Ce n'était pas un vendredi tout à fait ordinaire. C'était celui juste après les fêtes de Noël. Comme à l'accoutumée depuis le décès d'Erwan, Rose n'était pas partie rejoindre sa famille, se contentant d'une simple lettre polie. A dire vrai, cela faisait bien longtemps qu'elle ne les avait pas vu, et cela ne la dérangeait pas plus outre mesure. D'une certaine manière, il semblait évident que Myrna devait en être informée, d'une façon ou d'une autre. C'est certainement pour cette raison que son ancienne mentor, avec toute sa bienveillance, l'avait invité à venir dîner chez les O'Malley, en même temps que Sean.

Ces derniers mois le travail au ministère avait été éreintant pour les aurors, ainsi cela leur donnait l’opportunité de se reposer un peu. de songer à autre chose. Rose adorait venir ici. La famille de Myrna, ses petites chamailleries, ses rires et ses anecdotes, tout cela réchauffaient son cœur et lui redonnait le sourire. C'était bien pour protéger des familles comme celle-ci qu'elle avait fait le choix d'être auror. Et malgré toutes ces difficultés et ces risques funestes, elle ne le regrettait nullement.


Cela arrivait couramment que son collègue et son jeune frère se cherchent des noises. L'un pour le jeu, l'autre presque par défi. Pourtant ce soir-là, les petites disputes que l'on pouvait entendre entre eux avaient quelque chose de plus virulent. La situation s'envenima très vite. Le ton monta. Les mots étaient peu à peu criés. Ils étaient jetés à travers la pièce, telles des piques acérées. D'ordinaire assez neutre, Rose avait cette fois-ci bien du mal à se contenir. Elle voyait bien cette incompréhension chez Leah, et il n'y avait qu'à jeter un œil à Myrna pour constater à quel point elle était dépassée, ne parvenant plus à gérer ni l'un ni l'autre de ses deux fils, et ce malgré toute sa bonne volonté. Rose jeta aussitôt un regard à Jimmy, comme pour lui signifier, presque le supplier, de ne pas entrer dans ce cercle vicieux.
Une phrase de plus, acide, du plus grand fusa. Rose soupira, murmura le prénom de Sean, comme pour tenter d'une façon comme une autre d'attirer son attention sur une autre réalité, pour le calmer. Mais c'était sans compter sur Jimmy, fonçant comme dans une porte ouverte, déversant à son tour tout un tas de paroles crues. Aussitôt un cri. Un seul mot, de la jeune auror à l'intention du plus jeune. Un "stop" sortit du cœur. Un regard noir l'accompagnant. Une attitude qui dépassait pourtant largement ses intentions.

La pièce retourna à son silence l'espace d'un bref instant. Le temps que la tête blonde se soit ressaisie de sa stupeur. Coupé en plein élan, il en referma la bouche, avant de tourner les talons et s'enfuir hors de la pièce.
Rose inclina la tête, fermant les yeux, expirant lourdement. Ce n'était pas dans ses habitudes de réagir avec autant de fermeté, surtout chez les O'Malley. Ses poings se serrèrent à mesure que les échos du raffut que provoquait Jimmy leur parviennent. Lorsqu'elle les rouvrit, la fureur sonore du Poufsouffle semblait être passée. La sorcière se redressa et se dirigea vers la chambre de l'étudiant :
- Je m'en occupe, fit-elle en posant sa main sur l'épaule de Sean en passant
Elle adressa un sourire sincèrement désolé à Myrna, avant de quitter la pièce.


Rose n'avait jamais fait partie d'une fratrie, mais elle avait bien eu des cousins et des amis. Si elle n'avait jamais donc connu ça personnellement, cela lui avait pour autant bien suffi pour comprendre et connaitre les disputes entre frères et sœurs. La sorcière avait très souvent le rôle à la fois de la diplomate et médiatrice, et on pouvait dire que ça l'avait plutôt bien aidé dans son travail d'auror jusqu'à présent. Mais là il s'agissait quand même d'un adolescent, en pleine crise de nerfs qui plus est. Première étape, faire patte blanche. Plus elle serait sincère, mieux ce serait.

Lorsque Rose arriva devant la porte de Jimmy, celle-ci est bien entendu fermée. Elle s'y attendait bien sûr, d'autant que tous avaient entendu l'adolescent la claquer brutalement, mais elle hésitait à déclencher la poignée pour rentrer. A vrai dire... si elle avait été dans sa situation, elle n'aurait sans doute pas apprécié qu'on la dérange. Une chambre, c'était comme un repère à cet âge-là. Et dans le cas de Jimmy son dernier retranchement aujourd'hui.
Les doigts de l'auror montèrent et vinrent cogner contre le bois qui les séparait tous deux. Elle lui annonçait simplement sa présence, il ne tenait plus qu'à lui de la faire rentrer s'il le souhaitait. Mais elle ne le forcerait pas :
- Jimmy... Explique-moi ce qui se passe, s'il te plaît. Je peux t'écouter.
Elle n'en fut pas totalement certaine, mais elle n'eut pas l'impression de l'entendre. Dans le doute, elle se rapprocha de la porte, parlant de façon distincte :
- Je ne voulais pas te faire partir. Tu es chez toi ici, je ne suis que l'invitée. Je voulais simplement calmer la situation.

