La journée est longue et particulièrement ennuyeuse. Avec les attaques survenues quelques semaines plus tôt à l'ancienne Université et la défaite plutôt cuisante qu'a essuyé le Blood Circle à ce moment là, un certain nombre d'entre nous ont été suffisamment blessés pour avoir droit à un petit séjour à l'hôpital, puis à une assignation à domicile. Et puisque je me retrouve à faire partie de ces malchanceux, autant dire que je tourne en rond depuis un bon moment et que je commence à trouver le temps bien trop long. Si ce repos forcé m'a permit de retrouver la forme petit à petit, je n'ai néanmoins toujours pas eu l'occasion de remettre les pieds au Quartier Général depuis tout ce temps. Autant dire que ce confinement forcé me fait l'effet d'être enfermé tel un animal en cage. L'attente est interminable.

Il semblerait néanmoins qu'aujourd'hui soit mon jour de chance, puisque j'ai enfin des nouvelles de Angelica et au passage, une excuse pour enfin mettre le nez dehors. Et ça tombe à point nommé d'ailleurs. Autant dire que le fait de me retrouver ainsi coincé chez Ange, avec rien d'autre pour compagnie que cette foutue télé, m'a incité à me tuer la cerveau avec à peu près tout ce que j'avais à disposition, plus encore que d'habitude. Mis à part quelques têtes de beuh qui traînent au fond d'une boîte et les bouteilles d'alcool que je peux acheter à n'importe quel coin de rue, je commence clairement à tomber en pénurie là. Me ravitailler ne me fera pas de mal – enfin, je suppose que tout dépend du point de vue – et ça me permettra de prendre l'air. En plus de ça, je sais qu'il y a de grandes chances pour que celle qui depuis quelques temps déjà est devenue ma fournisseuse officielle, s'attarde en ma compagnie plus que nécessaire. Une sorte de petit rituel qui a fini par se mettre en place au fil de nos rencontres.

Et comme il semblerait qu'une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, me voilà désormais face à une Angelica au sourire malicieux et au visage en partie dissimulé sous son casque, dont l'annonce d'une surprise éveille grandement ma curiosité. Mon regard dubitatif se pose un instant sur sa bécane. Je ne suis pas franchement un habitué des deux roues. A vrai dire, c'est même la première fois que j'ai l'occasion de monter sur un tel engin. Ma témérité naturelle en prendrait presque un coup, si je n'avais pas tant hâte de savoir ce que la demoiselle me réserve. Et si ce n'était pas déjà suffisant, sa réplique suivante aurait certainement fini de me convaincre. « Je dois bien admettre que tu m'intrigues, là ! » Après ce bref moment d'hésitation, j'attrape le casque qu'elle me tend et je l'enfile. Aussitôt que je prends place derrière elle, elle démarre.

La sensation est foncièrement différente que celle d'un trajet en voiture. Dieu sait pourtant que j'aime conduire à toute allure. Je me sens à la fois plus vulnérable et plus libre, ainsi perché sur cette machine. Mais c'est plutôt agréable et passé les premiers instants de surprise, le corps a l'air de se mouvoir assez instinctivement à chaque rotation.  Et quand finalement la conductrice nous amène à destination d'un dernier coup de frein, je suis plutôt satisfait de mon baptême en moto. Un rire franchit mes lèvres et s'étouffe en buée contre la visière au moment où il me semble l'entendre jurer dans une langue que je ne connais pas, bien que j'ai l'impression d'y reconnaître des consonances latines. Je m'empresse alors d'ôter mon casque à mon tour, pour pouvoir m'exprimer. « Je sais pas trop ce que tu baragouines mais en tous cas, la balade était sympa ! » Je fouille dans la poche de ma veste pour en sortir mon portefeuilles, à l'intérieur duquel je récupère quelques billets que je tends à la jeune femme au moment de récupérer mon sachet.

