Sa jambe lui faisait encore mal. Tout comme son dos et la plupart de ses articulations. L’attaque contre le Blood Circle avait été un fiasco. Certes ils avaient réussi à repousser l’offensive mais les pertes étaient relativement lourdes, que ce soit en morts, blessés ou matériel. Olivia avait eu plusieurs côtes fêlées, une cheville foulée et de nombreuses contusions. Rien d’insurmontable. Après tout, sur une échelle de un à son accident d’avion, elle n’arrivait même pas à deux alors…

Elle s’extirpa de son lit avec un grognement de douleur. Quelques semaines étaient écoulées mais malgré tout, son corps continuait de rouspéter. Elle avala quelques cachets d’antidouleurs. Après un savant calcul, elle avait décidé que l’addition de ces substances dans son corps n’entrerait pas en compétition avec les somnifères qu’elle avait ingurgités six heures plus tôt.

La jeune femme enfila un jean, un soutien-gorge et un T-shirt. Ces vêtements eurent la gentillesse de couvrir presque intégralement ses ecchymoses. Elle n’eut qu’à enfiler sa veste en cuir pour être totalement camouflée. Son visage avait relativement été épargné. Au moins un point positif. Elle soupira, attrapa son sac et fila.

Le QG devait être nettoyé et resécurisé. Olivia se demandait même s’il ne serait pas décidé sous peu de le déménager : l’objectif premier de l’endroit désaffecté avait été la discrétion : personne ne peut attaquer un QG si personne ne sait qu’il existe…. Secret pas très bien gardé au vu de la dernière bataille rangée.

Le vent lui piquait les joues alors qu’elle s’avançait d’un pas décidé dans les rues londoniennes. Elle se maudit de ne pas avoir pris une écharpe. Olivia continuait de s’enfoncer dans la ville. Son rendez-vous l’attendait. Un des commandants du BC. Finalement, ils avaient peut-être entendus ses espoirs de reformation, déménagement et autre ? Elle ne savait pas vraiment de quoi retournait cette convocation : elle n’avait commis aucune faute et avait même sauvé deux trois camarades.  Peut-être avait-ce été son échec cuisant à piquer un sorcier qui prenait l’apparence d’un enfant ? Julius. Ce gamin… Avait-ce été lui dans cette bataille ? Non elle en doutait, il était trop jeune. Peut-être que ce sorcier métamorphe le connaissait et connaissait le lien qu’avait Olivia avec le gamin humain ? A moins que ce dernier ait été un sorcier adulte sous couverture tout du long… Julius était-il seulement sorcier ? C’était insupportable de ne pas avoir de marqueur clair pour lier un être à la magie. La tête d’Olivia allait exploser.

Elle décida de mettre de côté cette histoire et de se concentrer sur ses tâches de la soirée. Cette sieste l’avait mise de bonne humeur, ou du moins avait diminué la taille des cernes sous ses yeux. Après cette réunion, elle devrait partir en patrouille au nord de la ville. Des agissements suspects avaient été observés et il ne pouvait s’agir que de quelque chose lié à la magie. Et enfin, si tout se passait bien, elle aurait quelques heures pour dormir avant de filer au musée. Le dimanche était toujours une journée chargée, surtout lorsque le temps était maussade : les parents ne voulant garder leurs enfants turbulents à la maison et n’ayant plus l’option parc, venaient se « détendre » au musée. Et c’était Olivia qui se retrouvait avec tous les enfants les plus insupportables de Londres. Au moins, une poignée semblait véritablement intéressée par ses paroles, surtout quand elle leur annonçait fièrement avoir été pilote. Voilà à quoi elle était réduite : se contenter de l’admiration de gamins. Elle sera les poings de frustration. C’est cet instant que choisit un illustre inconnu pour la bousculer. Sans vraiment le regarda, elle aboya sur le pauvre homme qui avait tapé dans son épaule.

« Et tes yeux ils te servent à quoi si c’est pas pour regarder où tu marches ?! Connard ! »

Marchant maintenant d’un pas énervé et déterminé, elle avala les quelques kilomètres qui la séparait de sa destination en maugréant des remontrances à l’égard du monde entier. Lorsqu’elle arriva finalement à proximité du QG, un bruit dans une ruelle adjacente attira son attention. Soudain aux aguets, ses muscles tendus oublièrent leurs blessures grâce aux hormones qui préparaient Olivia au combat. Un vieux réflexe de soldat. Toujours être prêt à combattre. C’était comme repérer les issues de sortie en entrant dans un bâtiment. Des réflexes qui sauvaient la vie mais qui pouvaient paraître futiles aux civils. Ce n’était jamais futile.

Olivia glissa lentement sa main à sa taille et en sorti un couteau militaire de type //. Celui qu’elle avait eu à l’armée et qui lui permettait de se défendre en silence. Juste au cas où. Son plus fidèle camarade. Elle s’accroupit en entreprit d’avancer lentement en direction de la ruelle. Passant la tête par-dessus un vieux carton, elle détailla l’endroit. Celui-ci lui apparut particulièrement inhabité et sale avec de nombreuses poubelles parfois éparpillées au sol. De l’eau stagnait à plusieurs endroits et de la fumée s’échappait d’une des bouches d’aération. L’odeur de crevettes fris lui donna un indice sur la provenance du panache.

La ruelle était bien vide. Trop vide et trop calme. Olivia se décida à se relever et commença à fouiller du regard. Plus elle avançait, plus le stress diminuait. Un chat devait avoir sauté sur un couvercle en métal et avait produit ce son. Vu qu’aucun être humain ne semblait être présent, il s’agissait de l’option la plus logique. Elle s’arrêta finalement à mi-chemin et regarda sa montre. Son rendez-vous approchait et elle allait être en retard. Elle soupira et se retourna. Alors qu’elle se dirigeait vers le QG, elle eut la désagréable sensation d’avoir manqué quelque chose.

Olivia se faisait très souvent confiance. Elle n’avait pas vraiment le choix, surtout quand sa vie tenait à des réflexes ancrés dans son corps plutôt qu’à la raison pure. Des réflexes qu’elle avait acquis à force de répétitions. Encore et encore. Ainsi, si son corps lui indiquait qu’elle ratait quelque chose, c’était très probablement le cas. Se retournant lentement, elle vit une silhouette noire. Elle aurait dû se faire confiance.

« Qu’est-ce que… »

« Pas un bruit ou vous êtes morte, Milady. »

Olivia s’arrêta net devant la silhouette qui lui faisait face. La fumée donnait une ambiance presque irréelle à ce personnage vêtu de noir avec ce masque métallique… Si caractéristique d’un sorcier… Comment se nommaient-ils eux-mêmes déjà ? Ah oui les Mangemorts… Parfaitement ridicule. A chaque fois qu’elle entendait ce nom, elle imaginait un festin de cadavres. Être nécrophage lui semblait être particulièrement rebutant… Après, on ne savait pas tout des sorciers.

L’autre indice de l’identité de cette forme sombre fut la baguette que la silhouette pointait dans sa direction. D’un point de vue extérieur, se voir menacé avec un petit bâton n’entrainait pas particulièrement de menace notable. Mais Olivia savait les dégâts que ce petit bâton pouvait causer. Et en cet instant, la situation ne déviait pas vraiment d’une menace par n’importe quelle arme à feu : au moment où l’adversaire déciderait de presser la gâchette, ses chances de survie chutaient drastiquement.

La jeune femme avait déjà été en joue d’une arme à feu et d‘une baguette. Mais ce n’était jamais plaisant. Elle calma sa respiration qui était prête à s’emballer, tout comme les battements de son cœur. L’adrénaline commençait à se déployait dans son organisme et de la sueur perlait sur son front. S’obligeant à détourner le regard de l’arme, elle fixa la silhouette pour en déterminer le maximum d’information. Carrure moyenne plutôt grand avec des épaules plutôt larges. Probablement un homme. Oui, vu la voix, définitivement un homme. Le ton employé avait été calme et posé. Il devait probablement avoir l’habitude de ce genre de chose. Un agent de terrain ? La difficulté serait relevée d’un cran. Super… Une partie de son cerveau vit cela comme un nouveau challenge alors que l’autre moitié était désespérée par cette possibilité.

Etrangement elle était encore vivante. Olivia s’était fait avoir comme un bleu et aurait mérité de mourir sur place. Elle aurait dû prendre en compte le fait que ces bruits pouvaient être un sorcier. Surtout aussi près du QG.  A présent, elle essayait de se rassurer en se disant que si ce sorcier avait voulu la tuer, cela aurait été fait depuis longtemps. Pourquoi la vouloir en vie ? Cela l’intrigua quelque peu. Elle se doutait que ce n’allait pas être juste par bonté de cœur. Probablement pour obtenir des informations. C’est ce qu’elle aurait fait en tout cas.

A ce stade, elle ne perdait rien à discuter un peu et gagner d’importantes minutes. Elle garda précieusement son couteau en main. Elle se maudit de ne pas porter d’arme à feu. Il était trop loin pour qu’elle puisse foncer au corps à corps et le désarmer, voir lui planter son arme blanche dans le torse. Le couteau qu’elle avait n’était pas une arme de lancer. En dernier recours peut-être mais alors elle se devait de bien viser et de ne pas rater sa cible car sinon, elle serait vraiment à nue.

« Ok… Je n’hurle pas si vous… Ne tirez pas. » Dit-elle le plus calmement possible. Etrangement, de nouveau, deux factions dans son esprit s’affrontaient. L’une semblait particulièrement ravie de la situation. Pouvoir mourir en service tout en protégeant son pays avait quelque chose de gratifiant et avec un goût de renouveau. Après tout, dans la Royal Air Force, cela lui avait été arraché sans ménagement. Mais ces pensées qu’elle analysait comme suicidaires ne disaient rien de bon à l’autre partie de son esprit qui se débattait farouchement pour vivre. Celui-là était plus primale, des réflexes de survie ancrés dans ses gènes depuis des milliers d’années. Olivia dut faire la part des choses et se décider assez vite. Elle choisit de vivre. Pour le moment du moins. Elle fit un pas pour se rapprocher.

« Que fait un sorcier dans une ruelle abandonnée ? Il fait amis amis avec les rats ? » Cette dernière pique ne fut pas l’idée la plus brillante d’Olivia. Mais la tension du moment et la colère de s’être fait avoir sans combat commençait à échauffer son esprit. Bon sang, ne venait-elle pas e décider à l’instant de vivre ? La jeune femme ne devait pas devenir trop confiante  simplement parce que le sorcier semblait avoir besoin d’elle. Ils ne se connaissaient nullement et un membre du BC isolé, il y en avait malheureusement des centaines. C’était à présent quitte ou double. Soit il n’appréciait pas ce ton et la tuait sur place, soit il allait réagir d’une façon qui aiderait Olivia à le comprendre un peu plus. Elle jeta quelques coups d’œil furtifs sur les côtés, pour trouver d’éventuels replis ou défenses quelconques. A par un couvercle de poubelle crasseux, elle ne vit rien qui pourrait faire son bonheur. Tout au plus un container derrière lequel se cacher. Mais sans arme à distance, elle ne serait qu’un petit lapin prêt à être tiré sans aucune difficulté.

Olivia était encore trop loin pour bondir sur son agresseur. Mais elle hésitait à se rapprocher davantage d’un seul coup. Cela serait bien trop suspect. Elle patienta donc en espérant une réponse qui l’arrangerait. Dès qu’elle en aurait l’occasion, elle lui ferrait payer ces secondes d’inquiétude extrême.

« Des rats ? J’ai l’habitude de vous appeler moldu … Je trouve que c’est un peu insultant pour les rongeurs à vrai dire, mais bon allons-y pour les rats ! »

Olivia laissa échapper un petit rire moqueur. Alors comme ça il avait du répondant le sorcier. Elle ne s’offusqua nullement de la réponse du personnage qui lui faisait face. Après tout c’était de bonne guerre. Elle savait ce qu’elle valait…. Tout comme elle savait que l’avis d’un sorcier à son sujet ne lui faisait ni chaud, ni froid.

Olivia se maudit silencieusement d’avoir donné trop d’informations d’un coup. En se faisant passer pour un humain lambda, elle aurait pu peut-être s’en sortir sans trop de soucis. Après tout, actuellement les sorciers avaient une dent contre le BC… Bien que s’en prendre à des civils ne les avaient jamais arrêtés. Son regret était d’autant plus atténué qu’elle s’était révélée dès que son couteau était apparu dans ses mains. Tant pis, elle allait maintenant devoir assumer.

Le bruit des rues adjacentes commençait à les atteindre. Le crépuscule venait de commencer mais la ville était toujours animée. Olivia était arrivée relativement tôt dans la soirée aux abords du QG et elle espérait à présent que certaines personnes se décideraient aussi à emprunter ce chemin. Cela lui servirait à minima de distraction ou dans le meilleur des cas, d’une aide bienvenue. Elle n’était pas du genre à prier : elle se rendait compte que ses envies de piété était toujours intéressées. Mais parfois, au cas où, puisque ça ne pouvait pas faire de mal, elle exécutait une petite prière silencieuse à une divinité quelconque qui pourrait la prendre en pitié. En cet instant, la situation n’était pas encore critique mais pouvait rapidement se dégrader. Et dans la conjonction actuelle, il était fort peu probable qu’elle se dégrade à son avantage.

