Un vent glacial s’engouffra dans la rue dans laquelle tu venais de t’engager. Il ne t’avait pas fallu longtemps pour te décider à agir. Sans doute que c’était d’ailleurs arrivé au moment même où elle t’avait demandé de ne pas t’en mêler. Tant pis, elle n’avait pas besoin de le savoir. Tu ne pouvais pas lui souhaiter une bonne année, apprendre qu’elle avait des problèmes et faire ensuite comme si de rien n’était. Toi, tu devrais vivre avec l’idée qu’un type avait pour passe-temps occasionnel de la malmener et de lui filer des cauchemars ? Certainement pas. Quel mec pouvait fermer les yeux sur les tourments de sa copine ? Limite ça te rendait dingue de ne pas avoir su avant ce qu’elle endurait. Et le mieux dans tout ça ? C’était un loup-garou, un de ceux qui n’arrangeaient donc pas l’opinion publique sur votre espèce. Elle ne t’avait pas donné ses raisons et tu ne savais donc pas pourquoi il la harcelait. Dans le fond tu n’avais pas besoin de connaître ses raisons. Tu t’en fichais et tu voulais juste y mettre un terme. Même si agir était devenu une évidence à la minute où elle t’en avait parlé, tu ne t’étais pas non plus précipité. Tu connaissais Elise et sa force de caractère mais tu te souvenais très bien de la peur que tu avais pu lire dans son regard à l’idée qu’il tombe sur elle lors de la soirée du conseil. Tu avais beau retourner le problème dans tous les sens, tu n’avais aucune idée de comment tu allais t’y prendre. Tu avais mené une enquête rapide et tu savais donc que Greyback était à la tête d’une meute. Rien qu’avec cette info, tu partais plutôt perdant. Tu avais entendu parler de ce bar où traînait une bande de loups et il y avait fort à parier que c’est là que tu le trouverais.

Tu t’étais fait plusieurs scénarios de l’échange qui suivrait. Dans le pire des cas, tu te prendrais la raclée de ta vie. Au mieux ? Tu n’arrivais pas à savoir, mais tu avais du mal à croire que le gars te tapoterait l’épaule chaleureusement pour te promettre qu’il ne toucherait plus un cheveu de l’Aiglonne, tout ça en te laissant repartir comme tu étais venu. Ça t’arrangerait, mais tu sentais que si jamais il acceptait de laisser Elise tranquille, ça ne serait pas sans contrepartie. Qu’est-ce que tu pouvais bien avoir à offrir à un type pareil ? Oui parce que tu savais que si tu voulais obtenir quelque chose les paroles auraient plus de valeur et d’impact que les poings. De toute façon, tu avais toujours fonctionné comme ça. Négocier, parlementer, argumenter, convaincre, c’était à cet avenir que tu te destinais après tout, avocat ou une fonction du même genre. Pourtant tu avais beau réfléchir, tu ne voyais pas ce que tu pouvais proposer en échange de tes revendications. Tu étais un simple étudiant, tu n’avais pas grande influence sur personne, mais il y avait peut-être quelque chose que tu pourrais faire. L’idée que tu puisses faire pire que mieux t’avait traversé l’esprit, mais ce n’était pas dans tes habitudes de rester les bras croisés. Tu n’avais pas le complexe du sauveur et tu n’avais jamais considéré Elise comme une demoiselle en détresse, mais tu l’aimais et si elle n’allait pas bien, alors tu ne pouvais pas aller bien. Dans ta tête, c’était certain on ne pouvait pas s’avouer vaincu tant qu’on n’avait pas essayé.

