Rentrer chez soi ne devrait jamais faire éprouver ce sentiment d'insécurité. Pousser la porte et retenir sa respiration, comme si ça pouvait changer quelque chose, ça n'aurait pas dû exister. Et il y avait ce silence lourd, cette absence de vie qui rendait le tout tellement plus compliqué. Il ne s'habituait décidément pas à l'absence de Belle, la cherchant du regard comme si elle dormait dans un coin et qu'elle allait accourir en se rendant compte qu'elle avait oublié que  le bruit de la porte qui s'ouvre voulait dire que son maître rentrait. Comme si c'était le genre de l'animal tacheté de louper ce genre de choses. C'est dingue comme c'était facile de prendre des habitudes et difficile de les perdre. Tout lui manquait les bruits de griffes sur le parquet, son qu’il trouvait pourtant désagréable avant cela, les réveils humides dû à un débarbouillage complet, les moments de jeux, ceux beaucoup plus calmes, où il la caressait en regardant la télévision et, les balades. Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, les balades ça avait toujours été important et tout d’un coup, il n’y avait plus de balades. Plus de balades, plus de chienne, plus de copine avec qui partager ce sentiment de solitude intense. Et pour cause, l’ancienne copine était l’élément déclencheur qui avait fait s’effondrer tout ce joli château de cartes. Les souvenirs le hantaient dès qu’il passait cette porte, ayant encore un peu de mal à réaliser que tout était fini, que si son portable ne vibrait pas, ce n’était pas parce qu’il n’avait plus de batterie, mais bien parce qu’aucun message n’était envoyé pour savoir si l’autre était disponible. Lorsqu’il rentrait chez lui, il n’y avait rien de très accueillant et il n’avait qu’une envie, en repartir le plus vite possible. La solution c'était de se mettre de garde pour ne pas avoir à rester trop longtemps dans ce silence, ça et sortir en soirée... sauf qu'il trouvait que la peur faisait décuver bien vite et qu'il voulait être en capacité de se défendre s'il y avait un problème chez lui. Perdre il s'y était préparé mentalement, il y avait cependant une différence entre perdre parce qu'il n'était pas assez fort pour tenir tête à une baguette magique et perdre parce qu'il ne faisait rien, trop imbibé pour réagir comme il faut. Et pourtant, il savait bien au fond de lui toutes les préparations du monde, les mantras, tout ça n'aurait aucune importance si l'assaillant se révélait être Soledad. Il avait eu la preuve qu'il était d'une bêtise incroyable, on pouvait le manipuler durant des mois et lui, en retour, il laissait la vie sauve, bah oui c'est quand même plus drôle de laisser des sorciers dans la nature comme ça ils peuvent tuer en paix. Pire encore, il la couvrait, officiellement il n'avait trouvé aucune trace de sorcellerie dans l'ancienne boutique de Soledad. Ce choix avait pour conséquence l'absence de Belle et pour ce qu'il en savait, la chienne ne le vivait pas ultra bien. Oui, elle abusait, elle avait un grand terrain rien que pour elle et une forêt pour ses balades quotidienne et malgré tout elle n'était pas en forme d'après ses parents. Ah c'était d'un pratique toute cette histoire, ce n’est pas comme s'il habitait juste à côté de ses parents ou qu’il ne travaillait pas et qu’il avait du temps à ne plus en savoir qu’en faire.