« Alors ma petite rate, pourriez-vous me donnez votre nom ? »

Voilà que maintenant ils faisaient les présentations ? Olivia semblait avoir vu juste : il cherchait des informations. Classique. Et demander le nom de sa victime pour la manipuler par la suite ? Tout aussi classique. En tant que pilote, Olivia n’avait été que rarement au contact direct des adversaires et n’avait donc suivi que le strict minimum des entrainements militaires terrestres. Elle n’avait pas eu le droit au chapitre torture et interrogatoire. Enfin si, mais de l’autre côté. On les avait préparés, elle et sa promotion, à la capture en territoire hostile : loin d’être aberrant, bien que rares soient ceux qui survivaient à un crash.

« Olivia Vatefairefoutreconnard. C’est polonais. » Répondit-elle sur un ton neutre bien qu’ironique. Il avait relativement bien réagi à sa « boutade » précédente. Elle devait donc trouver la limite de cet étrange personnage pour savoir ensuite sur quel pied danser. Il ne s’était pas énervé dès le départ. Il semblait donc être maître de ses émotions. Tout comme le fait qu’il ne l’avait menacé qu’avec le strict minimum. Il semblait relativement sûr de lui dans cette situation. Malheureusement pour Olivia, il devait s’agir d’un sorcier qui avait l’habitude du terrain. Tous les tours classiques de manipulation ne marcheraient probablement pas avec celui-là. Quelque peu découragée par l’état actuel des choses, elle tenait tout de même bon.

Il ne bougeait toujours pas et ne semblait pas enclin à vouloir le faire. Les muscles toujours aussi tendus, Olivia ne relâchait nullement sa garde.  La tension de ses muscles faisait échos à la tension palpable dans l’air. Continuant à avancer, centimètre par centimètre, elle n’aimait pas ne pas voir le visage de son adversaire : on perdait ainsi de précieuses informations sur les comportements et les intentions de quelqu’un. Lorsque sa propre vie était en jeu, tous les indices étaient bons à prendre.

« Et à qui ai-je l’honneur ? Si je meurs, la moindre des choses serait de connaitre le nom de mon assassin pour le maudire sur cinq générations… Ou a minima de voir son visage. » Olivia ne devait pas montrer sa peur, du moins pas tout de suite. Il fallait qu’elle crée une certaine envie chez son adversaire : s’il voulait la mater, alors elle resterait en vie quelques minutes de plus qui pourraient se montrer décisives. Elle ferait la jeune fille apeurée et naïve un peu plus tard. Pour le moment, elle devait y aller au culot. La situation était telle qu’il était compliqué de connaître l’issue de ses actions. De toute façon, il s’agissait d’un motif qui se répétait très souvent chez elle : lorsque tout semblait ne pas aller, il fallait improviser pour s’en sortir. Au moins, elle ne s’ennuyait pas très souvent.

Son regard fut capté par un pied qui dépassait de poubelle, à la gauche du sorcier. A force de se rapprocher lentement, elle avait pu avoir une toute nouvelle vision de la situation. Bien que cette découverte la fit s’arrêter net. Elle déglutit lentement. Olivia avait déjà vu des cadavres, ce n’étaient pas donc ses premiers. Ceux-là seulement étaient ceux qui marquaient l’esprit. Les suivants n’étaient « qu’un parmi tant d’autres ». Non le stress qu’elle commençait à ressentir venait d’autres chose, de causes liées. La coïncidence était trop grande : la présence de ces cadavres et celle du sorcier étaient forcément connectées. La question suivante était donc s’il en était l’auteur - auquel cas s’agissait-il d‘un contrat ou d’un meurtre non prémédité ? -.  Si oui, les chances de survie d’Olivia se ratatinaient de plus en plus. Super, la journée avait mal commencé et cela ne faisait que se dégrader. Bien qu’elle tentait de garder ses yeux rivés sur le sorcier, ils ne pouvaient s’empêcher de dériver vers ces pieds chaussés. Des talons aiguilles, vu la taille probablement une femme. Super, le sorcier n’avait même pas la galanterie d’épargner les femmes…. Une autre de ses possibles échappatoires venait de s’envoler.

« Va te faire foutre ? On se tutoie déjà ? Vous allez me faire rougir, Madame la Polonaise. »

Olivia émit de nouveau un rire moqueur. Il faisait le grand prince, galant et distingué mais cela restait un ennemi dont le bon vouloir pouvait l’envoyer dans la tombe. Il savait jouer avec les mots, elle devait lui concéder ce détail. Elle aimait toujours bien les personnes avec de la répartie. Bon, sauf quand c’était un sorcier. Mais il gagnait quand même des points dans son estime.

« Je m’appelle Tobias. »

Le cerveau d’Olivia travaillait à cent à l’heure. Elle tentait de revoir tous les dossiers qu’elle avait pu traiter pour essayer de retrouver ce prénom associé aux Mangemorts. Plus les longues secondes passaient, moins elle avait l’espoir de trouver quoi que ce soit. Elle pesta silencieusement et dût finalement s’avouer vaincue. Avec un seul prénom comme indice, elle n’irait pas loin. Si seulement, elle pouvait voir son visage. Peut-être l’avait-elle croisé en mission, en filature ou en combat ? En effet, elle ne demandait pas systématiquement les prénoms de tous ceux qu’elle traquait.

« Mais pour ce qui est de mon visage, je suis timide, je ne vais pas me démasquer comme ça en pleine rue, tu comprends Olivia ? »

Ces paroles la firent frissonner sans vraiment qu’elle ne comprenne pourquoi. Etait-ce ce soudain tutoiement qui les rapprochait bien trop à son goût ? Ou alors l’entendre l’appeler par son prénom ? Elle n’était pas sereine et avait la sensation de ne plus avoir aucune carte à jouer de son côté, aucun levier, aucune aide. Elle était totalement démunie face au sorcier.

Et pour répondre à sa question : si justement ! Elle voulait qu’il se dévoile en pleine rue, pas loin du QG, qu’elle ait au moins une chance de survie. Mais quelque chose lui disait que la situation dans laquelle elle venait de se fourrer risquait dans l’emmener encore plus loin dans les problèmes.

Après avoir vu les corps, Olivia tentait de rester la plus détachée et calme possible. Mais malgré une concentration qui ne faiblissait pas, elle ne put contrôler son teint qui pâlit et ses yeux qui continuèrent de dériver vers le corps. Tel un rafale touché à l’aile, elle décrochait et commençait à foncer vers le sol, sans possibilité de remonter l’appareil.  Le sorcier semblait lui aussi regarder les corps. Merde merde merde.

« Alors comme ça vous n’avait rien vu lors de votre premier passage ? Quel dommage, que vous avait joué les petites garces en essayant de m’entourlouper, maintenant, on va devoir passer aux choses sérieuses, petite rate. »

Le sorcier semblait triste. Elle, la panique la gagnait. Les poubelles étaient sa dernière chance. Peut-être illusoire mais elle ne pouvait se résigner à être prise au piège comme un rat, à se rendre sans tenter de survivre.

