Raph travaillait sur son ordinateur. Les cours avaient repris depuis peu et il n’avait pas eu trop l’occasion d’avancer sur le montage de l’Epouvanteuse. L’été a été plutôt chargé, aussi bien en événements qu’en émotions, et il n’avait pas eu l’occasion de regarder le rendu du premier tournage avec Nymphéa. Il pouvait se rendre compte à quel point il était un piètre acteur, mais finalement, c’était moins catastrophique que ce qu’il avait pu penser sur le coup. Il regarda l’heure en soupira. Il n’était pas si tard mais il n’avait quasiment pas avancé et… Il avait encore tellement à faire. C’est sûr qu’il ne pourrait pas finir ce soir, même en veillant tard.

Il fut tenté de faire une pause pour jouer un peu mais il savait que s’il succombait à la tentation, c’était fichu pour bosser ce soir. Il soupira à nouveau : c’était difficile d’être sérieux dans ses études… Non. Ce projet était devenu bien plus important qu’un simple projet d’études, même si à la base c’était le cas. La motivation de Nymphéa sur ce tournage était contagieuse. A la base Raph s’en fichait un peu de ce scénario, c’était surtout pour s’entraîner à faire du montage, l’histoire initiale en elle même était plutôt bancale. Avec du recul, il avait envie de rendre le synopsis plus réaliste, plus sérieux. Eurydice, l’apprentie épouvanteuse, était destinée à affronter les forces obscures. Parmi elles se trouvaient des sorcières sanguinaires, mais dans sa quête pour renoncer à ses pouvoirs, elle va croiser la route de sorcières qui ne sont pas néfastes. Elles utilisent la “magie blanche” pour aider les autres, et craignent les épouvanteuses qui les persécutent depuis la nuit des temps.

Ainsi, les épouvanteuses traquaient les sorcières sans distinctions. Craignant les sorcières sanguinaires qui massacrent les mortels, elles neutralisaient donc également celles qui leur venaient en aide. Raphaël aimait bien cette nouvelle tournure de son scénario. C’était Nymphéa qui lui avait donné l’idée initiale, mais il l’a concrétisée avec ce qu’il a vécu cet été. Sa discussion avec la gérante du Witches Bazaar, ce qu’il a vu le jour où il est rentré chez ses parents ainsi que sa discussion avec Leah et Deirdre au London Bar. Sans oublier tout ce qu’on peut assister au quotidien : les informations, les discussions dans les transports ou même dans les jeux en lignes : “Sale Sorcier” est devenu la nouvelle insulte du moment. Le pire, c’est que l’utiliser n’est même pas un motif de sanction pour racisme par rapport à d’autres termes, la personne est simplement sanctionné pour insultes. Quelle différences ? Raph est peut être l’une des rares personnes à avoir compris une nuance : Les sorciers ne sont pas considérés comme étant de les même espèce que les non sorciers. Utiliser le terme “sale sorcier” reviendrait donc à traiter quelqu’un de “sale animal” et les sanctions ne sont pas bien lourdes. Tandis que l’utilisation d'insultes à bases d’origines ethniques ou religieuses sont lourdement sanctionnées. Mais bon, au final rien d’étonnant à cela vu que le gouvernement lui même condamnait le fait d’être sorcier…

Raph était fier de ce qu’il entreprenait, il était convaincu qu’il agissait bien. Il comprenait que les sorciers étaient actuellement persécutés. Bien entendu il savait que tous les sorciers n’étaient pas des gentils êtres sans défenses. Après tout, il était présent à la fête foraine lors des événements qui ont changé la face du monde. Mais il savait que les sorciers étaient… comme des personnages de comics. Ils ont des super-pouvoirs, certains sont des super vilains, d’autres sont des super héros et enfin il y avait ceux qui essayaient de vivre une vie ordinaire. Il ne faut pas mettre tous les sorciers dans le même panier, comme dans le tournage de l’épouvanteuse : les sorcières ne sont pas toutes des sorcières sanguinaires. Raphaël s’étira en baillant : c’était bien beau de gamberger sur les raisons du pourquoi du comment le scénario serait comme ça, mais il n’avançait pas du tout sur le montage là ! Il posa à nouveau son casque sur les oreilles pour écouter les dialogues.

“- Oui. Je … Je suis désolée père. Je connais mes responsabilités, c’est un honneur même, mais ... je …”

A la fin de la réplique de Nymphéa, Raphaël entendit quelqu’un dire “Wahou” derrière lui. Pensant que c’était un son parasite de l’enregistrement, il repassa la scène pour la couper au montage. Il fut surpris de ne plus l’entendre. Il devait être fatigué mais il était encore trop tôt pour se coucher. Il posa son casque et se leva pour aller se chercher un soda dans la cuisine, histoire que le sucre puisse le maintenir suffisamment concentré pour avancer sur son travail. En se retournant il vit une inconnue se tenir immobile devant la porte, à le fixer bizarrement. Le geek sursauta en criant. Peu de temps après quelqu’un cogna à sa porte.

«Raph, fais moins de bruits quand tu joues y’en a qui bossent demain.

- Oui pardon Art »

La porte de Raphaël était verrouillée de l’intérieur et l’ordi de ce dernier faisait face à la fenêtre. Il n’avait pas besoin de plus d’informations pour savoir ce qu’était cette fille mais… Était t’elle une sorcière sanguinaire, ou une sorcière blanche ? En toute logique si elle lui avait voulu du mal, il serait déjà mort depuis longtemps. Cependant, elle ne bougeait pas, elle l’observait complètement figée. Elle était terrifiée ? Si c’était le cas, elle pourrait lui attirer des ennuis. Il leva les mains en l’air pour montrer qu’il n’était pas armé et s’exprima à voix basse.

«Salut, je m’appelle Raphaël. Je ne vais rien te faire. Qui es-tu et que fais-tu dans ma chambre ?»

Il partit du principe que commencer directement par le tutoiement était une bonne manière de briser la glace et de prouver qu’il n’était pas hostile. Il espérait que ça n’ait pas l’effet inverse. Certaines personnes se vexent facilement quand on les tutoie… En tout cas, Raphaël n'avait pas du tout l'intention de vexer quelqu'un qui avait le pouvoir de le réduire en silence à tout jamais.