Aucun doute, l’été se terminait bel et bien. Et si on en doutait, la météo capricieuse du jour était là pour le rappeler. Siobhan sortit du taxi qu’elle avait pris de chez elle jusqu’au quartier d’Hammersmith où elle avait rendez-vous. Il lui avait été très facile d’obtenir son autorisation pour se rendre dans le monde moldu. Etant née-moldue, elle passait sans problème d’un monde à l’autre et ne risquait donc pas de se mettre en danger par un manque de connaissances de la culture moldue. Elle avait opté pour une robe tailleur bleue et une paire d’escarpins dans les mêmes tons. D’après une collègue de Sorcière Hebdo, cette tenue faisait plus professionnelle pour le genre d’entretien auquel elle se rendait. Un entretien ? Oui l’Irlandaise avait fini d’adapter son conte pour le monde moldu et comptait bien tenter de le soumettre à un éditeur Londonien. Bien sûr ce n’était qu’un conte pour enfants et elle ne faisait pas cette démarche ni pour être connue, ni pour l’argent. Elle espérait juste délivrer un message d’espoir aux jeunes générations et pour cette raison, selon l’opinion de l’éditeur sur le climat politique actuel, il se pouvait que son manuscrit soit refusé.

Tant pis, elle se consolerait avec une session shopping. Le regard de la rouquine accrocha les vitrines du centre commercial avec envie. Oui bon, il y avait fort à parier que refus ou accord, la journée se finirait forcément dans une cabine d’essayage à hésiter pendant trente minutes entre deux tenues avant de finalement décider de prendre les deux. En attendant, il continuait de pleuvoir et si l’Irlandaise ne voulait pas finir avec l’apparence d’un balai serpillière et un manuscrit détrempé, il lui fallait ouvrir son parapluie. Son fidèle parapluie rose fushia ayant rendu l’âme lors de l’attaque de la fête foraine, elle s’était résolue à le remplacer par un exemplaire en plastique transparent qu’elle avait repéré dans une comédie romantique. Problème, celui-ci se montrait de temps à autre capricieux à l’ouverture, comme aujourd’hui par exemple. Manuscrit sous le bras, sac à l’épaule, Siobhan se retrouva bientôt au milieu des passants à se battre contre le mécanisme coincé de ce maudit parapluie. Elle s’énerva, s’agita, recula d’un pas et BAM… percuta quelqu’un. Sous le choc, une partie des pages de son manuscrit s’échappa et tomba sur le bitume détrempé. La jeune femme reprit son équilibre sur ses talons tout en constatant les dégâts de cet accrochage. Ha et visiblement l’individu qu’elle avait percuté n’était pas de bonne humeur.

- Je suis désolée, répondit-elle mortifiée, je… C’est ce parapluie qui refusait de s’ouvrir et…

Et maintenant pour éviter le style chien mouillé, c’était fichu. L’Irlandaise sentait bien que sa chevelure était bel et bien trempée, quant à son ouvrage… Elle regarda un peu déconfite la page que lui tendait l’homme. C’était une des illustrations du conte dont les couleurs s’étaient mélangées pour ne désormais ressembler qu’à un croquis d’art abstrait ou plus concrètement à un gribouillage d’enfant.

- Oui… enfin, c’était…

Elle n’avait clairement pas pensé à rendre imperméable son manuscrit pour éviter ce genre d’accident, et dans un sens c’était sans doute mieux. Des pages tombées dans l’eau en plein milieu des moldus et qui en ressortaient en parfait état auraient de quoi la rendre suspecte. Elle regarda les propres documents noyés de l’homme et se mordit la lèvre.

- Je suis vraiment navrée, il y a quelque chose que je peux faire pour ça ? Demanda-t-elle en désignant les papiers dont l’encre avait coulé.

Mais pourquoi est-ce qu’il la fixait comme ça ? Son brushing fichu peut-être. C’était si désastreux que ça ? Pourvu que ce ne soit pas une histoire de bout de salade coincé entre les dents. Quoique non impossible, elle n’avait pas mangé de salade avant d’arriver jusqu’ici. Mais alors quoi ? Une tâche sur sa robe ? Siobhan baissa la tête sur le tissu bleu plutôt mouillé que tâché et dirigea de nouveau son regard sur l’homme qui s’excusait cette fois. Oh bah dis donc, l’Irlandaise était perplexe de ce revirement de situation. Sauver quoi son document ? Ha oui là c’est sûr, c’était un peu foutu. Son manuscrit ? Pareil, à part faire du papier mâché, il n’y avait plus grand-chose à en tirer. Elle rit en l’entendant parler des parapluies.

- Oui très, c’est une arme insoupçonnée ! Enfin j’aurais préféré qu’il remplisse sa fonction initiale… Je m’obstine à le garder, mais pour la sécurité de tous, je ferais mieux d’en changer.

C’est dommage. Il était joli, mais comme il ne protégeait de la pluie qu’une fois sur trois, il valait mieux se faire une raison. Et là c’était le pompon. Plus de manuscrit, plus de brushing, vêtements trempés… Il ne manquait plus qu’elle attrape un bon rhume et elle aurait le nez de Rudolph le renne pour la rentrée. Se mettre au sec oui… Et arrêter de rester plantés au milieu du trottoir où les passants pressés de gagner un abri faisaient de grands écarts au dernier moment pour les éviter, encore une fois oui.

- Bonne idée ! je vous suis.

Elle le rejoignit à l’abri, à proximité d’une enseigne de prêts-à-porter féminins qu’elle aimait fréquenter quand elle ne trouvait pas son bonheur sur le chemin de Traverse. Encore un avantage d’appartenir à deux cultures, le choix était multiplié par deux. Siobhan récupéra son propre téléphone portable dans son sac pour jeter un œil elle aussi à l’heure.

- Hum pareil pour moi, je n’y serais jamais à temps. Et de toute façon, sans mon manuscrit ça n’a pas d’intérêt. Je vais envoyer un petit mail à mon éditeur pour lui expliquer la situation et lui demander de reporter le rendez-vous.

La rouquine commença à taper son message et entendit la proposition de l’homme. Elle eut à nouveau un petit rire, tout en se retenant de dire qu’elle avait justement un sèche-cheveux dans son sac. Déjà parce qu’il se demanderait comment elle faisait pour le faire rentrer dans son sac et ensuite parce que ce n’était franchement pas commun de se balader avec ce genre d’appareil dans son sac à main. Ses amis en revanche ne s’étonnaient plus de la voir sortir ce genre de choses de son sac ou de l’entendre dire un « on ne sait jamais, ça peut servir ».

- Si vous voulez ! Vous n’aviez pas gardé une copie de vos documents quelque part ? Si non, j’espère qu’ils n’étaient pas trop trop importants. Auquel cas, je serais deux fois plus mortifiée de vous avoir percuté.

De son côté, elle avait encore un exemplaire imprimé chez elle et même une copie informatique, puisqu’elle l’avait envoyée à Deirdre pour avoir son avis. Sauf que tout le monde ne pensait pas forcément aux imprévus.

- Si vous cherchez vraiment un sèche-cheveux, je sais où trouver la bonne boutique ! Je connais bien ce centre commercial ! Oh au fait je suis Siobhan, finit-elle par se présenter.

Ce n’est pas parce que leur rencontre avait été quelque peu percutante, qu’ils devaient zapper les présentations.