Dans ce silence pesant, Rose hésita. Elle aurait aimé insister, mais si le garçon ne souhaitait pas lui répondre... Elle n'avait nullement l'envie de partir. Elle n'avait vraiment pas envie de le laisser là. Tout ça, c'était tellement bête !
Soudainement elle perçue une sorte de petit grincement. Le lit de Jimmy peut-être ? Elle releva la tête, attentive à d'autres sons potentiels, mais l'épaisseur de la porte et des murs ne l'aidaient pas beaucoup. Prenant son mal en patience, elle attendait donc un mot, une phrase, qui viendrait enfin de l'autre côté. Mais ce fut finalement mieux que ça. La poignée se déclencha, la laissant apercevoir l'espace d'un instant un Jimmy au regard contradictoire. Il se détourna aussitôt, allant se réfugier sur son lit en s'y jetant lourdement, tout en lui demandant de bien fermer la porte derrière elle. Elle approuva en silence, à la fois ravie et stupéfaite qu'il la fit pénétrer ici.

Elle prit son temps pour refermer, une main sur la poignée, l'autre sur la porte. L'immense poster de Quidditch planté dans le bois avait attiré son regard. Animé, il présentait une équipe populaire avec panache. Elle s'en détourna lentement, se dirigeant vers le lit tout en observant un peu ce qu'il y avait autour d'elle.
C'était bien une chambre de jeune ado. Bien que relativement bien rangée, les murs étaient parsemés de poster, tous illustrant ce sport qu'il appréciait tant. Il y en avait pour tous les goûts, du plus épique au plus amusant. Du plus coloré, avec des teintes saturées, au classieux noir et blanc. Quelques photos où Jimmy semblait rire ou sourire avec des amis étaient également affichées, volant presque la vedette aux célébrités à côté tant ces sourires-là semblaient bien plus sincères que ceux des stars. Dans un coin, Rose remarqua également la guitare sèche du garçon, exposée sur un support. Il devait sans doute l'utiliser régulièrement pour ne pas l'avoir laissé dans une housse. Non loin, le balais et le reste de l'équipement du Poufsouffle étaient posés en vrac. En passant devant le bureau, l'auror aperçut plusieurs livres : plusieurs sur le Quidditch, décidément, d'autres sur les animaux magiques. Et n'était-ce pas une réplique d'hypogriffe sur l'étagère d'à côté ? De la musique, du sport, des animaux et quelques souvenirs. Rien d'étonnant là-dedans donc.

L'auror s'installa sur le lit, en s’asseyant en douceur. En jetant un rapide coup d’œil sur la table de nuit, elle aperçut une autre photo, bien plus discrète. Celle d'une jeune fille. Hum intéressant ça... Mignonne en plus. Est-ce que Myrna était au courant ? Rose fit de son mieux pour ne pas sourire à cette découverte, et se tourna finalement vers Jimmy. C'est lui qui engagea finalement la discussion. A peine commença-t-il qu'elle prit un air plus grave. A l'évidence, tout cela lui pesait beaucoup. Elle ne s'attendait pas vraiment à ce qu'il trouve son intervention correcte, et pourtant il l'approuvait. C'était bien qu'il y avait un problème quelque part. Et ça l'attristait vraiment...
Lorsque soudain il lui demanda pourquoi Sean le détestait tant, la voix presque cassée, elle en fut ébranlée. Sa face sérieuse se brisa, aussitôt. Ça ne servait à rien de jouer ce rôle-là. L'espace d'un instant, elle sentit ses yeux prendre une pigmentation particulière, mais elle se reprit dès qu'elle en eut conscience. Elle inspira profondément avant de répondre, tout en essayant de chercher ses mots :
- Il ne te déteste pas... Crois-moi. Il est juste...
Con ? Mouais on allait éviter ce terme-là. Ce n'était d'évidence pas le plus approprié :
- Maladroit.
Elle fit une légère moue. Quoique que ce soit un enfant, il était sûrement en âge de comprendre certaines choses. Il était bien universitaire désormais. Et ce n'était pas comme si la vie n'avait pas épargné cette famille après tout :
- Ton frère a vécu pas mal de choses, tout comme toi et les autres membres de votre famille. Ça n'a pas été simple pour tout le monde. A côté de ça le boulot d'auror n'est pas des plus tendres non plus et il a beaucoup de choses à gérer. C'est donc sans doute de cette façon que Sean extériorise. Ça ne veut pas dire que c'est la meilleure méthode, c'est juste la sienne. Ça ne veut pas non plus dire qu'elle doit être approuvée...
Rose se repositionna sur le matelas, remontant un peu dessus. Elle hésitait à prendre les mains de Jimmy. Elle n'osait pas aller trop vite avec lui. Elle se contenta donc de capter son regard autant que possible :
- Je pense qu'il ne sait pas comment s'y prendre avec toi. Mais s'il y a bien une chose dont je suis convaincue, c'est qu'il ne veut pas te faire de mal. Ce n'est pas son intention première en tout cas.