« Attendez, non, non, je ne sais pas de quoi vous parlez je… »

« Stupéfix. »

Olivia vit la baguette bouger et elle se jeta sur le côté pour esquiver. Mais ses muscles refusèrent de lui répondre. Alors qu’elle demandait à ses bras de pousser, à ses jambes de la porter, rien ne répondait. Même ses paupières semblaient prises dans la glace. Et la panique la gagna. Elle voulait hurler mais rien ne se produisit. Alors que Tobias la portait sans ménagement, elle aurait voulu lui planter le couteau qu’elle avait toujours dans la main directement dans la nuque. Mais elle ne put pas bouger. Il la balança ensuite avec les cadavres. Elle eut envie de fuir mais elle ne put pas bouger. Elle fut obligé de fixer le visage inerte de son supérieur alors que le sorcier faisait on ne savait quoi. Il y avait donc deux cadavres. Elle ne put pas bouger. Elle était terrifiée. Terrifiée de mourir certes mais surtout mourir aussi impuissante. Le monde qui l’entourait changea tout d’un coup. A la place de la ruelle crasseuse et bruyante de Londres, elle se retrouva dans une vielle grange. La porte entrouverte laissait voir de l’herbe à perte de vue.

Olivia connaissait les pouvoirs des sorciers. Mais en entendre parler et l’expérimenter étaient deux choses complètement différentes. Elle fut de nouveau soumise à la magie alors qu’elle se retrouvait attachée à une vieille chaise. Elle cligna un peu des yeux et regarda autour d’elle. Une odeur de brulé emplissait l’air. Et évidemment, qui se trouvait face à elle ? Son meilleur ami de toujours, ce cher Tobias.

« Voilà on n’est pas mieux ici ? »

Olivia considéra sérieusement le fait de lui cracher au visage, mais sa mâchoire était engourdie et elle avait peur de rater lamentablement cette preuve de défi. Et puis son crachat serait arrivé sur le masque donc pas très efficace… Masque qu’il semblait en train d’enlever.  Elle allait enfin pouvoir obtenir de précieuses informations et…

« Vous êtes contente, vous pouvez admirer mon merveilleux visage maintenant ? »

Ce visage. Elle connaissait ce visage. D’où est-ce qu’elle connaissait ce visage ? Elle détailla chaque trait de cette figure avec cette impression de déjà-vu qui ne la quittait pas. La surprise de la découverte fit place au soulagement de ne pas être morte. Enfin elle espérait que ce n’était pas un genre d’enfer pervers où elle passerait l’éternité torturée par Tobias. Tout semblait si réel, qu’elle partit du principe qu’il s’agissait de la réalité. Dans le doute…

« Mouai, vous étiez mieux avec en fait… » Dit-elle dédaigneuse. La peur avait fait place à la colère. La jeune femme allait lui faire bouffer son putain de masque. Bon au moins, ils étaient repartis sur le vouvoiement, ce qui la rassurait pour une raison qui lui échappait. Peut-être était-ce l’idée de respect qu’apportait cet emploi du « vous » ? Dans tous les cas, elle commença à gigoter pour comprendre comment elle était attachée. Mais rien n’y faisaient ses liens semblaient inatteignables. Super.

Maintenant que le calme était revenu, Olivia devait trouver une stratégie. Elle devait…. Oh…. Son esprit venait enfin de lui ressortir ce visage de son passé. C’était le petit connard qui l’avait envoyé valser contre un mur lors de l’attaque du QG. C’était lui et les siens qui avaient cru bon de tenter de percer leurs défenses… Évidemment en vain. Les blessures qu’elle avait subies se réveillèrent alors que le sang pompait dans ses tempes, comme pour ne pas se faire oublier. Olivia aurait eu bien envie de lui mettre la crosse de son fusil à pompe dans le visage pour lui apprendre les bonnes manières à ce Tobias. Plus sa colère montait, plus elle bougeait pour tenter de se libérer. Il ne semblait pas l’avoir reconnu sinon, il se serait fait un plaisir de lui rappeler cette cuisante défaite. Elle avait un avantage, maigre mais tout de même existant. Cela lui redonna un peu de courage.  Il semblait réceptif à ses réparties, elle allait continuer là-dessus. Elle devait seulement enlever ses liens ou le faire venir à elle pour s’en sortir. Plus facile à dire qu’à faire. Elle regarda la grange qui l’entourait. Elle devait trouver des infos sur leur emplacement.

« C’est cosy chez vous dis donc. C’est quoi l’adresse ? »

« Je devrais être vexé, mais étrangement ne pas être séduisant aux yeux d’une rate ne me fait ni chaud ni froid. »

Olivia lui servit sa plus belle moue dédaigneuse. Ce Tobias était d‘une suffisance comme elle en avait rarement vu. Seulement chez des supérieurs un peu trop imbus d’eux-mêmes. Tant mieux, c’était une faille qu’elle n’allait pas se gêner d’exploiter. Les personnages égocentriques étaient souvent plus simples à berner que les autres. Surtout lorsque l’on jouait la carte de la jeune demoiselle inoffensive et en détresse. Avec son mètre soixante et quelque et ses grands yeux noisettes, Olivia était plutôt bonne à ce jeu-là. Cela la révulsait au plus haut point, surtout lorsqu’elle avait passé des années à se faire accepter comme égale des hommes. Mais lorsque sa vie était en jeu, elle prenait parfois quelques libertés avec ses principes, principes qui n’étaient au demeurant pas si fondamentaux. Elle pleurnicherait peut-être en dernier recours mais seulement pour avoir l’opportunité de poignarder le sorcier, celui-ci venait quand même de tuer deux humains, probablement de sang-froid.

« Lorsque l’on est soi-même un cafard c’est normal… » Murmura-t-elle entre ses dents. Elle doutait que Tobias ait pu l’entendre mais elle avait une satisfaction personnelle à ne pas le laisser gagner dans tous leurs échanges. Malheureusement, pour le moment, elle devait faire profil bas. Ils enchainèrent ensuite sur le lieu où ils se trouvaient.

« Ça explique beaucoup de chose, mais nous ici on appelle ça une grange. Mais d’une certaine façon ça ne me choque pas que vous fassiez l’amalgame, il est vrai que ce genre d’endroit est souvent infesté par les rats. »

Un vrai abruti comme on en faisait peu. Au moins, elle récoltait des informations au fur et à mesure. Qu’il la prenne pour une idiote tiens, cela n’en serait que plus bénéfique pour la jeune femme. On verrait qui serait la vermine lorsqu’elle en aurait fini avec lui… De nouveau, l’envie de lui cracher au visage se manifesta. Pas encore, se somma-t-elle. Elle ne devait pas l’énerver. Olivia se doutait que Tobias n’était pas le genre à faire des erreurs dans l’énervement : il n’était pas sanguin. Elle avait tout intérêt à rester dans ses bonnes grâces, à l’amuser et à marchander le plus longtemps possible.

