"All in the waning light she stood,
 The star of perfect womanhood."
—Three Sunsets, Lewis Carroll

On m’a souvent dit que j’étais difficile à cerner, que j’ai cet air de mystère qui brouille ma personnalité. Les gens me regardent et voient mes pommettes saillantes comme des lames de couteaux, mes longs cheveux noirs de jais, mes vêtements sombres et leur premier instinct est de se méfier de moi. Un bon réflexe à avoir connaissant les cercles auxquels je me mêle, mais leur garde baisse aussitôt qu’ils voient le sourire serein qui étire mes lèvres, les berçant dans un faux sentiment de sécurité. En effet, il ne suffit que de passer un court instant avec moi pour vous rendre compte que je suis une personne avec un caractère plus qu’agréable, ce qui va en contradiction avec mon apparence sinistre. De plus, mon air mystérieux est aussi précisément ce qui attire les gens vers moi. Un drôle de paradoxe, je vous l’avoue. On m’a souvent dit que j’avais un regard ensorceleur. D’un seul regard, je peux inspirer à la fois la curiosité et la peur, le désir et le méfie. C’est un effet que je trouve particulièrement amusant, si je suis parfaitement honnête avec vous, et c’est un outil qui m’a servi plus d’une fois dans ma vie.

Je ne m’énerve que très peu, certains ont même été jusqu’à dire que je suis d’un calme olympien, ce qui est franchement très pratique lorsque l’on enseigne à des jeunes qui ne sont pas dotés d’autant de patience. Mais si j’ai l’air accueillante et douce de l’extérieur, c’est entre autres pour mieux cacher le jeu que je joue au quotidien. Mon nom de famille à lui seul est assez pour semer la peur dans ceux qui l’entendent, donc pour maintenir l’illusion que je ne suis pas les pas de mes prédécesseurs, il faut que je sois convaincante dans mon rôle. Pas que mon rôle de « gentille professeure » est particulièrement difficile à jouer. J’ose dire que, même sans le besoin de me masquer, je ne suis pas comme beaucoup de mes confrères. Mon père m’a souvent dit que je retenais beaucoup de la douceur de ma mère, mais il m’a souvent reproché un manque de conviction pour cette raison. Où beaucoup de mes collègues agissent avec impunité, moi en revanche, je reste quelqu’un de profondément empathique. Cependant, il ne faut surtout pas faire l’erreur d’assumer que je suis incapable de faire abstraction de cette empathie. Comme toute bonne Serpentard, je suis animé par cette soif d’être la meilleure dans toute ce que j’entreprends. Mon père m’a souvent répété que mon ambition était sans doute mon meilleur atout. En effet, c’était un atout bien pratique… pour lui.

Néanmoins, mon jeu de mascarade m’a rendu quelque peu secrète comme personne. Le moindre faux pas pourrait résulter en mon emprisonnement… ou pire. C’est sans doute pour cette raison que je suis devenue adepte à cacher mes véritables sentiments. En effet, je me laisse que très peu d’occasions pour extérioriser mes émotions, ce qui, à la longue, peut te ronger de l’intérieur… Autrefois, quand ma mère était toujours en vie, je me sentais plus libre de montrer ce que je portais dans mon cœur, mais depuis que mon père a pris les rênes de ma vie, cette liberté a été remplacée par cet omniprésent sentiment d’être prisonnière de ma destinée… ou plutôt, celle que mon père a prévu pour moi.

Très jeune, on m’a inculqué la valeur de la famille, et à ce jour, cela reste la valeur que je soutiens le plus au quotidien. Tout ce que je fais, je le fais pour ma famille, pour mon père. Suite à la mort de ma mère, nous nous sommes retrouvés seuls dans notre famille immédiate, et la responsabilité est tombée sur mes épaules. Ce sont des responsabilités que j’accepte pleinement, puisqu’il ne me reste plus que mon père comme être cher à mes côtés. Nous sommes tous ce que l’on a mutuellement. Je suis également très fière de ma famille, de tout ce qu’elle a pu accomplir, le bon comme le mauvais. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut faire partie d’une famille aussi redoutée que celle des Lestrange, et même si je n’appuie pas tous les points qu’ils défendent, je la défendrai jusqu’au dernier souffle.

