«OUBLIETTES !»

La sorcière comptait effacer mes souvenirs et me laisser ici, comme si de rien n’était ? Elle pouvait se foutre le doigt dans l'œil. je comptais bien garder mes souvenirs. La retrouver et lui faire subir le même sort que je comptais réserver à la plupart des mangemorts.

Mais à mesure que je réfléchissais, je sentais les souvenirs qu’elle me dérobait me filer entre les doigts. Je tentais de me raccrocher à eux. Son visage. Ses yeux. La forme de son nez. Sa coiffure excentrique. Je la détruirai, cette sale garce. Je fermai les yeux, me concentrant de toutes mes forces sur ce moment où j’ai été capturée. Si je parvenais à garder ce souvenir, le reste resterait également.

Je… ne… devais… pas… oublier…

J’étais en mission pour le Blood Circle. Je devais vérifier l'état des balises anti-magie installées à Pré-Au-Lard, un village sorcier situé en Écosse. Le sang magique qui coulait dans mon corps me permettait de passer outre les protections anti-moldu qui sont censés protéger le lieu. Si je le pouvais, je devais aussi tenter de semer des contrefaçons d’objets magiques créées par le Blood Circle, dans le but de piéger quelques sorciers.

Je faisais équipe avec un autre membre du Cercle : Callahan. C'était le moldu qui avait conduit le pickup qui nous avait le plus possible rapprochés du village. J’avais seulement un sac à dos pour porter les quelques balises, le matériel pour poser des pièges afin de les protéger et les quelques babioles piégées. Callahan m’attendait au véhicule, s’occupant de surveiller notre base de fortune, pendant que je me chargeais des aller-retour, à travers la forêt, jusqu’au village.

Comme nous l’avions prévu, une grande partie des balises et des pièges les protégeant avaient été détruits. L’installation des balises et des pièges me prit quelques jours. Il fallait être discret et méthodique. Une longue cape avait beau m’aider à me fondre au milieu de tous ces sorciers, je ne pouvais pas non plus installer mes petits pièges juste devant eux. Je devais attendre les heures où plus personne ne passait dans la rue et espérer que personne ne décide de faire une balade imprévue. Je devais également éviter les détraqueurs, que je ne détectais qu’au sentiment de froid intense qui s’immisçait en moi quand une de ces choses étaient proches. C'était une mission risquée, dans un milieu extrêmement hostile, pour moi.

Lors de mon dernier voyage, j’avais embarqué, en plus des dernières balises à changer, une contrefaçon de balai, que je devais porter à la main. Il était prévu que je pose tout ça et qu’on reparte ensemble aussitôt cette tâche terminée. Mais… J’avais d’autres projets. J’ignorais où était l’école de Poudlard, mais je savais que les élèves venaient régulièrement dans ce village. Pré-au-Lard et Poudlard étaient étroitement liés. Peut-être qu’en restant quelques jours de plus, j’aurais l’occasion de La rencontrer. Peut-être…


«Tu peux partir, ne m’attends pas. Laisse moi une tente et un sac de couchage, je vais rester quelques jours de plus. Je saurais rentrer à Londres.»

Callahan n'émit aucun objection. Il se contenta de me promettre de me laisser des vivres pour quelques jours.

J’avais fini l’installation de ma dernière balise. Le balai piégé était posé négligemment près d’une pile de tonneaux, comme si quelqu’un l’avait oublié. Si une personne décidait de le prendre et de s’en servir, elle déchanterait très vite. Mais je m’en fichais. Si cela se produisait vraiment, cela voudrait dire que quelqu’un aurait voulu profiter de cet objet abandonné.

Il commençait à se faire tard ; je devais retourner à ce qui me faisait office de campement. J’abaissai ma capuche avant d'entrer dans la forêt. Est-ce que j’aurais dû l’abaisser avant ? Peut-être. En tout cas, j’avais le sentiment que quelque chose me suivait. Je savais que les bois de la région pouvaient contenir des créatures dangereuses. Après tout, nous avions eu affaire à des loups-garous durant la Grande Cueillette de Août 2020. Mais la Lune n’était pas pleine. Je m’arrêtais de temps à autre, regardant derrière moi, guettant le moindre bruit.

Rien. Pas de mouvement, pas de bruit. Juste cette affreuse sensation.

Je n’étais pas sereine mais je continuais de m’enfoncer dans la forêt pour rejoindre mon campement. J’enfonçai un peu plus ma capuche, pour me couvrir d’une assurance que je n’avais clairement pas.

J’avançais. Jusqu’à ce que… Plus rien…


Je me réveillai. Épuisée. Attachée. Cela m’évoquait les heures les plus sombres de mon histoire.

Épuisée… Attachée… Mais surtout… Observée.

«T’es qui toi ?»

En guise de réponse, je reçus un coup de poing dans le bide sans aucun avertissement. J’eus le souffle coupé quelques secondes. Je ne savais pas qui était cette personne. Je ne savais pas pourquoi j’étais là. Et… je ne savais pas comment je m’étais retrouvée là.

