D'aucuns penseraient que grandir au sein du manoir familial des Yaxley serait une cruelle villégiature tyrannique, une sombre dictature archaïque, et chacun de ces bons mal-penseurs serait en vérité bien loin de la réalité. De tous les sentiments que j'ai connu auprès de ma famille, je n'évoquerai jamais la crainte, ni l'inimitié. J'ai été bercé par plus d'amour que j'aurais pu souhaiter et j'ai grandi au sein d'un univers d'opulence et de profusion dans lequel aucun caprice ne m'a jamais résisté, moi le petit prince des Yaxley.

Jeune cadet d'une famille soudée, j'ai longtemps été préservé de l'histoire et des idéaux fielleux de notre lignée historiquement engagée dans la lutte pour la pérennité de la pureté sorcière. Si vous me questionnez sur mes souvenirs d'enfance - et Merlin sait que cette mémoire est affûtée - je me contenterai d'évoquer toute l'affection et la tendresse d'une mère extravagante, rythmées par quelques semonces germaniques dont elle avait le secret, toute la complicité entre un père gaga, faussement autoritaire envers ses enfants, et son fils et la relation unique que j'entretiens depuis toujours avec les jumelles, mes aînées.

Je n'ai jamais réellement saisi les fondements de la haine viscérale qu'elles se vouent l'une envers l'autre, mais j'ai grandi au milieu d'une guerre intestine entre mes deux modèles de toujours ; Caitlynn et Belladone. Lynn pourrissait la vie de Bella et Bella pourrissait la vie de Lynn. Et moi ? Je me servais de leurs sempiternelles querelles pour couvrir les moindres de mes frasques, provoquant une bagarre inopinée entre mes deux aînées lorsque ma mère était sur le point de me sermonner dans la langue de Goethe. Quelques rumeurs infondées glissées au creux d'une oreille exacerbée, et pouf... ma bêtise était déjà oubliée.


Beaucoup de choses se sont éclairées lors de ma rentrée à Poudlard. Des évidences percées à jour. Je n'étais pas un enfant comme les autres. Mes parents l'avaient compris depuis des années, toute ma petite famille en avait fait les frais. J'étais doué. Naturellement doué. Et j'étais un chieur. Naturellement chieur. Et j'étais doué dans tout ce que j'entreprenais, autant dire que j'excellais pour faire chier le monde. Certaines choses ne changent jamais. J'ai mis en lumière des prédispositions et des facilités longtemps suspectées à mon entrée au collège de magie. Les cours et les révisions n'étaient qu'une formalité pour les rouages de mon esprit qui cogitaient et fonctionnaient sans aucun répit. Je retenais tout avec une aisance insolente, mes cinq sens m'offraient une myriade d'informations filtrée par une logique implacable et soigneusement classée ; mécanique parfaitement huilée.

Mais Poudlard n'était pas seulement le théâtre de mes élucubrations scolaires, non, le château était avant tout un lieu de vie et de convivialité et je m'y suis très vite senti comme à la maison. Mes travers ont repris le dessus dès ma première année. M'entendre dire à tout va « Voilà le jeune frère des jumelles. Espérons qu'il sera moins terrible que ses sœurs. » m'a suscité quelques sursauts d'orgueil dont les murs se souviendront. Déjà adolescent, je ne voulais pas être « le frère de » ou  le fils de ». Les gens devaient se souvenir d'Esrael Yaxley pour celui qu'il était, et je m'étais promis que les péripéties et la chute seraient mémorables.

J'ai fait mon chemin à l'école, entre réussites présomptueuses et déboires fantasques. Je voulais être ce garçon insaisissable, celui que l'on aime ou que l'on déteste mais qui ne laisse personne indifférent. Je n'étais ni le plus beau, ni le plus charismatique mais je laissais les jolis rôles au voisin ; j'étais le boute-en-train de mes proches, l'ami fidèle des uns, la raclure arrogante des autres. Je méprisais les étroits d'esprit, riais aux côtés des plus cocasses, aimais les libre-penseurs et défendais mes intérêts et ceux de mes proches. Mes cinq années de cohabitation avec mes aînées ont renforcé les liens que nous avons depuis toujours tissé. Je les gratifiais au quotidien de tout l'amour et la candeur d'un charmant frère cadet. Tactile et sans gêne depuis toujours, je prenais un malin plaisir à réclamer leur attention dès que je l'avais décidé, m'allongeant innocemment la tête sur leur jambe et leur sautant sur le dos à tout va, qu'importaient les circonstances ou la situation et m'en allant dès que mon petit élan affectueux me passait. Toujours le bon mot au coin des lèvres pour obtenir tout ce que je voulais... « T'as pas de temps à me consacrer ? Tant pis... Je vais aller voir Lynn, elle savait que tu dirais ça de toute façon... » Vous voyez ?


Le choix d'un cursus universitaire s'offrit à moi et s'annonça d'une évidence limpide. Au fil de mes années à Poudlard, je développai un intérêt tout spécifique aux soins magiques, conforté dans cette idée par les quelques notions de sortilèges et de potions enseignées au château qui s'y rapportaient. Je rejoignais la promotion de médicomagie, retrouvant mes sœurs à l'université londonienne après quelques mois d'absence suite à leur départ de Poudlard et leur année sabbatique.

