessus l’éclat du sortilège, un peu faussées, et la note discordante te parvient avant même que tu ne baisses les yeux sur le résultat. Dans un hululement de protestation, Nox s’est transformé en jumelles de théâtre. Leur couleur tranche un peu et rappelle le hibou. D’accord, il connaît plutôt bien le programme de cinquième année, mais ça manque de finition et d’attention aux détails. Vu ses vantardises, tu t’attendais à quelque chose d’un poil plus spectaculaire. Will t’observe d’un air réjoui en assurant qu’il fait bien mieux d’habitude – mais cela ressemble surtout à une assertion supplémentaire et pas vraiment à la réalité. Tu les portes à tes yeux.

— Il va falloir travailler un peu plus si tu veux obtenir un Optimal pour tes BUSE. La couleur reste celle de Nox et le rendu des verres est un peu flou. Les examinateurs notent ce genre de détails, la Métamorphose demande de la précision et de la concentration. Ce n’est pas qu’une question de couleur ou de bout de plume qui dépasse. Parce que là, c’est un sortilège assez facilement réversible, mais quand on vient à la métamorphose humaine ou à l’apparition d’animaux, la moindre erreur peut coûter très cher, tu comprends ?

Les professeurs vous l’ont répété en long, en large et en travers, avec exemples à l'appui. Tu t’emballes un peu en essayant de ne pas trop montrer ta déception, tu tiens toujours les jumelles et c’est Will qui ramène Nox à sa forme première. Ton hibou s’envole dans un battement d’ailes rageur et un hululement colérique, t’assenant un coup d’aile au visage au passage. Tu lui jettes un coup d’œil en coin, il va se percher dans les plus hauts recoins de la volière. Tu vas devoir mettre le paquet pour te faire pardonner. Et lui dire que ce n’est pas toi qui as lancé le sort ne changera rien. C’est ta faute, tu aurais pu lever un bouclier.

Will est déjà prêt à poursuivre, baguette déjà levée en direction d’un autre oiseau et une nouvelle vantardise aux lèvres. Tu le retiens.

— Tu n’arriverais pas à tous les métamorphoser. Et tu m’as seulement montré un point du programme de cinquième année, ça ne me dit rien de ce que tu as travaillé à côté et de ce que tu peux faire une fois qu’on sort du cadre scolaire. Montre-moi quelque chose d’original. Sans me viser moi, ni mon hibou.

À l’évidence, la sangsue serpentine ne reçoit pas tes critiques d’un œil favorable, mais Will a la décence de ne pas protester. Il sait autant que toi qu’il s’est planté et le nier ne ferait que le desservir. Tu peux éventuellement le mettre sur le compte du stress du moment – il ne s’attendait sans doute pas à ce que tu lui demandes de faire ses preuves. Manque de préparation et arrogance évidents une fois de plus. Mais… il y a du progrès, tu ne peux pas le nier. Pas assez, mais ça commence à ressembler à quelque chose.
Un instant, tu te demandes si tu n’es pas trop dur. Tu ne peux pas lui demander ce que tu exigeais de toi-même à l’époque. Et tu sais que tu t’investissais – t’investis toujours – un peu trop dans la pratique magique. Tout le monde ne regarde pas le monde sous l’angle de la survie, encore heureux. Il est jeune, il n’a que quinze ans – comme si tu étais beaucoup plus vieux. Tu ne peux pas non plus lui demander la même maturité que celle que tu avais acquise par la force des choses. Mais puisqu’il tient absolument à travailler avec le meilleur, il faut qu’il soit à la hauteur, que tu saches s’il est vraiment capable de suivre. On va dire que c’était un entraînement, tu peux lui donner une deuxième chance pour mieux juger.

Il n’accueille pas ta demande avec un enthousiasme débordant. Tu hausses les sourcils de façon exagérée devant sa remarque.

— Encore heureux ! Tu attends des félicitations pour avoir réussi le minimum exigible ? Ce n’était pas la première fois que tu lançais ce sort.

