Like a soul without a mind
La maison était trop grande, un manoir comme on les nomme, pleine de domestiques s’essoufflant aux abords des corridors. Charlotte ne voulait pas accoucher ailleurs qu'ici même, dans les draps du lit marital, au cœur de la chambre parentale. Hector avait cédé, mandaté du personnel soignant et sans encombre Elianor était née, jolie poupée au regard glacé, quelques cheveux empégués sur un crâne au front démesuré. C'était un bébé minuscule de trois kilos cinq cents, quelques plis aux embouchures, mais pas de quoi faire un rôti pour le dîner. Toute petite tête brune, elle galopait sur le marbre du grand salon, des nattes pour dompter ses cheveux indisciplinés. La gouvernante était bien souvent hystérique à l'idée qu'elle trébuche ; ses parents auraient fait un esclandre d'un incident. Hector et Charlotte Prince vivent principalement de rentes, héritage gras de deux familles nobles de la France, Vicomte d'un côté, Duchesse de l'autre. Deux enfants uniques que tout avait réunis, du physique aux idéologies. Elianor ne mettra pas un pied à l'école avant ses onze ans, les elfes et quelques sorciers émérites lui inculquant les fondements. La valeur du sang depuis aussi loin qu'elle s'en souvienne, n'était pas un sujet sur lequel tergiverser pendant dix ans. Cependant, ni Hector ni Charlotte ne prêtèrent allégeance aux mangemorts ; ils possédaient des idées bien tranchées sur le sujet, mais pas au point de s'y engager, surtout pas aux côtés d'un cinglé qui finit par mal tourner.
Enfant joueuse et joyeuse, elle pansait les plaies des oiseaux blessés, dessinait un éléphant sur les escaliers extérieurs à la craie et mangeait du brownie à tous les quatre heures ; une tranche et pas plus, fine comme du papier, soigneusement déposée dans une assiette de porcelaine et accompagnée d'une fourchette. Comprenez qu'il est interdit de manger avec les doigts, d'utiliser la mauvaise cuillère pour le bouillon ou de boire pendant un repas. L'éducation noble ne concède ni ne tolère de mauvaises graines. De la même façon, on y apprend les bonnes manières et l’acceptation de toutes les classes sociales, le jugement n'a normalement pas sa place dans ce genre de bienséance. Mais mêlé à l'instruction des sorciers il peut y avoir quelques ratés, divers et variés sur les sujets. Elianor est un produit parfait pour tout avouer, gamine docile que rien n'ennuie. Que ce soit l'apprentissage de la couture, du piano ou des mathématiques ; la façon dont il faut boire un thé, manger un morceau de pain, marcher avec des escarpins, le dos parfaitement droit, poitrine sortie, épaules dans l'axe et regard sur le lointain. Plus élégante que les mannequins, plus affriolante qu'un tapin. Parce que la classe ne s'improvise pas et lorsqu'elle est bien là, au paroxysme de son art, elle devient la plus dangereuse des armes.

Le manoir lyonnais où elle est née n'est en réalité que la maison secondaire de la famille, la principale étant un château dans le grand nord, à la frontière avec la Belgique. Elianor n'y mettra pas un pied avant ses six ans et c'est là-bas qu'elle apprend à exécuter ses premiers pas de danse, ses premières notes sur un violon, les premières courbes à l'aide du pinceau glissant sur la toile imbibée d'une peinture à l'eau. Charlotte attendra tout juste ses huit ans pour commencer à lui inculquer les valeurs du mariage et avant ses onze ans, Elianor connaitra tout ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, à l'exception de ce qu'il se passe dans une chambre, sujet qui ne viendra que bien plus tard et même jamais du cercle familial. Comprenez que le but n'était pas de mal faire, mais que certains sujets sont plus délicats à aborder, que risquer de mal formuler pourrait être perçu comme un pêché. Parce que bien sûr, une partie de l'éducation d'Elianor est marquée par la religion. Elle n'en gardera pas grand-chose en grandissant, pas de façon consciente du moins, car, dans son enfance, quelque chose a fait basculer le cours normal des jours.
Charlotte tomba malade peu après l'entrée d'Elianor à Beauxbâtons, une maladie grave lui dit-on, incurable. Papa essaya diverses potions, mais aucune ne fonctionna, Charlotte perdait l'esprit et ses facultés motrices au fil des semaines et des mois. La fin ne mit pas un an à s'imposer et Elianor ne pleura pas, figée de toute émotion durant des lunes. Hector craignit que sa fille souffre d'un mal de l'esprit, si bien qui l'emmena chez un spécialiste : un psychomage. Pour tout avouer à cette époque le métier n'était pas reconnu, le diagnostic hasardeux, si bien qu'on dit simplement qu'elle était introvertie. En réalité, deux séances suffirent pour qu'elle relâche son image, qu'elle éclate en sanglots qui déversèrent des litres d'eau. Elianor était alors déjà telle qu'on la connait aujourd'hui : impassible, difficile à décrypter dans ses émotions négatives ; une toile vierge de sentiments malhonnêtes. C'est ainsi qu'on l'a formatée, pour que rien ne déborde, qu'elle conserve une humeur égale même quand elle devrait exploser. Faire semblant pour ne pas froisser, ne jamais perdre ce qui s'approche au plus qu'on peut l'espérer, du parfait. Tout ça pour la marier dès sa première saison de débutante, qu'elle ne traîne pas sur le banc des cancres.