L’envie de rester ici était aux abonnés absents mais, pour le moment, l’envie de faire la fête n’était pas spécialement présente. Oh ça reviendrait, il n’en doutait pas, c’était dans ses gênes mais pour le moment, il avait tendance après un ou deux verres, à chercher Soledad. Horrible sensation, surtout au moment où il percutait. Comme c'était quelque chose qu'il ne maîtrisait pas, que c'était désagréable au possible, le mieux c'était encore d'éviter les soirées jusqu'à ce qu'il soit passé à autre chose. Pour autant il ne voulait pas rester tout seul, il y a des soirs où c'était plus facile d'avoir de la compagnie que d'autres et aujourd'hui, C'était un de ces soirs, son acolyte de presque toujours était sur Londres. Le seul hic serait qu'elle ait déjà des plans pour la soirée. Connaissant le phénomène Rosebury, ça ne serait tellement pas étonnant, mais il tenta sa chance malgré tout et la textota # Bonsoir ma sœur préférée, est ce que tu es libre pour passer une soirée seule avec ton frère préféré ce soir ? On peut faire ça chez toi ? Mon appartement est un peu bazar. Doryan, ton frère préféré # C'est fou qu'il faille préciser quand même, elle serait capable de répondre juste pour l'enquiquiner  d'accord Lyam tu peux passer, une sœur indigne, en plus il ne pouvait même pas lui faire le même coup, quelle injustice. Pour ce qui était de l'appartement en bazar, ça n'était pas tout à fait véridique. L'appartement était bien rangé en réalité mais il ne pouvait pas décemment dire à sa sœur qu'il craignait les représailles de Soledad et que s'il prenait le risque pour lui, un peu à contrecoeur, il ne voulait pas que sa sœur soit en danger à cause de lui. Pour ne pas la mettre en danger, plus qu'elle ne l'était déjà de base, en étant une fille sans pouvoir, que Soledad saurait la reconnaître sans l'ombre d'une hésitation, il préférait aller chez sa sœur.

Comme il était de tradition, une fois qu'elle lui ait dit qu'il pouvait passer, il passa récupérer de quoi se nourrir, des sushis comme toujours. Ça au moins, ça n'avait pas changé, il avait toujours de l'appétit, en même temps, mieux valait qu'il se nourrisse, déjà que le sommeil ça n'était pas parfait, si en plus il ne mangeait, il ne pourrait pas travailler dans de bonnes conditions et alors il se raccrochait pas mal à son travail et à ses collègues pour ne pas passer son temps à son morfondre. Son métier lui permettait de se sentir utile et en ce moment, c'était bien la seule chose qui comptait. Toujours dans cette même volonté de ne pas mettre sa sœur en danger et aussi parce qu'il n'avait pas changé de voiture, pas pour demain la voiture rose -désolée Soledad – il gara sa voiture un peu plus loin. Sait-on jamais que la demoiselle Velasquez passe par-là, autant éviter les problèmes un maximum. De toute façon, il fallait bien qu'il fasse un peu d'exercice physique vu qu'il ne baladait plus Belle – parce que c’est vrai pompier c’est pas faire de l’exercice … - . Il grimpa même les escaliers à pied... ah non ça c'était habituel pardon. Une fois la porte ouverte, il fit un bisou sur la joue de sa sœur « Bonjour, oui je sais j'ai l'air un peu fatigué, c'est la folie au boulot. J'ai ramené la nourriture, tu as l’alcool ? Tu veux qu'on monte sur ta terrasse privée ? » privée c'est vite dit mais bon les autres occupants de l'immeuble ne semblaient pas être au courant de cet endroit, ou alors ils s'en moquaient éperdument, dans un cas comme dans l'autre ça arrangeait bien Doryan bon et Charly certainement. « Tu passes une bonne semaine ? Je ne t’empêche pas trop d'aller en soirée ? » Le but en lui posant plein de questions, c'est qu'elle ne lui en pose pas en retour.

Le réveil sonna brutalement dans ma chambre, rompant brusquement le doux rêve dans lequel je me trouvais. La musique enjouée qui me mettait en temps normal de bonne humeur ne fit pas son effet. Je grognai de mécontentement, sachant déjà que cette journée allait être ennuyeuse à mourir. Je me cachais un instant sous ma couette et relâchais un profond soupir. À tâtons, mes doigts glissèrent sur l’écran de mon iPhone pour me plonger dans le silence. Depuis quelques semaines, j’avais repris les missions de journalisme à l’étranger. Ma formation de base était dédiée aux reportages de guerre. C’était ce qui m’avait toujours animée. Si un temps après la terrible découverte des sorciers, j’avais préféré mettre une pause à mes escapades, j’avais eu besoin de reprendre mes aventures loin de tout. Sofiane était à l’origine de mon besoin de fuir même si nous avions décidé de repartir à zéro. Je devais certainement être stupide pour tenter une chose pareille, mais il y avait une chose dont je ne pouvais me défaire : j’étais attachée à lui bien plus que je n’aurais pu l’admettre. Mais en ce début de journée, je me retrouvais bel et bien dans mon appartement à Londres. Loin de mes journées mouvementées sur le terrain, j'avais été missionnée dans mon pays d'origine pour couvrir une histoire locale…