« Bon je sais que l’on s’amuse bien tous les deux Olivia, mais va falloir que l’on passe aux choses sérieuses maintenant, ne m’en tenez pas rigueur. Mais promis si vous êtes sage, on pourra s’amuser encore un petit peu, après. »

Qu’est-ce qu’il essayait de faire ? La rendre mal à l’aise ? Des sous-entendus grossiers, elle avait pratiquement été élevée avec ça. Vivre dans un environnement quasi-exclusivement masculin, ça entrainait à recevoir les commentaires les plus lourds et beaufs possibles. Il en fallait ainsi énormément pour la rendre mal à l’aise. Tobias n’utilisait certainement pas la bonne méthode avec elle. Il voulait jouer à cela ? Olivia était prête à lui rendre la monnaie de sa pièce… Mais oui, c’était une idée forte intéressante tiens ! Comment réagirait-il ? Elle prit une moue moqueuse et avança lentement son visage vers Tobias, dans la limite permise par les liens qui la retenaient.

« Des promesses, des promesses Tobias. Mais serez-vous du genre à les tenir ? » Répondit-elle sur le même ton mielleux et légèrement badin. Elle appelait cela, « sa voix d’hôtesses ». Une voix mi-sexy, mi-jem’enfoutiste qui pouvait être utilisée à de nombreuses occasions. Elle avait souvent entendu les standardistes de l’armée utiliser une voix similaire pour s’occuper des interlocuteurs les plus énervants.

« Bon alors pour commencer, une question simple : est-ce que vous connaissez les deux rats que je viens de brûler ? »

Les images des deux corps lui revinrent brutalement en mémoire. La fille, il lui était difficile de connaître son identité : elle n’avait vu que ses chaussures. Avec si peu d ‘information, elle ne risquait pas de ressortir à Tobais toute la biographie associée. Par contre, elle avait pu détailler chaque pore de la peau de l’homme puisque le sorcier l’avait posé juste en face lors de leur petit trajet. Il s’agissait d’un des hauts dirigeants. Robert Mac quelque chose. Ça allait mettre un gros coup au Blood Circle. Au Quartier, Général, ils ne devaient même pas encore savoir qu’il avait disparu. Mais d’ici un ou deux jours, toute la salle de commandement sera en effervescence. Et elle, Olivia Viviane Baring, avait des informations cruciales à ce sujet. Elle devait donc survivre à ce kidnapping pour les rapporter à ses supérieurs. Bon… Plus le temps passait, moins elle était sûre de voir venir une issue favorable. Prenant, une grande inspiration, elle se remit droite dans son siège et abandonna l’idée de croiser les jambes, celles-ci étant attachée à la chaise.

« Oui. Je connaissais l’une au moins de ces êtres humains. » Tobias pouvait autant qu’il voulait la déshumaniser elle, mais Olivia n’allait pas le laisser faire avec ces gens. « Pourquoi ? C’est pour avoir les adresses où envoyer vos condoléances ? Ou juste des aveux ? » Lui asséna-t-elle froidement.

Elle prit une grande inspiration. C’était à son tour de jouer.

« Je veux bien répondre à vos questions mais je veux des garanties en échange. » Il était grand temps de poser ses conditions. Elle n’allait pas lui laisser prendre l’ascendant sur la conversation aussi facilement. Elle ferait la petite créature fragile en dernier recours. Elle n’était pas encore à ce stade-là. « Pour chacune de vos questions, je veux vous en poser une aussi. Une réponse chacun notre tour, c’est équitable non ?  Je tends à espérer que ce seront des réponses honnêtes. Vous savez faire ça, vous les magiciens ? »

Il fallait qu’il morde à l’hameçon. Elle sentait qu’il aimait prendre le devant de la scène, avoir le contrôle mais pouvait-il refuser une once de frisson ? Elle était déterminée à le lui offrir si cela lui permettait de survivre. Tout ce qu’il avait à faire c’était d’accepter. A vrai dire, elle ne comptait pas vraiment lui laisser un temps de décision. Elle assena sa première question, car après tout, elle venait de répondre. Cette première question était décisive et elle devait la choisir avec soin. Le temps lui était compté.

« Du coup, à moi. Pourquoi avoir tué ces personnes ? »

« Seulement si vous insistez. »

Olivia eut envie de vomir mais elle garda son sourire de façade légèrement enjôleur. On ne pouvait pas lui reprocher, dans une situation comme celle-ci, d’utiliser toutes les armes à sa disposition. Y compris les atours que dame Nature lui avait offert ou la faiblesse des hommes devant les demoiselles qui minaudent. La jeune femme en était persuadée, les sorciers reposaient sur des cycles et des pulsions physiques communes aux êtres humains normaux. Si seulement elle pouvait le faire s’approcher…. Tout en se tortillant pour mettre son corps en valeur, elle tentait désespérément d’atteindre un petit couteau qu’elle gardait toujours dans sa ceinture. Une petite lame, pas plus grande qu’une lime à ongle, qui bien qu’impeccablement affutée pouvait difficilement blesser quelqu’un…. Ou alors cela ne serait pas très beau à voir. Non elle servait surtout pour la situation identique à aujourd’hui : coincée et ligotée sur une chaise par un individu hostile. Cette lame servait à couper les liens…. Bon ces liens-ci semblaient avoir été noués comme par magie (haha, hilarant !) mais ils pouvaient être coupés…. Non ?

« Des êtres humains ? Désolée mais je ne vois rien d’humain en un père qui décide de tuer son propre fils de pas plus de sept ans, parce que c’est un sorcier. Je ne vois rien d’humain non plus quand des soldats expérimentés décident de s’en prendre à un gamin de treize ans. Alors non à mes yeux vous serez des rats, tout de moins vous le Blood Circle. »

S’arrêtant un instant, surprise, Olivia fixa le sorcier. Ces histoires semblaient particulièrement spécifiques pour n’être que de vagues idées envoyées au vent. Parfait, Tobias venait de lui fournir ses premières informations intéressantes. Ce père en question, Olivia se doutait de qui il s’agissait. Cette histoire de fils sorcier au sein du BC…. Il n’y en avait pas des centaines… Surtout lorsque le fils en question avait refait surface peu de temps auparavant et qu’Olivia recherchait justement le jeune homme. Des fois c’était vraiment trop facile. Elle allait devoir creuser ce sujet. Mais en ce qui concernait les gamins de treize ans… Certes, le BC n’était pas tout blanc sur les histoires d’enfant, d’ailleurs cela la répugnait elle-même…. Mais c’était les sorciers eux-mêmes qui exploitaient cette faiblesse ! Son regard s’assombrit. Elle ne devait pas craquer. Elle se mordit difficilement les lèvres en lançant un regard noir au sorcier en face d'elle. Olivia ne devait pas aggraver son cas. Elle resta donc silencieuse.