Elle avait douze ans quand pour la première fois, elle comprit que les visions et les voix délivraient des messages. Sortant dans les jardins du château pour vagabonder aux abords des roseaux, elle ressentit cette sensation désagréable qui la figea dans une volte-face, ses yeux se révulsant, ses jupons volants sous la brise d'un été grisant. Une vieille femme se tenait là, derrière les paupières de ses songes, un paysage trouble à son arrière. C'était une de ses ancêtres en réalité, un sourire rongé par la putréfaction à l'angle des lèvres, venue lui conter le pourquoi sa mère était tombée malade jusqu'à mourir, en un temps bref qui jeta tout de même la jeune fille par terre, sous l'effort et la douleur d'un don auquel elle n'avait jamais prêté trop d'attentions. Elianor ne voulait pas le croire et elle s'efforça de combattre cette histoire qui pourtant, refusait de quitter son encéphale. D'après cette dame, Charlotte aurait trompé Hector durant des années depuis sa venue au monde, jusqu'à ce qu'il s'en rende compte et empoisonne ses petits déjeuners, du premier au dernier des années quatre-vingt-six à quatre-vingt-sept. Elianor ne pouvait cependant pas se résoudre à croire en la totalité de cette histoire ni à détester son père ; après tout sa mère lui avait inculqué les fondements du mariage, ce qui était permis ou non et l'infidélité était classée dans les péchés.
À l'école de magie, elle s'en sortait comme une chef, passant les examens sans encombre pour finir par entrer dans l'année supérieure. Mais à la fin de sa quatrième année à Beauxbâtons, Hector annonça qu'un poste au ministère de la magie venait de lui être proposé et qu'à cet effet, il désirait déménager, éviter d'emprunter au quotidien un portoloin. Elianor alors âgée de presque quinze ans, ne put que coopérer, suivre son paternel dans la contrée d'une langue qu'elle maitrisait déjà et intégrer l’école de magie de Poudlard. Depuis l'enfance on lui apprenait l'anglais, l'espagnol et l'allemand. Puis plus tard vinrent le mandarin, l'arabe et le japonais ; partant de là, il n'était pas difficile de comprendre qu'Elianor était prédisposée à travailler à l'international, que rien ne pourrait s'opposer à son élévation professionnelle et sociale. Dans la généalogie des Prince, on forme des gagnants, des têtes d'affiche, des gens importants. Il est impossible d'y dénombrer un seul gratte-papier d’une banalité affligeante sur six siècles de descendance ; par contre et si les calculs disent bien vrais, d'après Hector Elianor serait la quatrième nécromancienne de la famille, la dernière personne porteuse du don étant son arrière-grand-père. L'arbre généalogique de la famille est un document précieux qu'Elianor s'est toujours appliquée à conserver parce qu'à son sens, connaître ses racines peut être aussi essentiel que délétère.

Sa dernière année à Poudlard fut chargée en découvertes et bonnes surprises. Il y eut ce premier petit emploi au ministère de la magie en fin d'année, obtenu grâce à son père, celui qui dessina sans conteste le chemin qu'allait prendre sa vie. Puis il y eut William, dandy charmant avec qui jouer à chat dans les couloirs durant son stage. Un esprit vif et érudit qui attisa au fil du temps sa gourmandise, lui fit basculer l'esprit jusqu'à goûter au plaisir et à l'interdit. Leur différence d'âge retarda l'officialisation de leur relation, au même titre que l'appréhension d'Elianor d'annoncer à son père qu'elle s'était éprise d'un sang-mêlé. William assumait mal son impureté de sang, mais pour Elianor, ce n'était pas important. Elle était capable d'allumer le bon dans les cœurs les plus sombres, d'effacer le sale, de ne pas lui donner davantage d'armes.
Les contacts avec la famille Prince étaient réduits depuis la mort de Charlotte, Hector s'efforçant tout de même de faire quelques efforts pour ne pas couper le cordon. Elianor était à ses yeux pareille à un joyau qu'il fallait polir sans arrêt et il craignait que ses cousins puissent froisser ses jupes, effilocher ses collants et défaire ses coiffures. Ils étaient du genre à crapahuter dans les bois en quête d'une licorne ou d'un centaure. Seul Severus était d'un caractère plus calme, rat de bibliothèque avec lequel Elianor ne craignait pas de jouer aux échecs ou de partager ses visions et les mots des morts. Severus n'était Prince et sorcier que par sa mère, son père était un moldu exécrable qui l'avait longtemps éloigné de ses racines familiales. Il était rare pour Elianor de le voir aux dîners du dimanche et elle ne se fit jamais intrusive sur sa vie, consciente que derrière la mélancolie de son tempérament devaient se cacher divers maux.
En janvier quatre-vingt-seize, Elianor épousa William et devint ainsi une Ombrage. Elle conserva le nom de Prince aussi longtemps que son époux le lui permit et peut-être aussi en échange d'une relation dite libre. Elle avait toujours été ouverte d'esprit, curieuse d'apprendre, de voir toujours plus grand. Son goût pour la justice avait grandi bien avant qu'un embryon n'élise domicile sous son nombril.