Il n’aurait plus manqué qu’il soit assez peu dégourdi pour blesser Nox ! Sa mauvaise foi t’agace autant qu’elle t’amuse. Tu as l’impression qu’il s’en sert pour se protéger. Il soupire, fait mine de condescendre à t’obéir. Plus facile sans doute que d’admettre qu’il n’a pas le choix, s’il veut garder une chance d’obtenir ce qu’il veut.
Tu essaies de ne pas trop le fixer pour ne pas le perturber, mais tu gardes ton attention sur lui. Il scrute la volière. Enfin, il commence à réfléchir et à agir de façon sérieuse, plutôt que de foncer tête baissée en imaginant que le premier sort bancal te satisfera. Enfin, il écoute ce que tu lui dis et y prête attention. Enfin, il a l’air de se comporter comme quelqu’un qui a envie d’apprendre et de bien faire. Il a l’air également moins sûr de lui. Par contre, si ça lui coupe tous ses moyens… il n’aura plus qu’à retourner travailler le programme de cinquième année.
Il réfléchit toujours intensément, tu t’apprêtes à lui faire une remarque, lorsqu’il a l’air d’avoir une idée. Son regard qui se veut menaçant ne t’émeut pas.

— Je croyais que j’étais le meilleur ?

Vu ses précautions, il veut sans doute essayer quelque chose sur lui-même. Bien. Même s’il se plante, tu ne devrais effectivement pas avoir trop de mal à remettre les choses en ordre – même si l’idée de le laisser se promener un peu avec les cheveux rose fluo est tentante. À moins qu’il ne tente un sortilège de Disparition. Si tu te souviens bien, en cinquième année, on ne les aborde que sur de petits animaux. S’il opte pour la métamorphose humaine, tu espères quand même qu’il fera plus original qu’un changement de couleur.
Sa phrase admet cependant une certaine faiblesse : s’il s’est surtout concentré sur la théorie, la pratique ne suit pas. Évidemment, c’est plus prudent, la métamorphose est l’une des formes de magie les plus complexes et dangereuses, difficile à pratiquer seul, surtout lorsqu’on en vient à la métamorphose d’humain en animal. Mais au bout d’un moment, la théorie ne sert plus à rien. C’est comme s’entraîner à la défense contre les forces du mal sans jamais lancer le moindre sortilège. Tu notes le manque de méthode. S’il veut devenir vraiment bon, tout ne tient qu’en un mot : pratiquer, pratiquer, pratiquer. Échouer et recommencer.

Tu retiens un coup d’œil à ta montre. Le Serpentard est toujours en pleine concentration. S’il fait tout ce cinéma pour changer sa couleur d’yeux ou de cheveux… Non, il se concentre sur son bras. La formule sort difficilement et, clairement, il est bien moins assuré. Tu plisses les yeux. Des écailles sont apparues sur son bras. Il s’approche pour te montrer. Tu te penches dessus. Ça reste grossier, mais pour une première tentative, ça aurait pu être pire, la transition entre la peau et les écailles est plutôt correcte.

— Je sais que tu ne l’as pas étudié en cours. C’est… intéressant pour une première tentative, tu as toujours ton bras, même si on ne va pas nier qu’il y a encore du travail.

Puisqu’il t’a montré où il en était, autant que tu fasses une démonstration aussi, histoire de montrer que ce ne sont pas que des vantardises. Tu pointes ta baguette sur son bras. Les écailles recouvrent toute la peau visible, du coude jusqu’à la base des doigts, et la transition est fluide, naturelle, comme si elles faisaient réellement partie de son anatomie. Puis tu complètes en lui couvrant les doigts – c’est la partie la plus compliquée avec le jeu des articulations, celle qui demande la plus grande maîtrise – et en transformant les ongles en griffes. Tu lui laisses le temps de regarder avant de tout faire disparaître.

— Je ne te demande pas de tout savoir, en effet, sinon cette discussion n’aurait aucun sens. Mais puisque tu prétendais avoir étudié dans ton coin, il fallait bien que je voie où tu en étais. Tu as l’air d’avoir pas mal avancé sur la théorie, pour des choses complexes – tu pointes son bras –, mais la pratique ne suit pas. C’est bien d’un côté, c’est plus prudent quand on touche à ce genre de magie, mais au bout d’un moment, tu ne peux plus avancer sans cela. Et il n’y a pas de secret, c’est : du travail, du travail et encore du travail. Beaucoup de patience parce que ça ne viendra pas en un jour et que tu vas devoir recommencer des dizaines de fois avant d’arriver à un résultat convenable. C’est frustrant, je sais, mais il faut en passer par-là. Ah, et de l’exigence aussi, à ce niveau l’à-peu-près ne fonctionne pas.

Bon, présenté comme ça, ça ne fait pas envie.

— Ça ne signifie pas que ce sera ennuyeux, c’est une magie passionnante à étudier. Et je ne dis pas ça pour te décourager ou pour te pourrir la vie, mais il faut que tu le comprennes si tu veux avoir des chances de devenir vraiment bon. Est-ce que, sachant cela, ça t’intéresse toujours ?