Mes yeux se posent ensuite sur la clé qu'elle tient entre ses doigts. Un sourire amusé fend mon visage à sa remarque. « J'ai hâte de voir ça ! » Je descends avant qu'elle n'enclenche la béquille et se gare. Puis je la suis à l'intérieur après qu'elle ait ouvert la porte du bâtiment. Stupéfait, je jette un coup d’œil circulaire à la pièce. Un sifflement admiratif franchit mes lèvres tandis que je me tourne vers elle. « Et beh, t'es définitivement pleine de ressources ! » Je n'ai pas la moindre idée de la façon dont elle a réussi à se fournir les clés d'un tel endroit mais je m'abstiens néanmoins de poser la question. Si elle et moi nous entendons bien, je préfère néanmoins éviter de fourrer le nez dans ses affaires et de prendre le risque éventuel de le voir se retrouver là où il ne devrait pas.

Je m'aventure un peu au hasard pour observer tout ça de plus prêt. Le matériel est en bon état, le ring aussi d'ailleurs et même la salle en général. Aucun doute sur le fait que le lieu est entretenu et sert régulièrement. Après avoir fait un tour rapide, je m'arrête près d'une table sur laquelle je laisse tomber mon petit paquet. Je me pose sur une chaise et mes mains tâtonnent l'intérieur de mes poches pour trouver de quoi m'atteler aux préparatifs. Tout en commençant à nous concocter à chacun une trace de speed, je reprends alors la parole. « Et si on commençait par se mettre en condition ? » Parce que bon, je me doute bien qui si Angie m'a amené jusqu'ici, ce n'est pas simplement pour me demander mon avis sur la déco. Mais là tout de suite, j'ai vraiment envie d'un petit remontant. Et puis ça nous permettra d'être d'autant plus à fond, sitôt que les premiers effets commenceront à se faire ressentir.

Au moment où Angie hôte sa veste, mon regard oscille entre l’emblème brodé sur sa veste et celui tatoué sur son bras. Ça me rappelle un peu les blasons attitrés aux familles nobles, le genre de coutumes qui, chez les Moldus, s’est un peu perdue avec le temps. À vrai dire, les derniers que j’ai eu l’occasion de voir de près, c’était à l’école, lors de visite au musée ou encore de monuments historiques. Piqué par la curiosité, je fais un signe de tête en direction du bras de la jeune femme. « C’est quoi, ça ? Est-ce que je devrais t’appeler Lady Anjelica ? » Un sourire amusé illumine aussitôt mon visage tandis que je reporte mon attention sur mes préparatifs. Une fois terminé, je m’applique à tendre à Angie une paille confectionnée à la va-vite avec un bout de papier. Mais elle s’est déjà éloignée, visiblement en direction d’un endroit bien précis.

Mon regard accroche sa silhouette lorsqu’elle revient sur ses pas. Un rire franchit mes lèvres alors que je la vois revenir avec des verres et une bouteille. « Je suis très déçu. Venant d’une Lady, je m’attendais plutôt à ce que tu sortes le champagne ! » Humour, bien sûr, puisqu’en réalité, le contenu de la bouteille a aussitôt capté toute mon attention. Le Whisky est de très loin l’alcool que je consomme le plus, au point d’en avoir toujours une flasque sur moi, d’ailleurs. Ce serait donc mentir que de ne pas admettre qu’il s’agit là de mon péché mignon. Je la regarde faire sans rien dire pendant qu’elle nous sert. Puis, je lève mon verre à l’unisson du sien, avant de prendre la parole à mon tour. « Ça me semble être de très bonnes raisons de fêter ça. » D’une traite, je vide mon verre puis je le repose. J’attends qu’Angie ait fait disparaître sa ligne pour ensuite venir sniffer la mienne. Je renifle un coup, puis je me lève et j’enlève aussi ma veste, que je laisse reposer sur le dossier de la chaise sur laquelle je m’étais installé. L’après-midi s’annonce très prometteur, d’autant plus que j’ai attaqué l’apéro assez tôt dans la matinée.

Pendant qu’elle s’attache les cheveux, je vois Anjelica se diriger vers le ring en sautillant. Je lâche un sourire amusé face à sa réaction. Mon regard suit le sien alors qu’elle semble avoir une idée de l’endroit où l’on pourrait trouver des gants. Une grimace de dégoût vient aussitôt déformer ma bouche, à sa proposition. « Désolé, mais j’irais pas glisser mes mains dans les gants de quelqu’un d’autre. » Je vais certainement passer pour une Sainte-Nitouche, mais il est hors de question que j’utilise la paire de je ne sais qui, qui a toutes les chances de refluer la transpiration, en plus de ça. C’est le genre de détail hygiénique qui paraît sans importance aux yeux de la plupart des gens, mais après avoir passé des mois à être traité pire que comme un animal, aux miens c’est presque vital.

Je prends le temps de réfléchir un instant avant de commencer à m’éloigner. « Attends, j’ai une idée. » Je prends la direction des vestiaires, là où le regard de la jeune femme s’est porté un peu plus tôt. En arrivant dans la pièce, je profite d’être seul pour retirer mon pull ainsi que mon tee-shirt et ne remettre que le vêtement à manches longues. Je vais crever de chaud là-dedans, mais tant pis, il est hors de question que je ressorte d’ici tout suintant et sans avoir de quoi me changer. Et puisque je ne supporte déjà pas moi-même d’avoir en visuel toutes les brûlures et les cicatrices qui me recouvrent le corps, je refuse de me pointer sur le ring en étant vêtu d’un simple tee-shirt. Alors comme ça, ça fera parfaitement l’affaire.

Une fois apprêté, je reporte mon attention sur la raison première qui m’a attiré ici. Mes yeux balayent les murs à la circulaire jusqu’à s’arrêter sur l’armoire à pharmacie. « Bingo. » En même temps, ce n’était pas bien difficile, ce genre d’endroit a l’obligation d’en posséder une. Et puis, vu le manque de solidité du métal, ce sera beaucoup plus simple à forcer qu’un casier. Je m’approche et je tente quand même de l’ouvrir avant d’essayer de la casser. Un sourire de satisfaction se forme sur mes lèvres quand je m’aperçois que ce n’est pas verrouillé. Je suppose que c’est logique, les propriétaires des lieux ont sûrement cherché à s’assurer que le contenu de la pharmacie soit accessible à tout le monde, en cas de besoin. Je jette un coup d’œil à l’intérieur pour constater que ce que je cherche s’y trouve bel et bien. Mes mains se referment alors sur deux rouleaux de bandage enfermés dans du plastique et une petite paire de ciseaux.

En faisant demi-tour, j’en profite pour aller déposer mon tee-shirt sur ma veste et je rejoins ensuite Anjelica. Je passe entre les cordes avant de m’asseoir à même le sol et tendre un des rouleaux de bande à la jeune femme. « Ça amortira sans doute pas les coups, mais au moins ça nous évitera de nous blesser. » Les effets de la poudre ne devraient plus tarder à se faire ressentir. Je m’entends déjà parler plus précipitamment et de façon moins articulée. Le timbre de ma voix s’emballe et se fait plus fébrile. La sensation familière de la goutte qui descend le long de la gorge s’est presque estompée et mes dents commencent à se serrer entre elles par mimétisme.

Avec des gestes précipités, je défais le rouleau et je commence à me bander la main gauche. Après avoir estimé en avoir fait suffisamment le tour, je coupe la bandelette d’un coup de ciseaux. Puis je redresse la tête en direction d’Angie pour attirer son attention. « Tu m’aides ? » Je me saisis des deux extrémités de la bande pour lui faire comprendre de les nouer au niveau de la paume. Je réitère l’action avec mon autre main avant d’aider ma future adversaire à en faire de même. Alors seulement, je me relève et je me mets en position, mon pied d’appui en arrière et les deux poings en garde. « Prête ? » J’ai hâte de voir ce que ça va donner. J’ai beau m’entrainer régulièrement au QG depuis plus d’un an désormais, je suis toujours loin d’être brillant au combat au corps à corps. Je ne sais pas ce que vaut Anjelica mais si elle s’y connait un minimum, je risque de rapidement me retrouver au tapis. Je vais certainement passer pour un con mais après tout c'est bien connu, le ridicule ne tue pas. Et puis qui sait ? Avec un peu de chance, ça me permettra de m'améliorer et peut-être même de me perfectionner. Si nos petites séances ont l'occasion de se répéter, bien sûr.