Tu te trouvas bien vite face à la porte du bar et tu savais que dès que tu l’aurais franchie tu devrais donner de ta personne. Tu savais que tu allais mettre le nez dans les problèmes même si tu obtenais ce que tu étais venu chercher. Des sacrifices, tu étais prêt à en faire beaucoup pour l’Aiglonne. Là devant l’établissement, tu ne cherchais pas ton courage, non, il n’y avait pas plus déterminé que toi en cet instant. Tu profitais juste des derniers moments de tranquillité de ta vie, rassemblant tes pensées pour l’entrevue qui allait suivre. Puis tu entras sans hésiter et les regards se tournèrent vers toi. Tu ne cillas pas, même quand les odeurs lupines te parvinrent. Tu n’avais pas souvenir d’avoir été un jour en présence d’autant de loups à la fois. Comme tu avais passé ta vie à dissimuler ta seconde nature, faire partie d’une meute n’avait jamais été dans tes plans. Tu n’étais pas impressionné, plutôt intrigué en fait de ce qui pouvait rassembler ces lycans. Celui que tu étais venu voir ? Tu n’avais pas vraiment eu droit à une description précise du type et tu n’avais pas insisté. Elise n’était pas une idiote, elle aurait compris ce que tu cherchais à faire. Elle n’avait pas besoin de savoir et tu ne pouvais pas non plus prendre le risque qu’elle découvre que tu partageais la même nature que celui qui la terrorisait.

- Je cherche Kesabel Greyback, annonças-tu distinctement, je veux juste lui parler, ajoutas-tu pour qu’on ne se méprenne directement pas sur tes intentions.

Tu n’étais clairement pas une menace pour eux, ils le savaient aussi, mais autant ne pas donner l’impression que tu étais venu lancer les hostilités.

Rien à voir avec l’ambiance chaleureuse du Chaudron Baveur ou celle étudiante des Trois Balais. Tu avais fait d’autres bars de la capitale britannique, mais aucun ne t’avais laissé cette drôle d’impression. Tu avais beau te retrouver au milieu de plusieurs de tes congénères, tu n’arrivais pas à te sentir à ta place. Quelque chose te dérangeait. Oui, tu te retrouvais sur le terrain d’un sale type et tu venais le voir en espérant trouver un arrangement pour qu’il foute la paix à Elise, mais ce n’était pas que ça. Ce n’était pas non plus lugubre et froid, non c’était autre chose. Ils t’avaient dévisagé, savaient déjà tous ce que tu étais, mais aucun ne s’avanceraient pour te souhaiter la bienvenue. Au moins tu avais plus de chance de trouver celui que tu cherchais, dans un endroit comme celui-ci. De ce que tu savais de Greyback, tu ne le trouverais pas dans le club des joyeux lycans. Tu ne tardas pas à annoncer les raisons de ta venue. Inutile de faire semblant, c’était probablement tous des habitués et tu n’avais jamais mis les pieds ici. Tu ne venais donc pas juste boire un verre.

Ton regard parcourut les visages de l’assemblée. Certains t’observaient curieux, les autres étaient déjà repartis à leurs occupations. Une voix moqueuse s’éleva pour te demander ce que tu cherchais. Tu gardas pour toi tes remarques. Il te semblait pourtant bien avoir précisé que tu voulais simplement parler. Au moins, tu ne t’étais pas trompé d’endroit. Ce type semblait bien savoir de qui tu parlais. Une autre voix, une autre remarque moqueuse. Finalement ton premier défi dans ce bar serait d’être pris au sérieux… Petit… D’accord tu n’étais pas un de ces grands gaillards de deux mètres, mais quand même… et louveteau ? Ça va tu aurais vingt ans cette année, il avait quoi ? Une dizaine d’années de plus ? Tu te souvins des paroles de l’Aiglonne. Que tu le reconnaîtrais à sa manière de se comporter, à cette façon d’agir comme si le monde lui appartenait. Là en moins d’une phrase, il te replaçait dans sa hiérarchie, c’est à dire bien en bas. Tu savais que ce ne serait pas facile. Tu n’avais pas beaucoup d’infos, mais le peu que tu avais était assez pour savoir que tu allais devoir bien y mettre du tien pour que ça fonctionne.