"By loving you, I have hurt myself
It is the way this tale unfurls."
—I must unlove you, Segovia Amil

« Evannah! » La voix tonitruante de Bishop Lestrange résonnait dans l’entièreté de la demeure familiale. Ses paroles traversèrent les murs du manoir tel un fantôme enragé à la recherche de sa proie. Quelques instants après, on entendit les pas pressés d’une petite fille descendant les escaliers. Elle manqua de trébucher plusieurs fois avant de se retrouver devant la tête de la famille. Dans sa petite robe bleu pâle, elle fixa son paternel d’un air piteux. « Oui, père? » lui dit-elle d’une voix tremblante. Elle savait pourquoi son père l’avait appelé, mais elle ne voulait pas provoquer sa colère davantage en essayant de s’expliquer prématurément. « La mère d’Oliver est dans le salon présentement. Elle me dit que tu aurais transformé son fils en… en crapaud de toute chose… » Bishop pousse un long soupire en se pinçant l’arrête du nez. Le cliché était juste trop pour lui. « M-Mais papa!... » « Pas de "Mais papa!" Tu réalises ce que tu as provoqué, gamine?! Amène-moi le garçon à cet instant, jeune fille! » La petite Evannah couina et monta à l’étage chercher le petit amphibien qui était en fait le fils de leur voisine. « Remets-le à sa forme originelle. » gronde le paternel en croisant les bras. La jeune fille déposa l’animal au sol, puis avec un geste de la main, elle murmure une incantation et pouf! Voila le crapaud devenu un cochon. Les yeux furieux de Bishop se posent à nouveau sur sa progéniture. Il lui livre une claque inoffensive derrière la tête de sa fille. « Aïe! Mais papa tu m’as dit que le retourner à sa forme originelle! » On entend alors le rire cristallin de Milena, épouse de Bishop et mère à la petite Evannah. « Bishop, chéri... Pas besoin d’être aussi dur avec elle. Ne me dit pas que tu n’as jamais fait quelque chose de semblable dans ta jeunesse. » Le paternel prend un air complètement offusqué. « Pardon? Moi, Bishop Lestrange, n’aurait jamais-...! » Milena balaye ses paroles d’un signe de la main. « Allons mon chéri, pas besoin de te fâcher de la sorte pour un rien. Evannah, je crois que la mère d’Oliver voudrait ravoir son petit garçon. Alors, si tu pouvais bien… » La petite fille hoche de la tête et prononce une seconde incantation qui retourna Oliver à sa forme humaine. Le garçon, complètement hystérique, se met à crier et à pointer Evannah du doigt. « SORCIÈRE! SORCIÈÈÈRE! » Avant que le garcon ne puisse se sauver, Milena lui attrape doucement le bras et s’accroupit à côté de lui pour le fixer dans les yeux. « Allons, mon petit, ne t’énerve pas comme ça. Viens, tout va bien aller. » Le garçon plongea ses yeux dans les prunelles bleu clair de la matriarche de la maisonnée, comme s’il était attiré vers ces derniers. Au bout d’un moment, il tomba inconscient dans les bras de la mère d’Evannah. « Voilà, c’est ça. Au dodo... » Elle se tourna vers Bishop et lui tendit le petit Oliver. « Chéri, voudrais-tu t’occuper du garçon pendant que je vais endormir sa mère? Merci chéri, tu es un ange! » Bishop monta l’escalier central avec le garçon dans  ses bras. Avant de disparaître à l’étage supérieur, il jeta un regard sévère vers sa fille, qui pencha les épaules et fixa le sol, honteuse.