I'll wrap my hands around your neck
La magie avait toujours fait partie intégrante de sa vie, depuis l'enfance et les tasses volantes au-dessus de la grande table à manger. Elle n'avait cependant pas touché à une baguette avant ses onze ans, apprenant avant toute autre chose les rudiments de la haute société. Bien en amont de son mariage avec William elle avait dû se plier aux attentes de son père, parce qu'Elianor avait toujours été la parfaite héritière. Elle y choisissait généralement un cavalier issu de sa propre lignée ou connaissant celui pour qui son cœur battait en secret. Aucun autre que William ne put se vanter de dégrafer les jarretières de la fille Prince, même dans ces soirées où le roturier n'était pas convié ; aucun alcool n'aurait pu faire tourner l'esprit d'Eli, consciencieuse avant d'être joueuse. Son projet d'union avec William Ombrage ne fut d'abord pas toléré par Hector Prince, désireux de ne pas voir sa fille s'asseoir sur un titre de noblesse : on ne tourne pas ainsi le dos à un titre de Duchesse ou dans le pire des cas, de Vicomtesse, même si, de nos jours, ils sont désuets, ils n'en restent pas moins interdits à falsifier, puissants de représentations ancestrales. Elianor a toujours su ployer quand elle estime la raison justifiée, mais elle ne laissera personne mener sa vie ; alors elle imposa William à Hector, comme on pose une tête décapitée sur une nappe de soie.
« Ça sera ainsi et ton choix ne m'intéresse pas si mon bonheur ne t'importe pas. »
Un bonheur qu'elle devra cependant partager avec un nombre d'autres qu'elle ne voudra jamais connaître, dénombrer. William est un esprit complexe qui stimule chaque cellule d'Elianor, elle ne possède pas de particularité intellectuelle à son inverse, mais étudie avec passion tous les sujets sortant de l'ordinaire, comme une obsession. Quelque chose qui ne pourra que la servir dans sa carrière d'avocate : entrée au barreau à vingt-deux ans, elle y fait ses armes durant vingt-trois ans, apprend, négocie, concède, écrase, ridiculise. Un problème avec la justice magique ? Le nom d'Elianor Prince glisse sur toutes les papilles. Elle connait et maîtrise chacune de ses limites, ne prend jamais de risques inutiles, étudie ses sujets durant des nuits d'insomnie.

Elle se convainc que sa relation pleine de permissions encadrées par quelques prescriptions la comble et durant près de vingt ans il est vrai qu'elle ne souffre pas d'un mal réel dans sa condition, s'essayant même quelquefois à flirter au coin d'un bar sans que jamais l'étape de l'intime ne parvienne à être franchie. Le désir d'Elianor est difficile, exigeant, peut-être même empreint du spectre de la monogamie. Il était peut-être plus facile de tout concéder lorsque Marcus et Septima étaient petits, les deux merveilles de sa vie. Parce que, pour Elianor, devenir mère a représenté une véritable révélation. Elle était une enfant plus studieuse que véritablement farceuse, n'a jamais appartenu à un groupe dans ses études et n'a pas vraiment eu de temps à accorder aux poupées ou aux nounours en mousse. Mais dans l'éducation de ses marmots, elle s’épanouit nouvellement, ne reproduit en rien l'éducation qu'elle a elle-même reçue, bien que les bonnes manières lui tiennent à cœur. Elle ne punira jamais les erreurs de ses enfants comme on aurait pu punir les siennes si elle avait été moins parfaite. Elle ne manque pourtant pas d'autorité, mais ne se ferait jamais geôlière ; mère aimante avant d'être une hyène.
De ceux qu'elle aime, elle accepte toutes les décisions et concède de nombreuses déceptions ; mais le dégoût peut finir par s'inviter et la rancœur est tenace. De William elle s'éloigne, les enfants ont grandi et le travail devient son exutoire. Elle l'aime et ça la ronge, elle ne peut pas s'en détacher, mais elle doit se désintoxiquer. Parce qu'il va finir par la tuer, changer toute la face de sa personnalité. La patience d'Elianor est grande, plus grande encore que sa bienveillance, mais ses principes ont la peau dure et certaines règles n'ont pas le droit d'être bafouées. Comprenez qu'elle est une femme de parole et de valeurs, que l'abuser vous retombera toujours sur le nez, à vous en ronger les os jusqu'à les annihiler.