Un gémissement attira ton attention, avant que tu ne détournes le regard en comprenant ce qui se passait. Est-ce que c’était ça ta drôle d’impression ? Ce n’était pas seulement le fait d’avoir atterri dans le repaire d’un type dangereux. Non, comme une impression de mal famé et de débauche, alors ? L’ordre pour ces types de débarrasser le plancher pour continuer leurs petites affaire ailleurs, fusa et ils obtempérèrent sans broncher. Si le monde lui appartenait ? En tout cas, il paraissait clairement être le maître de ces lieux. Tu reportas ton attention sur le type qui fumait tranquillement sa cigarette et qui planta son regard dans le tien, exigeant de savoir qui tu étais et ce que tu lui voulais. Tu avais bien compris que tu avais face à toi le fameux Kesabel Greyback, celui qui inspirait tant de crainte et de haine chez celle que tu aimais.

- Aidan… Fleming, répondis-tu.

Une légère hésitation avant de donner ton nom, mais à part ta mère tu n’avais pas de famille que tu mettrais en danger, et tu savais celle-ci parfaitement capable de se protéger. Fleming... un vieux nom d’une famille de sang-purs irlandaise en bonne voie d’extinction, ça ne lui parlerait sans doute pas non plus. A moins qu’il n’ait un jour croisé la route de la folle à qui tu devais ta transformation ? Peu importe, ce n’était pas ton nom qui t’aiderait à obtenir quelque chose dans cette situation. Enfin, au vu de tes objectifs, dissimuler ton identité ne servirait pas à grand-chose. Tu le savais que ce type avait toutes les informations qu’ils désiraient et cela par tous les moyens. Quant à ce que tu lui voulais, dans ta tête, c’était très clair. Tu voulais qu’il lâche Elise, qu’il ne lui adresse plus la parole, qu’il ne la touche plus jamais. Tu te rapprochas de sa table, d’abord parce que le reste de la salle n’avait pas besoin de suivre vos échanges. Et ensuite parce que tu ne voulais pas montrer de signe de faiblesse, et en restant planté au milieu de la pièce à distance, il ne pourrait que penser que tu avais les jetons de te retrouver face à lui.

- Je veux savoir en échange de quoi tu arrêterais de t’en prendre à quelqu’un.

Non tu n’avais pas l’intention de tourner autour du pot. Tu avais l’impression que ce genre de type s’agacerait si tu prenais trois plombes à expliquer la raison de ta venue. Non tu ne vérifiais pas non plus les confidences d’Elise. Tu lui vouais une grande confiance. Impossible pour toi que cette histoire d’harcèlement avec Greyback soit un mensonge. Tu te gardas pour le moment de citer le nom de l’Aiglonne. Au cas où cette entrée en matière tournait mal, tu préférais que ça ne lui retombe pas dessus. Tout ça c’était ton idée, c’était donc toi qui en subirais les conséquences, s’il devait y en avoir.

L’atmosphère était pesante pour toi. Tu venais de mettre les pieds dans un monde qui n’était pas le tien. A vrai dire, peut-être celui que tous les autres s’imaginaient en entendant parler de loup-garous. Tout ce que tu ne voulais pas être, tout ce dont ta mère t’avait préservé durant tout ce temps. Un endroit occupé par des sales types qui se pensaient tout permis de par la peur qu’ils inspiraient. Ça respirait tout sauf l’innocence et la confiance. Et pourtant, c’était là que tu étais venu pour tenter de passer un accord. Tu essayais de rester serein, mais tu n’en menais pas large et aussitôt Greyback repéré tu sus que tu n’étais pas au bout de tes peines. Il dirigeait ici en maître et personne n’osait remettre en question ses ordres. Elle t’avait prévenu. Il était dangereux, illuminé, sadique C’est les mots d’Elise, je balance xD. Tu savais qu’en franchissant cette porte, tout n’allait pas forcément se dérouler comme tu l’aurais voulu.

