* les pasages de dialogue soulignés sont en Fourchelang

Décidément, elle n'allait pas s'en sortir... Dépassée par la charge de travail et les affaires qui s'accumulaient ces derniers jours, Rose n'était pas parvenue à conclure son travail dans les temps qu'elle s'était imposé. Depuis les derniers événements à la fête foraine, la brigade et les aurors n'avaient plus beaucoup de temps pour eux. Entre ces terroristes moldus et les mangemorts, les patrouilles dans les rues et les rapports à rendre, les moments de détente se faisaient rares.
La sorcière lança un regard mauvais à l'heure, qui lui annonça sournoisement son retard futur. Oui, pour une fois qu'elle avait rendez-vous avec quelqu'un, elle allait bien finir par ne pas arriver à temps.
Le professeur Erebos Asclépiades lui avait proposé de se revoir pour pouvoir reparler, certainement de quelques affaires, dans un cadre un peu moins formel. Cette demande, qui émanait tout de même d'un membre important de l'administration de l'université, l'avait tout d'abord surprise. Puis, à tête un peu plus reposée, elle s'était mise à songer qu'il avait peut-être des nouvelles quant à l'infiltration des Mangemorts au sein de l'institution. Ils avaient beau avoir attrapé ensemble l'un de ses membres, il n'était pas dit qu'en coupant une tête ils ne réveilleraient pas une hydre.
Par mesure de précaution et soucis de professionnalisme, Rose avait donc accepté son invitation. Et le décevoir en le faisant attendre était tout sauf ce qu'elle souhaitait. Ce serait vraiment mal venu de sa part de se ramener en retard par rapport à l'horaire annoncé... et pourtant elle ne pouvait décemment pas laisser ces dossiers sur son bureau. Soupirant de déception, Rose reposa sa plume en se massant la tempe de l'autre main :
- Pardonne-moi Sean... on m'attend et je dois vraiment partir. Ça te dérangerait de finir cette affaire pour moi ?
Son partenaire releva les yeux, arquant un sourcil intrigué, puis replongea dans ses propres papiers. Serait-ce un sourire en coin ? Elle pourrait tout aussi bien l'avoir rêvé. Toujours est-il qu'il acquiesça, à sa façon, par un simple mais amical :
- On n'a qu'à dire que tu me revaudras ça.
C'était certain.

Après être passée rapidement à son appartement pour se changer, Rose finit par transplaner à proximité du lieu de rendez-vous. Elle ne souhaitait pas être trop près et s'était contentée d'apparaître dans un coin un peu discret. Ne savait-on jamais, elle préférait redoubler de prudence par les temps qui courrais, plutôt que de faire étalage de confiance mal placée.
Pas spécialement pomponnée pour l'occasion, l'auror avait malgré tout tenté de faire des efforts de tenue. Classe et professionnelle. Point de robe ou jupe, ses jambes étaient recouvertes d'un pantalon droit et noir, de même qu'une partie de ses bottines en cuir dont les talons claquaient au sol. Un chemisier sombre se glissait sous un perfecto noir bien plus banal. Les cheveux relevés, elle n'avait pas pris le temps de se maquiller, craintive que cela ne finisse par la mettre définitivement en retard. Par chance, ses pas l'amenèrent finalement bien vite devant le bâtiment, pile à l'heure. En s'avançant, elle put s’apercevoir que le professeur arrivait lui aussi à l'instant. Il était moins une !

Apaisée après cette folle course contre la montre, Rose s'apprêta à saluer le jeune homme, tendant sa main pour échanger une empoignade cordiale. Quelle ne fut pas sa surprise de le voir la lui saisir du bout des doigts, pour la porter à ses lèvres et lui adresser un baisemain. L'auror s'efforça au plus vite à reprendre contenance. Cela devait être un quiproquo. Plutôt au fait des coutumes des sangs-pur, peut-être avait-il cru, à tort bien sûr, qu'elle lui réclamait sa fidélité, comme le voulait l'étiquette galante. Pourtant Rose n'avait nullement cette intention. Ni cette arrogance.
Et tout à coup, plus de "mademoiselle Cartwright" non plus. Bien qu'Erebos soit toujours aussi courtois, ce raccourci, ajouté au baisemain, fit doucement tiquer la jeune femme. Non... Elle devait se faire des idées. Ils étaient tous deux des adultes responsables, Rose avait même lu dans son dossier qu'il était marié, ils n'étaient là que pour parler entre professionnels. Rien de plus.