A présent, il acceptait son petit jeu. Parfait. Elle avait encore quelques chances de s’en sortir. « Entendu, on peut jouer à ça un petit temps si ça te fait plaisir, Olivia. » Ladite Olivia grimaça au retour du tutoiement. Bon, au moins, elle savait qu’il savait observer. Elle se devait d’être encore plus prudente. Il était bon cet idiot de Tobias. Elle se ferait un plaisir de le voir se vider de son sang. Un danger de moins pour les humains.

« Je suis un soldat. »

Sa réponse la laissa silencieuse quelques secondes. Evidemment. A quoi s’attendait-elle comme réponse ? « Car je suis le grand méchant ? » Non, il avait raison : ils étaient en guerre, bien que Robin ne veuille pas le voir. Ils étaient en guerre et elle, soldate, devait s’attendre à se retrouver face à des soldats. Au moins, son monde n’en était pas trop chamboulé. Un soldat, qui avait connu une certaine forme de guerre, avait des principes et des lignes de conduite. Elle espérait seulement que ce soient ceux qu’elle suivait également. Elle voulait croire que Tobias en faisait partie, et qu’il n’avait pas déjà franchis ces grandes lignes de moralité… Car une fois franchies, il était difficile de revenir en arrière, il n’y avait qu’à voir Ambrose.

Les supérieurs de Tobais avaient donc ordonné ces assassinats… Logique d’éradiquer un haut dirigeant du Blood Circle. Et la fille ? Olivia espérait vraiment qu’il ne s’agissait pas d’une autre grande ponte du Blood Circle. Deux d’un coup, cela aurait été une catastrophe pour l’organisation.

« A moi donc ! Olivia, où le Blood Circle va-t-il déménager ? »

Le visage d’Olivia accueillit un sourire moqueur. Il n’y allait pas de main morte dès la première question. Il savait ce qu’il voulait et vite. Après, Olivia lui avait offert cette opportunité sur un plateau d’argent avec son idée de questions/réponses et elle ne pouvait que s’en mordre les doigts. Même si parfois, les questions posées par un adversaire donnaient beaucoup d’informations. Comme par exemple la volonté d’à nouveau localiser son ennemi. Pour une nouvelle attaque ? Pour l’isoler ? Olivia émit un petit rire. Elle n’était pas assez haut gradée pour ce genre d’information. Le pauvre Tobias ! S’il avait attendu quelques jours de plus, elle aurait pu lui répondre. Malheureusement, elle ne faisait pas partie des premières à déménager.

« Je n’en ai aucune idée. Pas suffisamment importante ni pour savoir ni pour être bougée en priorité. Dommage, essayez encore Tobias. »

C’était à elle. Il fit mine de réfléchir alors qu’elle tentait encore et toujours de couper ses liens. Olivia maudissait l’ensemble de la magie, les sorciers et leurs adeptes. Elle était coincée elle ne savait où et… Bah tiens, en voilà une question pratique. Cependant, cet idiot d esorcier avait réussit à piquer sa curiosité. Elle voulait en apprendre plus sur cette histoire de gamins soldats. Enfin de soldats prenant la forme de gamins de treize ans. Ce serait des informations bien utile pour le BC. "Si tu survis hein..." lui souffla une petite voix. Parfois il fallait savoir prendre des risques. Surtout que cela semblait être un sujet sensible pour Tobias. Peut-être ferait-il alors une erreur ?

« Du coup, les gamins, c'est des soldats déguisés ou vous envoyez vraiment vos enfants au front ?  Vous tentiez de nous amadouer en vous déguisant en gamins de treize ans pour attaquer notre QG ? Avec quel espoir ? Qu’on se laisse massacrer car vous aviez des visages pré-pubères ? Et c’est moi qui devrais avoir honte ? »  Cracha-t-elle à l’intention du sorcier qui lui faisait face. Elle acceptait certains vices, mais les sorciers n’étaient pas sans reproches non plus. Cela faisait plusieurs questions, mais elle devait arriver à le mettre en colère pour avoir des informations. Elle se doutait qu'elle allait avoir mal. Il fallait juste qu'elle survive. Le reste...Faut pas s'étonner ensuite qu'on les embarque. on est jamais trop prudent. »  Asséna-t-elle.

Peut-être y était-elle allée un peu fort. Olivia faisait sa fière mais elle n'en menait pas large. Surtout qu'elle venait de cramer une de ses questions pour une simple histoire de stratégie. Malgré tout ce qu'elle pensait, elle n'était jamais à l'aise lorsqu'un combat ou une action impliquait des jeunes. Rien que des étudiants alors des enfants ?! Peut-être voulait-elle se rassurer. Se rassurer sur le fait qu'elle n'avait pas chargé un vrai enfant mais bien un soldat en pleine possession de ses moyens et aptes à faire des choix raisonnés. Sinon... Non ! C'était la faute de ces sorciers ! C'étaient eux qui utilisaient ces méthodes inhumaines. Elle n'avait rien à se reprocher... Pas vrai ?

« Pas importante ? Ça veut dire personne pour partir à ta recherche ? C’est une bonne nouvelle ça ! »

Lancer des regards noirs à Tobias commençait à devenir une habitude dans leur relation naissante. Il semblait particulièrement enclin à l’énerver et déformer ses propos. Olivia fut piquée au vif malgré elle de par le rappel de sa propre insignifiance comme de sa propre bêtise d’en avoir parlé. Certes, elle n’était pas suffisamment importante pour connaître en priorité les déménagements de QG mais elle était tout de même suffisamment connue pour qu’on se rende compte de son absence. Lorsque son manager, n’arrivant pas à la joindre, appellerait une antenne du BC qui était son contact d’urgence, tout changerait Il s’agissait tout simplement d’une précaution pour ainsi mettre la puce à l’oreille de son organisation en cas de disparition. Olivia n’était pas du genre à rater le travail par plaisir. Une précaution qui aujourd’hui s’avérait bienvenue.

Continuant de scier ses liens laborieusement, cela lui semblait prendre une éternité. Olivia s’était plusieurs fois entrainée avec Robin ou d’autres membres du BC. Ils faisaient des concours de rapidité pour savoir qui serait le meilleur à se détacher de liens parfois particulièrement complexes. Mais entre ces jeux bons enfant et une vraie situation d’otage, il y avait un monde. Et une durée qui semblait infinie pour un temps qui, lui, ne l’était pas.

Il était vrai qu’Olivia ne vit pas venir le poing qui s’abattit sur son visage. Mais elle accepta ce fait, après tout, elle n’aurait peut-être pas dû pousser la question aussi loin, surtout qu’elle semblait toucher un sujet particulièrement compliqué pour Tobias. Cependant, la jeune femme n’était pas psy et surement pas là pour écouter les lamentations d’un sorcier déprimé ou être blâmée de tous les maux de ses autres démons. Le coup fut précis et l’impact brutal. La chaise tressauta comme le corps qui la retenait au sol. La douleur arriva immédiatement et un goût métallique lui emplit la bouche. Elle pria pour que rien ne soit cassé. Elle avait réussi à relativement épargner son visage dans sa vie et elle espérait encore pouvoir le garder relativement intact et joli. Sa mâchoire la lançait à présent, signe qu’elle s’ornerait sous peu de motifs bleus et violet. Un peu sonnée, elle fit lentement bouger sa mâchoire.