Je soupirai et me levai, traînant les pieds jusqu'à la salle de bain. Le mail de mon responsable de rédaction m’avait appelé puis envoyé un mail avec les détails qu’il avait en sa possession. Un sorcier vivant parmi les moldus allait bientôt faire l’objet d’une arrestation. Dissimulé parmi nous, il avait enfermé dans sa cave trois jeunes femmes. Peut-être plus, mais ces dernières ne seraient malheureusement plus en vie. Deux d’entre elles étaient parvenues à fuir et ce dégénéré s’était reclus dans sa maison, menaçant de tout faire sauter. Les balises anti-transplanages diminuaient sa magie et surtout, l’empêchait de fuir. Mais la dernière prisonnière restait entre ses mains…

En me regardant dans le miroir, je ne pus m'empêcher de soupirer. Je voulais me tenir éloigner de ces histoires… Depuis la mort d’Ambrose, je ne comprenais plus rien. J’avais toujours pensé les sorciers égoïstes de garder secrets leurs connaissances et pouvoir quand des populations entières mouraient de faim et que les guerres faisaient rage. Au lieu de faire preuve d’altruisme, ils s’étaient cachés, nous laissant dans ce monde décadent. Le décès de mon meilleur ami m’avait rendue folle tant les atrocités qu’il avait subies étaient horribles. Si avant une part de moi gardait espoir pour ces créatures sanguinaires, ce n’était plus le cas… Je m'habillai rapidement, attrapai mon sac et me précipitai hors de chez moi. La journée au bureau s'annonçait déjà chaotique, avec des piles de dossiers à traiter et des délais serrés à respecter. Mais au fond de moi, je savais que j'étais plus vivante lorsque je me trouvais au cœur des conflits, là où l'action se déroulait. Alors oubliant un instant ma contrariété, je me rendais dans un premier temps aux premières loges de cette prise d’otage, brandissant ma carte de journaliste pour passer les barrières.

Le soir venu, alors que je m'apprêtais à quitter le bureau épuisée, je reçus un message de mon frère, Doryan. Un sourire étira mes lèvres malgré la longue journée que je venais de passer. Même à travers les mots et un écran, il parvenait à me faire rire. « Pas de problème frangin. Comme d’hab ? Ta sœur préférée. » Le d’un gif de sushis et d’un autre d’une bouteille d’alcool. Il n’était pas rare que nous nous retrouvions après le travail et nous avions nos petites habitudes. Je rentrais laissant derrière mes envies de râler et les images horribles que la chaîne avait été ravie de filmer en direct…

La soirée était douce et agréable, le ciel étoilé illuminait la terrasse privatisée de mon appartement. Je l'avais préparé avec soin, disposant des coussins moelleux au sol pour plus de confort. Une palette que j’avais customisée servait de petite table. J’avais évidemment déjà disposé les verres et des bouteilles d’alcool. J’attendais avec impatience l'arrivée de Doryan. Quelques instants plus tard, j'entendis toquer à la porte. Je me dépêchais d’aller ouvrir et je vis mon frère entrer, un sac rempli de boîtes de sushi. Il déposa un baiser sur ma joue que je lui rendis. Il commença alors à parler et je ne pus m’empêcher de rire. « Tu penses bien que c’est déjà préparé là-haut ! » répliquais-je avec un sourire de connivence.

