La nuit avait été rude. Un petit groupe de soldats avaient été détachés pour attaquer un sorcier un peu trop sûr de lui. Évidemment, Olivia en faisait partie. Elle n’avait pas porté le coup fatal mais avait géré la diversion qui mena à surprendre la cible. Un de moins. Une petite victoire qui restait bien trop faible, insignifiante dans l’immensité du Royaume-Unis pour faire avancer la cause du Blood Circle.

Le retour au Quartier Général sonna comme une étape se rapprochant de la libération : la jeune femme attendait de prendre une douche avec une impatience non dissimulée. Ses vêtements étaient poisseux de sang et de poussière, sa peau parsemée de sueur et de bleus. Le détachement avait réussi sa mission mais cela ne signifiait pas que la nuit avait été facile ou sans conséquence. La plupart du temps, face à l’inévitabilité de sa propre mort, un homme se montrait prêt à tout pour survivre, alors quand la Magie s’en mêlait…

Aimait-elle mettre sa vie en jeu pour une mission aussi futile ? Non, la réponse était plutôt claire. Mais elle n’était encore personne pour discuter des ordres. Si on lui demandait d’éliminer tel personnage, il y avait un raison qu’elle n’avait pas besoin de savoir. Elle exécutait les ordres. Point. On reconnaissait un bon soldat à son obéissance. Et lorsque les ordres emmenaient dans un territoire où sa propre moralité était en jeu ? Olivia ne voulait pas trop penser à cette éventualité.

Elle salua deux trois camarades en entrant dans la gare désaffectée, son sac noir sur l’épaule, emplis de ses armes et d’autres affaires du sorcier mort. Elle déposa ces dernières à un jeune garçon à lunettes avant de se précipiter vers les douches de fortune, aménagées pour éviter de voir se balader de jeunes gens ensanglantés autour du lieu de retrouvailles du Blood Circle. Cela faisait mauvais genre.

L’eau chaude ruisselait sur son visage. Pendant un instant, Olivia se trouvait en tête à tête avec son corps qu’elle n’avait de cesse de maltraiter. Mais ce dernier, de chair et d’os, semblait avoir bien du mal à le lui faire comprendre. Surtout qu’à chaque sollicitation, malgré des articulations qui grinçaient et des membres qui tremblaient, le corps tenait bon. Alors pourquoi diminuer l’effort si son organisme suivait le mouvement ? Le liquide aqueux tombant du ciel transparent se colorait en touchant le blanc de la céramique, à mesure que la crasse se détachait d’Olivia.

Une fois aussi propre que l’installation le permettait, Miss Baring sortit de la pièce les cheveux encore humides et se dirigea vers les salles « de commandement ». Personne d’autre ne les appelait véritablement comme cela mais vu qu’il s’agissait des principaux lieux où étaient prises les décisions importantes, le nom lui semblait approprié.

Passant devant la salle d’entrainement, Olivia y aperçut une silhouette familière. Elle pouvait honnêtement la reconnaître dans la pénombre, à dix mètres de distance et sous le feu des sorts. Robin Devin Kane. « Le » fils prodige de Kane. Il était en plein entrainement mais Olivia ne put se retenir d’aller l’embêter. À quoi servaient les amis sinon ? Leur dernière rencontre lui restait en travers de la gorge, il l’avait mise au tapis. Elle avait été dans un mauvais jour, il s’agissait de la seule explication acceptable.

S’approchant aussi furtivement que possible dans la pièce quelque peu délabrée, Olivia contourna le Kane pour rester dans son dos le plus longtemps possible, malgré les déplacements de ce dernier. Elle se félicita d’avoir revêtu un débardeur et un pantalon noirs ainsi que ses rangers qui ne crissaient par sur le sol. Lorsqu’elle fut à une distance raisonnable, elle sprinta sur lui avec l’intention de le mettre à terre. Ne pouvant s’empêcher de ménager son entrée, elle l’apostropha.

« Alors Kane, toujours aussi lent ? »

« Olivia ! Mais … »

Le résultat de son attaque surprise fut au-delà de toutes ses espérances. Olivia vit Robin s’effondrer sur le sol, probablement à cause d’un trébuchement. Tous deux étaient des combattants émérites mais ce manque cruel d’équilibre pouvait coûter la vie en mission. Autant qu’il le découvre maintenant que trop tard. Olivia resta debout, dardant son regard d’incompréhension, les mains sur les hanches, devant la chute du Kane. Il dut voir son regard puisqu’il s’empressa d’ajouter quelques mots.

« Tu m’as surpris en plein entraînement Vivi. Parce que je te rappelle que c’est moi qui a gagné notre dernier duel. »

Olivia émit un petit rire moqueur. Elle se demandait encore comment il avait réussi à la battre d’ailleurs. Car avec cette capacité bien faible à rester debout, elle aurait dû normalement le mettre à terre encore plus rapidement qu’aujourd’hui… Surtout qu’en cet instant, elle y était arrivée sans le toucher…

« Mais oui bien sûr jeune homme.  C’est juste que la dernière fois, je ne me sentais pas très bien. Je couvais forcément quelque chose qui m’a affaibli… C’était donc plutôt de la chance qu’une véritable victoire éclatante si je puis me permettre Lord Kane. »

Robin voulait partir dans les surnoms ? Elle était parée. Ils se connaissaient assez l’un et l’autre pour savoir lesquels feraient mouche ou non. « Vivi » la faisait rire et lui donnait un petit côté enfantin qui allait avec son physique, Olivia faisant à peine un mètre soixante-deux et étant plutôt menue… Enfin lorsqu’on ne voyait pas son corps nu car alors les muscles d’années d’entrainement pointait le bout de leur chair… Bref ! A l’inverse, elle se doutait que « Lord Kane », d’une carrure bien plus imposante, n’aimait pas vraiment être appelé par son nom de famille affublé du préfixe d’une des plus hautes marches de l’aristocratie anglaise. Mais tout était bon pour agacer Robin. La jeune femme aimait beaucoup ce garçon et se faisait un malin plaisir à lui faire garder les pieds sur terre, surtout quand avec un nom de famille comme le sien, il aurait été tenté de prendre la grosse tête et de quitter le plancher des vaches. Et encore, le plus souvent elle accompagnait ce surnom d’une petite courbette ridicule qui ajoutait davantage à la moquerie voulue, qu’elle avait ici omise.

Le voyant se relever, Olivia s’apprêtait à de nouveau se moquer gentiment lorsqu’elle le vit se rasseoir avec précipitation. Son sourire disparut un instant et elle se mit à genoux au niveau d’un Robin dont la tête semblait un peu lui tourner. La mine soucieuse elle tenta d’avoir des informations sur son partenaire de combat.

« Ça va ? Tu t’es relevé trop vite ? »

Olivia détailla un tout petit peu son ami. Il semblait être particulièrement en sueur. Son entrainement devait durer depuis un certain temps ou être particulièrement intensif. Elle se doutait de la pression qui pesait sur ses épaules. Elle avait été « enfant de » également. Bien que le monde entier soutenait qu’il ne la traitait pas différemment des autres, rien que de vouloir la mettre sur un « pied d’égalité » était déjà un traitement de faveur. Avant qu’elle puisse dépasser ces préjugés, elle avait dû se battre pour pouvoir mériter sa place, aussi bien aux yeux de son entourage que pour elle-même. Niveau confiance en soi ce n’était pas forcément le mieux : les gens l’aimaient-elle à cause de sa mère haute-gradée ou pour sa propre personne, Olivia jeune cadet la tête pleines de rêves ? La frontière était fine et parfois les craintes fondées. Mais Mrs. Lilian Baring n’était « que » Air Commodore. Le monde politique n’intervenait pas. Par contre lorsqu’il s’agissait du Premier Ministre…

Elle lui tapotant l’épaule, un petit sourire pointa sur son visage.

« Va falloir travailler ces remises sur pied Kane si tu veux pas te faire avoir par le premier sorcier boiteux venu… »

Se relevant lentement elle-même –il manquait plus qu’elle aussi fasse une chute de tension ! – elle lui tendit une main amicale pour l’aider à se relever. Cette image était assez représentative de leur type d’amitié. Olivia n’avait jamais vraiment su pourquoi Robin et elle s’étaient si bien entendus : l’objectif commun de leurs familles respectives ? Une histoire de sang écrite depuis des centaines d’années ? Ou juste deux gamins un peu paumés avec une destinée qui les dépassaient totalement ? Quelle qu’en soit la raison, cette amitié avait réussi à les garder tous les deux debout et vivant… Ce qui n’était pas rien connaissant les deux loustics. Il se trouvait qu’à cet instant Olivia était celle qui tendait la main. Mais lors de ce qu’elle appelait « son creux de la vague », c’était bien Robin qui l’avait sauvée. « Sauver » était peut-être un mot un peu fort. « Aider » serait plus juste. Olivia n’enlevait rien aux actions du Kane mais « sauvée » lui donnait l'idée qu’elle était arrivée à une existence paisible, loin de regrets, douleurs et tristesses… Ce qui n’était pas le cas… Ce qui n’était définitivement pas leur cas à tous les deux.

« Je t’avise ça fait plus d’une heure que je fais ça. Les Sorciers, normalement, ça ne tient même pas 15 minutes ! »

Masquant un petit rire derrière sa main, Olivia hocha sagement la tête pour acquiescer aux paroles de Robin. Le pauvre garçon avait besoin d’être rassuré sur ses propres capacités physiques, et elle s’était suffisamment moquée du pauvre bougre. Et puis il avait eu le courage de faire sa séance sportive lui, celle qu’aurait dû également effectuer Olivia si elle n’avait pas sauté dans la douche et prévu d’aller se coucher sans aucun remords.

« Ton boiteux ne sera même pas assez rapide pour m’avoir dans cet état. »

«  Mouai… Ça restera à prouver Kane… » Rétorqua-t-elle du tac au tac.

Alors que Robin saisissait sa main pour se relever, Olivia se rendit compte de la quantité de sueur dont il était couvert. Obligée de se mettre en arrière pour pouvoir soulever le poids de son camarade, elle fut ravie de voir que celui-ci ne lui lâcha pas la main. Cela aurait pu sans aucun doute la faire tomber en arrière et laisser ainsi un goût de vengeance accomplie … Si les rôles avaient été inversés, Olivia n’aurait pas hésité à le faire !

La jeune femme le regarda retourner vers le banc, attraper une serviette et s’asseoir. Elle s’approcha de lui. Maintenant qu’elle avait mis précipitamment fin à l’entrainement de Robin, la moindre des choses était de rester un petit peu pour discuter. Elle aurait cru que, « travaillant » au même endroit, ils auraient plus de chance de se croiser. Cependant, l’expérience avait montré que les missions pour lesquelles ils étaient envoyés aux quatre coins de Londres ne coïncidaient que très rarement, laissant leurs rencontres aux aléas de la vie.

« Parfois, j’oublie depuis combien de temps je m’entraine. Ça en devient presque une drogue. »

En émettant un petit rire de circonstance, Olivia ne pouvait s’empêcher d’éprouver un certain malaise. Elle pensa immédiatement aux somnifères qu’elle utilisait très – trop- régulièrement pour tenter de dormir quelques heures. La jeune femme perdait alors aussi la notion du temps, sombrant dans une brume médicamenteuse. Mais cet instant n’était pas propice à ce genre de réflexion. Elle les balaya d’un revers de la main et reporta sur attention sur Robin qui était maintenant allongé sur le banc.

Olivia se demandait toujours ce qui pouvait bien se passer sous les cheveux bruns de Robin, dans sa caboche de Kane. Avait-il l’esprit aussi vif et affuté pour la politique que son père, cherchant toujours un moyen de combattre, que ce soit physiquement ou non ? Il était bien avocat après tout ! Mais elle avait souvent lu une lueur qu’elle ne comprenait pas trop dans le regard de son camarade.  Une grande lassitude, une haine de quelque chose qu’elle n’arrivait pas à identifier. Olivia n’était pas très bonne lorsqu’il s’agissait de comprendre les problèmes des gens. Elle savait exalter leurs émotions, leur donner de l’espoir du courage ou du sérieux, mais dès que cela touchait à des émotions plus intimes, plus personnelles, elle se retrouvait démunie. Et encore, elle ne parlait même pas de ses émotions à elle !

Robin était beau garçon –beau était presque un euphémisme à ce stade – mais leur relation lui avait toujours semblée aller au-delà.  Ils avaient essayé une fois tous les deux de coucher ensemble, comme ça, pour voir, cela avait déjà mentionné précédemment. Mais ce qu’elle ressentait pour lui… C’était de l’amour, elle en était certaine. Mais pas un amour charnel, intense et passionné. Il s’agissait plutôt d’une bouffée d’amitié dans ce monde de guerre et de perte. Ils étaient unis mais pas amants, ce qui n’était pas pour déplaire à la jeune femme. La passion disparaissait, pas la loyauté.

« Et toi ? Venais-tu t’entrainer ? A moins… Je crois que tu étais partie chasser du Sorcier si je me rappelle bien. J’espère que tu viens, au moins, m’annoncer que c’est réussi sinon, je vais encore devoir subir les foudres de mon père. »

« Je venais te botter les fesses mais vu comment tu es fatigué en ce moment, ce ne serait pas un combat équitable. » Elle posa les mains sur les hanches en partant dans un petit rire. Elle savait pertinemment que leurs combats ne seraient jamais équitables : ils étaient trop de mauvaise foi tous les deux. « Non pas d’entrainement pour moi aujourd’hui, j’en ai déjà pris plein la tête avec ce sorcier. Il était effectivement coriace. On était à cinq et on a failli perdre. Keln est dans un sale état mais il s’en sortira. »

Keln était un autre membre du Blood Circle. Un brun qui était plutôt costaud. Il n’avait pas esquivé à temps un sortilège qui avait fait apparaitre sur ses jambes des coupures en nombre significatif. Il avait perdu beaucoup de sang et était livide à son arrivée à l’infirmerie. Après une transfusion, il devrait pouvoir s’en remettre.

« Cette pourriture de magicien en carton m’a fait valser à l’autre bout de la pièce. Au moins j’ai volé aujourd’hui ! » Dit-elle, riant quelque peu jaune. C’était maintenant son quotidien, elle ne pouvait quitter la terre ferme que projetée par magie d’un bout à l’autre d’une pièce. « J’ai pu l’occuper et c’est Vance qui a porté le coup fatal. C’était un beau combat mais les sorciers semblent être de plus en plus préparés à nos actions et à nos équipements. Ils évoluent et nous devrions en faire de même pour garder notre avance. »

Olivia se doutait que ni Robin ni elle n’était en mesure d’accélérer les recherches du Blood Circle. Ils n’étaient pas des scientifiques. Mais ces derniers, qui travaillaient dans un laboratoire pas si loin de leur position actuelle, semblaient stagner et mettaient difficilement au point de nouveaux atouts. Le sérum anti-pouvoir avait été une réussite jusqu’à ce qu’on se rende compte que les effets étaient temporaires. La jeune femme n’aimait pas l’idée d’être envoyée en mission avec des armes ou des instruments dépassés qui ne pourraient pas l’aider, voir la desservir si elle s’appuyait trop dessus.

« Et toi ? Nuit compliquée aujourd’hui ? L’entrainement était un moyen de décompresser ? »

Olivia lui poussa légèrement les jambes pour pouvoir avoir de la place sur le banc. Elle lui attrapa sa gourde et en bu quelques gorgées.

« Ton père s’en sort avec le Parlement ? »

« Je prends cela comme de la compassion à mon égard. Merci. »

Si Olivia n’avait pas été aussi loin, elle aurait refrappé Kane pour cette pointe d’ironie.  A la place elle n’émit qu’un petit rire de moquerie qui, elle espérait, ferait le même effet qu’un coup de poing dans l’épaule. Pourquoi étaient-ils ainsi ? A toujours rire de tout, jusque dans les horreurs des blessures et de la guerre ? Elle savait ce que cela faisait d’être en conflit permanent. Elle l’avait été une grande partie de sa vie. Elle savait ce que c’était de perdre des gens. Elle savait ce que c’était de sombrer. Et pourtant elle riait encore, comme une collégienne dont le pire souvenir était un contrôle de maths raté. Comment avait-elle appris à prendre la vie avec aussi peu de sérieux ? Peut-être était-ce le contraire ? Et si c’était justement la maturité et la confrontation aux plus noirs recoins de l’existence qui lui avait appris à choyer les moments simples ? Son regard se fit presque attendrissant pour Robin.

Alors qu’Olivia racontait sa mission, elle vit Robin bouger la tête. L’ennuyait-elle à ce point ? Désapprouvait-il leur méthode d’attaque ? Ses sourcils se froncèrent quelques peu énervée par ce comportement. Robin était véritablement un enfant parfois. Il ne prenait jamais rien au sérieux, même pas quand la situation lui hurlait de le faire. Les deux jeunes gens n’avaient qu’un an d’écart mais parfois, il lui semblait que c’était plutôt une dizaine d’années…

« J’ai beaucoup de travail en ce moment, en effet et pas seulement avec le Blood Circle. »

Se renfrognant quelque peu, elle écouta la réponse du Kane. Effectivement, lui n’avait pas un emploi à mi-temps comme simple guide de musée. Elle soupira. Comme Olivia aurait voulu qu’il en soit autrement… Alors qu’elle s’asseyait aux côtés du gamin qui lui servait d’ami, le sourire de celui-ci lui fit briser sa mauvaise humeur par un sourire qu’elle tenta en vain de réprimer. Parfois elle le détestait véritablement !

Olivia écouta en silence Robin parler de son père. Elle savait qu’il n’appréciait pas particulièrement le faire mais elle trouvait cela important de l’y pousser de tant en tant. Tant qu’il le faisait, cela voulait dire qu’il ne détestait pas totalement son paternel. Et pour Olivia, la famille devait être une des choses les plus importantes. Elle n’allait pas laisser Robin tout rejeter en bloc. Peut-être était-ce également une envie plus égoïste : si Robin se détachait de son père, il se détachait du Blood Circle et donc d’elle. Après Timothy, elle s’était reconstruite grâce à Robin. Il n’avait pas le droit de la laisser tomber et de disparaitre à son tour. Car dans l’état actuel des choses, il n’y avait pas grand monde d’autre pour la secourir.

Alors que leurs regards se croisaient, Kane ne faisait qu’affirmer les problèmes que rencontraient le Blood Circle et ses propres peurs.

« […] Je crois que si nous n’y prenons pas garde, ce sera bientôt la guerre. »

Elle dévisagea le Kane. Il semblait véritablement sérieux en disant ces paroles. Alors ils n’étaient tous les deux pas du tout sur la même longueur d’onde. Elle l’aurait pourtant cru. Le regard d’Olivia se voila de tristesse alors qu’elle regardait son compagnon d’infortune. Le pauvre n’avait rien compris ou peut-être n’avait-il pas voulu comprendre ? Elle soupira alors qu’elle savait qu’elle allait devoir briser les quelques derniers espoirs de Robin et le plonger avec elle dans son océan de conflits. Mais elle n’avait pas vraiment le choix.

« Robin… » Elle se rapprocha de lui attrapa la main. « Nous sommes entrés en guerre le jour de l’attaque de la fête foraine. Ce conflit était tout simplement encore atténué. Mais les combats étaient voués à devenir plus présents, violents et… Vrais. »

Même s’ils avaient tous les deux grandis dans le Blood Circle, Olivia oubliait parfois qu’elle avait été la seule des deux à être véritablement allée à la guerre comme on se la représente le plus souvent. Mais elle n’était pas la seule à avoir vécu la guerre tout court. Nier cela mènerait le Kane à sa perte. Et Olivia ne le permettrait pas. Gardant fermement la main de Robin dans la sienne, elle se remit de face, regardant dans le lointain de la salle d‘entrainement.

« Je ne sais pas vraiment où tout cela va nous mener… Mais ce ne seront très probablement pas les jours les plus heureux que nous connaîtrons. » Peut-être lancée dans un élan mélancolique, elle ajouta en regardant dans les yeux Robin. « Si un jour tu as besoin de moi, je serai là. Tu le sais n’est-ce pas ? Quoi que ce soit, je serai là. »

Olivia lâcha finalement sa main et tapota la cuisse du Kane pour essayer de se donner un peu de constance et briser ce moment qu’elle trouvait quelque peu pesant. Se passant à présent une main dans les cheveux, elle tenta d’amener la conversation sur des sujets plus légers. Olivia connaissait la réputation du Kane, elle en avait elle-même fait les frais. Mais comparée à toutes les greluches qui avaient partagé le lit de Robin, Olivia savait qu’elle n’avait rien à attendre de lui sur cette partie-ci de sa vie. Mais en ce qui concernait son amitié, elle avait un besoin maladif. Et comme avec les médicaments, elle n’était pas à l’aise de dépendre de choses aussi faciles à lui enlever.

« Comment vont les amours Kane ? Une nouvelle blonde ? » Demanda-t-elle. Se souvenant soudain de la triste façon dont s’était terminée sa dernière relation, Olivia changea radicalement de sujet. Préférant les moqueries pour ne pas se retrouver aussi gênée que pourrait l’être Robin.

« Et c’est quoi ces biceps en carton Lord Kane ? Tu pensais vraiment réussir à quoi que ce soit avec des bras comme ça ? Allez viens me montrer comment tu termines un sorcier ! »

Olivia se releva en évitant le regard de son camarade prête à se laisser malmener pour que Robin lui montre ses quelques techniques de mises à mort de sorcier. Cela au moins lui changerait un peu les idées. Et puis ce n’était pas vraiment un entrainement, juste des mouvements lents qui leur permettraient à tous les deux de s’améliorer.

« Mais … ! Ce n’est pas la guerre ! »

Pour l’un des avocats les plus doués de Londres, Robin pouvait parfois se montrer naïf et particulièrement obstiné. Mais peut-être était-ce des qualités après tout ? Olivia était un peu perdue et ne savait pas vraiment quoi en penser. Peut-être était-ce plutôt elle qui voyait… Qui voulait voir la guerre partout ? Cela lui évitait de rester trop longtemps seule avec ses pensées, ses échecs et ses pertes. Etait-ce bien plus intelligent que ce que faisait Robin ?

« Je suis désolé Vivi. Je … J’avais oublié que tu avais vécu la guerre toi et que tu savais bien mieux ce que c’était que moi … »

« Je… Je… » Elle n’eut pas la force de lui répondre. Oui elle avait vu la guerre, elle avait souffert et perdu. Mais cela ne lui donnait surement pas la science infuse sur le sujet. Elle savait simplement que le désert était chaud, le sable grattait dans les vêtements et que les gens ne comprenaient pas ce que faisaient des Européens chez eux. Soupirant, elle vit Robin se tourner vers elle mais elle évita son regard. Elle ne voulait pas voir le joyeux, le sympathique, le plein-de-vie Kane abattu. Elle enchainait avec un sujet plus léger et la réponse de Robin fut  la hauteur.

« Bah … Je ne sais pas trop … Tu sais bien que c’est plus sexuel qu’autre chose … Je … Il n’y a absolument personne … »

Voilà que maintenant c’était au tour du lord Kane de bégayer. Le sujet n’était pas aussi horrible qu’elle ne l’aurait cru. Bien sûr Robin semblait particulièrement mal à l’aise mais cela rendait la situation mignonne bien plus que malsaine. Pensait-il à quelqu’un de particulier ? Y avait-il eu une conquête qui avait davantage abimé son petit cœur, coeur qu’il faisait passer pour inébranlable ? C’était bien tout sauf cela. Robin était trop doux, trop simple pour ce monde et les contraintes que faisaient peser le Père Kane sur lui. Il était mignon avec ses yeux clairs qui la regardaient.

Alors qu’Olivia critiquait la musculature de son camarade, celui-ci réagit au quart de tour. Il ne la décevait jamais, surtout quand un défi semblait pointer le bout de son nez. Robin était bien plus imposant qu’elle, qui était menue et pas très grande. Juste assez pour piloter. Mais elle connaissait les points faibles de son adversaire… Comme lui connaissait les siens malheureusement.

« Puis, c’est rare un Sorcier qui est bon au corps à corps. Ils préfèrent lancer des sorts de loin avec leur baguette. Bandes de lâches ! »

« Et quand ils seront gorgés de sérums ? Tu vas leur faire un petit massage… HEY ! » Olivia n’eut pas le temps de finir sa phrase que Robin lui fonçait dessus. Voilà un de ses défauts : elle était très mauvaise sur la force brute. Joli coup de la part de Robin, elle aurait pensé qu’ils allaient encore échanger quelques banalités et qu’elle pourrait se rapprocher suffisamment pour le prendre de vitesse sous l’effet de la surprise. Mais non, Robin Kane avait parfois des plans qui fonctionnaient… Elle avait dit « parfois »…

S’attendant à un mélange de krav maga, judo ou encore ju ji tsu, Olivia fut de nouveau surprise par Robin : il s’était simplement jeté sur elle et avant de ne pouvoir riposter, voilà qu’il la chatouillait. La jeune femme eut quelque peu le souffle coupé sur l’impact mais éclata de rire sous l’assaut des chatouilles.

« Non… haha… Robin… Haha… Saleté de… hahaha… Tu as me le payer… Traitre ! » Ayant bien moins de remords que son camarade pour utiliser de véritables techniques, elle tenta une prise avec ses jambes pour immobiliser au moins une main vengeresse.

« Tu es le pire chasseur de sorcier que je connaisse Lord Kane… Mais je crois que comme chatouilleur tu as la palme ! » Olivia se mit à son tour à chatouiller Robin, dans une vengeance enfantine d’œil pour œil, dent pour dent.

Un étrange phénomène se produisit, tout ce qui était autour d’eux disparut, et elle se sentit revenue à ses dix ans, avant l’armée, avant le Blood Circle, avant la mort. Deux gamins, Robin et elle, qui tentait de l’emporter dans une lutte puérile mais si drôle. Elle se débattait avec la rage de vaincre et de faire ployer son adversaire… Sous les rires. Il n’y avait pas de sang, pas de supplications, juste deux amis qui vivaient.

Après un temps qu’elle n’aurait su définir, elle repoussa finalement Robin et s’allongea essoufflée, le sourire aux lèvres. Rien de sexuel là-dedans. Olivia avait mal aux abdominaux, de sa bagarre et des éclats de rire. La vie était une poufiasse mais parfois, parfois elle lui offrait des moments de répit. Et celui-ci en avait été un.

« T’es vraiment le pire Lord Kane. Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi ? » Lui lança-t-elle avec un franc sourire. Se recoiffant comme le pouvait, elle remit ensuite son débardeur en place. « Ok, tes bras se défendent. Je te concède cela. Mais pour ce qui est de la létalité, on repassera… Peut-être que ton humour naze pourra achever quelques sorciers ? » [/color][/b] Se moqua-t-elle de nouveau. Qu’attendait-il pour lui renvoyer l’ascenseur ? Pourquoi ne lui disait-il pas d’aller se faire voir ? Elle scruta de nouveau Robin.

Ils n’avaient jamais parlé de cette fameuse soirée. Celles où ils s’étaient découvert bien plus que deux simples amis n’auraient dû. Cette nuit était arrivée et puis… Chacun avait fait comme-ci rien n’était jamais arrivé. Etait-ce le moment d’y remédier ? Si oui, qu’attendait-elle de cet échange ? Qu’ils se découvrent une passion incommensurable ? Qu’ils s’enfuient bras dessus, bras dessous et abandonnent tout derrière eux ? Alors qu’elle ouvrait la bouche pour parler, une voix masculine retentit :

« Et bah alors Baring, on s’envoie en l’air avec le fils du patron ? »

Olivia se retourna et jeta un regard noir au nouvel arrivant. John Kilgrade. Un tocard de première qui ne servait que de chair à canon et qu’on ne tolérait au Blood Circle qu’à cause de ses gros bras. Pas aussi beaux que ceux de Robin par contre.

« Au moins moi je m’envoie en l’air Kilgrade. C’était qui la dernière femme que t’as vu à poil ? Ta mère ? »

La jeune femme avait l’habitude des gros lourdauds dans le genre de John. Elle avait passé la majeure partie de sa vie à les côtoyer, à les remettre à leur place et à se faire accepter dans leurs rangs. Robin aussi devait connaître ce genre de personnage. Mais elle n’était pas vraiment sûre de comment il allait réagir. Elle lui jeta un regard, tentant de lui intimer l’ordre de rester calme.

Alors que Robin était en plein fou rire, Olivia n’eut d’autre choix que de rire avec lui. Sa bonne humeur était communicative et elle avait bien besoin de se détendre après un travail difficile. Cette idée de massage pour sorciers sembla emballer Robin ce qui la fit encore rire davantage. Elle tenta de se calmer en prenant de grandes inspirations, arrivant à une espèce de hoquet contrôlé.

« Ouais bah, je suis quand même certain qu’ils vont tous être incapables de résister à ma propre torture ! Tiens, je devrais proposer ceci à mon père. »

« Il en sera ravi ! »

Et la voilà qui repartait de plus belle en riant. Imaginer la tête du Père Kane à la mention de cette technique ultra secrète de torture balaya toutes ses tentatives pour rester calme. Le temps fit finalement son effet et elle réussit à retrouver un semblant de sérieux, gardant tout de même l’esprit moqueur avec une pique à l’intention de Robin. Celui-ci lui répondit du tac au tac.

« Peut-être que je saurais les tuer de rire. Au moins, ils vont mourir en étant heureux. »

Il s’agissait d‘une des raisons pour lesquels Robin et Olivia s’entendaient bien : l’un et l’autre avaient une répartie certaine et n’hésitaient pas à s’en servir avec une relative bienveillance. Leurs sens de l’humour se rejoignaient sur de nombreux points et dans un conflit peuplé de nombreuses choses particulièrement horribles, de violence et de mort, pouvoir avoir une soupape de bonne humeur, d’humour et de sympathie était au-delà du nécessaire, quasiment vitale.  

« N’est-ce pas ce que nous voulons tous ? » Répondit doucement Olivia, soudain bien plus sérieuse qu’elle ne l’aurait voulu. Olivia capta soudain le regard de Robin. Que faisait-il ainsi à la détailler ? Elle avait du chocolat dans les dents ? Sa culotte était visible ? Qu’est-ce qui prenait tout à coup au Kane de la reluquer ainsi ?  Olivia fronça les sourcils, le regard empli d’interrogation mais ne releva pas. Elle avait peut-être rêvé. Très probablement.

La réalité, sous les traits de John fit son apparition bien trop tôt et rapidement. Après qu’elle ait répondu au gros dur et gros lourd de Kilgrade, Robin enchaina lui aussi sur une petite pique.

« Il faudrait préciser de quel patron tu parles John. Il y en a quand même trois. J’espère que tu ne me confonds pas avec le fils de Terry au moins. Quoique, avec toi … »

Olivia sourit, sourire surtout nourri par Robin qui repartait dans un fou rire. Ce Kane était un idiot fini d’ainsi se moquer ouvertement d’un gars au sang chaud et prompt à la bagarre comme John. Oh, elle ne se faisait aucun soucis pour les capacités de combat de Robin : Kilgrade était un dur à cuir mais n’était ni malin ni rapide. Facilement battable pour quelqu’un comme Kane donc. Non, l’idiotie résidait dans le fait de jeter aussi librement de l’huile sur le feu. Et voilà, que Kilgrade se rapprochait menaçant, avec un Robin qui n’arrêtait pas de rire. Olivia leva les yeux au ciel, connaissant déjà le déroulé futur des évènements.

Après une rapide clé de bras, John était coincé par Robin et celui-ci le rappelait à l’ordre. Du Kane tout craché, de père en fils. Ceux-ci avaient le respect dans le sang. Le respect et le commandement. Ce n’était pas pour rien que les Kane s’étaient positionnés comme l’une des familles les plus influentes du Blood Circle. Il y avait un petit quelque chose qui les rendaient de très bons meneurs d’hommes. Tout comme une intelligence certaine, les présentant comme de fins tacticiens. Tous ces compliments, Olivia ne les aurait jamais dits à voix haute à Robin…. Il ne manquait plus qu’il prenne la grosse tête.

« Tu enlèves tes sales pattes de moi et tu évites de nous manquer de respect que ce soit à Olivia ou à moi. Compris ? »

La jeune femme reporta son attention sur la scène en cours. Elle laissa échapper un soupir agacé. Elle n’avait définitivement pas besoin qu’un homme, encore moins Robin, prenne sa défense ou vienne au secours de sa réputation. Elle était assez grande et compétente pour le faire elle-même. Le ton employé par Robin lui fit cependant froid dans le dos. Les menaces planaient dans la salle d’entrainement, menaces qui promettaient des traitements particulièrement horribles.

« Robin, il a compris. John, va-t’en avant que je te botte le cul moi-même et qu’il n’en reste plus une once de la dignité que tu dois déjà ramasser. » Dit-elle en repoussant gentiment mais fermement Robin, pour libérer Kilgrave de son emprise. Le combat de coq, très peu pour elle. John se frotta le poignet, jeta un regard noir aux deux personnages qui lui faisaient face et se décida à fuir le plus dignement possible.

« Un jour Kane, tu vas tomber de ton piédestal. T’inquiète que je serai là pour t’accueillir. » Cracha John avant de se diriger vers la sortie. Olivia posa fermement une main sur le torse de Robin, se mit devant lui et lui lança un regard emplis d’avertissements. Vu leurs tailles respectives, elle dut lever quelque peu la tête pour pouvoir capter les yeux de son camarade.

« Laisse couler Robin. » Dit-elle distinctement. Son regard se fit un peu plus dur encore. « Et je n’ai pas besoin de ton aide pour gérer les idiots comme John. Je me suis battue toute ma vie pour être prise au sérieux par des masses de muscles comme toi ou lui, alors ne fait pas ton chevalier servant avec moi s’il te plait. »

La jeune femme était certes un peu injuste envers son ami mais la réalité l’avait plusieurs fois remise à sa pace si fort qu’elle en gardait une peur maladive. Elle avait dû gagner l’estime de ses collègues cadets à la sueur de son front et seule. C’était le seul moyen de se faire accepter. Sa mère l’avait prévenu mais cela n’avait pas rendu les choses plus faciles. Et Olivia avait dû tout recommencer avec le Blood Circle. Surtout que Kane était comme l’avait très justement dit John « Le fils du patron ». La place qu’elle avait, elle ne la devait qu’à elle-seule. Et elle ne ferrait jamais rien qui puisse donner une autre impression. « Comme coucher avec le fils du patron ? «  Demanda une voix moqueuse dans sa tête. Elle l’écarta bien vite. Cela n’était arrivé qu’une fois et ne se reproduirait jamais. Point. La paume d’Olivia était toujours sur le torse de Robin, et avec les joues quelques peu rosis par ses pensées, elle l’enleva vivement.

Olivia s’écarta finalement et retourna s’asseoir sur le banc. Elle attrapa la gourde de Robin et en but quelques gorgées.

« Quand tu sauras quelle est ta place ! »

Levant les yeux au ciel, Olivia se demanda si toute sa vie serait marquée par des gars essayant de se prouver qu’ils avaient la plus grosse. Elle était dépitée par ces besoins de dominance constants, de challenge de l’autorité en place et des guerres de pouvoirs. La politique n’était vraiment pas son fort. Elle en comprenait l’intérêt stratégique mais cela lui passait totalement au-dessus. C’était une des raisons qui la gardait dans les bas étages de l’organisation du Blood Circle. Elle avait l’ambition d’être bonne dans la chasse et le combat mais n’avait nullement l’envie d’être chevillée à un bureau à devoir gérer les équipes et faire un nombre incalculable de magouilles pour pouvoir asseoir son autorité. L’autorité de quelqu’un passait par le mérite et le respect. Certes dans l’armée elle n’avait pas été libre de choisir ses supérieurs mais il y avait toujours eu ses préférés, ceux qui savaient commander car ils respectaient leurs subalternes comme leurs subalternes les respectaient. Et c’était la meilleure façon de gagner la loyauté de ses troupes. Montrer ses biceps à la moindre contrariété et tenter d’intimider par la peur ? Très peu pour elle.

Elle ne laissa d’ailleurs pas à Robin le temps de lui répondre. Sa frustration de n’être qu’un poteau qu’on ignore lui avait fait lancer des paroles qu’elle ne pensait qu’à moitié. D’ailleurs, son ami ne tarda pas à en prendre ombrage.

« Tu me prends pour un tas de muscles aussi. Ah merci ! Robin, l’imbécile ! »

Pour s’empêcher de faire une réponse cinglante qu’elle aurait tout aussi regrettée, Olivia alla boire un peu d‘eau pour se calmer et se rafraichir. La confrontation avait aussi bien échauffé son esprit que son corps. Son cerveau reptilien, comme tout le monde, lui avait laissé le choix entre la fuite et le combat. Vu le sang qui affluait dans ses tempes, le combat avait dû prendre le dessus. Maintenant elle devait retrouver son calme avant que la prochaine contrariété ne se prenne son poing dans le visage sans sommation. Alors qu’elle avait presque comme objectif de finir la gourde, elle se demandait si cette contrariété n’aurait pas la forme de Robin…

«  Je ne parlais de ça tu sais … »

Le ton radoucis de Robin termina de calmer Olivia. Certes, elle ne se sentait aucunement en tort mais… Voir ainsi Robin mal en point émotionnellement lui serra le cœur. Reposant finalement la gourde, elle le regarda s’asseoir et prendre sa tête dans ses mains. Le sourire qu’il lui fit entraina aussi un sourire de la part de la jeune femme. Il était énervant cet homme car elle ne pouvait jamais rester énervée très longtemps contre lui.

« Je sais bien ce que c’est encore pour les femmes. Je ne faisais pas cela pour … En fait, peut-être un peu, mais c’est plus parce que je suis ton ami que parce que je suis un homme Vivi. Puis, Kilgrave a bien besoin de faire montre de plus de discipline. C’est peut-être même pour cela qu’on a toujours deux pas derrière les Sorciers. On manque de discipline. » *

« J’ai peut-être réagi un peu trop violemment. » Reconnut Olivia. «  Oui je sais que ce n’était pas avec des arrière-pensées mais comprend moi… Si la stupide idée se répand que j’ai besoin de coucher avec Robin Kane pour me faire respecter, ça ne va pas le faire. » Elle marqua une pause, rejetant tous les souvenirs de cette nuit qui remontait à la surface. « Et pour Kilgrave, c’est pas comme ça que tu vas le mater. Je comprends tes appréhensions. Il y a beaucoup de militaires au Blood Circle mais aussi beaucoup de parias et solitaires qui n’avaient pas vraiment de cadres jusqu’à aujourd’hui. »  Elle vint s’asseoir à ses côtés. « C’est pas en essayant de montrer tes muscles que tu vas y arriver… Ce genre de gars aime se montrer, se donner en spectacle. La prochaine fois, fait lui faire des pompes de discipline devant tout le groupe. S’il les fait tu as gagné. Sinon tu l’envoies au trou deux jours. Et tu recommences. Tu peux pas obliger quelqu’un à te respecter. Mais tu peux lui montrer qu’il a tout intérêt à le faire… »

Toute la joie qu’ils avaient pu éprouver seulement quelques instants plus tôt s’était envolée. C’était aussi bien la beauté que le malheur de ces instants : s’ils étaient si précieux, c’était justement parce qu’ils étaient rares et brefs. La réalité ne les avaient décidément pas ratés tous les deux. Deux âmes brisées qui tentaient de remonter le courant avec la promesse d’une vie meilleure…. Vie meilleure qu’ils n’étaient mêmes pas sûrs de pouvoir un jour voir.

« T’es loin d’être un imbécile Kane. Je sais pas qui t’as dit ça mais c’est faux. » Elle posa sa main sur le dos de Robin et le tapota. « On fait la paire tous les deux hein ? » Elle fixa l’homme qui lui faisait face. Il n’allait définitivement pas bien. Au-delà de toute cette histoire avec Kilgrave. Ces dernières années, Olivia n’avait pas eu l’occasion de beaucoup s’intéresser aux autres : elle avait déjà trop à faire avec elle-même. Si elle avait commencé à aider chaque chiot blessé sur son chemin à se reconstruire… Elle n’aurait jamais pu terminer les rénovations de son propre esprit. Et ce corps et ce mental était les seuls qu’elle n’habiterait jamais. Elle avait failli s’écrouler, elle n’avait pas voulu jouer à la plus maline. Aujourd’hui elle allait mieux. En partie grâce à Robin. Il était normal de lui renvoyer l’ascenseur. « Ca va Kane ? Y a quelque chose dont tu veux parler ? »

Le Blood Circle leur donnait des compresses, des antibiotiques et des urgentistes compétents. Mais lorsqu’on parlait de l’esprit, le suivi était plus épisodique et moins imposant. Comme à l’armée. Ce monde de violence et d’incompréhension pouvait attaquer le plus fort de tous. Malheureusement, il ne faisait pas de quartier ni de prisonnier. Tout le monde finissait par craquer. La question était plutôt de savoir quand et si cela entrainerait la mort de centaines de personnes ou non.

« Personne ne sait ce qu’on a fait ensemble … »

Les joues d’Olivia s’empourprèrent malgré elle, alors que lui parvenait le murmure de Robin. Elle maudit son visage qui la trahissait aussi vilement. Ils étaient deux adultes consentants bon-sang ! Il n’y avait aucune raison pour qu’elle ait ainsi honte d’avoir passé une nuit avec Robin. Et pourtant, elle sentait un certain malaise entre eux. Elle n’aurait su dire pourquoi et cela la chagrinait. Voilà pourquoi il ne fallait jamais coucher avec ses amis proches. Une fois sur deux, ça menait à ça. Mais quel était ce « ça » justement ? Elle avait besoin de temps pour se poser, se questionner sur ses envies et ses passions. Mais avec les aléas de la vie, elle se doutait que Robin n’avait pas vraiment la tête à ça. Ils en parleraient une autre fois. Oui, repousser tout cela à plus tard semblait une décision particulièrement attirante et censée.

« Je vais essayer la prochaine fois. À bien y penser, je pourrais aussi tenter tes techniques avec Garnet Davis. Garnet, c’est une véritable bombe à retardement actuellement pouvant attaquer autant l’ennemi que blesser ses alliés. Certes, bien utilisée, elle deviendra une arme redoutable. »

Olivia fut ravie de voir arriver sur la table un sujet bien différent. Même si cette Garnet ne lui disait pas grand-chose. Oh, elle l’avait croisé à plusieurs reprises au QG mais sans plus. Cela vaudrait le coup qu’elles discutent ensemble un jour. La pauvre gamine. Elle avait quoi, moins de la vingtaine ? Et surtout elle avait comme référent Robin Kane, qui n’était pas le meilleur des pédagogues. La jeune femme se mordit la joue. Elle était mauvaise langue : Robin savait très bien expliquer. Mais lorsque les paroles et exemples laissaient place à l’action… Non, elle devait lui laisser une chance. Elle croyait en lui. Se préparant à répondre à Robin, elle remarqua avec un certain délai les termes employés par Kane. Ces mots ne l’avaient pas choquée au début, mais maintenant que son esprit les analysait… Et bien elle n’aimait pas ce qu’elle entendait.

Les soldats étaient de la chair à canon, cela elle l’acceptait. Cependant, ils restaient des hommes. Les dirigeants ne les voyaient que comme des chiffres mais Olivia avait toujours mis un point d’honneur à se rappeler que chaque vie était aussi unique que la sienne. Et entendre ainsi Robin parler de Garnet comme d’une vulgaire arme la mit mal à l’aise. Elle ne la connaissait pas mais éprouvait une certaine peine.

« Ne parle pas d’elle comme ça s’il te plaît. Les combats font déjà de nous des êtres inhumains… N’en rajoute pas… » Le regard d’Olivia se perdit dans la salle alors qu’elle repensait à son matricule, son numéro d’avion ou le chiffre qu’elle avait été dans la statistique.

« Toi, tu n’es pas une imbécile, c’est certain … Mais moi … »

Olivia se trouva démunie face aux paroles de son ami. Elle venait de lui dire qu’il était tout sauf un imbécile. Ou du moins dans certaines situations. Que pouvait-elle faire de plus ? Elle posa doucement sa tête sur l’épaule voutée de son camarade alors qu’elle commençait à détailler la main qu’elle gardait prisonnière de ses doigts.

« Mais toi rien du tout. » Finit-elle par lâcher, essayant de mettre fin à ce débat. Ne pas être une brute sanguinaire sans morale ne faisait pas de quelqu’un un imbécile, bien au contraire. Et heureusement. Mais dans cette guérilla qui durait et dans laquelle ils étaient embarqués tous les deux,  il était parfois difficile de ne pas l’oublier. Toujours le même problème : jusqu’où chacun était prêt à aller pour vaincre les monstres qui lui barraient le chemin.

« Parfois, je me demande si on devrait avoir des amis que parmi le Blood Circle. »

Les sourcils de la jeune femme se froncèrent. Ainsi donc il y avait bien un problème. Et Robin semblait prendre un détour avant de s’engager dans le vif du sujet. Soit. Elle ne le presserait pas. Pour avoir expérimenté un peu la chose, il était parfois trop compliqué d’aborder des sujets lorsque l’on ne s’en sentait pas prêt.

« Comment ça ? »

« En juin, mon ex-copine me lâchait parce qu’elle n’avait pas su que mon père deviendrait Premier Ministre avant tout le monde. Récemment, j’ai trahi un ami. »

C’est vrai qu’Olivia avait fait le pari de ne se lier d’amitié qu’avec des gens du BC. C’était plus pratique. Certes, elle bavardait régulièrement avec ses collègues du musée mais la plupart baignait dans le monde militaire. Des civils, elle n’en connaissait pour ainsi dire aucun. « Keith », lui souffla une petite voix dans sa tête. Oui il y avait Keith. Mais elle ne pouvait pas dire que leur relation était amicale. Simplement des connaissances. Ainsi, Olivia n’arrivait pas à comprendre la détresse dans laquelle semblait être Robin. Et puis, depuis combien de temps n’avait-elle pas été dans une relation amoureuse qui avait duré plus d’une semaine ? Depuis l’armée au moins. Si Robin cherchait des conseils sur ces sujets-ci, elle n’était définitivement pas la meilleure personne à aller voir. Mais il était son ami, et évidemment qu’elle allait l’aider…. Elle espérait juste ne pas faire empirer les choses.