Au moins, le Serpentard est prudent dans sa façon de procéder. Avec le recul, tu l’étais beaucoup moins. Oh, tu as toujours calculé les risques, mais tu t’es aussi fait de belles frayeurs, à galérer à réussir le contresort adéquat pour ne pas finir piteusement à l’infirmerie avec une patte de chat ou une transformation du même acabit. La tentative du Serpentard reste timide, il faudra qu’il apprenne à oser un peu plus, mais ça viendra avec la pratique, une fois qu’il aura… paradoxalement davantage confiance en lui-même – mais tu ne t’inquiètes pas trop sur ce point-là. Malgré tout l’ego qu’il affiche, il n’était pas rassuré et il ne s’est lancé que parce que tu étais là pour parer aux éventuels dégâts. D’où ta volonté aussi de lui montrer que tu sais ce que tu fais et qu’il pourra te faire confiance pour rattraper ses erreurs. La magie peut parfois jouer de drôles de tours, mais tu penses pouvoir arranger la majeure partie des dérapages. Ou improviser sur le moment.
Évidemment, ton retour ne lui fait pas plaisir et il ne peut s’empêcher de protester. Tu ne te donnes pas la peine de répondre. À quoi s’attendait-il ? Que tu lui dises qu’il est génial et merveilleux dès la première tentative qui ne s’est pas finie en catastrophe ? Ce n’est pas ainsi qu’il progressera. Non que tu ne veuilles pas l’encourager ou le complimenter, mais si tu le couvres de félicitations, il se croira arrivé avant d’avoir franchi la première étape. Tu as peut-être été marqué aussi par l’enseignement de ton père, dans tes premières années, qui dispensait ses encouragements au compte-goutte et dont un simple « c’est moins nul que d’habitude », valait tous les efforts. Au moins Will échappera-t-il à cela. Ce n’est pas ton genre de rabaisser les autres ni de te placer en supérieur qui dispense des miettes dans sa grande générosité.

Pour l’instant, tu guettes sa réaction devant ton sortilège – les yeux écarquillés, l’air impressionné. Tu ne vas pas nier que ça fait plaisir de le voir admiratif. La métamorphose humaine fait partie des domaines les plus complexes et ces sorts ne sont pas parmi les plus simples à maîtriser. Le garçon approuve ton petit discours, souligne qu’il ne veut pas se lancer sans surveillance.

— C’est une bonne chose. Tu es plus raisonnable que moi sur ce plan-là.

Il confirme qu’il ne craint pas de travailler dur – avec une petite pique sur ta capacité à l’encourager. Un sourire t’échappe tandis que tu lèves les yeux au ciel.

— Comme tu l’as souligné, tu me harcèles depuis des mois. Je n’allais pas t’encourager en plus. Mais ta détermination et ta motivation sont des points positifs. Ça te va comme encouragements ?

Tu te sens quand même obligé de développer un peu.

— Tu en auras, je ne vais pas t’enfoncer, et sûrement des félicitations aussi le moment venu, mais si je commence directement par des applaudissements, qu’est-ce qu’il restera quand ton travail les méritera réellement ?

Okay, tu n’as pas grandi dans une culture de l’encouragement permanent. Bien que moins dure que ton père et bien plus généreuse en encouragements, ta mère ne te félicitait pas à tout bout de champ. Tu trouves que ça donne plus de valeur aux mots – tu verras à l’usage de toute façon. Tu n’es pas un bourreau non plus.
Tu ne reviens pas sur le choix du mot collaboration.

— La seule personne pour qui ça risque d’être douloureux, ce sera ton ego. Mais je pense qu’il s’en remettra bien. Je ne vais pas te crier dessus ou je ne sais quoi, parce que tu dois recommencer dix fois le même sort. Ça, ce serait contre-productif. Et tu pourras toujours arrêter quand tu veux, si tu te rends compte que finalement ça ne te convient pas.

Il est toujours décidé, et te demande quand vous commencez – alors que tu n’as toujours pas formellement dit « oui », mais à ce stade… c’est pratiquement acquis. Bon, fixer un jour. Le vendredi, tu bosses, et le lundi tu récupères du week-end. Tu supposes que pour lui le plus tôt sera le mieux.

— La semaine prochaine, un soir après les cours ? Mardi, mercredi ou jeudi, à ta convenance. On se mettra dans une salle de cours. Quelques révisions pour commencer, puis tu me diras s’il y a des sorts que tu veux travailler en priorité. Autant se concentrer sur ce qui t’intéresse le plus. D’ici là, plus de harcèlement, et les questions sont réservées au moment des cours, d’accord ?

