L’ordre de mission était tombé ce matin, venant d’en haut. Pour commencer sur les chapeaux de roue, on ne pouvait pas faire mieux. J’avais à peine rejoint le Département des accidents et catastrophes magiques et j’allais déjà devoir partir sur le terrain. Comme s’il n’y avait aucun oubliator digne de ce nom pour mener à bien cette mission de terrain… C’était du grand n’importe quoi. J’engageais moi-même les oubliators depuis que j’étais chef du bureau et je ne choisissais que des sorciers et sorcières compétents, que je validais après un stage où ils devaient faire leurs preuves… Febal ou Clarice auraient tout aussi bien fait l’affaire, en réalité, mais l’ordre de mission était on ne pouvait plus clair et mon nom était calligraphié sur le parchemin, comme si le fait que ce soit sur mon bureau à mon arrivée n’était pas suffisant pour que je comprenne.
Quelle bande d’imbéciles…
Bon, il était vrai que je n’étais pas dans une humeur optimale. Je ne m’attendais franchement pas à avoir un ordre de mission comme ça, dès le matin, sans même avoir été consulté… Et le pire dans tout cela, c’était qu’on m’adjoignait quelqu’un du bureau des aurors pour venir avec moi. A moins que ce ne soit une manière de me demander « gentiment » de ne pas laisser partir un ou une auror en électron libre… En fait, je n’avais aucune idée de pourquoi cela tombait sur moi, mais quand il y avait la signature du président du Magenmagot en personne sur un tel document, je peux vous assurer que, quoi qu’on puisse en penser, on la ferme et on y va.

Je ne pris même pas la peine de déposer mes affaires dans mon bureau. Je ne défis même pas mon manteau. L’ordre de mission à la main, je sortis de la pièce pour descendre d’un étage, au département de la justice magique, là où se trouvait le bureau des aurors. Et accessoirement le bureau de mon épouse, aussi, mais elle n’était pas là aujourd’hui, forcément.
Je me présentai donc à la porte du bureau des aurors et je frappai à la porte, brièvement, mais peut-être un peu trop sèchement peut-être pour que l’on ne sentît pas mon agacement. Je ne venais pas très souvent dans ce bureau, parce que les aurors n’étaient clairement pas les collègues dont je préférais la mentalité. Ils étaient des chasseurs de mages noirs, après tout… alors, avec eux, il fallait toujours mettre des gants et faire très attention à ce que l’on disait et faisait. En somme, faire équipe avec l’un ou l’une d’entre eux revenait à me brider totalement de certaines de mes petites habitudes, mais, à vrai dire, au point où j’en étais depuis la chute du Seigneur des Ténèbres, brider mes petites manies était devenu mon lot quotidien. Je ne pouvais plus m’amuser de la même manière qu’avant, nous étions tous obligés, nous, les mangemorts, de faire profil bas, de camoufler nos marques des Ténèbres et, surtout, de ne jamais laisser s’immiscer le moindre doute sur notre allégeance…

Depuis la grande bataille de Poudlard, nous vivions cachés… Paradoxalement, le monde magique avait fait de nous une honte. Même dans la rue ou au détour d’un couloir ou d’un pub, lorsque nous croisions nos frères d’armes, le salut était discret, comme si nous ne nous connaissions pas plus que cela… Aberrant, n’est-ce pas ? surtout après tout ce que nous avions pu partager…

« Bonjour… » Je relisais l’ordre de mission. Je ne connaissais pas du tout la personne avec qui j’allais faire équipe. « Je cherche une certaine Nemesys… »

A part l’orthographe, ce prénom mythologique évoquait la vengeance, tout comme la justice… Je ne pouvais qu’espérer que ma partenaire de mission ne portât pas ce prénom comme un reflet de sa propre personnalité… sans quoi, à vrai dire, j’allais certainement soit m’emmerder comme un croup mort soit me retrouver sur les nerfs après moins d’une heure… L’un comme l’autre, cela ne m’enchantait guère.

Et puis, cette mission… à croire qu’on m’envoyait sur le terrain avec une débutante. Comme pour mettre un vieil habitué avec une jeune recrue… Enfin, « vieil habitué »… je ne savais pas comment je devais prendre ce genre d’idée… J’avais eu trente-huit ans le mois passé, il ne fallait pas non plus me prendre pour un vieux croulant…
Non, en fait, je ne voyais pas ce que j’allais devoir faire. Enfin, si, oublietter ceux qui devaient l’être, leur arranger un peu les souvenirs correctement et faire en sorte que l’opération soit un succès discret et humble. Voilà pour ma part de boulot… Mais cela impliquait une collaboration. Et, si je n’aimais pas devoir collaborer avec des inconnus, quand il s’agissait d’une obligation venant d’un tel niveau, je n’avais pas vraiment le choix.

Je jetais un coup d’œil à ma montre. Nous aurions pu déjà être en route depuis au moins cinq bonnes minutes. Mais j’étais sans doute, avec ma chance légendaire, tombé sur une auror aussi ponctuelle que ma femme… ça promettait. Moi qui détestais attendre…
Cela ne fit qu’ajouter un peu plus à ma mauvaise humeur. Je n’avais pas envie d’être désagréable, mais je n’étais pas sûr de pouvoir éviter de l’être. J’allais devoir mordre sur ma chique pour ne pas dire de choses que je pourrais regretter ensuite.

Nous avions une situation assez classique à gérer, pourtant. Cela pouvait aller très vite. Mais c’était habituellement un contexte dans lequel on envoyait les oubliators après l’intervention et pas en même temps. Il manquait quelques informations essentielles sur l’ordre de mission. Avec un peu de chance, ce ne serait pas grand-chose, mais on ne savait jamais… dans le monde moldu, les surprises n’étaient pas rares et même une simple petite intervention tout à fait bénigne pouvait devenir une véritable catastrophe.
Plus nous attendions, pire pouvait être la situation, à vrai dire. Et ça, visiblement, j’étais le seul ici à en avoir conscience.
Impatient, moi ? Oui, bien évidemment. D’autant que, pour un jour comme aujourd’hui, j’aurais très nettement préféré partir en mission avec Febal ou avec Clarice, enfin, avec quelqu’un que je connaissais et que j’appréciais un minimum.

Spoiler: