Le silence était pesant au plein cœur de la nuit. Le cœur meurtri, tout autant que l'âme, il se sentait à cet instant épuisé. La volonté était une chose puissante, mais celle-ci venait parfois à s'affaiblir et les sentiments, les émotions que l'on tentait de mettre à l'écart, s'invitaient encore bien plus forts, bien plus oppressants, bien plus étouffants. La journée avait été rude, il n'avait guère eu le temps de se poser une seconde pour lui, il avait fait bien plus que le temps exigé lors de sa dernière garde, et il n'avait même pas cherché à prendre son véhicule personnel pour rentrer jusqu'à la demeure familiale. Préférant gagner cette dernière dans un taxi, ce n'était guère le moment de risquer un quelconque accident à cause d'une fatigue bien trop tenace. Pour autant, quand il avait franchi le seuil de la porte, il avait ressenti à nouveaux toutes ces choses négatives en suspend dans le lieu, une certaine forme d'effroi était venue lui glacer le sang, comme une ombre terrifiante qui planait, continuellement, tout autour de lui dès qu'il venait ici. Finalement, c'était peut-être pour cela qu'il passait la majeure partie de son temps à l'hôpital, même si ce n'était pas le milieu le plus facile dans lequel évolué, que la fatigue était toute autant physique que nerveuse, au moins il avait l'impression de faire quelque chose là-bas. Alors qu'ici, la moindre décision, le moindre geste était soumis à la volonté d'un seul homme, qu'il aimait et respectait fondamentalement, mais dont le seul point de désaccord ne cessait de grandir au fur et à mesure des années. Victor ne pouvait ignorer cette colère perpétuelle qu'il semblait lui vouer, incapable de faire un geste vers elle, sans qu'il ne soit empli de violence, de rancœur, d'amertume, de rage et ce, sans possibilité de retour en arrière, comme s'il avait fait une promesse devant l’Éternel d'être toujours ainsi envers elle.

Victor ressentit alors le furieux besoin de la voir, envie d'entendre sa voix, recevoir juste un geste de tendresse de sa part, ou tout simplement, s'assurer qu'elle était toujours là, qu'elle n'était pas partie, qu'elle ne l'avait pas abandonné. Eléanor était devenue une énigme pour lui, son visage lui était familier, sa voix lui était commune, et chaque fois qu'il la voyait, les souvenirs n'en étaient que plus vivaces encore. Et la tristesse revenait ensuite, quand il se souvenait qu'elle l'avait abandonné, qu'elle avait tout abandonné, pour pouvoir sauver Nathan. Avait-elle un instant pensé à lui ? Avait-elle tenté la moindre action pour pouvoir le retrouver, et l'emmener avec elle ? Aurait-il réussi un jour à la revoir, si finalement, son père n'avait pas remis la main sur elle ? Il avait tant espéré, il avait tant prié, quelque soit le ou les Dieux, il avait juste voulu la retrouver, elle était sa plus grande blessure, sa plus grande faiblesse et pourtant, il continuait de l'aimer. Car ce lien entre la mère et le fils était éternel, et rien, ni personne ne pourrait remettre cela en cause. Il fit craquer le bois du parquet, malgré toutes les précautions qu'il prenait pour faire le moins de bruit possible pour la rejoindre. Il avait bien vu la lumière sous la porte du bureau de son père, il veillait ce soir encore et il savait parfaitement, qu'il serait contre une visite aussi tardive. Il avait presque atteint son but, quand il entendit un raclement de gorge dans son dos. Victor se retourne, le visage fermé et plongea son regard dans celui de son père. « Tu rentres tard ... » Il hocha la tête. « La garde a duré plus longtemps que prévu, je m'excuse si je t'ai dérangé. » Son père fit quelques pas dans sa direction, posant une main presque paternelle sur l'épaule de son aîné, ou plutôt à ses yeux, de son fils unique. « Tu devrais aller te coucher, tu sembles épuiser, et demain nous avons réunion avec les Blood Circle. Tu dois être au meilleur de ta forme. » Il ne parlait pas avec méchanceté, mais sa voix restait ferme et elle était surtout sans appel, pas question de visite nocturne à Eléanor ce soir. Il hocha la tête, avec résignation et gagna sa chambre. Il aurait sans doute pu quitter la demeure familiale pour se libérer d'un peu de pression paternelle, mais il avait peur de ce que son père serait capable de faire à la traîtresse qu'il avait épousé, il semblait dans une autre vie.

Cette chambre était son antre, celle qui renfermait tous ses souvenirs, tous ses secrets, toutes ses peines aussi. Il semblait que les souvenirs revenant à avant ses dix ans, devenaient de plus en plus difficiles d'accès, alors qu'il aurait du continuer à profiter de son enfance, il avait vu sa mère disparaître, avec son frère et ne plus jamais revenir. Comment quelqu'un aurait pu penser un instant, que la très noble maison Lancaster, fervente opposante à la cause sorcière en avait mis un au monde. Personne ne s'était douté des capacités dont disposaient le petit garçon, mais malheureusement elles étaient belles et bien présentes, et il n'y avait qu'une solution à cela, il fallait qu'il soit amené jusqu'au Blood Circle et qu'ils prennent le problème à bras le corps pour pouvoir le régler. C'était à l'époque encore une chose confuse dans son esprit, la doctrine familiale était ce qu'elle était, et Victor la suivait, parce que c'était ainsi et parce qu'à dix ans, il n'était pas question de trouver cela étrange. Mais quand la vérité avait éclaté, Eléanor avait pris une autre décision, elle avait fui avec son fils sous le bras, laissant Maxwell, mais surtout Victor derrière elle. Elle avait laissé son aîné avec un homme plein d'amertume et de rancune, plus enragé dans la cause du Blood   Circle avec la défection de son épouse. Comme instrument de sa vengeance, il s'était alors employé à élever son fils, et de faire en sorte qu'il devient un chasseur de sorciers dans les règles de l'art. Rien n'était simple, chaque jour était un combat, parfois physique, parfois psychologique, et même si tout cela était bien souvent difficile, Victor acceptait, car il n'aurait pu accepter que son père à son tour, vienne à le rejeter. Il faisait ce qu'on lui demandait et puis l'absence de plus en plus grande poussa, de toute façon, l'enfant à plus de sévérité, envers lui et envers les autres.

Élève excellent, membre du Blood Circle exemplaire, il gardait dans son esprit l'idée qu'il fallait retrouver sa mère et surtout mettre la main sur ce frère qui lui avait tout pris, et qui en plus était contre nature avec ce qu'il était capable de faire. Pour autant, malgré l'enseignement stricte de Maxwell Lancaster, l'aîné des fils de la famille ne pouvait se résoudre à devenir un meurtrier, il fallait qu'il cherche, qu'il trouve ce qui déclenchait cette anormalité et qu'il puisse l'éradiquer. Il en était capable, il en était certain et c'est donc tout naturellement qu'il prit la décision de commencer des études de médecine, se passionnant pour les différentes possibilités que cela pouvait lui offrir mais aussi pour les connaissances qu'il engrangeait. Il avait l'impression d'être utile, réellement utile et de pouvoir observer quand son père était dans ses meilleures jours, un peu de fierté dans son regard, de reconnaissance envers ce fils qui lui restait, car il n'était pas un homme qui montrait facilement ses sentiments, et encore moins les plus positifs, endurcissant ainsi le jeune Victor de façon implacable. Cependant, après des années de traque, son paternel finit en 2017 par retrouver sa mère. Un succès pour Maxwell qui allait enfin pouvoir obtenir sa vengeance, qui allait pouvoir faire pression sur Nathan et qui ainsi, pouvait garder la main mise sur Victor. Car au final, c'était bien elle, le point commun de tous, ce besoin de cette mère qui lui avait tant manqué et qui était à nouveau à ses côtés, auprès de lui, en tant que prisonnière malheureusement. Et si finalement, le succès de ce père, allait être sa plus grande défaite. Victor n'oubliait rien du départ de sa mère, mais il ne pouvait en aucun cas la faire souffrir. Qu'est-ce qui allait être le plus fort ? La vendetta personnelle du père et l'endoctrinement du Blood Circle ou l'amour pour une mère emprisonnée depuis bien trop de temps ? Les choses étaient en train de changées. Cela était certain.