Tu déclinas ton identité sans inventer, sans omettre ton nom, lorsqu’il te la demanda. A quoi bon, il finirait par le savoir si tu obtenais ce que tu étais venu chercher. Tu ne t’attendais pas vraiment à ce que ça le fasse réagir. Il était visiblement maître en ces lieux et surtout très bien informé sur ce qui se passait dans le monde des lycans. Tu le regardas rire de ton cas d’abord sans rien dire. Ça commençait bien… Tu ne savais pas grand-chose de lui et le premier jour où tu allais le trouver, lui il connaissait déjà une partie de ton histoire. Cette histoire tu la connaissais bien aussi. Ta mère ne t’avait jamais caché la raison de ta transformation en loup-garou. Elle avait merdé ado, dupée et embarquée dans une histoire d’enlèvement et de rançon par une fratrie. Ça avait viré au drame le soir où ton grand-père était venu régler le problème à sa façon abattant l’aîné lycan. Pas assez rapide pour épargner ta mère cependant. La sœur du loup avait été condamnée à Azkaban et pendant trois ans elle avait planifié sa vengeance. Elle aussi frappée la nuit du drame était devenue un loup-garou et avec l’aide de congénères, elle avait mis fin aux jours de tes grands-parents poussant ta mère à fuir à l’étranger. Ça n’avait pas suffi bien sûr, la louve vengeuse avait retrouvé la trace de ta famille, bien décidée à en finir. Tu te souvenais de chaque détail de cette nuit où tu avais été condamné à être à ton tour loup pour le restant de tes jours et tu savais aussi parfaitement que de cette fratrie, il ne restait rien.

- Non, si on parle de la même chose, alors ça fait bien longtemps qu’ils sont morts.

Ta mère avait achevé cette folle et avait très probablement fait disparaître le corps avec l’aide d’Anton. Légitime défense ou pas, ta mère avait su couvrir ses traces et éviter que l’on ne s’intéresse de trop près à ce qui s’était passé le jour où tu avais été mordu. Quant à être associé à ces deux monstres et à leurs actions ? Non, merci. Sans plus t’attarder tu étais entré dans le vif du sujet, sur ce qui t’amenait jusqu’à lui. Non tu n’étais pas venu faire ami-ami et tu sus tout de suite que tu avais attisé son intérêt pour toi. Sa réponse ne se fit pas attendre et il ne nia absolument pas tes accusations. Tu n’avais aucune idée de la valeur d’Elise pour ce type, mais tu savais très bien la valeur qu’elle avait pour toi. Sans ça tu n’aurais jamais mis les pieds ici. D’un simple regard, sans qu’il n’ait eu besoin de prononcer un mot, il fit comprendre aux membres de sa meute de le laisser. L’autorité qu’il avait sur eux était déroutante. Il t’invita à t’installer à sa table et après une courte hésitation, tu finis par tirer à toi la chaise face à lui et y pris place. Et maintenant, qu’est-ce que tu faisais ? Aucune illumination, aucune idée brillante ne t’était venue entre-temps.

- Elle ne m’a jamais rien demandé, elle ne sait même pas que je suis venu pour négocier, commenças-tu, elle n’a donc pas de raison de subir à cause de moi.

Pas question de révéler l’identité d’Elise si c’était pour qu’il se venge sur elle ensuite. Tu préférais t’assurer qu’elle ne récolte pas la tempête du vent que tu aurais semé.

- Je suis là pour Elise de Lestang. Je veux qu’elle n’ait plus à se retrouver face à toi.

Plus jamais même. Tu n’avanças pas que tu étais prêt à faire tout ce qu’il voulait pour qu’il accepte ce marché. Même si c’était sûrement le cas à quelques exceptions près, tu n’allais pas te montrer si vite désespéré, tu ne pouvais pas lui donner directement toutes les clés pour qu’il profite et prenne tout ce qu’il pouvait prendre.

- Qu’est-ce que tu veux en échange de la tranquillité d’Elise ? Finis-tu par ajouter.