Je lui fis signe de me suivre jusqu’à mon balcon puis je grimpais sur les toits. En attendant qu’il me suive, ce qui ne tarda pas, j'ouvris une bouteille de vin blanc frais et remplis nos verres. Je posais mes fesses sans la moindre grâce sur les coussins que j’avais déposés au sol. « Semaine de merde. Ils m’ont fait rester sur Londres pour couvrir des événements sorciers. Si tu as entendu parler du suicide d’un de ces fous furieux, j’étais aux premières loges… Donc non pas de soirée, c’est plutôt cool que tu sois là en fait ! » Le type était sorti devant sa maison, avait lancé un sort sur la pauvre survivante pour la tuer et avait fait de même sur lui. « Et toi quoi de nouveau ? » Je regardais ses yeux cernés. Quelque chose au fond de moi était alerte. Même s’il semblait comme d'habitude, les traits de son visage me semblaient marqués. « Comment ça va ? »

Ce qu’il y avait de bien avec Charly, c’est qu’elle avait un don, alors pas un don comme les sorciers, pas de magie, pas de truc étrange, juste elle avait ce don de réussir à le faire sourire là où il pensait que ses muscles là s’étaient désintégrés ce soir-là. C’était ridicule, bien sûr qu’il savait toujours sourire, les occasions se faisaient juste plus rare. Deux secondes avec Charly et il avait déjà un sourire sur le visage, il faut dire que le rire de sa sœur était un peu contagieux. C’était déjà préparé là-haut, si ça c’était pas génial « Que ferais-je sans toi ? » Il mangerait toute la boîte de sushis et se plaindrait qu’il faut qu’il fasse du sport maintenant. Sans se faire prier, il suivit Charly jusqu’à son balcon, chuchotant même si personne ne devait les écouter « Tu crois qu’un jour on se fera attraper ? » Bon après, sa sœur était une spécialiste du Parkour, quant à lui, grâce à son métier et surtout aux entraînements, il pouvait aussi se tirer en courant si un vieux grincheux leur faisait la morale. Par chance, ça n’était jamais arrivée. Il faut croire que personne ne s’intéressait à ce qui se faisait sur les toits.

Tandis que sa sœur, avec la grâce d’un hippopotame obèse, s’écrasa sur un des coussins, Doryan lui montra ce que c’était la grâce en s’asseyant DE-LI-CA-TE-MENT. En tant que grand frère, c’était son rôle de montrer l’exemple. Enfin l’exemplarité dura deux secondes en réalité, puisqu’il piocha un sushi sans en proposer un à sa sœur en premier. Il récupéra le verre que lui tendait sa sœur et l’écouta parler de sa semaine, ouvrant de grands yeux en l’entendant dire qu’elle avait été aux premières loges quand un sorcier s‘était suicidé. Tout ça pour ne pas avoir à répondre de ses actes, quelle lâcheté. Que sa sœur soit là-bas ce n’était pas une surprise, heureusement que ça s’était passé ainsi et que tout s’était terminé par le fait que le sorcier ait décidé de se supprimer sans essayer de tuer tout le monde. Certes, il devait y avoir des balises anti-magie mais est-ce que ça empêchait les sorciers d’agir, il en doutait fortement, ils devaient avoir des tas de solutions.