D'abord ronchon, Jimmy semblait porter peu à peu plus d'attention aux paroles de l'auror. Sa réticence envolée, il laissait peu à peu aller à ses sentiments face à elle, dévoilant alors le fond de ses sentiments. Dévoilant ses émotions. Les laissant enfin s'exprimer. Face à ses mots et ses larmes, difficile de ne pas être attendrie. Le cœur serré, Rose avait bien du mal à résister à l'envie de le prendre dans ses bras, pour le consoler et lui montrer qu'il n'était pas seul et incompris. Elle l'aurait fait pour Leah, sans aucune hésitation. Mais pour Jimmy c'était différent. Lui, qui était toujours sur sa réserve avec elle, comment pouvait-elle lui montrer le soutient qu'elle lui accordait ? C'était un adolescent. Perdu et blessé. A plus fortes raisons, par son propre frère. Si elle était comme une grande sœur aux yeux de Leah, elle n'était sans doute rien de plus que "la collègue de son frère" ou "l'ancienne apprentie de sa mère". Qu'importe qu'elle vienne manger dans cette maison souvent ou non. Elle n'était au mieux qu'une amie de la famille, pas la sienne.
Si Rose ne pouvait pas lui offrir la même affection, de peur de le faire fuir ou de le brusquer, elle pouvait au moins lui témoigner son empathie. Sans gestes brusques, l'auror chercha un instant dans une poche intérieure de son blazer, juste le temps d'en tirer un tissu carré, aussi doux que propre. Avec délicatesse, elle le posa sur la main de Jimmy, posant la sienne, chaleureuse, par-dessus.

La sorcière prit soin de bien choisir ses mots. Ce n'était pas le moment de sortir quelque chose de travers ou à double sens. Plus elle serait claire envers lui, mieux ce serait :
- Tu peux pleurer autant que tu veux, ce n'est pas interdit. Même les hommes les plus forts le font, crois-moi.
Oui. Luca pleurait. Sean pleurait. Ils pleuraient tous. Avec cette honte aussi toxique que virile au fond d'eux, mais ils se devaient de lâcher prise. Cette idiote règle de bienséance qui veut que les garçons ne doivent pas céder à leurs émotions... ça vaut pour les métamorphomages à la rigueur, et encore. Mais les gens lambda, eux, devraient pouvoir vivre plus légèrement. On ne devrait pas les soustraire à ces règles d'un autre monde, d'une autre époque, et qui ne fait rien de plus que briser les gens de l'intérieur, les noyant dans des émotions et pensées dont ils ne peuvent se débarrasser.
- Les moldus ont des sortes de machines qui ne pleurent jamais. Mais nous, nous sommes des humains. Et comme tous les humains...
L'auror se permit de remettre une petite mèche du jeune homme à sa place, d'un geste lent et presque maternel :
- ...on fait des erreurs. Sean en a commis. Toi aussi certainement. Ton autre frère, ta sœur, ta mère, moi-même, et bien d'autres encore, nous en faisons tous. On blesse les gens que l'on aime, parfois sans s'en rendre compte, en pensant que ce n'est pas grave, qu'ils comprendront. Justement parce que nous les aimons et que nous pensons qu'ils nous aiment tout autant. Que l'amour peut tout soigner. Tout guérir. Et que rien ne peut le briser.
La sorcière songea un instant à Erwan, son défunt fiancé. A toutes ces horreurs qu'elle avait pu lui lâcher juste avant sa mort. Quelques secondes à peine avant l'éclair vert fatidique. Quelques secondes... Elle avait tant regretté ses mots. Des millions de fois. La mafia ne lui avait laissé aucune chance... Elle n'avait pu ni se rattraper, ni le sauver. Il était parti, emportant avec lui tout ce qui restait d'eux.
Son regard troublé se fixa à nouveau les yeux du jeune sorcier :
- Mais l'avantage que l'on a en tant qu'humain, c'est qu'on apprend tous de ses erreurs. Tous.
Sa main glissa vers la joue de l'étudiant. Avec douceur elle essuya de son pouce une trace humide, de celles qui coulent des yeux vers le cœur meurtri :
- Je m'engage à t'aider, Jimmy. Je ferais en sorte que Sean comprenne le mal qu'il te fait. Il changera, lentement peut-être, mais il changera. Fais-moi confiance.
Les lèvres de l'auror s'étirèrent en un sourire qui se voulait réconfortant :
- Je te le promets.
Elle n'était pas seulement auror, agent du Ministère et responsable de la sûreté des sorciers et du secret Magique. Elle était un peu de cette famille. Elle était attachée à chacun de ses membres, jusqu'à Thomas qu'elle voyait si peu souvent. Cette famille, Rose l'aimait de tout son être, plus encore que la sienne. Et la voir se déchirer lui était impossible à regarder sans réagir. La jeune sorcière aimait Myrna comme une mère, Leah comme une sœur,... Et même si Jimmy ne lui laissait aucune place dans son cœur, elle le soutiendrait malgré tout, comme elle le pourrait. Elle ne voulait plus jamais avoir de remords.