L'auror lui adressa un agréable sourire pour répondre à son salut, avant d'ajouter tout en retirant sa main :
- Bonsoir Monsieur Erebos. C'était assez simple, effectivement. Je vous remercie par ailleurs pour cette invitation.
Certes elle se donna le loisir d'user de son prénom, afin surtout de le suivre dans sa démarche, mais elle ne laissait pas tomber la civilité du jeune homme pour autant. Malgré ce qu'ils avaient pu vivre tous deux, ils n'étaient que deux vagues connaissances. Loin d'elle l'idée de faire tomber tous les murs de la politesse délicate.

La porte à peine poussée, Rose s'engouffra à l'intérieur de l'établissement pour ne pas faire patienter le professeur plus que de raison. La sorcière fit quelques pas avant de s'arrêter, quelques mètres après l'entrée, afin de l'attendre, mais aussi de rester dans l'espace d'attente. Elle put à peine savourer la décoration chic et sophistiquée du restaurant, un serveur tout de noir et blanc et tiré à quatre épingles venant presque aussitôt les accueillir :
- Bien le bonsoir Madame, Monsieur. Aviez-vous une réservation ?
Le regard de Rose remonta vers son compagnon de soirée. Il avait sans doute fait les démarches nécessaires, et si tel était le cas il valait mieux qu'il soit celui qui s'annonce. La galanterie... Étrangement, cela rappela à elle de très lointains souvenirs. Voilà bien longtemps qu'elle ne s'était pas retrouvée dans une situation de ce genre. L'indépendance.
C'est également à cet instant, grâce à la lumière chaleureuse du lieu, qu'elle put apercevoir plus en détails l'apparence du professeur. Bien loin de l'image du directeur de maison qu'elle avait encore en tête. Oh certes, ce n'était pas la tenue qu'il portait qui lui tira une interrogation, bien qu'elle soit plus commune que ce qu'elle avait pressentie. Non c'est tout simplement qu'elle ne s'était pas attendue à le voir maquiller. Ou du moins certainement pas autant. Cette découverte imprévisible lui tira un sourire amusé. Ce jeune homme s'était apprêté de façon si opposée à son rôle au sein de son école que Rose se demanda s'il n'y avait pas d'autres surprises hors normes avec lui. Cela s'avérait... intéressant.

A peine le serveur leur avait-il demandé leurs réservations, qu'Erebos lui donna son nom. Tout semblait, effectivement, bien réglé puisque le salarié acquiesça et les invita à le suivre à travers la salle.
Quelques parfums flottaient dans l'air, notamment lorsqu'ils passèrent non loin des portes battantes de la cuisine. Un autre serveur passa près d'eux, transportant des plats aux flagrances exquises. La curiosité l'aurait sans doute poussé à jeter un œil aux assiettes, mais elle se retint et resta dans les pas d'Erebos et de leur guide.

Il ne fallut que quelques dizaines de mètres à parcourir pour que ce dernier s'arrête, un sourire fin aux lèvres, avant de leur indiquer une table pour deux, décorée avec simplicité, en leur déposant deux menus. Rose suivit l'exemple du professeur et retira son perfecto, le déposant avec soin sur le dos de sa chaise, avant de prendre place. Comme une grande. A vrai dire, elle était même plutôt satisfaite que le directeur de Serpentard n'ait pas cherché à lui tenir sa chaise. Certes, ça aurait été en accord avec les étiquettes, mais bien trop pour elle. Qu'importe son rang de sang-pur, elle n'était pas en sucre. Elle prenait donc avec plaisir le fait qu'Erebos n'en fasse pas trop. Certes ses attentions étaient touchantes, mais elle n'aurait pas su trop comment réagir s'il avait choisi de se conformer à toutes les multiples règles d'usage, qui étaient à ses yeux pour la plupart totalement hors d'époque.