Hors de question que cette petite sangsue continue de te poursuivre dans les couloirs – tu redoutes déjà les centaines de question que Will te posera sûrement, mais maintenant que tu commences à te faire à l’idée… eh bien, ça ne te déplaît pas tant que ça. Ton amour de la magie finira par te perdre.

Évidemment, ça ne rate pas. Dès que tu reconnais avoir été moins prudent que lui, Will se croit de nouveau sur une scène de théâtre. Tu secoues la tête. Une part de toi se dit avec un brin de désenchantement que ces cours vont être vraiment épuisants. L’autre s’amuse un peu de ce cinéma perpétuel, ça te change de tout le sérieux qui t’entoure habituellement, parce que tu ne sais plus faire autrement. Tant que Will n’en fait pas trop, ne dépasse pas les limites – ou plutôt tes limites –, tu peux l’accepter. Cela demandera sans doute un peu d’ajustement au début pour ne pas trop empiéter sur vos caractères respectifs. Tu te demandes quand même dans quoi tu t’embarques. Tu as bien assez à gérer par ailleurs. Les cours, l’Ordre, Towsen, le Blood Circle… Toi. Mais justement tu en as assez de ne penser qu’en termes de survie, de ne voir ton existence que sous cet angle. À quoi bon s’il n’y a que ça ?
Et de toute façon, tu as donné ton accord, ce n’est pas pour te raviser trois minutes plus tard. Tu aviseras en fonction de ce que donnera le long terme.

Will s’éclaire d’un grand sourire lorsque tu te fends de quelques encouragements. Tu hausses les sourcils, faussement contrarié.

— Je te rappelle que c’est moi le professeur, on ne renverse pas les rôles.

Ce n’était de toute façon pas un reproche de sa part – et tu restes bien décidé à ne pas lui donner davantage que ce qu’il mérite, en fonction de ses progrès. Naturellement, il saute sur la première date que tu lui proposes. Sa mine te dit bien assez qu’il doit déjà réfléchir à tout ce dont il voudra parler avec toi. Bon, tant qu’il se limite à votre heure de cours et qu’il ne vient pas te débusquer dans ta tanière, tu peux gérer. Tu es curieux de ce qui l’intéresse, des domaines qui lui parlent. De voir son approche de la magie aussi.

« Tu m’aimeras comme un frère ». Hum, hum. Certes, tu n’as pas grand-chose à reprocher au tien pour l’heure, mais, pour ce que tu en sais, il s’aligne sur la position de ton père, ce qui ne présage rien de bon pour toi. Bref, Will et toi, vous n’en êtes pas là, même si tu es disposé à faire des efforts. Une fois qu’il laisse un peu tomber les apparences, il n’est pas si détestable, ce gosse. Usant pour les nerfs, nécessitant une patience à toute épreuve, mais pas insupportable dans l’ensemble.

— Je te rassure, il y a pire que toi, mais tu restes bien classé. Et tu as une très bonne marge de progression pour devenir plus supportable.

Encourageant, on avait dit. Bon, son excès d’enthousiasme ne sera sûrement pas de trop et tu le devines bien capable de se décerner à lui-même les encouragements qui lui manqueront. Au moins admet-il qu’il a encore du chemin à parcourir.

— Le chemin est long, mais il n’est pas impossible ; il n’y a pas de raison que tu n’y arrives pas si tu travailles.

Mieux ? En tout cas, son enthousiasme ne diminue pas maintenant qu’il a obtenu gain de cause. Il s’approche de toi. Tu comprends son geste, amorces un mouvement de recul, mais ses bras se referment sur toi. Réaction instinctive. Le corps raide, le poing déjà fermé, tu vas pour le repousser violemment et te libérer, mais il s’est déjà reculé. Ne reste que la sensation lourde du poids de ses bras contre toi. Tu fais un pas en arrière, te forces à te détendre, à répondre au sourire qu’il t’adresse encore en te remerciant. Tu dérailles complètement. Tu le salues d’un « À mardi » qui doit manquer de conviction, mais il se dirige vers la sortie en sautillant. Tu te secoues.
Un silence tout relatif retombe sur la volière, brisé par les battements d’ailes des hiboux et les hululements de deux chouettes qui se disputent une souris. Un bruissement juste à côté. Nox est de retour, l’air toujours contrarié, mais présent quand même. Tant mieux, tu ne vas pas redescendre tout de suite.