Je rassemblais un peu mes esprits. Callahan… L’Écosse… Pré-au-Lard. La mission de sabotage. J’avais dit à Callahan qu’il devait partir sans moi, que j’avais des choses personnelles à régler. Je n’avais pas souvenir d’être revenue jusqu’au campement, le soir. Je me souvenais d'avoir avancé dans la forêt, puis... Plus rien.

Elle s’annonça comme étant celle qui allait me tuer. Su-per… La question qu’on se posait toutes les deux, c’était si elle allait me faire souffrir ou non. À sa place, dans de telles circonstances, j’aurais choisi la mort la plus lente et la plus douloureuse, faisant durer le plaisir jusqu’à ses limites.

«En… chantée…»

Je n’avais pas encore récupéré mon souffle, coupé à cause de son coup dans le ventre. Et puis, étais-je vraiment si enchantée que ça ? En tout cas, si elle se demandait toujours si elle devait s’amuser avec moi avant, ma réponse l’aida à se décider, ce qui me valut un bon coup poing fermé au visage. Même si j'étais détachée, je n’étais pas en état d’esquiver ou de parer l’attaque. Je ne pouvais que fermer les yeux pour encaisser le coup. Rapidement, je sentis quelque chose de tiède glisser sur ma bouche. Du bout de la langue, je pus identifier mon propre sang.

Instinctivement, ma main droite alla chercher Sheila, cachée dans son fourreau attaché à mon bras gauche, mais mes doigts ne palpèrent que ma peau nue. Je réalisais seulement que je ne portais pas tous mes vêtements. La sorcière s’était probablement assurée que je ne cachais pas d'armes ou d'accessoires me permettant de m’en sortir. Elle n'avait pas eu tort, dommage. D’un revers de main, j’essuyais le sang qui avait coulé de mon nez, tout en réfléchissant à une manière de me tirer de ce bourbier. Est-ce que je pouvais la charger avant qu’elle ne prononce les six syllabes qui signeraient mon arrêt de mort ? C’était faisable, mais rien ne me garantissait qu’elle ne pourrait pas me neutraliser avec un autre sortilège non léthal, et plus rapide à prononcer. D'autant plus que, dans mon état, je n’étais pas certaine d’être en mesure de gagner mon combat en corps à corps contre elle.

Elle parlait, mais je ne l’écoutais pas. J’observais, comme je le pouvais, mon environnement, dans l’espoir de retrouver mes affaires. Mon inattention me valut gifle. J’encaissai sans broncher, me contentant d’imaginer son visage se tordre de douleur si j’enfonçais Sheila jusqu’au fond de ses entrailles, puis en remontant lentement vers son sternum. Mes yeux croisèrent son regard. Elle était folle. Folle de colère et enragée. J’allais douiller. Mais chaque seconde qu’elle attendait pour m'exécuter augmentait mes chances de m’en sortir vivante. Même si ces dernières restaient infinitésimales.

Je forçais un petit sourire insolent. Je savais qu’elle me ferait payer chèrement cette insolence, mais chaque minute, chaque jour, chaque semaine où elle me gardait en vie augmentait mon espérance de vie, le temps de trouver une fenêtre pour m’enfuir, ou que des renforts viennent me secourir. Le problème, c’était que j’ignorais totalement où j’étais. Et si moi-même j’ignorais où j’étais séquestrée… Alors les probabilités pour que des renforts viennent me chercher avoisinaient, elles aussi, le néant…

«Et qu’est ce qui me vaut un tel traitement ? T’es une cinglée avec un vilain tatouage avec un crâne et un serpent ? Et à part d’improviser tortionnaire du dimanche, tu fais quoi dans la vie ?»

L’éclat dans ses yeux me fit comprendre que je n’allais vraiment pas apprécier ses réponses. En même temps, je le cherchais. je me préparais mentalement à revivre les pires souffrances. Il fallait que je gagne du temps, que je lui donne envie de s’amuser me torturer, de me faire mal, plutôt que de me tuer.

Gagner du temps, c’était bien… Mais trouver une solution pour me tirer d’ici, c’était mieux.

Et pour le moment… Je n’avais rien.

Je ne m’attendais pas à ce que la foldingue rigole à ma réponse. Tant mieux si tout ceci n’était qu’une blague. Cela signifiait qu’elle me laisserait sortir, en riant de bon cœur, n’est-ce pas ? À en juger par la douceur de son poing sur mon visage dur, je faisais peut-être erreur. Dommage.

Je n’étais pas réputée pour être des plus attentive. Enfin… Disons que attentive, je l’étais. Mais pas forcément aux bonnes choses aux bons moments. À l’instant T, je me devais d’écouter ce que la follasse avait à me dire, plutôt que de chercher une échappatoire. Heureusement, elle eut la gentillesse de m’aider à me concentrer sur les choses importantes de ce moment de ma vie.