Quoi de nouveau ? Doryan prit une inspiration, les mots ne voulaient pas sortir, comme si le fait de ne rien dire rendait la situation moins réelle. Il avait bien conscience que c'était stupide, il se rendait bien compte au quotidien que les choses avaient changé et qu'il ne pouvait pas revenir en arrière. D'ailleurs revenir en arrière pour quoi ? Il n'aurait jamais tiré sur Soledad, dans aucune configuration parce que peu importe cette sensation de trahison, elle avait été son amie, son amante, quelqu'un qui comptait et ça n'était pas possible de faire du mal à quelqu'un qui comptait. Oh il ne doutait pas que d'autres y seraient très bien arrivé, arrivaient à mettre la cause au-dessus de tout, pas lui. Les relations humaines étaient au-dessus de tout, ah pas de doute Soledad avait trouvé le pigeon parfait. Alors qu'il cherchait ses mots, quand bien même ils étaient faciles à trouver. Son silence, à moins que ce soit sa tronche, vu comme Charly le regardait, poussa cette dernière à lui poser une autre question. Réflexe tout à fait crétin, il répondit directement « Ca va. » avant de grimacer et de se reprendre « ça pourrait être pire. » Il fallait bien essayer de voir le bol à moitié rempli, il était en vie, pour le moment, il avait mis sa chienne en sécurité et il faisait en sorte de ramener personne chez lui au cas où Soledad aurait décidé d'arrêter le jeu. Un jeu qui déplaisait fortement au pompier, pourtant bon joueur en temps normal. « Disons que j'ai manqué de prudence » mais comment douter de la personne avec qui il passait pratiquement toutes ses nuits ? Bien sûr qu'il avait confiance en elle, assez pour la faire venir chez lui avant même qu'ils sortent ensemble... quel demeuré. Comment en voulant juste aider quelqu'un il avait pu se mettre dans une merde pareille « Au moins un sorcier sait que j'appartiens au Blood Circle. » Il passa une main dans ses cheveux, embêté « J'ai été prudent en venant, ma voiture est pas devant chez toi, normalement tu risques rien. » Est ce qu'il avait une sorte de traceur? Oh même si c’était le cas, Soledad ne ferait pas de mal à Charly, c'était après lui qu'elle en avait, non ?

Non et il le savait au fond de lui, Charly serait tout autant l'ennemi puisqu'elle aussi n'avait pas de pouvoirs.  Il agirait, il essaierait de toutes ses forces de protéger sa sœur, il lui en fit la promesse mentalement, certes il n'attaquerait pas Soledad mais il se débrouillerait pour freiner les choses afin de sauver sa sœur, il lui devrait bien ça. « J'ai mis Belle chez les parents pour pas qu'il lui arrive quelque chose. » Belle qui le vivait mal, Belle qu'il avait laissé une semaine chez Soledad sans se poser de questions, Belle qui aurait fait la fête avec des yeux brillants d'amour à une sorcière alors même que cette dernière venait les détruire son maître et elle. C'est une vision qu'il ne voulait pas voir, jamais. « On s'est séparé avec Soledad. Ça ne fonctionnait pas entre nous. » Pas sûr que ça soit la chose la plus crédible au monde, pourtant, c'était la vérité, ils n'étaient pas faits pour être ensemble, de par leur nature totalement différente... il avait couché avec une sorcière... hallucinant et il n'avait rien soupçonné, elle était si... normale. Cette phrase était un mensonge, elle n'était pas juste normale, elle avait été géniale à ses yeux d'aveugle et il était dégoûté que tout cela ait été un jeu et qu'elle puisse être si sympa avec lui tout en étant terriblement manipulatrice. A quel moment c'était possible de ne pas se remettre en question, de ne pas se dire que ça allait trop loin, de ne pas faire preuve d’humanité ? Ne voulant pas spécialement s'engager dans cette conversation, parce que c'était douloureux, parce que ce qu'il avait avec Soledad, bien que ça n'ait été réel que pour lui, eh bien ça lui manquait. Il n'avait pas spécialement peur du jugement de sa sœur, se jugeant bien assez dans ce cas de figure, c'est de reconnaître ses torts qui n'était pas simple. Il préféra donc engager la conversation sur autre chose en espérant que ça serait un peu plus intéressant à ses yeux. « Au travail ça va, pas trop de trucs chelous à gérer. Ça fait longtemps qu’on n’a pas géré de feu, ça c'est une bonne nouvelle. Mes collègues veulent faire une soirée avec toi prochainement. » Comme d'habitude en fait, est ce que Charly avait la côte par son charisme ou son physique, il ne s'engagerait pas à répondre. Dans tous les cas, ils faisaient tous ce qu'ils voulaient, lui il transmettait juste la requête en bon collègue qu’il était bien sûr – et aussi un peu parce que ça l’amusait de voir sa sœur les emmerder.