« Si elle t’a lâché pour ça Robin, elle ne te méritait décidément pas. Et pour ton ami… Je ne sais pas vraiment quoi te dire… Est-ce que tu avais de bonnes raisons de le trahir ? Si oui, je pense qu’il ou elle devrait au moins les entendre. Après tout, si vous êtes véritablement amis, peut-être pourra-t-il, ou elle, les comprendre. »

La loyauté et la confiance étaient fondamentales dans l’armée. Mais le monde n’était jamais simple et parfois, pour les meilleures raisons du monde, on se retrouvait à bafouer une parole ou ignorer un ordre. Cela ne lui était jamais arrivé, elle espérait que cela resterait ainsi, mais elle comprenait la possibilité. « Et ta promesse à Timothy ? » lui souffla de nouveau cette idiote de petite voix. Non, elle l’avait tenue. Les promesses ne durait que jusqu’à la mort non ? Son frère était mort. Le sujet était clos. De penser à cette promesse, celle qu’elle lui avait faite de ne jamais devenir dépendante de quelque substance que ce soit, lui rappela son envie de médicaments. Enfin plutôt les douleurs qu’elle cherchait à soulager. Etonnamment, elle ne voulut pas attraper ses cachets devant Robin. Elle en avait honte. Olivia savait qu’elle faisait quelque chose de répréhensibles mais n’arrivait pas à s’arrêter. Elle tenta d’occuper son esprit pour en oublier cette demande.

« Je sais que moi, je n’ai personne en dehors du BC. C’est pas plus mal on va dire, car on ne connait jamais vraiment les gens… Et avec cette histoire de sorcier, j’aurai toujours peur qu’ils leur arrivent quelque chose ou pire… Que l’un d’entre eux en soit un. »

La tête toujours posée sur l’épaule de Robin, elle frissonna à cette idée.

« Tu n’es pas la première qui dit ça Vivi. Elle … Il ne te mérite pas … C’est toujours la même cho … »

Olivia ne le laissa pas finir alors qu’elle enchainait sur d’autres sujets. Mais cette déclaration, quelque peu directe ne lui échappa pas. Elle l’oubliait souvent mais Robin était aussi un être humain. Il était le fils du premier ministre, beau, intelligent, athlétique, drôle et sérieux. Cependant comme tous ils avaient des failles, un manque de confiance en lui chronique et une envie maladive d’échapper à son destin. Olivia n’était pas sûre qu’il sache qu’elle savait. Il voulait parfois s’enfuir ou du moins quitter sans se retourner la vie que le BC leur avait promise. Elle ne le comprenait que trop bien. Et elle aurait été la première à l’encourager si… Si pour, une raison qu’elle savait absolument égoïste, elle n’avait pas peur de rester seule. Comme elle le lui avait dit ensuite, elle avait d’autres amis dans le Blood Circle, mais comment remplacer une amitié datant de l’enfance ? Elle voulait son bonheur et le voir s’épanouir… Mais elle n’était pas encore prête à ce qu’il le fasse loin d’elle.

« Je prendrais le risque. Cet ami, il me faisait oublier être un membre du Blood Circle. Puis, je pense tellement à un truc … Comme excuses, que dirais-tu d’un repas digne des plus grands rois : potage au brocoli en entrée suivit d’une bavette de bœuf et terminant par un parfait aux fraises en dessert … »

La jeune femme ne put s’empêcher de sourire fasse à la pâle imitation de Robin. Elle ne savait pas vraiment quel accent il avait essayé d’imiter. Italien ? Elle n’avait pas vraiment tout compris mais cela semblait être un joli programme. Avec un menu qui lui semblait particulièrement élégant, il ne pouvait que regagner son amitié perdue. L’hilarité de Robin laissa Olivia encore plus perplexe. Et ces douleurs qui ne la lâchaient pas. Elle tentait de rire, de l’écouter mais une bonne partie de son cerveau n’arrivait plus à suivre, l’informant qu’il ne lui suffisait que d’une pilule pour pouvoir de nouveau reprendre le cours normal de son existence.

« J’ai oublié de te dire qu’il est Français. S’il n’est pas content après cela, je pourrais probablement passer à l’étape ou je le supplie à genoux de me pardonner. »

« Ah… C’était donc ça cet accent… Désolée Robin, tu as beaucoup de qualités mais les accents n’en font pas partie ! Bon courage avec ton Français alors ! Et il a un nom l’heureux élu ? »

La jeune femme rejoignit alors son camarade avec un fou rire qui la prit sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi. De nouveau, elle riait à gorge déployée, deux fois en peu de temps. C’était peut-être ça le superpouvoir de Robin : la faire rire et oublier un peu le monde pour quelques instants. Et c’était exactement pour cela qu’elle ne pouvait pas encore le laisser partir.

Mais alors qu’elle le voyait ainsi rire, manquant presque de tomber, Olivia vit en lui cet air gauche et enfantin. Et elle se maudit de sa propre faiblesse. Bien sûr son appui ne changerait peut-être rien à la situation de Kane… Et si ? Son esprit, à présent de plus en plus embrumé par la douleur de ses articulation repartait à un stade lui aussi enfantin. Non. Olivia avait besoin de Robin et Robin avait besoin d’Olivia. C’était ainsi depuis leur enfance déjà. Son rire s’évapora alors que la mélancolie la guettait de nouveau. Et la douleur reprenait de plus belle.

Se calmant finalement, elle se releva lentement et se dirigea vers son sac. D’un geste bien trop mécanique, elle en sortit rapidement une boite de pilule et en avala une. Ce n’était qu’une temporaire qui était d ‘une taille faible et avalable sans eau. Elle n’avait ainsi pas besoin de faire une marche de la honte jusqu’à côté de Robin pour boire de l’eau. Instantanément son corps se détendit et elle put respirer de nouveau. La douleur commença à reculer, vaincue jusqu’à la prochaine fois. Olivia se releva lentement et fit face au Kane avec un sourire.

« Désolée l’heure de la pilule ! Trucs de filles »  Mentit-elle sur le ton de l’humour.

Malgré elle, une certaine gêne s’installa. Elle détailla quelques instants Robin puis se décida à partir. Elle ne pouvait pas éternellement se cacher dans cette salle de gym, se cacher aux yeux du mondes et de ses problèmes. Et puis elle n’osait pas vraiment rester pour affronter le regard interrogateur du Kane. Récupérant son sac, elle commença à reculer tout en restant face à son ami.

« Allez je dois filer… Le monde n’arrête pas de tourner pas vrai ? »  Un sourire un brin triste s’apposa sur son visage.  « Bon courage pour ton Français et pour Garnet. Ça n’a pas l’air d’encore arriver jusque dans ta tête mais tu es quelqu’un de bien Robin Devin Kane. Et si malgré tout tu galères, ta pote Oli est toujours là pour t’aider ! » Dit-elle avec un ridicule pointage de doigt vers Robin. Les sorties classes n’avaient jamais vraiment été son fort. « A plus tard lord Kane. » Termina-t-elle d’un clin d’œil avant de disparaître dans les couloirs.