Fidèle à moi-même, je restais ce garçon à l'humeur indiscernable, intello insouciant le matin et éternel clown provocateur l'après-midi. Je profitais des plaisirs frivoles étudiants, m'autorisant volontiers quelques douceurs illicites et quelques égarements fantasques bien que je n'ai jamais été très friand des fêtes et autres soirées débauchées.

C'est à cette époque que j'ai compris que je pouvais en faire plus ; que je devais en faire plus. Les ambitions démesurées ça m'a toujours connu, c'est monnaie courante pour Esrael Yaxley. Encore une fois, les murs et les contraintes je voulais les repousser. Je n'ai jamais cru au hasard et je suis persuadé que mes facilités ont un sens qu'il m'advient de leur donner. Alors je me suis mis en tête de révolutionner la médicomagie, d'en faire un art nouveau, plus élaboré. Qu'importe si je ne suis aujourd'hui qu'un aspirant particulièrement doué, ce sera le travail d'une vie, la consécration d'études rigoureusement menées et d'une carrière que je me souhaite tout aussi accomplie. Intéressé depuis des années par le monde moldu et ses spécificités, je me suis convaincu que leurs connaissances de l'homme et du corps et leurs technologies associées à nos avancées étaient la clé d'une médecine plus évoluée et aboutie que jamais, consciente du corps, de son essence et de son psychisme et capable d'en soigner tous les maux. C'est ma croisade aujourd'hui secrète, le début de mon épopée.


Je ne connaissais leur monde qu'à travers les dires et les écrits alors j'ai profité de ma liberté londonienne pour le découvrir par moi-même. Loin des yeux de mes proches et de ma famille, je me suis aventuré dans des lieux de vie et de travail, des pubs et cafés aux bibliothèques des non-sorciers. J'étais fasciné par les connaissances que leurs ouvrages renfermaient, amusé par la fantaisie de leurs histoires « surnaturelles », étonné par les évolutions technologiques que leurs manuels inventoriaient. J'étais plus convaincu de mes convictions que jamais, certain qu'un pont entre nos deux mondes permettrait la naissance d'une médecine moderne nouvelle. Mais aucun des deux camps ne serait prêt à voir ses frontières s'amenuiser ; en témoignent les récents événements et la haine plus ravivée que jamais.

Mes visites régulières à une bibliothèque de quartier ont fini par attirer l'attention de quelques amoureux des livres moldus et après quelques cafés échangés et une proposition sitôt acceptée, je rejoignais à l'insu de mon monde magique une association de lecture en tant que bénévole. C'était un moyen de me familiariser avec leur univers et ses coutumes, de découvrir et d'apprendre à connaître ses habitants. Je partageais quelques lectures et distribuais des recueils et écrits une fois par semaine dans des milieux principalement défavorisés. En échange je jouissais d'un accès favorisé à la bibliothèque et sa réserve d'ouvrages. Je ne pouvais en aucun cas prendre le risque de les ramener chez nous, mère ferait une syncope en découvrant cet intérêt saugrenu et père me tuerait. Ils devaient rester entre des murs neutres, et au milieu de mon nuage de mensonges qui s'épaississait, une toile finement tissée.

Mes nombreuses soirées de lecture scientifique m'offrirent de nouvelles rencontres, de nouvelles discussions prudentes avec des moldus qui ne devaient pas percer à jour ma véritable identité. Quelques questions et mentions sur leur faculté de médecine suscitèrent ma curiosité et je découvris lors d'une matinée d'exploration que leurs cours magistraux de première année dispensés dans d'immenses amphithéâtre étaient facilement accessibles pour quelqu'un de l'extérieur. Un soupçon de discrétion et de culot et je m'installais au dernier rang près de la porte en prêtant une oreille attentive à l'orateur, analysant les différences entre leurs enseignements et les nôtres, cherchant déjà comment mettre à profit ce nouvel angle d'approche. Nous avions tant à apprendre les uns des autres. Et qu'importe le fait que je ne pouvais passer qu'un soupçon de mon temps dans la partie moldue de la ville, je rentabilisais ces quelques heures par semaine hors des miens en rencontres, lectures et découvertes.


Me voilà aujourd'hui, Esrael Yaxley, dix-huit ans et autant de conneries débitées à la minute jonglant entre deux mondes et deux enseignements pour poursuivre mes rêves et mes objectifs. Par les temps qui courent je me suis rangé depuis longtemps du côté de ma famille, pour les rendre fier, pour les préserver et les protéger, prétendant à qui veut l'entendre que je défends les mêmes idéaux obscurs que les miens alors que mes véritables intentions sont toutes autres. Je nourris cet espoir de tolérance et d'ouverture d'esprit indissociable de mes projets. Mais Merlin sait que les pensées révolutionnaires et divergentes sont toujours malvenues dans une société figée et traditionaliste. Ces pensées, je dois les confiner, les tenir à l'écart des oreilles et des baguettes malveillantes et malintentionnées. Je me suis mis en tête d'apprendre l'occlumancie, de m'assurer que personne ne puisse percer à jour mes intentions et mes réelles allégeances jusqu'à ce que notre monde soit prêt à les entendre. Pour que les miens ne soient jamais menacés. Mes amis, mes sœurs, mes parents. Pour que mes rêves se réalisent. Parce que j'en ai assez d'observer envieusement la lune, demain j'irai la décrocher.