Qu’est-ce que Doryan aurait pu faire sans moi ce soir ? Le connaissant j’avais plein d’idées, mais vu sa tête, il ne semblait pas en forme. Il avait d’ailleurs devancé mes questions en répondant d’une traite sans même me laisser en poser une. S’il pensait que son stratagème m’empêcherait de comprendre un peu mieux ce qui lui arrivait… « J’aurais tendance à penser que tu serais en train de faire du bricolage si je n’étais pas là pour t’ouvrir ma porte ! » dis-je amusée pour lui répondre. Enfin c’est ce qu’il aurait fait habituellement. Ce que j’aurais pu faire également d’ailleurs. Enfin avec un mec. Je haussais les épaules quand il me demanda si nous risquions de nous faire surprendre un jour. Si lui chuchotait, je répondis normalement. « Je pense qu’ils ne savent même pas que c’est possible d’y accéder. » D’ailleurs techniquement, cela ne l’était pas réellement. Elle pratiquait le freerun depuis son adolescence et Doryan était sportif de par son métier. Alors grimper depuis le balcon, pour eux, ce n’était pas très compliqué. Pour les autres… Est-ce qu’ils avaient déjà pensé ? Quand elle avait choisi cet appartement, c’était clairement parce qu’elle avait repéré cet accès. Avant de faire sa proposition, elle était revenue le visiter d’une façon bien moins conventionnelle…

Une fois installés, nous nous mettions rapidement à picorer les sushis et surtout à nous servir de quoi nous désaltérer. Le vin blanc semblait être une bonne option pour commencer. Nous étions en semaine en plus. Arriver avec une gueule de bois au travail le lendemain, ce n’était quand même pas l’idéal. Je lui racontais rapidement sur quel sujet j’avais été missionnée. Je ne supportais plus ces reportages pros Blood Circle. Ce sorcier était certainement un cinglé de la pire espèce, mais des tueurs en série de ce genre… il en courait plein les rues chez nous. Je voulais repartir moi. Loin de toute cette merde qui traînait dans notre pays. Cela me semblait si puéril maintenant que j’étais retournée sur le terrain. Voir la misère, la guerre… Nous, ce qui arrivait, nous en étions responsables… Je me posais énormément de questions en ce moment. Mais je m’inquiétais davantage pour mon frère et sa tête qui semblait clairement manquer de sommeil. Je haussais un sourcil sceptique alors qu’il répondait presque automatiquement ‘ça va’. La phrase suivante me fit  froncer les sourcils. « Mais ça pourrait être mieux, c’est ça ? » demandais-je doucement.

Manquer de prudence ? Je me demandais bien où il voulait en venir. Je ne comprenais pas réellement ce qu’il avait pu faire. J’attendais presque patiemment la suite, mangeant un des sushis pour m’empêcher de poser davantage de questions. Toutefois, quand il lâcha l’information, je toussais à moitié en l’avalant. Je pris une gorgée de vin blanc pour faire passer ma quinte de toux. Qu’il ait pris des précautions, ça je m’en fichais. S’il devait se planquer chez moi, je n’y voyais aucun problème. Il parlait de Belle. Oui c’est vrai. Un psychopathe serait capable de lui faire du mal pour le faire souffrir. Il avait raison de l’avoir mise à l’abri. Hein quoi ? Soledad ? Il enchaînait avec mille sujets. Ah une soirée avec ses collègues, ça, c’était super comme projet. Non, mais, il délirait. Il passait du coq à l’âne, je n’y comprenais plus rien. « Attend. Stop. Arrête Doryan. » Je prenais une seconde pour remettre toutes les informations qu’il m’avait transmises dans l’ordre. Je prenais une gorgée pour m’aider à faire le tri. « C’est un sorcier… dangereux ? Tu es en danger ? Je peux faire quelque chose ? » finis-je par débiter. Non parce que finalement, c’était bien ça le plus important. Soledad était sympa, mais il survivrait. Les collègues, je m’en occuperais plus tard, ils pouvaient bien attendre. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Tu as fait une mission qui a mal tourné ? » Au final, au cours de ces dernières semaines, de nombreux sorciers avaient déjà vu nos visages. Mais ils ne nous suivaient pas à la trace. Pourquoi Doryan était si inquiet que celui-ci puisse le poursuivre ? Au point de s’assurer que personne ne le suive et de planquer Belle ? Il me manquait plein d’informations pour comprendre ce qui était en train de se passer dans la tête de mon frère. « Pourquoi tu redoutes d’être suivi ? » Mon regard était soucieux. Je n’aimais pas le savoir dans cette inquiétude latente et encore moins qu’il soit potentiellement en danger. Je ne savais pas réellement comment réagir. C’était mon frère, merde. Je ne voulais pas qu’il lui arrive quoi que ce soit. Pas à lui. Pas après Ambrose. « Tu en as parlé au Blood Circle ? Ils pourraient peut-être t’aider à te débarrasser de ce sorcier. Tu as l’air si inquiet… Je te reconnais pas. » Non vraiment, Doryan n’était pas dans son état normal. Qui le serait avec un sorcier aux fesses qui semblaient être une telle menace ? Je ne voulais pas qu’il se retrouve sans aide. S’il le fallait, j’allais rester avec lui h24 pour le surveiller et le protéger.