À sa question rhétorique, des rappeurs lui répondraient que c'était la Street qui m’avait élevée. Je me gardais de lui révéler que je n’avais même pas eu la chance de vivre dans la rue et d'être élevée par cette dernière. Je me contentai seulement de la bombarder de questions. Qu’est ce qu’elle me voulait ? Parce que, de base, ce n’était pas marqué sur mon front que j’appartenais au Blood Circle. Derrière mon oreille, je ne dis pas, mais pas le front. Est-ce que c’était une mangemorte qui m’avait reconnue ? Je la jaugeais en même temps que je demandais. Je lui donnais un peu moins que la trentaine. Je n’avais pas souvenir de jeune femme lors de mes séances de torture. Et surtout, qu'est ce qu’elle faisait dans la vie ? Quelles qu’étaient ses réponses, les miennes n’allaient avoir pour but que de la provoquer.

J’allais douiller. Mais dans ce domaine-là, plus rien ne me faisait peur, je connaissais la douleur.

Lorsqu’elle me répondit qu’elle n’était pas une mangemorte, j’eus un rictus. Mais je la laissais continuer. Pas de chance pour moi, c’était tombé sur moi. Si elle prenait vraiment des cibles au hasard, pour un manque de chance, c’était vraiment un manque de chance.

«Bon. Ça me rassure. Je craignais qu’ils ne s’amusent à donner des responsabilités à des bâtardes incompétentes. Quel déshonneur.»

C'est à cet instant que je compris que je jouais à un jeu vraiment très très dangereux. Je m’attendais à ce qu’elle me roue de coups pour mon insolence. Qu’elle explose dans une rage folle. Elle était enragée, certes. Ça se voyait dans son regard. Elle était folle, à n'en pas douter. Mais… Elle était dans une rage que j’aurais qualifiée de froide. Lucide. C’était un peu contradictoire, une folle qui était lucide, mais je n’avais pas les mots pour qualifier ce qui se passait. À part… “Putain, cette pute m’a fait un mal de chienne”.

Alors que je m’attendais à me faire boxer comme le plus fragile des sacs de boxe, ou me prendre un sortilège de torture bien que j'allais sentir passer; la sorcière se contenta de prendre un couteau et de me caresser lentement la cuisse avec. Ça aurait pu sembler à une simple intimidation d’amateur si elle ne m’avait pas ensuite déchiré la chair sans aucune forme d'avertissement.

Je me dois de l’admettre. J’ai hurlé.

La douleur était intense, le coup inattendu. J’avais l’impression d’être un vulgaire porc qu’on découpait vivant pour faire de la charcuterie. La tranche de bacon pour les soirée raclette ? C'était moi. J’avais vu un reportage sur ça une fois, c’était immonde. Mais pourquoi je pensais à ça, à ce moment là ? Ah oui. La douleur, putain.

J’ai hurlé. Comme une truie.

Elle me retourna la question. Étrangement, j’étais attentive cette fois. J’arrivais à être assidue, de temps en temps. À part combattre les sorciers comme un petit soldat, je faisais quoi de mes journées ? Je ne devais pas être en train de m’amuser ? Je ris. Un rire saccagé par mes grimaces de douleur. Mon sang avait déjà commencé à repeindre légèrement la pièce, et ça continuait de couler de ma cuisse atrophiée.

«Je m’efforce de survivre.» Plutôt ironique comme réponse, étant donné la situation dans laquelle je me trouvais. «Si tu crois que j’en ai quelque chose à foutre des ordres du Cercle.» C’était à demi-vrai. J’avais mes propres ambitions et le Blood Circle me permettait d’arriver à mes fins. Mais je me devais tout de même de rentrer dans le rang, sinon j’étais finito. «Ils ont bien plus besoin de moi que l’inverse.»
Ça aussi, c’était à moitié vrai. Mon sang de Cracmol était précieux, mais pas irremplaçable. Et après avoir prononcé ces mots, je réalisai la connerie que je venais de faire. Je venais de sous-entendre que j’étais importante pour le Cercle, que j’avais de la valeur et que, par conséquent, ma perte serait dommageable pour les moldus. «Faut dire que c’est pas bien dur, ils sont juste pratiques pour récupérer des informations.» Tentais-je de me rattraper. Mais était-ce mieux ? Je laissais cette fois sous-entendre que je pouvais avoir accès à des informations.

J’étais nulle en prisonnière à qui on soutirait des informations…

Elle finit par me demander si je me souvenais d’elle.

«Euh…»Je la dévisageais. «Ah ouuuuieuuuuh… Non.»

J’étais tentée de mentir pour avoir un peu de répit. Mais je ne voyais vraiment pas qui c’était. Une nana d’Alexander qu’il avait ramené à l’appart ? Non. Quelqu’un qui m’avait embauchée pour un boulot merdique sous-payé ? Non. Une cliente de Ludivine pour son animal à moitié mort ? Un peu plus probable… Mais non.

Elle perdait patience. Elle enfonçait légèrement sa lame dans mon bras, m’intimant de me souvenir rapidement. La menace n'était même pas camouflée.

«Tu peux bien l’enfoncer jusqu’à la garde. Si c’était une solution pour retrouver la mémoire, ça se saurait. Il n’y aurait plus d’Alzheimer.»

Visiblement, elle n’en était pas certaine et voulait tout de même tenter l’expérience. C’était moins intense, et moins inattendu que lorsqu’elle m’a déchiré la cuisse.

Mais…

… je me dois de l'admettre…

…J’ai hurlé.