« Tu me prend vraiment pour un con ? »

Olivia releva la tête lentement. Elle lui aurait bien dit sa façon de penser mais elle se retint.  Le suicide, elle n’en était plus là. Vu que ce coup ne semblait être qu’un échauffement, remettre encore davantage d’huile sur le feu ne pouvait que mener à la catastrophe. Cette dernière n’était pas intéressante pour elle, pas tout de suite en tout cas. Il fallait qu’elle reprenne ses esprits.

« Ne va pas me faire croire, que le BC pense vraiment que nous nous déguisons en enfant, lors des combats, c’est l’histoire la plus ridicule que je n’ai jamais entendu ! Laisse-moi te dire espèce de petite garce, que personne ne se déguise en enfant, que on n’envoie aucun gosse sur le terrain, quand tu t’attaques à un enfant, c’est parce que tu n’es qu’une petite merde trop faible pour t’attaquer à une personne en capacité de se défendre. »  

Le coup ne fut pas la seule raison de sa mâchoire qui se décrochait : ces idiots avaient alors véritablement envoyé un gamin sur le terrain lors de l’attaque du Blood Circle ? De leurs pleins grés ?! Mais quels malades pouvaient bien faire ça ? Olivia repensa à sa charge désespérée face à ce gamin qu’elle prenait pour un sorcier vraiment tordu… Alors elle s’était véritablement attaquée à un enfant ? Elle reconnut une part de vérité à Tobias : elle était une garce hypocrite. C’était inhumain et elle fermait volontairement les yeux sur les agissements des membres les plus zélés de l’organisation qu’elle ne pouvait contrôler. La jeune femme avait même parfois eu envie de vomir face à certaines scènes qui lui avaient été rapportées. Comme quoi, la vie vous faisait faire de ces choses…

La Baring cracha le sang qui lui emplissait la bouche sur le côté et continuait de couper ses liens frénétiquement. Il lui fallait encore un peu de temps. Juste un peu… Alors que Tobias commençait à se reculer et à sortir sa baguette, elle commença à paniquer. Elle devait gagner du temps.

« J’ai fait l’erreur de traiter en humaine, alors que tu n’es rien d’autre qu’une tueuse d’enfant sale rate, le jeu est fini, on passe aux choses sérieux. »


« Bien envoyé Merlin l’enchanteur. Lors de l’offensive où tu m’as fait valser contre un mur y avait un gamin. Et oui, c’était moi connard, triste que tu ne m’ais même pas reconnue ! Le gamin était là, avec sa petite baguette, à charger comme toi et tes petits copains. Tu crois que je vais me laisser tuer juste parce qu’il n’avait pas la majorité ?! Mais quel hypocrite tu fais ! » Elle recracha de nouveau à terre. Victoire ! Ses liens se desserraient elle avait réussi. Une pointe de fierté s’empara d’elle en même temps que l’adrénaline qui inondait son organisme à la perspective de l’attaque frontale qu’elle allait tenter. « On n’est pas tout blanc au Blood Circle, ça je te l’accorde. Il s’y ait passé des choses que je n’approuve pas, les gamins… En sont un exemple. Mais t’as pas intérêt à me regarder de haut avec ta condescendance de tourterelle immaculée. T’es aussi crade que moi. Si ce n’est davantage. » Elle termina sa phrase en envoyant sa chaise à la tête de Tobias.

’Résultat dé Oui/Non’:

Olivia prit son élan et chargea le sorcier. Cette course de la dernière chance lui parut arriver au ralenti. Elle vit la chaise voler et atterrir en plein sur sa cible. Rien ne semblait freiner ses pas,, nourris de peur, de désespoir et d’une folle envie de vivre. Cette dernière, Olivia était particulièrement étonnée de la voir pointer le bout de son nez si tard.

Comme à leur petite rencontre dans la ruelle, à distance et sans son fusil, elle avait autant de chance qu’un petit lapin dans un champ chassé par un faucon. Mais au corps à corps, les choses s’équilibraient. Il était difficile de viser une cible si proche avec une baguette, surtout si Olivia arrivait à l’envoyer valser de la main de son propriétaire et donc l’enlever purement et simplement de l’équation. Tout n’était pas gagné pour autant : Tobias devait être entrainé au combat à main nus et il était d‘un gabarit supérieur. Cependant, elle avait pour elle la rage du désespoir et l’envie de survivre, ce qui semblait manquer cruellement au sorcier.

Le bruit du nez de Tobias qui craqua sous l’impact de son poing fut d’une satisfaction sans borne. Depuis cette première rencontre, lors de l’offensive en traître des sorciers sur le QG, alors qu’il l’avait envoyé valser comme une vulgaire poupée de chiffon, Olivia n’avait eu de cesse de vouloir lui rendre la monnaie de sa pièce. Était-ce devenu personnel ? Non, elle ne le pensait pas. Ils avaient tous les deux fait ce qu’on leur avait demandé, ce qu’ils croyaient juste pour leurs causes respectives. Rien de plus ou de moins. Enfin, c’était comme cela qu’Olivia l’analysait. Peut-être se trompait-elle lourdement : après tout Tobias semblait avoir des liens particuliers avec certaines des victimes du Blood Circle. Peut-être qu’elle était alors effectivement un monstre : Olivia ne suivait pas cette voie par vengeance, par obligation ou croyance. Elle voulait simplement protéger son pays. Non, elle voulait plutôt faire quelque chose de sa vie. Et la guerre, c’était sa vie.

Son attaque n’eut donc comme effet notoire que d’amocher le visage de son adversaire. C’était mieux que rien. Mais Olivia n’eut pas vraiment le temps de souffler que Tobias la repoussait durement et pointait sa baguette sur elle. Son corps entier grognait sous l’effet du choc et de la douleur. Était-ce la fin ?

« Ne tente pas le diable. »

Olivia était là, à un mètre à peine de lui. Pourquoi n’utilisait-il pas son stupide bout de bois ? Tous les deux étaient pleins de poussières d’avoir roulés sur le sol, et maintenant ils étaient tous les deux ensanglantés. Olivia n’aurait su dire si le sang sur le sorcier provenait de son propre visage abimé ou du nez amoché de Tobias. De l’extérieur cela devait être quelque chose de les voir ainsi immobiles, tels deux cowboys sur le point de régler leur duel, chacun jugeant de quand dégainerait l’autre et s’il serait plus rapide. Il y avait un peu de cela, qui des mains d’Olivia ou des sorts de Tobias anéantirait l’autre ? Il manquait simplement le fétu de paille sèche qui roulerait entre eux pour renforcer la gravité de la scène.

