Mettons le feu

feat Isaac Prewett

Les rumeurs allaient bon train. Impossible d’ignorer les regards en coin de ses collègues, les messes basses dans les couloirs ou encore, les ricanements des élèves pendant les cours. Une Pouffsoufle en deuxième année eut même l’audace de venir lui demander si tout allait bien car elle avait l’air un peu palotte ces derniers temps.
La bonne blague ! Abigail était enceinte et c’était elle qu’on venait traiter de blafarde. Harper ne releva pas, mais les élèves du cours d’après se révélant particulièrement distrait, elle perdit patience et leur colla une interrogation surprise sur les sortilèges de géolocalisation.
– Mais madame, gémit un garçon au premier rang contrit d’anxiété, on ne les a pas encore étudiés.
– Considérez cette interrogation comme un prélude pour tester vos connaissances.
En début d’après-midi, les septièmes années n'étaient pas plus concentrés. Harper décida de jouer cartes sur table.
– Bon, vous allez me dire de quoi il en retourne ou vous comptez glousser comme des pigeons jusqu’aux épreuves d’ASPIC ?
Une fille se porta volontaire pour raconter, à voix haute, ce qu’il se passait. De conserve, tous les autres mirent leur grain de sel, pour corriger les dires ou en rajouter un peu. Une fois au courant, Harper se gratta la tête, pinça l’arrête de son nez  puis soupira longuement.
– Ça va Madame ? lui demande Bertille, d’une voix inquiète.
– Vous me décevez beaucoup, lança Harper, exaspérée.
Incrédules, les élèves se jetèrent des regards troublés, sans toutefois verbaliser leur incompréhension.
– Non mais, vous vous êtes entendu ?
Bertille au premier rang avala sa salive de travers, manquant de s’étouffer.
– Une rumeur court et vous n’êtes pas fichu d’avoir la bonne version. On se croirait sur les réseaux sociaux moldus. Y’a pas deux versions identiques sur tout ce que vous m’avez servi.
Bertille se leva d’un bon, sa chaise bascula en arrière.
– Claudio était là quand c’est arrivé, s’écrit la jeune fille.
– Ah ! On avance. Raconte-moi, Claudio, comment ça s’est VRAIMENT passé.
Et Claudio raconta toute la vérité, rien que la vérité.


Le lendemain à l’heure du déjeuner, Harper arpentait la grande salle pour rejoindre la table des professeurs. L’heure du repas démarrait à peine, les quelques élèves présents l'observaient d’un œil curieux. La chaise grinça bruyamment, Harper s’installa comme un poids lourd, faisant trembler le sol. Les premiers plats fleurirent sur les tables, tout chaud, garnis et odorant. Synchronisation parfaite !
La femme inspecta les environs, s’assurant que les attentions se tournaient vers eux. Satisfaite, elle s’accouda sur la table pour s’adresser à Isaac, son collègue d’Histoire de la Magie, à côté duquel elle était assise.
– Alors, Prewett, t’as envoyé ta nouille dans mon plat de spaghetti ?
Sa voix était parfaitement audible, mais pas trop non plus ; en faire trop instillerait le doute. Les regards s’étaient détournés, mais les fourchettes qui piquaient dans les assiettes sans trop de bruit et le niveau sonore subitement baissé, révélaient les oreilles aux aguets.
Harper dévisageait Issac, ses yeux rétrécis en deux fentes prête à jeter des éclairs pour le transpercer. Intérieurement, elle se félicitait d’entrer parfaitement dans son rôle d’épouse jalouse. Dans une autre vie, elle aurait été un homme parfait.

Mettons le feu

[ft. @Harper Macfusty]

Depuis la petite promenade dans le parc avec Abigail, les élèves regardaient régulièrement Isaac du coin de l’oeil. Il les entendait également murmurer sur son passage. Les élèves avaient encore la chance qu’ils s’amusait de la situation, parce que certains n’étaient pas tendres avec lui quant au fait qu’il ruine le mariage de ses deux collègues. Le professeur pourrait en profiter pour punir certains mais il ne le faisait pas, prétendant qu’il n’entendait pas ce qui se disait. Après tout, ils regretteraient amèrement de s’être fourvoyés ainsi une fois que la vérité serait connue.

Pour l’heure, il n’avait pas encore eu l’occasion de croiser Harper, la troisième intéressée de ces rumeurs. Même si elle n’était pas jalouse, cela lui ferait certainement bizarre quand cela arriverait à ses oreilles. Assurément elle serait assez intelligente pour comprendre que l’imagination de ces adolescents était bien trop débordante, du moins il l’espérait, cela n’en serait que plus amusant.