Peut-être aurait-il mieux fallu que tu te renseignes plus longuement avant de débarquer ici. Tu avais juste pensé qu’il fallait faire cesser toute cette histoire au plus vite et tu avais foncé. Si bien qu’à ce stade de la conversation, tu fus légèrement déstabilisé qu’il connaisse une partie de ton histoire. Le monde des lycans n’était pas si vaste finalement et si ta mère était partie à l’étranger à l’époque pour fuir ses problèmes, ce n’était pas sans raison. En attendant, il ne fallait pas que tu t’arrêtes à la première provocation ou tu n’obtiendrais jamais ce que tu étais venu chercher. Alors tu répliquas simplement, pour rétablir la vérité. Bien que tu vives avec leur héritage maudit, les premiers ennemis de ta famille n’étaient plus de ce monde. Tu observas son sourire se dessiner sur son visage, te demandant comment tu devais interpréter sa réaction, mais il ne poursuivit pas sur le sujet. Tant mieux, ce n’était pas la meilleure partie de ta vie, et l’évoquer même avec quelqu’un qui partageait ta condition, ne t’emballait pas le moins du monde.

Installé face à lui, tu pus revenir sur le sujet qui te préoccupait. Elise. Avant toute chose, il te fallait faire tout ce qui était possible pour qu’elle ne subisse pas de représailles au cas où cette conversation se terminerait mal. Ce n’était pas parce qu’il acceptait de t’écouter que tu aurais gain de cause et tu n’étais pas venu empirer la situation de l’Aiglonne. Elle n’y était pour rien et t’avait même expressément demandé de ne rien faire. Elle gérait t’avait-elle assuré. Peut-être, mais toi tu ne voulais plus lire la peur dans son regard et tu ne voulais plus qu’elle craigne les loups-garous. Il ne sembla pas beaucoup réagir à ton entrée en matière, devais-tu insister ? Obtenir des garanties ? Tu craignais de lui faire perdre patience et de perdre ta chance d’obtenir ton marché. Il te laissait t’exprimer, il aurait pu te chasser dès le départ, pas question de s’arrêter en si bon chemin. Aussi finis-tu par prononcer le nom de l’Aiglonne. Il se mit alors à rire et tu tâchas de ne laisser rien paraître de ce que tu pouvais ressentir. Il n’y avait rien de risible à la situation. Le harcèlement d’Elise n’était pas un sujet de plaisanteries pour toi, mais tu n’étais pas en position de force pour lui faire ravaler son rire. Traumatisée. C’était le mot, il était donc parfaitement conscient de ce qu’il faisait subir à la jeune femme, mais ça n’avait pas l’air de lui torturer beaucoup la conscience. Quant à l’histoire du violeur, Elise ne te l’avait pas cachée non plus. Tu n’eus donc pas à dissimuler ta surprise. Tu savais pour les rencontres, les menaces sur sa famille et ses proches, tu savais pour le violeur et sa contribution pour la sortir de ce mauvais pas. Elle t’avait même raconté gênée, sa tentative de le tuer pour mettre fin à son supplice sans pouvoir toutefois aller au bout de son geste. Alors oui tu savais qu’il l’avait sauvée d’un viol ou peut-être même pire, mais et alors ? Est-ce que ça excusait ce qu’il lui avait fait ? Est-ce que ça lui donnait le droit de continuer à la harceler ? Non tu ne le pensais pas. En revanche c’était cette histoire de sauvetage qui te faisait espérer qu’il ne soit pas totalement noir et insensible comme le décrivait Elise. C’était avec cet espoir d’un reste d’humanité, que tu avais franchi la porte pour négocier la liberté de celle que tu aimais.

- Oui, elle m’a dit, répondis-tu simplement.