Au fil du temps elle s'est affirmée, être une femme est à ses yeux quelque chose d'important, une fierté qu'elle ose scander. Pas armée d'un écriteau ou en tapant du poing sur une table ; jamais. Elianor est distinguée, finement maniérée dans ses gestes les plus discrets. C'est avec le sourire qu'elle vous colle un procès, avec légèreté qu'elle vous invite à aller voir ailleurs si elle s'y trouve. Elianor Prince n'a besoin de personne, femme libre et indépendante, elle est bien décidée à le faire sentir au monde et même à celui pour qui, à une époque, elle a tout plaqué. Elle avait rejoint les mangemorts de son propre chef bien que William ait été une facilité d'accès, de la même façon qu'il avait engendré un lardon alors qu'ils étaient mariés. Un, peut-être même dix, qui sait ? Il semblerait que même son époux ne sache pas dénombrer le nombre de fois où il ne s'était pas protégé. Mais la colère d'Elianor est froide, pas même une assiette ne volera en travers d'un couloir. Le fusil ne provient que de son regard, ce bleu-vert si doux pouvant devenir criminel en un battement de paupières. Il est pourtant difficile de ne plus aimer cet époux qui ne mérite pas un dixième de ce qu'elle est, mais il finira par l'y aider en janvier deux-mille-vingt.
L'aider à s'émanciper de cette relation devenue empoisonnée.
La règle était pourtant simple, respectée depuis près de vingt-quatre années : toujours être rentré pour dormir et s'éveiller à ses côtés, que le sentiment d'être secondaire ne soit jamais affirmé. Mais il a finalement fauté, Meredith Carrow pour objet premier : qu'il aille se faire baiser. Valises préparées au premier janvier, Marcus et Septima embarqués, les meubles sont vidés, la vie de couple enterrée ; adios bébé.

Elianor femme mariée séparée, investie dans une jolie maison avec vue sur la mer dans une allée cachée des sangs de bourbe. Le divorce jamais elle ne lui concédera, William s'en mordra les doigts aussi longtemps qu'il vivra. Mais la guerre à découvert n'intéresse pas Elianor, elle ne contentera pas les esprits désireux de dramas. Correcte elle demeure avec son ex, mais s'il cherchait le procès, c'est sans âme qu'elle l’écraserait, pour que jamais il n'oublie qui elle est. Elle ne lui ouvrirait pas les entrailles, non, bien trop classieuse pour vos histoires de gras. Il reste le père de ses enfants qui plus est, l'amour de sa vie malgré qu'il l'ait bafouée. Au fond elle aspire à finir sa vie sans personne, ou avec quelqu'un qui lui donnera l'exclusivité. Mais qui peut se targuer que pour le premier amour, le coeur cesse à jamais de pulser ?
En l'Augurey elle croit, que tout ceci ne tourne pas au n'importe quoi, que le spectre d'un passé chaotique n'envahisse pas. Mais jamais elle n'utilisera sa baguette pour faire claquer des sortilèges impardonnables : Elianor n'est pas bourreau comme vous aimez les voir au travers des premières de la Gazette. Elle est le silence dans les couloirs, l'imperceptible autour d'une table ; l'oreille fine, le regard attentif, l'esprit tenace et la langue agréable.
Qui est le plus dangereux entre un tigre et un cobra ?
Elle s'est finalement vu offrir un poste de chef de service au département de la justice magique, opérant dans la détection et la confiscation de faux sortilèges et objets de défense. Poste qu'elle a accepté sans réclamer trois semaines de réflexion ; le barreau l'avait suffisamment occupée, changer légèrement d'horizon ne pouvait que la stimuler. Puis il y a dans ce bureau, bien des informations pour servir l'Augurey : la contrebande de défenses magiques a de quoi tromper le BC sur un malentendu, l'occasion d'en capturer quelques-uns parmi les plus idiots. Une idée qui est loin de déplaire à Elianor, capable de beaucoup pour garder ses semblables à l'abri, mais avant tout, ses enfants loin de toute entrave.