“Non mais t’as vu comme il se pavane l’air de rien ? Deux profs mariées, et il trouve moyen de s’en taper une !” murmurait une fille à son amie sur son passage dans un couloir du cinquième étage.
“Je suis sûre qu’il est homophobe !” ajoutait l’autre d’une exclamation un peu trop forte.

Un sourire en coin se dessinait dans un premier temps sur les lèvres d’Isaac qui s’en amusait bien qu’il n’appréciait pas tellement d’être qualifié ainsi. Le professeur se retourna dans leur direction avec un air sévère sur le visage.

“Vraisemblablement les histoires des adultes vous intéressent plus que l’histoire de la magie. Vous avez l’air fortement inoccupées, allez suivez-moi dans mon bureau, on va bien vous trouver du travail à faire.”

Ce n’était pas une véritable heure de colle qu’il leur donnait. Le jeune homme leur donna simplement matière à réfléchir sur la véracité des rumeurs et à quel point elles devaient s’en méfier, sans pour autant leur dire la vérité, cela serait amusant d’entendre la suite, les entendre dire qu’il n’avait pas réellement nié.


Le midi suivant, il se retrouvait enfin en compagnie d’Harper, ils étaient même installés l’un à côté de l’autre à table. Ou plutôt, elle était venue s’installer à côté de lui alors qu’il avait déjà démarré son repas. D’ailleurs, quand elle prononça sa phrase, il failli s’étouffer, ne comprenant même pas ce qu’elle venait de dire.

“Pardon ? Tu racontes quoi Harper ?” demandait-il avec un air d’incompréhension sur le visage qui collait parfaitement à la situation, bien qu’il n’ait réellement pas compris son allusion.

La manière dont elle le regardait, le perturbait quelque peu. Est-ce que ces rumeurs l’avaient bien plus atteinte qu’il ne l’aurait pensé ? Devait-il désamorcer rapidement la situation ? Une chose était certaine, il n’avait pas compris qu’elle jouait un jeu.

Codage par Libella sur Graphiorum

Mettons le feu

feat Isaac Prewett

Désormais, elle possédait l’attention de l’assistance, nulle doute que Harper s’en réjouissait. Les élèves voulaient des histoires, ils allaient en avoir. Isaac, quant à lui, se montra fort dubitatif face au comportement de sa collègue et amie. Elle ne ressentait aucun scrupule face au scepticisme de l’homme, mais elle gardait à l’esprit que les blagues les meilleures étaient les plus courtes. Son attitude changea du tout au tout. Après avoir feint la colère, elle adoptait l’indifférence la plus totale. Sur sa chaise, sa posture se voulait nonchalante, les jambes allongées, le coude appuyé contre l’accoudoir.
– Tu sais très bien de quoi il en retourne, Isaac. Apparemment TOUTE l’école est au courant.
Elle poussa une soupire à fendre l’âme en prenant un air faussement dramatique.
– Et dire que nous n’avons qu’un an de mariage. Ô drame, Ô désespoir, Ô amants ennemis, n’ai-je tant vécu que pour cette infamie ?
Sans ménagement, pour appuyer sa saynète, elle plaque sa main contre son front. Leur collègue d’étude des moldus assise sur leur gauche, précisa, sans lever le nez de sa soupe :
– C’est le dos de la main contre le front.
Harper changea immédiatement le positionnement de sa main. Les yeux à demi-clos, elle ouvrit un œil plus franchement pour jeter une œillade en direction d’Isaac, afin de vérifier si elle obtenait l’effet escompté. Dans la salle, il n’y avait presque plus de bruit, alors Harper reprit sa position initiale, comme si de rien n’était. Son assiette vide faisait gronder son estomac. Elle attrapa un bol de laitue :
– Tiens, les salades, c’est d’actualité.
Avec une pince, elle transvasa quelques feuilles de laitue puis agrémenta son assiette de crudités, d’aiguillettes de poulets et d’une bonne dose de vinaigrette. Comme elle se mettait à machouiller son repas l’air de rien, les élèves s’impatientèrent avant de reprendre, peu à peu, le cours de leur repas. Tout en entamant son repas, elle entreprit de monopoliser la conversation. Harper aimait parler, c’était bien connu. Et manger aussi.
–  Le poulet est un peu sec mais heureusement, les elfes ne lésinent pas sur les sauces. Alors, comment ça s’est passé ? demanda-t-elle en croquant dans un bâtonnet de carotte.
Entre ses mâchoires, sa bouchée faisait un bruit d’enfer. A l’aide de sa fourchette, elle piqua une lamelle de concombre pleine de vinaigrette pour la tremper dans un pot de mayonnaise.
– Dans les serres ? Elle adore l’odeur qui pue de la terre. Dans l’enclos des sombrals ? Tu peux voir les sombrals ? Dans la vieille salle de cours du professeur Bins ? J’espère que vous n’avez pas fait ça dans ma salle préférée. Savais-tu que, depuis ma prise de fonction, j’ai occupé pas moins de quatre vingt salles différentes ? Je ne les ai jamais compté, mais le concierge, chargé inopinément de ranger le désordre derrière moi, me le répète assez souvent.
Un groupe de filles surveillait leur conversation sans trop de discrétion. Incapable d’entendre ce qu’ils se disaient, elles allèrent jusqu’à intérroger du regard la professeure d’étude de moldus qui haussa les épaules face à leurs airs intérrogateurs.
Elle ignorait si son petit manège allait durer longtemps, mais force était de constater qu’elle s’amusait bien.