Mais ça ne changeait rien à ta décision. Alors tu reformulas ta demande. Que voulait-il en échange de la tranquillité d’Elise ? Tu le regardas boire une gorgée et réfléchir à ta question. Qu’est-ce qu’il pouvait te demander ? Qu’est-ce qui l’intéresserait ? Le silence qui s’installait, rendait la situation encore plus inconfortable qu’elle ne l’était déjà. Et puis il brisa le silence, mais pas avec la réponse que tu attendais. Avec une question dérangeante à tes yeux. Son attitude, le moment choisi, la situation… Il précisa, mais il aurait aussi bien pu ne pas le faire. De quoi d’autres pouvait-il parler si ce n’était de ta seconde nature ? Il te scrutait et tu savais que tu ne pourrais pas rester impassible, que la réponse devait déjà se lire sur ton visage, que ton malaise ne pouvait pas être dissimulé cette fois. Tu étais un bon menteur, tu savais donner le change, mais pas cette fois. Pas en terrain inconnu, pas quand il s’agissait d’Elise et de ta plus grande peur. Non elle ne savait pas, il ne fallait pas qu’elle sache. Pas maintenant… Quand elle le découvrira… Ça fait des mois que tu te mens à toi-même, te convainquant que tu pouvais être avec elle et garder ton secret. Mais même Greyback le sait déjà, ce ne serait qu’une question de temps… Pour le préserver, il fallait la quitter, la solution que tu avais toujours appliquée avant elle. Tu l’écoutais émettre ses hypothèses sur tes motivations, la protéger, mais aussi l’empêcher de penser que les loups-garous puissent être tous des monstres ? Au vu de votre dernière discussion, cela semblait être un objectif inatteignable. Elise avait déjà un avis bien tranché sur la question et la faire changer d’avis te semblait presque impossible. Il conclut à voix haute ce que tu pensais tout bas et tu détournas le regard malgré toi. Il était sans doute déjà trop tard.

- Peu importe… lâchas-tu dans un souffle, en quoi mes raisons peuvent t’intéresser ? Je veux juste que tu ne l’approches plus.

Tu le regardas piocher dans un paquet de cigarettes et allumer l’une d’entre elles. Tu étais patient, mais tu sentais qu’en prenant son temps ainsi, il jouait avec toi. Il argua qu’Elise lui était importante et tu ne répondis pas. Tu ne savais à vrai dire pas le travail qu’effectuait l’Aiglonne pour lui,. Elle ne t’en avait pas parlé, tu n’avais pas insisté. De là, il était difficile pour toi d’évaluer sa valeur à ses yeux. Tu ne savais pas de quoi il fallait être à la hauteur. Faire ses preuves pour intégrer sa meute ? Tu venais en sachant pertinemment que ton seul atout pour une fois serait ta nature lupine, il acceptait de négocier avec toi, tu te voyais mal refuser maintenant.

- D’accord, lui répondis-tu simplement.

Bien sûr tu te posais tout un tas de questions. C’était quoi faire ses preuves pour lui ? Cela signifiait quoi d’intégrer sa meute ? Toi qui n’avais jamais fait partie de la moindre meute. Quels sacrifices allais-tu devoir faire ?

- Qu’est-ce que je vais devoir faire ?

Autant être fixé tout de suite.

Les raisons qui t’avaient poussé à franchir cette porte et à conclure un accord avec Greyback pour libérer Elise te regardaient. La plus grande de toutes étaient sûrement l’amour que tu lui portais. Elle n’était pas comme les autres avant elle, pour toi. Tu ressentais le besoin d’être là pour elle, de la protéger et de tout faire pour qu’elle soit heureuse. Et là en cet instant, négocier avec Greyback, c’était ce que tu devais faire, tu en étais certain en venant ici. Tu tentas de rester impassible quand il  fit sa remarque, riant de ta démarche. Oui, c’est vrai ça pouvait paraître complètement aberrant pour une fille qui était entrée dans ta vie il n’y a pas si longtemps que ça. Y avait-il besoin de comprendre pourquoi tu étais prêt à faire n’importe quoi pour Elise ? Non, tu prendrais sa place pour qu’elle n’ait plus à souffrir, tant pis pour ce que tu aurais à endurer. Vraiment ?