Faire du bricolage, le cœur de Doryan se serra douloureusement en sentant les souvenirs de cette journée affluer. Il se souvenait avoir eu la sensation d'avoir été utile, d'avoir rendu les choses moins difficiles par sa présence et par son envie de rendre le sourire à quelqu'un. Avec le recul, il avait juste cloué lui-même les planches de son cercueil. Il avait échoué à prouver que les gens sans pouvoirs n'étaient pas des nuisibles. Alors bien sûr, il n'avait pas conscience d'avoir eu cette mission mais il n'aurait pas vraiment pu être une meilleure version de lui-même. Certes il y a des phrases qu'il aurait pu ne pas dire, des actions qu'il aurait évitées mais dans la globalité, il aurait été la même personne. Il fit un effort pour sortir la tête de ses souvenirs et se concentrer sur l'instant présent. Il n’arriva pas à esquisser un sourire pour répondre à sa sœur qu'elle voyait juste. Il posa une première question pour changer de sujets et alors les voisins de Charly étaient quand même des gens peu curieux, ils ne savaient même pas que la terrasse privatisée existait... incroyable. Après, pour venir assez souvent ici,  ça l'arrangeait pas mal que personne ne soit au courant. Sans oublier le détail suivant ; il n'était pas si évident que ça de grimper sur le toit. On était loin de l'ascenseur, pas sûr que des gamins ou des grands parents réussissent.

Pour le frère et la sœur, ça n'était pas d'une grande difficulté et très rapidement, ils se retrouvèrent avec un verre de blanc à la main et des sushis dans la bouche. Attentif, il écouta les aventures de sa sœur cette semaine, des aventures des plus joyeuses, en même temps dès qu'il s'agissait des sorciers, c'était rarement ils m'ont invité à faire une interview, c'était génial. Le réflexe de Doryan fut de répondre que ça allait à la question de sa sœur, une tentative de se montrer imperturbable avant qu'il n'abandonne cette idée, c'était Charly à ses côtés, il pouvait être honnête, ça aurait pu être pire. Oui, il hocha la tête, ça aurait pu être mieux, il aurait pu continuer son histoire sans avenir, ne pas savoir mais être bien. Ça n'était pas une solution, il le savait bien mais il avait la sensation que ça aurait été plus simple de ne rien savoir. Ses jours auraient été comptés, bien sûr, mais il n'aurait pas eu la sensation d'avoir tout raté, ni celle d'avoir été trahi par quelqu'un en qui il avait confiance.