Mettons le feu

[ft. @Harper Macfusty]

Tous les élèves étaient pendus à leurs lèvres, ou presque encore plus aux lèvres de sa collègue qu’aux siennes. Pourtant Isaac avait encore un doute si elle parlait bien de ce qu’il pensait ou non. Sa phrase n’avait pas été des plus explicite et le professeur d’Histoire de la Magie, malgré son expérience en lecture, n’était pas le meilleur pour lire entre les lignes. Aussi, il ne savait si elle était en train de l’alpaguer pour ces rumeurs qu’ils avaient eux-même créées avec la femme de celle-ci ou pour autre chose qui aurait vraiment un rapport avec son repas.

Mais quand Harper se lançait dans son mélodrame, Isaac ne put réprimer un léger sourire amusé. Elle faisait cela merveilleusement bien. La jeune femme feignait à merveille cette situation. Si elle n’était pas professeur, elle aurait pu faire une belle carrière d’actrice. Pourtant, elle se faisait reprendre par la professeur d’étude des moldus pour sa reprise d’une scène de théâtre.
Puis elle reprenait comme si de rien n’était, lui passant un bol de salade qui trônait sur la table en attendant d’être mangé. Le professeur d’Histoire de la Magie n’était pas loin de se mettre à rire. En fait, il n’avait même pas encore prit le temps de l’interrompre.

“Tu sais pourtant aussi bien que moi que les étudiants ont une imagination débordante ?” répondait-il en essayant d’aller dans son sens et ne pas ruiner son acting. “Oui on était juste tous les deux, et alors ?” ajoutait-il en se demandant s’il en faisait trop. Ce n’était pas forcément son habitude. “Tu ne crois pas si bien dire pour les salades, je crois qu’on t’en a raconté quelques-unes.” se mit-il à plaisanter.
Isaac se servait à son tour mais finalement il ne prit pas de salade, il se contentait d’un repas chaud à base de pomme de terre et de poisson. Puis, elle reprenait son jeu après seulement quelques bouchées. Elle allait vraiment finir par le faire sortir de ce jeu et le faire rire.

“Oh bah très bien tu sais, on s’entend bien avec Abi.”

Ok, ça c’était une réponse facile à donner et qui allait donner du grain à moudre aux élèves. D’ailleurs en entendant cela, il les entendait déjà commencer à parler entre eux de ce qu’il venait de dire. Pendant ce temps, Harper se mettait à le questionner sur leur destination et sur ce qu’elles appréciaient l’une ou l’autre. C’était vraiment amusant, il était obligé de se retenir pour ne pas rire.

“Oh, on est allés près du Lac. C’est agréable à cette période de l’année et il n’y a pas grand monde. Ca permet d’être tranquille. Ne t’en fais pas, on n’a pas touché à ta salle préférée.”

Le regard d’Isaac se portait sur le groupe de filles qu’elle avait repéré et il les voyait mettre leur main devant leur bouche d’un air choqué après ce qu’il venait de dire.

“Tu sais, tu devrais essayer de lui faire découvrir d’autres endroits toi aussi, sinon ces situations vont se reproduire…”

Codage par Libella sur Graphiorum