Tu le fixas sans comprendre lorsqu’il demanda si tu savais comment on devenait un loup dans sa meute. Évidemment, les nouvelles transformations de loups-garous ne résultaient pas toutes d’accidents. Et vu la réputation de celui que tu avais en face de toi, tu ne devais pas croire qu’il n’y avait pas de sordides histoires de transformations avec lui. Tu répondis alors d’un signe de tête. Non tu ne savais pas. Il tira sur sa cigarette et tu attendis patiemment qu’il te déballe son histoire et que tu puisses comprendre ce qu’il attendait de toi. Tu écoutas cette histoire de tradition étrange, d’un gamin qui devait cavaler à chaque pleine lune pour échapper au loup. Et tout ça pour passer de proie à prédateur ? Pour un jour devenir un loup-garou ? Mais qui pouvait accepter un destin pareil ?! Tu ne réagis pas pour le moment, mais tu n’en pensais pas moins. Le truc c’était que toi tu étais déjà un loup-garou, alors tu avais peur de comprendre la mission qu’il allait te demander. Voilà, vous y voilà… Un jeune avait besoin d’un nouveau mentor… Tu réfléchis. Bon qu’est-ce que ça allait te changer ? Au lieu de courir après du gibier, tu allais jouer au chat et à la souris avec un gamin ? Ce n’était pas si insurmontable comme tâche. Il te présenta brièvement l’ado que tu allais former et à ses derniers mots, tu blêmis. Sans tue-loup… Dans ta tête, la tradition étrange, devint barbare, complètement insensée, irresponsable… Mais surtout, en acceptant de poursuivre, tu renonçais à des principes qui te tenaient à coeur. Jamais de ta vie, tu n’avais oublié de prendre ta potion. Tu avais toujours contrôlé la bête, la repoussant au fond de ta conscience et ignorant sa soif de sang. Tu n’avais jamais voulu être le monstre que beaucoup s’imaginaient que tu étais. Tu ne voulais pas être responsable de la mort d’un innocent ou même de plusieurs alors que tu pouvais l’éviter. Et soudain la perspective de devoir renoncer à tout ça t’effraya. Tu contrôlais chaque aspect de ta vie, une organisation au millimètre près pour que jamais on ne sache ce que tu étais, et là tu devrais laisser la bête prendre le contrôle ? Tu devrais assister à ses courses effrénées et à sa folie meurtrière, complètement impuissant. Les mots de Maxime quelques semaines plus tôt te revinrent en mémoire, lorsqu’elle t’avait avoué que la meute qu’elle essayait de rejoindre exigeait qu’elle ne prenne pas sa potion. Parlait-elle de la meute de Greyback ? Ce que tu avais pu la prendre pour une dingue, même quand elle se justifiait que c’était là ce qu’elle devait faire. Et toi ? Tu allais te comporter de manière aussi imprudente ? Voilà qui était difficile à admettre et pourtant quel autre choix avais-tu pour négocier la tranquillité d’Elise ? Tu n’en voyais pas, en tout cas aucun qui ne mettrait pas en danger sa vie ou celles de ses proches. Alors tu serras les dents et acquiesças sans joie :

- Très bien…

Tu levas un sourcil en entendant sa dernière requête et tu compris comment Elise s’était retrouvée entre les pattes de Greyback. Pourquoi, il avait besoin de ça ? Tu n’en savais rien, mais se renseigner sur une personne qui fréquentait la même université que toi ne devrait pas être compliqué. Tu demanderais peut-être à Dimka, il t’avait dit être très ami avec sa meilleure amie. Enfin une chose était certaine, ce n’était pas à Elise que tu demanderais. Tu prenais sa place, pas celle de Greyback. Et puis, elle ne devait pas savoir ce que tu avais fait pour elle et encore moins ce que tu étais.

- C’est entendu, répondis-tu avant de reprendre, et Elise ne doit rien savoir, ni de notre accord, ni de ce que je suis.

Qu’importe s’il te rajoutait une contrainte à l’accord pour ça, tu ne voulais pas la perdre, pas comme ça. Tu étais prêt à sacrifier une partie de ta vie pour aider Elise, tu n’étais pas prêt à perdre tout ce que tu avais.