Il déballa, plus ou moins, les dernières nouveautés le concernant, dans l’ordre où ça lui venait à l'esprit, certaines informations étant liées, d'autres hors sujet. Ça n'avait pas l'air de plaire beaucoup à Charly qui s'étouffa... ah bah c'est malin ça, il la regarda sans intervenir, conscient que certaines informations pouvaient interpeler et jugeant, qu'elle n'était pas en danger de mort. Alors qu'il cherchait d'autres sujets à aborder, sa sœur lui demanda de se taire, ce qu'il fit, il y avait trop d'informations d'un coup ? A   sa première question, il aurait aimé pouvoir répondre non, il se contenta de répondre « C'est un sorcier. » D'après lui, ça suffisait amplement comme réponse, oui Soledad était dangereuse, c'était même la personne la plus dangereuse parce qu'il était bloqué face à elle, il voyait la fille qu'il connaissait, celle qu'il appréciait, comment agir dans ce cas de figures. Est ce qu'il était en danger, son regard se voila « Oui. Il serait suicidaire de me laisser en vie. » Il ne voulait pas se battre contre elle. Cette information se liait à la question de Charly « Oui, ne pas t'emmêler. Prends soin de tes jolies fesses » Son sourire revint à cette bêtise.

Bon, clairement Charly était en mode détective Conan, elle menait sa petite enquête et elle était si proche de la vérité. Une mission qui avait mal tourné, c'était exactement ça. Une mission non officielle mais une mission quand même, celle de protéger Soledad. « J'ai voulu prouver que le Blood Circle se trompait. Il avait raison, je me suis retrouvé face à un sorcier. » Il poussa un soupir « Je l'avais au bout de mon canon et j'ai été incapable d'appuyer sur la détente. On était aussi effrayé l'un que l'autre. C'est pas ce que je voulais. » C'était stupide, il le savait, il se rendait bien compte que ça n'avait aucun sens, qu'il n'était en vie justement que parce qu'elle avait été prise au dépourvu mais lui, ce qu'il avait toujours voulu c'était la faire sourire, la faire rire, la faire réagir à ses bêtises, pas lui faire peur. Il se sentait tellement idiot de penser cela après ce qu'il venait d'arriver. A la question de sa sœur, il ne sut comment exprimer ses craintes sans dévoiler l'identité de la personne. Soledad connaissait son adresse, reconnaîtrait sa voiture entre mille. « Je me dis que déjà qu'ils aiment pas les gens sans magie. Quand ils sont sûrs que le type est un gars du Blood Circle, ils ont tout intérêt à le suivre pour ferrer un maximum de poissons. » Il les mettait tous en danger, il en avait conscience, il avait merdé en faisant confiance à Soledad si naturellement, il aurait dû se méfier mais c'était facile de se dire ça maintenant.

Une ombre passa dans son regard tandis qu'il imaginait dans sa tête ce que suggérait Charly, son cœur battait plus vite sous l'indignation. « Non! » La réponse était sans appel, il n'en parlerait pas au Blood Circle. Sa loyauté avait changé de camp, malgré la douleur, la peur, l'indignation face à la trahison. Il ne la balancerait pas, il ne laisserait personne attenter à la vie de Soledad et encore moins lui-même. Il devait avoir l'air bizarre, incompréhensible pour Charly même. S'il n'avait jamais été le plus extrémiste des membres du Blood Circle, de par son métier, il était du genre à obéir aux ordres sans trop poser de questions- en même temps si les pompiers discutaient tout, il y aurait masse mort- mais là, il ne pouvait pas. Il regarda sa sœur dans les yeux « Je ne veux pas qu'elle meurt. Je ne veux pas qu'elle soit torturée. » C'est convaincu et amer, très amer, qu'il termina ses propos. « Qu'elle aille au bout de son plan. Je ne jouerai pas au jeu de celui qui détruit le mieux la vie de l'autre. Elle a déjà gagné. » Elle avait gagné à la seconde où il l'avait considéré comme son amie. Il n'en oubliait cependant pas qu'il avait des responsabilités envers ses proches et que ses bêtises, sa naïveté, ne devaient pas avoir d'impact sur eux. « Je vous défendrai. » Ce serait la seule manière de le faire bouger mais que Charly ne se fasse pas de sang d'encre bah voyons il ne la laisserait pas tomber.