Le duo avait été placé dans un coin pour le moins tranquille, où ils pourraient discuter en toute intimité. Cela l’arrangeait de ne pas être près des fenêtres, ni trop mêlée aux autres tables, surtout vis-à-vis de leur condition de sorciers et aux vues des derniers événements. Une très légère musique d'ambiance s'élevait dans le fond, à la fois agréable à l'oreille, et perturbante car dans cette langue française qu'elle ne comprenait pas. Non, vraiment, ce petit coin était tout ce qui leur fallait pour l'occasion.

Lorsqu'elle fut face au professeur, elle put s’apercevoir qu'il ne la quittait pas vraiment des yeux. Est-ce qu'il attendait quelque chose de sa part ? Peut-être devait-elle entamer la conversation pour faire bonne figure. Mais à propos de quoi exactement ? Elle ignorait encore la raison exacte de cette invitation, alors elle espérait qu'il lui en dirait un peu plus. Mais ce léger flottement fut bien vite empli par les paroles douces de son compagnon. Lorsqu'il s'adressa à elle pourtant, ce fut principalement pour parler du restaurant :
- Pour être honnête, fit-elle avec un sourire aussi amusé que nostalgique, je connais davantage la cuisine italienne que française. Mais il paraît que c'est délicieux.
Rose se mit à suivre le mouvement et ouvrit le menu, le parcourant du regard, en espérant reconnaître quelques noms. Par chance, Luca avait vécu un moment en France et lui avait déjà un peu parlé de la gastronomie de ce pays dont l'art culinaire n'était plus à défendre. Quelques appellations éveillèrent alors en elle quelques souvenirs fugaces, mais rien de concret. Est-ce que Luca avait adoré ses plats ou, bien au contraire, les avait-il critiqué ? Difficile de se rappeler de ce genre de détails. C'est à cet instant qu'elle se rendit compte qu'elle n'en menait vraiment pas large.
Le professeur profita de cet instant pour tenter un peu plus de familiarité. Le faisait-il exprès ? Bien évidemment... Ce n'était pas n'importe qui : un sang-pur et un membre important de l'université de Poudlard. Il devait être bien conscient de ses manières. Dans ce genre de famille et de milieu on prend grand soin de ses cartes et de la manière dont on les dispose. Ca aurait été le sous-estimer de penser que cela lui avait simplement échappé. En lui laissant la main, Rose lui permettait d'établir les règles sur lesquels ils allaient danser pour le restant de la soirée. Étrangement, et contrairement à ce qu'elle aurait cru, cette sensation lui rappela en bien sa propre famille. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait été dans ce genre de situation, et cela éveillait en elle un côté aussi intrigué qu'amusé.

L'auror se permit de lire encore quelques petits instants le menu, avant de relever les yeux vers son confrère :
- Je pense y aller plus à la chance. Si la cuisine française est si bonne, on ne devrait pas pouvoir se tromper.
Puis se tournant vers le serveur :
- Si je devais choisir entre "cassulay" et "boyabesse", que penserez-vous me conseiller ?
Elle avait définitivement jeté son dévolu sur des noms qu'elle ne connaissait absolument pas.
- Êtes-vous plutôt poisson ou viande ?
- Plutôt viande.
- Alors je vous recommanderai plutôt le cassoulet.
- Très bien, merci. Et pour monsieur ? fit-elle avec douceur, en reportant son attention vers Erebos
Elle n'avait même pas tenté de savoir de quoi était composé le plat. Si les Français avaient si bon goût, elle ne pourrait qu'être agréablement surprise.