« Quel autre choix ai-je Tobias ? »  Demanda-t-elle, franche. « Tu ne peux pas me dire que tu vas m’épargner. Comment le pourrais-tu ? Je comprends. »  Elle tentait de reprendre son souffle alors que l’adrénaline battait ses tempes. « Je comprends, après tout, c’est la guerre. C’est comme ça. Mais tu ne peux pas me demander de tout lâcher comme ça. Je sers autant des ordres que toi. »  En cet instant, quelque chose d’étrange se produisit. Olivia retrouvait ici quelque chose qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps. Un soldat. Une personne qui comprenait l’importance des ordres, du sacrifice et des idéaux. Elle n’avait plus vraiment de haine pour lui. Bien sûr il y avait toujours de la haine pour les adversaires sinon il n’y avait pas ce combat. Mais Olivia éprouvait à présent un certain respect pour l’homme qui lui faisait face. Mourir maintenant ne serait pas si horrible finalement, si ?

Même si elle était proche physiquement de Tobias, elle avait très peu de chance de s’en sortir. Il suffisait au sorcier de parler vite, voire de simplement bouger sa main pour l’exécuter. Alors qu’elle, elle n’avait rien de tout cela. Parfois la meilleure arme était l’honnêteté. Surtout avec un homme comme Tobias, un soldat adverse qui savait les horreurs que pouvait commettre quelqu’un au nom… De quelque chose ? Quelles raisons avait-elle alors de lui mentir ?

Il pouvait ainsi lui offrir la possibilité de mourir en héroïne. Comme Timothy au Moyen-Orient. Ses obsèques à elle serait moins grandiloquentes quoique… Tout le monde savait ce qu’elle faisait à présent. Bon dieu, elle connaissait même le Premier Ministre ! Peut-être aurait-elle droit aux corne-muses. Elle avait toujours rêvé de voir passer son cercueil sur « Amazing Grace ». Ses parents seraient fiers, sa petite sœur comprendrait quant à Robin, Ambrose, Keith et tous les autres… Elle ne serait plus qu’un nom de plus sur le mur des disparus. Ils s’en remettraient. Leurs vies continueraient même si elle ne serait plus dedans. Et surtout… Elle n’aurait plus mal. Elle ne ferait plus de cauchemars. Elle serait libre de voler à nouveau. Elle serait libre de voler à nouveau. Une larme coula sur sa joue alors qu’elle confessait enfin ce qu’elle trimballait avec elle depuis longtemps, trop longtemps. « Je suis fatiguée. J’en ai…. Assez. »  Dit-elle simplement. « Tire qu’on en finisse. »  Lança-t-elle, plus par supplication que par véritable défiance. Olivia ne ferma pas les yeux. On ne voyait la mort arriver qu’une fois, il soit dommage de la rater. Comme un pilote qui voit le sol se rapprocher alors que son avion va s’écraser. C’était une règle, presque un jeu entre pilotes. Quoiqu’elle aurait plutôt voulu regarder le ciel. C’était son terrain de jeu à elle.

« Alors bas-toi. » Olivia aurait cru en avoir la force. Mais la main tendue du néant semblait soudain si réconfortante. Celle-ci lui promettait de mettre un terme à ses souffrances. Elle trouva cela étrange que la mort ait revêtue les traits de Tobias. Pourtant elle aurait cru avoir affaire à un sorcier si ordinaire. Des comme lui il y en avait des tas. Des gars prêts à tout pour leurs idéaux, pleins de grandeur d’âme ou au contraire au cœur pourri par la haine. Mais ce n’était pas des soldats. Elle aurait pu même dire qu’au Moyen-Orient non plus ce n’était pas des soldats qu’elle avait eu devant elle. Juste des civils embrigadés dans une guerre qui les dépassaient. Un peu comme ces sorciers qu’elle n’avait de cesse de croiser en somme. Mais non, Tobias n’était pas comme cela.

Il était un soldat pas vrai ? Il ne reculerait pas devant la nécessité de la mettre hors d’état de nuire. Et si les rôles avaient été inversés ? Et si elle était celle avec le flingue pointé sur cet homme. Aurait-elle actionné la détente alors même qu’il la suppliait de l’achever ? Elle aurait trouvé cela pathétique. Non, on lui avait ordonné de trouver cela pathétique. Olivia, elle, l’aurait vu comme une marque de courage, de compréhension de soi-même. Reconnaître qu’on ne pouvait pas aller plus loin, qu’on ne pouvait plus avancer.

« Non. » Le cœur d’Olivia rata un battement alors qu’un silence suivait ces paroles. Elle le regarda sans comprendre. Il devait le faire, c’était ce qu’on attendait de lui, c’était ce qu’elle-même attendait de lui ! Il ne pouvait pas lui enlever cette chance de partir avec les honneurs, il ne pouvait… Et pourtant il le fit.

Tobias disparut de la grange sans aucune autre parole. Olivia fixa l’espace maintenant vide où il se tenait quelques instants plus tôt. Le silence continua de se prolonger quelques secondes, ces quelques secondes qu’il fallut au cerveau d’Olivia pour comprendre la situation. Le danger écarté et la mort qu’il portait disparut, la jeune femme s’effondra. À genoux dans la poussière et la paille, elle se disloqua. Un flot ininterrompu de larmes creusa des sillons dans le sang et la saleté qui maculaient son visage. Elle hurla sa haine du monde, de la vie et d’elle-même. Elle cracha la peur qui l’avait étreinte. Elle suffoquait, vomissait et hoquetait sans pouvoir s’arrêter. Olivia venait de frôler la mort et elle le savait.

Alors après un temps qui lui parut à la fois infini et bien trop court, elle réussit à se calmer. La lumière continuait de filtrer par les ouvertures de la vieille grange. La jeune femme se releva, chancelante et poussa les lourdes portes en bois. Elle s’attendait presque à un peloton d’exécution à la sortie mais rien ni personne ne l’attendait. Si ce n’était une oie qui la fixait, jugeant de son statut ou non de prédateur. Le vent fouetta le visage d’Olivia, lui redonnant quelques couleurs. Le paysage qui s’offrait à elle était grandiose. De grandes plaines d’herbe verte avec des affleurements rocheux et quelques cours d’eau. Peut-être était-elle morte finalement ? Et si Olivia Viviane Baring venait de pousser les portes du Paradis ?

Mais aucun ange ne vint à sa rencontre. Timothy ne l’attendait pas sur le chemin qui descendait de la ferme où elle avait été séquestrée. Rien que des moutons, de la boue et cette odeur de nature. À un cours d’eau, elle s’aspergea le visage pour se nettoyer un peu, pour se rendre présentable. Les vieux réflexes revenaient. La vie reprenait son cours, à une différence près : au fond d’elle-même, elle ne pourrait pardonner à Tobias de l’avoir épargnée. Et elle ne pourrait se pardonner à elle-même de lui en vouloir pour cela.