Plus dure sera la chute

Mars 2022

Le grand air, le calme, le silence. Enfin, silence… c’est relatif quand on a des acouphènes comme les miens, mais pas grave : je suis au calme.
Il y a eu beaucoup de tumultes, beaucoup d’événements dont je me serai passé, d’autres qui m’avaient fait du bien. La vie, en somme. Sauf que moi, je n’étais pas vraiment habituée à ce genre de vie là. Moi, ma vie, elle se résumait plus à métro-boulot-dodo, ou plutôt boulot, sport, manger. Qu’importe l’ordre. Mais voilà, depuis que j’avais atterri à Londres, que j’avais rejoint le Blood Circle et que j’avais rencontré certaines personnes, tout se chamboulait. Tout changeait. Pour une soldate aussi bien formée et formatée que moi, c’était difficile de faire face. J’essayais du mieux que je le pouvais et avec le plus de courage que je possédais, mais des fois, le matin, j’avais la tête comme prise dans un étau. Les acouphènes sur volume max et voilà que j’étais enfermée dans une bulle de tintements stridents qui ne me permettait même pas de m’entendre penser. Saloperie d’explosion. Saloperie de coéquipier incompétent. Heureusement qu’il était mort sur le coup ce con.

Puisque je n’avais pas arrêté de travailler depuis le début de l’année, car je prenais très peu de congés du fait que je n’avais pas de famille, je pouvais enfin profiter pleinement d’un week-end. Deux jours consécutifs à rien glander, la grande classe ! Enfin, c’est vite dit quand on est une personne normale, et moi, je ne suis pas normale.
Mue par ce besoin vital, viscéral même, de bouger, j’avais enfourché ma jument et j’étais partie en randonnée de plusieurs heures avec elle. Bivouaquer et me retrouver seule avec les animaux sauvages allaient me faire du bien. Ça m’avait toujours fait du bien. Comme si je retrouvais mes racines, mes instincts ancestraux et que je retrouvais ce que je devais faire, comme si je retrouvais un chemin perdu. Je me réjouissais déjà !
Pas de réseau sur mon téléphone donc pas de risque que je sois appelée en urgence par le boulot. Qu’ils se démerdent sans moi ! Je disparaissais complètement, et ça m’allait très bien ! J’avais juste donné une idée de mon itinéraire à Lucy, c’était tout.

Non loin de ma destination, je décide de m’arrêter pour faire boire Lullaby et moi, de terminer les derniers mètres à pied. Après tout, il n’y avait pas de raison que ma jument soit la seule à marcher dans l’équipe ! Je la laissais se détendre un instant en profitant du chant des oiseaux, malgré le tintement aigu dans mes oreilles puis, je claquais de la langue et me mis en route. Dressée ainsi, la jument releva immédiatement la tête et me suivit d’un pas tranquille. Dans les buissons, je me surprenais à chercher la présence de mon chien. Il était rare que je me sépare de lui, surtout durant un week-end entier de congé, mais je tenais à me retrouver en tête à tête avec ma jument de temps à autre. Mais Radar me manquait déjà.
Cela dit, l’avantage de se déplacer à cheval et sans chien, c’était que ma présence devenait difficilement détectable pour les animaux sauvages. Normal : Lullaby ne chassait pas. Alors je pouvais pleinement profiter des cerfs, des chevreuils, des lapins et autres animaux sauvages de la faune. Une pure merveille pour mon cœur en manque de beauté, en manque d’affection.

Une affection que je pris subitement en pleine poire. Mais genre, un peu trop quand même.

Percutée par un tank, je me retrouvais les quatre fers en l’air tandis que Lullaby se cabrait et repartit au galop. Si elle était un cheval militaire, elle n’avait pas été formée pour le combat. On n’était plus au moyen-âge.
Cela dit, je ne prenais pas le temps de réfléchir aux méthodes de combat ancestrales sur les destriers. Mon instinct prit le dessus.
Je roulais sur moi-même pour me hisser sur mes pieds et, cambrée en avant, je fixais le jeune homme qui m’avait littéralement atterri dessus. S’il voulait se faire passer pour un autre qu’un sorcier, il aurait bien du mal à argumenter. Et moi, je ne lui sautais pas à la gorge.
Surprenant ?
Non, pas tant que ça.
J’avais déjà capturé une jeune femme, qui s’était enfuie, et pour bien des raisons je m’étais faites engueulée de l’avoir enfermée. De plus, maintenant, je comptais Lilibeth parmi mes amis, qui m’avaient on ne peut mieux expliqué la situation. Tous les sorciers n’étaient pas dangereux.
Oui, mais lui ?
Je fermais les poings. Je n’avais pas d’armes à feu à portée de main, alors je me tenais prête à bondir si jamais il venait à dégainer sa putain de brindille devant ma gueule.
Ne pas l’attaquer, surtout, ne pas l’attaquer. Bon sang, freiner ses premiers instincts c’était ultra difficile quand même. Je serrais la mâchoire et le fusillais du regard avant de déclarer d’une voix forte et menaçante.

— Putain, en plus vous n’avez pas de GPS pour éviter les gens, vous êtes vraiment tous cons chez les sorciers, vous n’êtes pas fini comme nous, vraiment !

Parlementer avec un ennemi en liberté. C’était bien la première fois. Lyllyah Sody risquait sa vie. Et ça rime en plus.